Le sentiment de déjà vu n’est plus un simple sentiment depuis longtemps en ce qui concerne Arthur. Des hauts et des bas, il en a connu des dizaines et des dizaines au cours des années écoulées. Et à chaque fois, Swnn est là pour mettre les points sur les i ; et à chaque fois, il est aussi présent pour l’aider à se relever, quand il a été trop horrible avec le reste de son entourage pour que d’autres acceptent de le faire. « Si tu te demandes si je t’ai invité ici pour te punir, c’est bien le cas. » Le monde autour d’eux est bien différent du quotidien gris et terne d’Arthur, c’est évident, mais au-delà de ça Swann a jugé bon de lui faire voir autre chose que ce quotidien en question, justement. Peut-être même qu’il a voulu lui montrer un peu plus de son propre monde au passage, même s’il est bien loin d’oser l’exentricité et d’afficher son orientation sexuelle. « Mais ça n’en reste pas moins un bar. » Où ils partagent un verre, comme promis par Swann à son ami. Simplement, il n’avait pas précisé les nuances de cela, ni même qu’Arthur pouvait avoir une chance de se faire draguer par un homme - si tant est qu’on ne les prenne justement pas pour un couple, ou tout du moins un date.

« J’ai le droit à ta version des faits ou tu me forces à te tirer les vers du nez ? » Tout en jetant un regard aux différentes boissons proposées sur le mur à côté d’eux, il interroge déjà Arthur sur l’humeur qu’est la sienne aujourd’hui. Avec lui, cela peut varier de tout à rien d’un jour à l’autre et même Swann, qui le connaît pourtant depuis des années, ne sait parfois pas sur quel pied danser. « Soit ça soit je te parle de mon couple, alors fais attention. » Et s’il le dit en souriant, Arthur sait néanmoins que tout n’est pour une fois pas rose dans le coeur de Swann et par “parler de son couple”, il veut surtout dire “parler des problèmes de son couple”, quand bien même ces derniers vont en s’arrangeant. Il se dit qu’il comprendra peut-être que tout n’a pas à être lisse et parfait si même Swann lui avoue que son quotidien ne l’est pas toujours ; et il se dit que s’il arrive à se mettre ça dans le crâne alors il finira par accepter de ne pas l’être lui non plus, sans éternellement pousser son corps et son esprit dans des retranchements impossibles le poussant éternellement à franchir la ligne rouge. Et c’est ça, depuis tout ce temps, que Swann n’a de cesse de lui reprocher : il est normal qu’il flanche, lui aussi, mais il ne sera jamais normal qu’il le fasse en cherchant à entraîner tout son entourage dans cette chute. Encore moins alors qu’il sait que l’amour porté à Greta est aussi vache que sincèrement.

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Il avait déjà trop repoussé le moment, jouant avec la patience, pourtant illimité de Swann. Il s’agit de la même rengaine qui se joue telle une mélodie familière. Arthur est allé trop loin, encore une fois, et Swann cherche à comprendre. Il est le seul qui a toujours voulu lui accorder le bénéfice du doute alors qu’Arthur ne lui offrait pas toujours des réponses dignes de ce nom. Peut-être qu’il a trop joué avec le feu cette fois. Est-ce qu’il existe une réelle limite dans tout ce qu’il pourra lui faire affronter ? Une part de lui aimerait presque le découvrir. « Si tu te demandes si je t’ai invité ici pour te punir, c’est bien le cas. » Il lui offre presque sur un plateau, la possibilité de l’effacer lentement de sa vie. Il sait parfaitement qu'il n’a jamais voulu se mêler à ce milieu, mais qu’il a calmé ses commentaires depuis son mariage. Il lui suffirait de quelques mots seulement. Parfaitement bien rythmé et incroyablement cruel. Quelque chose l’en empêche pourtant, qu’importe s’il se trouve piqué par la remarque de Swann. « Merci de me faire passer pour un monstre. » Il est obligé de rétorquer quand intérieurement c’est un vrai combat qu’il mène contre ses propres pensées. Swann le voit réellement ainsi ? Comme ce gars irrécupérable que l’on doit punir ? Tant pis. Il garde la tête haute Arthur. Il ne va pas tout de même pas se laisser atteindre par un commentaire aussi bas. « Mais ça n’en reste pas moins un bar. » - « Alors, je veux bien un whisky. » Il avait le sentiment qu’une bière ne serait jamais suffisante pour la conversation qui allait suivre.

Il n’aurait peut-être pas dû s’asseoir dos au mur. Avec Swann en face de lui, il se sentait comme pris au piège sous un regard inquisiteur. Cela fait plusieurs nuits qu’il dort mal, dans cet hôtel mal isolé où il entend les va et vient, la télévision du voisin et la nana d'à côté qui se fait tringler par toute la ville. Il a consommé hier soir, pour faire taire son anxiété, pour s’autoriser un peu de répit. Il est venu sobre. Par respect pour Swann ou quelque chose de cet ordre-là. « J’ai le droit à ta version des faits ou tu me forces à te tirer les vers du nez ? » Il fait semblant de rien Swann, comme si la conversation se voulait banale. Il n’y a pas de jugement au travers de ses mots, juste un réel désir de comprendre. Et Arthur se retrouve au pied du mur. Une part de lui, voudrait tout dire. Qu’est-ce que ça lui coûterait d’être honnête, de faire savoir qu’il n’avait désormais plus de travail et probablement plus aucune famille sur laquelle compter, si ce n’est son cousin. Swann ne verrait pas cela comme un échec. Pas vrai ? Il allait parler, cherchant ses mots, avant que son esprit ne lui joue des tours, lui rappelant que son ami le voyait déjà comme un raté qu’il fallait punir pour son comportement. Ce serait quoi la suite exactement ? « Soit ça soit je te parle de mon couple, alors fais attention. » Probablement qu’il le connaît que trop bien pour lui offrir une telle porte de secours. Swann s'attend sûrement à ce qu’Arthur se précipite pour parler de sa personne. Il a toujours été ainsi, moi je et les autres après. « Donc Rory est revenu ? » Il ne s’attendait sûrement pas à une telle réponse, mais il lui avait proposé l’alternative de lui-même. L’un comme l’autre sait qu’Arthur n’en a que faire des déboires de Rory, qu’il a choisi son camp depuis toujours et que si l’autre s’aventurait à encore faire ce qu’il qualifie comme des conneries, Arthur serait obligé de lui en toucher deux mots. Il oublie simplement un détail, ce rôle qu’il s’octroie revient à Swann dans son histoire avec Greta. « Il veut bien d’un deuxième ou tu la laisser te convaincre que c’était pas ce qui vous fallait ? » A aucun moment, il ne cherche à être méchant, mais Arthur n’a jamais su faire preuve de tact dans sa vie.

Arthur n’est pas un saint, il ne faut pas avoir passé beaucoup de temps avec lui pour le savoir et le comprendre, mais il n’est pas aussi terrible que Swann aime parfois le laisser croire lorsqu’il parle au premier concerné. A titre d’exemple, le choix du bar n’est pas tant une punition, plus une façon de se moquer gentiment de lui. Parmi tous ses défauts, nombreux et horribles, l’homophobie n’en fait pas partie. Il est parfois maladroit dans ses propos, et parfois particulièrement mal placé dans ses blagues, mais il n’est pas homophobe, et c’est au moins un point que Swann est soulagé de ne pas avoir à lui reprocher. « Merci de me faire passer pour un monstre. » - « Les meilleurs amis sont là pour ça. » Il taquine simplement, comme si tout était aussi simple et aussi parfait dans leur amitié. « Alors, je veux bien un whisky. » Il ne perd pas le nord et choisit l’option corsée sans que son ami ne cherche à jouer au rabat-joie pour le moment. Il aura son verre de whisky quoiqu’il en dise, de toute façon, et Swann n’est pas son foutu tuteur.

Une fois au bar, Swann opte pour une simple bière et lorsque les deux hommes ont leur besoin en main, ils prennent le chemin d’une table excentrée où il ne tarde pas davantage avant de chercher à obtenir la réponse à ses nombreuses questions. Arthur le prend pourtant de court lorsqu’il choisit l’option “entendre parler de Rory à tout va” plutôt que de confesser ce qui lui est passé par la tête lorsqu’il s’est disputé avec Greta. Pris de court, Swann a du mal à cacher sa surprise. « Donc Rory est revenu ? » Swann choisit de prendre une gorgée plutôt que d’opter pour n’importe quelle réponse rapide et sûrement malvenue. « Il veut bien d’un deuxième ou tu l’as laissé te convaincre que c’était pas ce qui vous fallait ? » Et déjà, les gros yeux que Swann fait tout en bougeant légèrement sa tête sur le côté le menacent de revoir ses propos et la façon qu’il a de poser des questions sur son mariage. « On va pas avoir un deuxième enfant de suite parce que j’ai eu trois mois pour me dire que le timing était pas le meilleur. » L’humour est absent de sa réponse et s’il n’aime pas qu’Arthur se moque de son mari en temps normal, il est ce soir dénué de toute patience à cause des récents événements survenus dans son couple, lesquels l’ont mis à rude épreuve et même ébranlé. « Il est revenu. Cache ta joie. » Si Swann n’a pas sauté au plafond lors de son retour, il en a néanmoins ressenti un soulagement immense et a eu l’impression de retrouver une part de lui dont la douleur du manque était similaire à celle du membre fantôme. « Une réponse pour moi, une réponse pour toi. » Il ne le laissera pas profiter de cette soirée pour en faire un interrogatoire à sens unique, surtout alors que Swann peine à croire qu’il cherche sincèrement à rattraper les derniers évènements et qu’il est plutôt en quête d’arguments pour avancer que Rory n’est pas une bonne personne, certainement pas un bon père et qu’il ferait même mieux de tout arrêter maintenant tant qu’il est encore jeune et capable de séduire. Autant d’arguments stupides qu’il ne veut pas entendre. « Est-ce que tu veux Greta à tout prix pour toi ou est-ce que tu veux qu’elle soit heureuse ? » Puisque les deux ne semblent pouvoir aller de paire, il est temps que quelqu’un lui avance la dichotomie. Il est aussi temps qu’il réponde une bonne fois pour toute sa préférence, pour qu’au moins Swann puisse être prévenu de la façon dont il agira à l’avenir.

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C’est un pas de deux différent qui semble s’installer entre eux. « Les meilleurs amis sont là pour ça. » Un statut qu’il lui rappelle dans un sourire, mais qui semble désormais aussi fragile que du cristal. Swann n’a jamais été parfaitement brutal dans ses confrontations, mais il sait, en revanche, parfaitement choisir ses mots. Ce n’est jamais un mot plus haut que l’autre, mais plutôt quelques vérités qu’il a pris le temps de formuler et qui ont pour habitude de déstabiliser Arthur. Donnant alors cette danse bancale, où l’un exprime la perte de sa patience légendaire, tandis que l’autre enchaîne les pirouettes, simplement animé par le désir profond de ne pas voir s’en aller la seule et unique amitié qui n’a jamais compté à ses yeux.

Arthur choisit la tangente s’approchant d’un sujet qu’il est bien loin de maîtriser, mais qui l’empêchera de devoir discuter de lui, de ses problèmes et de sa relation pour quelques minutes encore. Comme toujours, il ne fait preuve d’aucune sensibilité, préférant mettre les pieds dans le plat, s’y tenant droit et fier avec un sourire qui donnerait envie de lui décrocher une baffe. « On va pas avoir un deuxième enfant de suite parce que j’ai eu trois mois pour me dire que le timing était pas le meilleur. » Il lève les mains à hauteur de ses épaules, dans un signe de paix. Swann a réfléchi, soi-disant. Il a surtout subi l’absence de son mari, rien de plus. Arthur se mord l’intérieur de la joue pour ne pas répondre du tac au tac et envenimer une situation qui semble déjà tendue. « Il est revenu. Cache ta joie. » Faisant tourner son verre entre ses doigts, il ne peut néanmoins s’empêcher de répliquer. « Cache la tienne. » Il a connu Swann bien plus expressif au sujet de son mari et de leur petite famille. « Tant que toi, tu es heureux. » Le reste n’a que peu d’importance à ses yeux. Il sait que Swann ne prend cela que comme une phrase prémâchée, qu’il pourrait distribuer au monde entier. Si Arthur a tendance à se soucier de personne, il a toujours eu un affect singulier pour Swann. 

« Une réponse pour moi, une réponse pour toi. » Ils en sont rendus là. Œil pour œil, dent pour dent. Buvant une gorgée de son verre, il se recule dans sa chaise, imposant une distance entre eux. Swann, lui, choisit de ne pas attendre. « Est-ce que tu veux Greta à tout prix pour toi ou est-ce que tu veux qu’elle soit heureuse ? » La question lui fait l’effet d’un coup de poing dans l’estomac. Et bien entendu, il se braque dans la seconde. « Tu me prends pour qui ? » Un égoïste pas tenté. Ce qu’il a pour habitude d’être, mais qu’il déteste qu’on le lui rappelle. Arthur préférerait s’enfuir que de maintenir cette conversation, mais Swann paraît soudainement immense face à lui. Les secondes s'écoulent sans que rien ne change, Swann l'observe et Arthur se tasse sur sa chaise. La réponse, il la connaît par cœur. « Elle mérite d’être heureuse. » Cela ne devrait même pas faire débat. « Mais si je comprends bien, cela ne peut aller de pair avec ma personne ? » Qu’il lui dise les choses pour une fois. Sois franc, Swann. « À cause d’une simple dispute ? » Il pense tout savoir, comme toujours. En réalité, il ne sait rien. Il imagine, il suppose et Arthur, lui, il s’agace. S’agitant sur son siège, nerveux à l’idée d’entendre ce que son ami pense sincèrement de tout cela.

« Cache la tienne. » Il se retient plus difficilement que jamais de rétorquer quoi que ce soit à Arthur. Il a l’habitude de ses remarques, il a l’habitude de celles qui touchent à Rory, mais il n’a pas l’habitude qu’il se montre aussi véhément et, surtout, qu’il sous-entende que son couple ne le rend pas heureux. Après les derniers mois écoulés, c’est finalement ce qui mine le plus le moral de Swann qui, il le jure, est plus soulagé que jamais de retrouver Rory à ses côtés. Arthur est égoïste d’insinuer le contraire et, brièvement, son ami le déteste très sincèrement d’ainsi enfoncer le couteau dans une plaie dont il connait parfaitement l’emplacement. « Tant que toi, tu es heureux. » - « Je le suis. » Et à en juger par le ton avec lequel il lui répond, le sujet est clos et nécessite de le rester.

Et s’il ne tarde pas à lui dire que la discussion est close au sujet de Rory, il ne tarde pas non plus à en ouvrir une nouvelle au sujet de Greta, qui a au moins l’avantage d’être une proche des deux protagonistes. Si tant est que cela soit une bonne nouvelle. Depuis les dernières semaines, Swann en doute plus que jamais. « Tu me prends pour qui ? » Pour Arthur, justement, et c’est bien parce qu’il le connaît par cœur qu’il se permet de poser la question à son ami. Il a besoin d’en avoir le cœur net, il a besoin de savoir s’il est capable de faire passer le bonheur d’un autre avant lui-même. « Elle mérite d’être heureuse. Mais si je comprends bien, cela ne peut aller de pair avec ma personne ? » - « A toi de me le dire. » Il ne décolère pas, il ne lui laisse pas non plus le moindre répit, ni même chance de s’en sortir. Il veut être celui qui met enfin Arthur face à ses responsabilités, à ses choix, et à toutes leurs conséquences. Il veut que son ami comprenne enfin que l’amour n’est pas suffisant dans un couple et qu’il s’agit d’un véritable tout qui ne peut être aussi simple que ce qu’il pense. Quelques heures de bonheur ne peuvent pas en valoir la peine s’il leur impose à tous les deux des jours entiers de malheur ensuite. « À cause d’une simple dispute ? » De toute évidence, la réponse apportée ne lui convient pas. « A toi de me le dire sans mensonges. » Peut-être que cela méritait d’être précisé, alors. Cette dispute n’est pas leur première, elle n’est pas leur dernière non plus, et Swann déteste sincèrement l’idée d’être pris pour un con au sujet de ce mensonge bien précis. « Elle est heureuse, tu penses ? » Il a demandé à Swann de l’être. A-t-il demandé à Greta si elle l’est, de son côté ? Finalement, lui qui déteste tant Rory ne serait-il pas encore bien plus mal logé aux sièges des briseurs de coeurs ?