It's me, hi, I'm the problem, it's me / novembre 2024

Il y avait des moments où la souffrance se faisait plus importante. Aujourd’hui était l’une de ses journées où il aurait mieux fallu qu’elle reste chez elle, cachée dans ses confortables couvertures qui la protégeaient du monde entier. Kehlani avait eu un problème avec un de ses professeurs à l’université le matin même et si un de ses compatriotes ne l’avait pas assis de force sur sa chaise, elle aurait probablement été sortie de la classe. Elle n’aimait pas qu’on la prenne de haut. Certes, parfois, l’autorité la dérangeait, mais elle était surtout impulsive et ses mots dépassaient bien (trop) souvent ses pensées. Ces derniers temps, elle avait encore plus de difficulté à gérer ses émotions parce qu’elle sentait un grand vide en elle laissé par l’absence de sa meilleure amie dans sa vie. Parfois, il ne fallait pas forcer les choses, la vie était ainsi faite. Les gens arrivaient, restaient peu de temps et finissaient toujours par disparaître. Kehlani l’avait appris avec le temps. Il ne fallait en aucun cas s’attacher aux autres. Néanmoins, elle continuait de répéter cette erreur sans arrêt. Depuis son arrivée à Brisbane, elle s’était attachée aux pas de plus de trois personnes et elles étaient presque toutes déjà parties. Elle les blâmait tous parce que c’était bien plus facile, mais la vérité, c’était qu’elle était au courant que ces échecs étaient uniquement de sa faute. Même si elle se voilait la face et que parfois, elle avait du mal à comprendre ce qu’elle faisait de mal pour en arriver là, elle était arrivée à la conclusion évidente que c’était elle et uniquement elle le problème. Elle était bien trop bruyante, bien trop franche, bien trop impulsive et peu de personnes étaient en mesure de supporter et surtout, de tolérer son tempérament qui fluctuait bien trop souvent.  Elle se disait toujours que la prochaine fois, elle ne laisserait plus entrer qui que ce soit dans sa vie. Cela faisait moins mal que le vide qu’elle ressentait. Elle se disait aussi qu’elle aurait dû rester en Caroline du Nord, qu’elle n’aurait peut-être jamais dû mettre les pieds à Brisbane. Elle était trop conne ou bien trop naïve. Les gens n’étaient pas ce qu’elle pensait. « veux-tu aller à une fête ce soir? » L’américaine sortit aussitôt de ses pensées et regarda l’autre étudiant, celui-là même qui l’avait sauvé de l’embarras quelques instants plus tôt. Elle pinça les lèvres ensemble et réfléchit quelques instants avant de lancer un « pourquoi pas? après tout, ma journée ne peut pas être pire… » En disant ces paroles, elle s’était probablement portée malheur, puisque le soir-même, dans les ténèbres de cette nuit de novembre, sa journée avait encore plus dérapé.

Kehlani avait un peu trop bu et elle avait pris une bouteille de rhum à un de ses compatriotes. Ce dernier avait essayé de l’embrasser et elle lui avait donné une claque en pleine figure, rien de moins. « Oh! Toi, tu ne me touches pas! » Elle avait réussi à s’éloigner, mais il avait insisté. « non, mais t’es belle à croquer toi. en plus, tu te défends. ça te rend encore plus attirante… » Elle lui envoya aussi un coup de pied dans les parties et ce, le plus fort possible, mais elle était tombée et s’était foulée la cheville. Avec sa bouteille, elle s’était éloignée le plus possible pour qu’il ne la retrouve pas, pour ne pas continuer les hostilités. Dans les ténèbres, ses yeux s’étaient adaptés à la lumière des étoiles et de la lune. Elle ne pouvait cependant aller plus loin tellement la douleur était importante. Elle avait besoin d’aide, mais lorsqu’elle prit son téléphone entre ses mains, elle réalisa bien vite qu’elle n’avait plus personne à contacter. Personne ne lui répondrait et elle était bien trop fière pour insister auprès d’eux. Il ne lui restait que deux solutions, rester ici et attendre d’avoir moins mal quitte à dormir à la belle étoile avec sa bouteille d’alcool ou bien appeler Lincoln…. Il était le seul qui était resté malgré tous ses déboires. Kehlani ne comprenait toujours pas comment il était possible qu’il ne l’ait toujours pas laissé tomber après tout ça. Elle commençait à développer une certaine affection pour lui, comme un frère. Peut-être était-ce pour cela qu’il était encore là? Peut-être la considérait-il un peu comme une petite sœur hautement agaçante, mais étonnamment attachante? Elle poussa un grognement agacé, puis se décida à envoyer un vocal à l’homme chez qui elle squattait toujours une chambre depuis quelques mois.  « je vais pas faire genre de m’excuser et de te réveiller à cette heure-ci… parce que ouais, je suis convaincue que tu dors déjà…. vu qu’il est…. vingt-trois heures… Mais en tout cas, j’ai un problème et ça me tue de te demander ça, mais j'ai…. besoin de toi. je suis sur la plage… celle qu’on trouve à West End… si tu viens pas me chercher, ça se peut que je me fasse bouffer par une créature effrayante dans peu de temps alors…. bref, je t’envoie ma position. J’espère juste que tu écouteras mon vocal avant que je ne disparaisse pour toujours… Voilà… see you soon… » j’espère. Elle se laissa tomber sur le sable et regarda le ciel en soupirant. Ouais, sa vie était pathétique et elle le savait. Et ça n’allait pas aller en s’améliorant, ça aussi, elle en était convaincue.

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[ @Lincoln Reddington ]

It's me, hi, I'm the problem, it's me / novembre 2024

Kehlani pouvait dire adieu à sa fierté. Son égo aussi en prenait un coup dans la foulée. Cependant, il fallait se rendre à l'évidence, ce soir, elle n’était pas en mesure de se sauver elle-même. Elle avait cependant tellement de mal à se laisser aider qu’un jour ça allait tout simplement causer sa perte. Elle savait que Lincoln viendrait à son secours lorsqu’il aurait écouté son message quelque peu décousu. Elle savait également qu’encore une fois, il ne la jugerait pas, qu’il serait gentil avec elle et ce, même si elle l’enverrait sûrement un peu boulé lorsqu’il serait sur place. Elle en avait marre cependant d’agir de la sorte. Elle en avait marre également que les gens disparaissent. Elle avait mal, elle souffrait, même si elle ne le laissait pas paraître. Elle était prisonnière d’un mal être important et jouer les dures depuis si longtemps l’avait épuisé à un point tel qu’elle n’aurait probablement plus la force de se battre avant un moment. Lani était au fond d’un gouffre qu'elle avait elle-même creusé et elle se demandait bien quoi faire pour s’en sortir. Elle avait beau retourner les choses dans tous les sens, elle se disait qu’au final, elle était le problème. Était-elle une si mauvaise personne? Était-elle si enfoncée dans l’obscurité qu’elle n’en valait plus la peine même pour les gens qui tenaient jadis à elle? Les émotions se bousculaient dans sa tête. Elle n’avait pas simplement mal à la cheville, elle avait mal à l’âme. Elle ressentait un peu la même colère que lors de la perte de sa mère. Il s’agissait d’un deuil que de perdre l'amitié de sa meilleure amie, la seule et unique personne à part Anna qui l’avait pleinement accepté et surtout aimé telle qu’elle était. Et même malgré tout ça, elle était partie désormais. Kehlani avait envie de disparaître par le fait même. Elle n’avait plus envie de garder la tête haute. La situation la blessait au plus haut point et elle n’avait plus la force de le cacher. Elle était la seule responsable de ses malheurs, voilà sa conclusion. Elle s’allongea sur le sol, regardant un ciel rempli d'étoiles et où la lune régnait tout au-dessus resplendissante de lumière. Le spectacle était magique, mais elle avait du mal à apprécier le moment. Elle se souvenait de ce dernier instant qu'elle avait partagé en sa compagnie suite à la première tempête qui avait failli mettre un terme à leur amitié.  Elles avaient dit pour toujours, mais ça n'avait été qu'un mensonge.  Elle avait brisé cette amitié et, à présent, elle était toute seule. Et elle se disait que ce serait ça sa finalité. Seule pour toujours.

Kehlani n'entendit pas le son de son téléphone et ne vit pas le message de Lincoln qui lui disait qu'il se dirigeait vers elle. Son observation du ciel lui accaparait l'esprit et sa déprime aussi par le fait même. Elle ne vit pas le temps passé et n’entendit pas au premier abord la voix du propriétaire de la villa qui criait son nom dans les ténèbres. S’était-elle assoupie à cause de l’alcool? Elle n’en était pas certaine. Elle se redressa quelque peu sur le sable et marmonna un pathétique « je suis là…,  mais sa voix était enrouée par la fatigue. Lincoln la localisa finalement et accourut vers elle. Elle eut un petit rire lorsqu’elle le vit retirer son manteau pour le mettre sur elle telle un chevalier en armure. « ah non, mais tout va bien! regarde, je me suis juste foulée probablement la cheville. je suis en forme… » arriva-t-elle à dire en émettant un nouvel éclat de rire qui sonnait terriblement faux. Elle ne savait même pas si elle était en mesure de se lever. ”Qu’est-ce qu’il s’est passé ?” - « tu vois la lueur au loin. j’ai abîmé le visage d’un mec et le karma s’est occupé de moi. je suis tombée en voulant lui donner un coup de pied dans les parties intimes parce qu’il me lâchait pas. et voilà, je me suis foulée la cheville. J’ai réussi à me traîner ici. Mais tout va bien! » Elle se mit à rire de manière hystérique, puis au final, elle se mit à pleurer. Sa vie était de la merde. Elle n’avait pas pleuré depuis la mort de sa mère. Quatre ans de larmes et de tristesse, ça en faisait beaucoup. Et voilà qu’elle pleurait en présence de Lincoln en plus. On aura tout vu ce soir! Il lui faudrait peu pour se mettre ensuite à hurler telle une bête blessée. « t’en as pas marre de venir à mon aide? je t’offre une porte de sortie maintenant. j’en vaux vraiment pas la peine. mieux vaut te sauver tout de suite. ça ne sauvera du temps, parce que t’as affaire à une gamine pathétique! je détruis littéralement tout sur mon passage. » pathétique, vraiment pathétique.

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[ @Lincoln Reddington ]

It's me, hi, I'm the problem, it's me / novembre 2024

Elle se comparait à une tornade et pas juste parce qu’elle avait vu le film Twisters récemment, puisqu’elle avait l’impression que tout ce qu’elle touchait tombait en ruines autour d’elle. Kehlani se disait qu’elle devrait tout simplement s’isoler sur son bateau et ne plus parler à qui que ce soit mis à part son chat. Elle pourrait voguer sur l'océan et ne toucher terre que pour se ravitailler et faire dégourdir les pattes à son fidèle compagnon. Ce dernier était d’ailleurs resté à la villa et il lui manquait énormément à l'instant même. Cependant, même son félin avec ses ronronnements n’arrivait plus à l’apaiser. L’alcool qu’elle avait ingurgité empirait cette douleur qu’elle ressentait au niveau de son cœur. Elle pouvait supporter la douleur physique assez facilement, ce n’était définitivement pas son plus gros problème. Émotionnellement, c’était une tout autre histoire. Elle n’avait jamais réussi auparavant à gérer ses émotions. Elle les ressentait bien trop fort et même si elle faisait un effort monstre pour les enterrer au plus profond de son être, lorsqu’elles finissaient par sortir, c’était à ce moment-là qu’il ne fallait pas se mettre au travers de son chemin. Elle aurait mieux fait de rester seule. Lincoln n’avait pas besoin de supporter son attitude, parce qu'après les larmes viendrait les cris et valait mieux ne pas être là à ce moment-là. ”En forme, dis-tu ? Laisse moi en douter.” En guise de réponse, la brunette grommela, puis hésita à garder le manteau sur elle, mais finit par le mettre. Il faisait chaud, très chaud à Brisbane pendant le jour, mais la nuit, lorsque le soleil n’était plus là pour réchauffer les gens, la fraîcheur avait tendance à s’installer. Lincoln s’évertua à enlever sa chaussure et à vérifier l’état de sa cheville. « et puis? il y a beaucoup de dommage? est-ce qu’il faut me couper la jambe? » Elle était ironique, bien évidemment. Elle savait qu’elle ne s’était rien cassée, mais Lincoln était assez prévoyant pour s’en assurer et en avoir le cœur net. « s’il te plait! ne me coupe pas la jambe… ou peut-être que oui… ça pourrait atténuer la douleur que je ressens là… » À travers les tissus du manteau que le jeune trentenaire lui avait prêté, elle lui montra cet organe qui lui permettait de pomper son sang dans tout son corps. Il lui était utile, mais en ce moment, elle ne voulait plus rien ressentir. Ce qu’elle donnerait pour l’oublier. Elle ne voulait plus que son visage lui revienne à l’esprit. Elle souhaitait l’effacer de sa tête pour toujours. Était-ce une étape du deuil? Elle ne le savait pas. Elle était tellement restée longtemps  au stade de la colère depuis le décès de sa mère, qu'elle ne connaissait pas les étapes suivantes. Devait-elle se sentir triste? l’effacer complètement de sa mémoire, sourire en pensant de manière nostalgique à elle? Serait-elle un jour apaisée? Elle n’en avait pas la moindre idée. ”Déjà, j’espère que le mec a bien eu mal. Encore un charo relou qui pensait davantage avec ce qu’il avait entre ses jambes qu’avec sa tête. Franchement, t’as bien fait. Enfin sauf pour la partie où tu tombes.” Elle haussa les épaules en guise de réponse. « ouais non c’est sur qu’il l’a bien mérité. Encore heureux qu’il m’ait pas suivi… » La brunette laissa échapper un petit rire malgré elle, même si elle ne savait plus quelle réaction avoir en ce moment. Oui, il l’avait bien mérité.  Heureusement, il ne l'avait pas suivi. Elle aurait évidemment eu la force de se défendre, elle n’aurait pas laisser tomber, mais dans l’état où elle se trouvait, l’équilibre n’était pas une de ses meilleures défenses. Lincoln reprit quand à lui un ton bien plus sérieux, celui qu’il prenait lorsqu’il voulait lui faire comprendre quelque chose d’important. « on dirait que tu vas me sermonner.. » mais ce fut bien tout autre chose. Elle le regarda quelques instants sans rien dire après qu'il lui ait dit qu'il serait toujours là pour lui venir en aide. Elle n’avait soudainement pas les mots pour répliquer face à ce qu’il venait de lui dire. L’avocat ne prendrait définitivement pas la porte de sortie aussi facilement. Parfois même, Kehlani se demandait si elle faisait tout son possible pour que les gens la fuient malgré tout. « tu vas finir par le comprendre comme tous les autres avant toi… » finit-elle par marmonner, laissant sa phrase en suspens. Kehlani les prévenait toujours et les plus forts restaient là un moment, puis ils finissaient tous par se lasser de son comportement et disparaissaient tôt ou tard.  ”Bon, je pense que ce n’est pas trop grave. Je ne suis pas un expert, mais je pense qu’un peu de froid devrait t’aider à soulager la douleur. Je … Tiens une bouteille là-bas. Attends-moi ici, ne bouge pas.” Franchement, regarder Lincoln s’évertuer à l’aider était quelque chose de précieux à voir. Si Kehlani n’était pas aussi aveuglée par sa tristesse, elle en aurait souri. Cependant, elle laissa échapper un petit « merci… » lorsqu’il revint à ses côtés pour appliquer une bouteille remplie d’eau froide contre sa cheville. Elle poussa un petit soupir de soulagement. Elle ne le redirait pas deux fois, mais l’effort était présent de son côté. Elle était sincère. Non seulement, elle lui disait merci pour ses gestes visant à l’aider, mais également au fait qu’il soit présent pour elle. L’américaine avait toujours un peu de mal à comprendre les efforts qu’il mettait pour elle. Mais elle se disait que si un jour il lui demandait de l’aide, elle serait là. Kehlani avait beau faire croire à tout le monde qu’elle avait un coeur de pierre, elle restait fidèle en amitié et ferait tout pour les gens qui comptaient véritablement pour elle. L’avocat en faisait partie depuis quelques semaines, elle qui ne croyait jamais lui faire une petite place dans son cœur. Les larmes et la crise finalement passée, elle se mit à soupirer davantage, étouffant un hoquet. ”Et si tu me disais pourquoi tu t’es mise dans cet état ? Et quand je dis cet état, je parle de l’alcool, de tes paroles que tu viens de prononcer et non de ta cheville.” - « ouais, non c’est clair que je ne pleure pas à cause d’un mec… surtout un que je ne connais même pas en vrai… ni pour ma cheville. je sais que je vais m'en remettre... » Lani n’avait en fait jamais pleurer pour une relation amoureuse de toute son existence. Elle n’en avait jamais eu de sérieuse. Mais pour son ancienne meilleure amie, c’était une toute autre histoire. « elle me manque…. j’ai réussi à lui faire tellement de mal qu’elle ne reviendra plus jamais dans ma vie. je suis pas douée Linc’ pour garder mes amis. je les teste, je les brûle et je les écrase jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien. Pourquoi ils finissent tous par partir ? je devrais rester seule pour toujours. je suis trop difficile à vivre. je suis trop bruyante, trop énervante, pas assez gentille, je ne réfléchis pas avant de parler... mais je sais pas quoi faire pour m'améliorer. Je sais pas quoi faire pour mettre un filtre devant mes lèvres. je devrais aussi m'en mettre un devant le cerveau. je dis toujours tout haut ce que je pense et c'est pas toujours agréable.... » Elle étouffa un rire qui ressemblait plus à un sanglot qu'autre chose. « même si toi, par exemple, tu te dis oh mais moi je vais rester, il y a quand même un moment où tu vas être accoler au mur et tu ne voudras plus rien savoir de moi. ça arrive toujours. Les gens finissent toujours par partir et malgré tous mes efforts pour les retenir, ils disparaissent. j'en peux plus...  »

[ @Lincoln Reddington ]

It's me, hi, I'm the problem, it's me / novembre 2024

D’ordinaire, Kehlani n’aurait jamais laissé qui que ce soit la voir dans cet état. plutôt mourir, oui… Il y avait quelque chose de terrifiant dans l’idée de s’ouvrir ainsi à quelqu’un. Elle avait cette impression d’être nue, à la merci de tous les regards, au même titre d’un cauchemar dans lequel il était impossible de se réveiller. Les gens la fixaient et riaient de sa personne. Les jugements se faisaient de plus en plus fort et tout ce dont elle avait envie, c’était de crier jusqu’à en perdre la voix. Pourtant, ils étaient seuls sur cette plage. Il n’y avait qu’elle et Lincoln et personne d’autres. Mais peut-être était-ce le cœur même du problème? Kehlani se sentait affreusement seule. Les effets de l’alcool commençaient à se dissiper, mais elle n’arrivait pas à y voir clair pour autant. L’univers était si grand et elle se sentait si petite. Sa peur de l’abandon était immense et rien ni personne n’était en mesure de l’aider sur ce point. Elle ne savait pas comment combler ce vide dans son cœur. Elle ne savait pas si un jour quelqu’un allait finir par rester dans sa vie. La seule donnée immuable de son quotidien, c’était son chat. Mais même lui allait disparaître à un moment ou à un autre. Les gens, les animaux, les relations, tout était si fragile. Pourquoi se donner autant de mal si ce n’était que pour souffrir au final? L’américaine se demandait si toute cette douleur en valait la peine. Elle se demandait bien si un jour une personne allait finir par la faire changer d’avis. ”Je doute qu’on soit à un stade où il faille te couper la jambe. Et même si on te la coupait, je ne suis pas sûr que cela guérirait tes maux.” Elle eut un petit hoquet en guise de réponse, puis elle émit un semblant de rire. Lincoln n’avait pas tort. La seule chose dont elle avait besoin en ce moment-même, c’était de s’amputer le cœur et de l’enterrer si profondément dans l’océan qu’elle n’allait plus jamais rien ressentir à nouveau pour qui que ce soit. peut-être que Lincoln serait bien le dernier à avoir une place dans son univers… la chance… (sarcasme) . Ce dernier posa ses fesses dans le sable à ses côtés et l’écouta attentivement déblatérer sur les véritables raisons de sa détresse. Mais même cela lui semblait si futile désormais. À mesure qu’elle parlait, Kehlani réalisait bien des choses. Et si c’était plutôt dans l’autre sens, qu’elle n’était pas le problème après tout? Ses pensées ne faisaient peut-être pas trop de sens pour le moment, un véritable fouillis comme l’était ses émotions.  Elle l’avait oublié, alors pourquoi mettre autant d’énergie sur elle? Elle ne pensait même plus à elle, alors pourquoi s’évertuer à le faire de son côté?  Kehlani le réalisa soudainement comme une claque en plein visage et elle se réveilla enfin par la même occasion.

Ce qu’elle ne réalisait pas, c’était qu’à ses côtés, Lincoln se laissait emporter vers le passé et elle-même se devait de remettre les pieds dans la réalité pour le soutenir. ”Alors si ça peut te rassurer, je ne compte pas partir, car cela voudrait dire que je devrais quitter ma villa. Ce qui serait illogique.” L’américaine se tourna vers lui et s’autorisa un rire, un vrai, puis lui fit un sourire amicale qui ne sonnait pas faux pour une fois. « ouais, alors si tu pars, c’est sûr et certain que ta villa, bah, elle va être le repère de fantômes. On fera la fête nuit et jour. ça va être magnifique! » référence à une conversation marquante du passé que la jeune femme n’avait pas oublié et qui avait été le début de cette relation fraternelle qu’ils entretenaient désormais tous les deux, pour le meilleur et (surtout) pour le pire. ”Ce sont des sentiments, des ressentis, bien lourds à porter Kehlani. Il est normal que tu finisses par craquer. Tu es humaine.” Ce mot « craquer » la fit sourire. Elle se voyait d’ailleurs ainsi. Son corps, son esprit et son cœur étaient sur le point de se fracturer en mille morceaux et elle ne savait pas si elle aurait la force de récupérer les pièces une fois que l’explosion l’anéantirait totalement. Il ne resterait que des morceaux d’un puzzle bien trop difficile à réparer. La fracture de l’âme était quelque chose de bien pire encore et de savoir qu’une seule personne en était responsable lui donnait les dernières forces pour ne pas craquer complètement et entièrement. Elle n'allait certainement pas lui faire ce plaisir, que de se détruire entièrement à cause d’elle. Cette simple idée lui redonna soudainement la force de relever la tête. Le discours de Lincoln qui suivit fit encore plus pencher la balance en ce sens. Non, elle ne lui ferait aucun plaisir. Si elle l’avait oublié, si elle avait réussi à la mettre dans un tiroir et a étouffé sa présence pour toujours, Kehlani allait en faire de même. Elle ne la laisserait pas gagner. Elle ne la laisserait pas l’éteindre. La brunette était plus que sa relation avec une certaine personne dont on ne devait prononcer le prénom. Elle était une individue à part entière. Elle ne serait plus jamais seule. Même si la peur la rongeait toujours autant, elle allait être sans aucune équivoque elle-même et si personne ne pouvait la supporter telle qu’elle était, eh bien qu’ils aillent se faire foutre tout autant qu’ils étaient. Kehlani prenait la décision ultime d’être elle-même, coûte que coûte et plus jamais personne n’allait la mettre dans cet état. Elle ne souhaitait plus jamais ressentir cette détresse pour qui que ce soit.

Prenant une profonde respiration, Kehlani prit la main de son interlocuteur dans la sienne et la serra dans un geste qui se voulait affectueux, le seul probablement qu’elle allait lui offrir avant un long moment - et si Lincoln essayait de se vanter qu’elle avait fait cela, elle allait le contredire sans aucun scrupule. « je suis désolée de savoir que tu n’es pas parfait… tu viens de briser ma vision de toi là… » Elle essayait de dédramatiser la situation à sa manière. mais elle voyait bien que l’histoire qu’il lui racontait le touchait encore bien trop. Lincoln avait lui aussi des fantômes qui le hantaient et qui allaient sûrement le hanter pour toujours. Les regrets, c’était quelque chose qui pouvait peser lourd sur soi-même. Elle serra davantage sa main dans la sienne, essayant de lui démontrer qu’elle était solidaire. Lincoln avait une nouvelle fois raison. « je vais essayer de prendre la dernière option. Essayer de ne pas me laisser ronger par les regrets. je ne peux rien changer au passé.  je ne peux pas changer non plus. si elle ne peut pas m’accepter telle que je suis peut-être que c’est pas plus mal. Peut-être qu’elle était simplement la raison pour laquelle je devais me trouver à Brisbane? Je me dis que le destin a peut-être quelque chose de mieux pour moi et qu’en fait je devrais plutôt la remercier de m’avoir fait cette faveur. » en gros, merci de m’avoir libéré. ”Alors oui, ça nous arrive à tous de merder, moi le premier. Est-ce que parfois, tu devrais mettre des filtres avant de parler ? C’est fortement possible, mais tu es honnête. Alors oui, il t’arrive de ne pas trop mettre les formes, mais dans le fond, tu exprimes ton honnêteté et c’est une qualité que j’apprécie chez toi. Je t’accepte comme tu es. Peut-être qu’un jour, je bouderais dans mon coin, car je n’aurais pas apprécié l’une de tes remarques. Mais ça fait partie du contrat d’amitié. Une relation parfaite n’existe pas. Et il est même important de se disputer parfois. Cela permet de mettre à rude épreuve toute relation. Après, il faut que cela reste occasionnel, voire rarissime hein ! Mais tout ça pour dire qu’il ne faut pas craindre les moments où tu commettras une erreur en amitié. L’importance, c’est ce que tu fais après cette erreur. Et je me rends compte que je parle un peu trop. Désolé.” Cette fois-ci, elle vint appuyer sa tête contre son épaule dans un geste totalement hors caractère, mais elle pourrait toujours mettre la faute sur l’alcool si jamais Lincoln remettait son geste sur le tapis. « oui, tu parles toujours beaucoup trop…. mais je t’entend… et …. merci. T’avises juste pas de répéter à qui que ce soit ce qui s’est passé ici ce soir… parce que je te garantie que ce n’est pas parce que je suis petite et menue que je n’ai pas la force de creuser une tombe… » Elle eut un petit rire amusé. « just kidding… ou pas… en gros, tu me donnes la permission d’être moi-même ce que j’apprécie énormément. t’as peut-être de l’avenir… qui sait? Mais tu sais, je crois pas que bouder est quelque chose qui te va bien au teint. je te garantie pas que ça n’arrivera pas non plus, mais si t’es assez tenace, moi aussi je resterai. ce que je veux dire, c’est que je te remercie pour tout ce que tu m’as dit. t’es quelqu’un de rare Linc’. je veux pas qu'on se lâche. » Ce qui était quand même ironique vu comment ça avait commencé entre eux. « et je vais te faire l'ultime faveur que je réserve à peu de personne.... tu peux m'appeler Lani... mais que je ne te vois pas t'en vanter... » Elle vint lui ébouriffer les cheveux. « ça a quelque chose d'apaisant les vagues, tu ne trouves pas? si on reste assez longtemps, la marée va s'occuper de nous par contre.... tu m'aides à me relever? » L'océan était quelque chose qu'elle aimait plus que tout, mais elle tenait encore à la vie et elle ne se laisserait pas emporter par lui cette nuit. Grâce à lui, grâce à Lincoln, elle était un peu plus apaisée désormais et la tempête s'était tu dans son esprit. Enfin.

[ @Lincoln Reddington ]

It's me, hi, I'm the problem, it's me / novembre 2024

Kehlani avait un frère et une sœur, des jumeaux, tous deux plus âgés qu’elle. Elle n’en avait jamais été proche, puisqu’ils avaient toujours une relation bien privilégiée et elle n’avait jamais pu en faire partie. Elle avait toujours fait des efforts étant plus jeune pour essayer de se rapprocher d’eux, mais au final, elle avait abandonné. Après tout, ils étaient bien différents et n’avaient pas la même mère. Ils avaient donc gardé une barrière et une distance entre eux. Finalement, Kehlani avait abandonné au fil du temps et la mort de sa mère n’avait absolument rien arrangé. Lincoln était d’autant plus important pour elle désormais, puisqu’il agissait comme un grand frère avec elle, protecteur et de bons conseils. Elle se disait que pour une fois, elle allait vraiment faire des efforts pour préserver ce qu’ils avaient. Certes, elle allait probablement l’envoyer promener, oui, elle n’allait pas mâcher ses mots lorsqu’elle allait s’adresser à lui, mais il lui avait promis de ne pas la laisser tomber et ça, ce n’était pas des paroles dites à la légère. Il ne restait qu’à savoir si Lincoln allait tenir sa promesse. Elle ne supporterait pas un abandon de plus, c’était un fait. Elle se sentait privilégiée qu’il se soit également confié à elle. Elle ne montrait que rarement des signes d’affection envers les gens, réservant le fait d’être tactile à très peu de personnes. Certes, ça n’allait pas arriver très souvent, mais ce soir, non seulement, elle avait besoin de contacts physiques, mais elle sentait également que c’était le cas pour Lincoln. ”M’en voilà navré. Au moins, tu n’auras pas trop de désillusion à mon sujet à l’avenir.” La brunette eut un petit sourire en coin. Elle le taquinait bien évidemment. Elle savait très bien qu’il n’était pas parfait, mais personne ne l’était. Elle l’avait bien réalisé. Mais peut-être que justement les imperfections de la belle pouvaient également devenir ses forces. Il suffisait de les utiliser à bon escient, comme des superpouvoirs. Kehlani n’avait pas forcément besoin de changer; s’améliorer, oui, cela ne faisait aucun doute, mais elle pouvait forcément s’améliorer. ”Je suis heureux que tu tires du positif dans cette situation délicate. N’oublie jamais que tu trouveras toujours un phare au milieu de la tempête. Il suffit simplement de le chercher. Cependant, je pense que tu peux changer. Là n’est pas la question. Ce sont plutôt les raisons pour lesquelles nous devrions changer, qui doivent nous questionner. Pourquoi changer ? Si c’est pour les autres, effectivement, il ne faut pas changer. Mais si c’est pour toi, si tu penses que changer peut t’apporter quelque chose que tu n’as pas, que cela peut améliorer ta vie. Alors, changer n’est pas une si mauvaise chose. Mais c’est un autre sujet.” Les mots portaient évidemment à réflexion. « je vais penser à tout ça à tête reposée… je pense que j’ai du travail à faire sur moi-même. » Elle ne fermait pas la porte à l’amélioration. Une chose restait certaine. Elle n’avait aucune intention de se sentir à nouveau ainsi. Elle avait peut-être perdu sa meilleure amie, mais ce n’était pas plus mal. Rien n’arrivait pour rien. Quelque chose de mieux s’alignait à l’horizon. Parfois, les gens étaient de passage dans nos vies pour une raison particulière, mais n’étaient pas là pour rester. Ils nous faisaient en apprendre davantage pour nous même. Son ancienne meilleure amie n’avait jamais été son phare. Elle le trouverait bien un jour ou l’autre, mais cela ne voulait pas dire qu’elle la détestait désormais, bien au contraire. Elle ne ressentait plus de colère ni de tristesse désormais à son égard. Certes, elle avait souvent repensé à elle dans le futur, mais ce ne serait plus avec regret. Elle préférait rester neutre lorsqu’elle allait retourner dans ses souvenirs une fois de temps en temps. Elles avaient quand même passé de bons moments ensemble. Il ne fallait pas rester amère, c’était malsain. « j’espère un jour que tu pourras panser tes blessures toi aussi. Mais je pense qu’on peut se soutenir tous les deux… » Elle serra un peu plus sa main dans la sienne. Au sens figuré, elle se promit de ne jamais le laisser tomber. Les promesses, ça se faisait dans les deux sens. « si tu as besoin de moi, je serai toujours là. j’ai beaucoup de défauts, mais je suis loyale envers ceux qui comptent le plus pour moi. » Autant le formuler à voix haute.

Le regard perdu vers l’océan, Kehlani était désormais apaisée malgré les circonstances. Elle était reconnaissante que Lincoln soit venu vers elle, qu’il l’ait secouru. Elle espérait ne pas être obligée de faire appel à son aide trop souvent quand même parce que son ego en prenait tout un coup. En même temps, ça faisait du bien de savoir qu’elle pouvait compter sur lui malgré tout ce qu’elle lui avait fait subir. Il n’était pas parfait certes, mais ses qualités dépassent largement ses défauts. Et puis, parler un peu trop n’était pas tant un défaut en soi. L’avocat parlait toujours avec cœur et passion et elle l’admirait pour cela. Certes, il avait perdu quelqu’un qui lui était cher, mais il était si bien entouré désormais qu’il n’avait plus besoin de se sentir ainsi lui aussi. Elle espérait qu’en ayant dit tout cela à haute voix qu’il se pardonnerait peut-être un peu. Il y avait bien quelque chose que Kehlani détestait plus que tout au monde c’était que les gens qu’elle aime souffrent. En l'occurrence, Lincoln s’était désormais fait une place dans son cœur et il faisait partie des rares personnes à avoir ce privilège. Elle allait le protéger coûte que coûte. S’il avait besoin d’elle, elle serait là pour lui peu importe les circonstances - moyennant un peu de râlage, bien sûr, mais cela ne ferait pas changement. ”C’est comme à Vegas. Ce qui s’est dit ici ce soir, reste ici.” La brunette émit un petit rire. « ce qui se passe à Vegas reste à Vegas… j’aime bien. » Il était évident qu’elle avait désormais confiance en lui. L’avocat avait compris qu’elle ne laissait pas n’importe qui l’appeler Lani. ”Tes mots me touchent. Même concernant ceux sur mon teint lorsque je boude. Mais tu sais, je ne suis pas “rare” comme tu dis. Enfin, je n’ai pas cette impression là. Je suis juste humain. Et moi-même. Je … Je suis honoré de pouvoir t’appeler ainsi Lani.”  Elle lui donna un petit cou sur son épaule. Elle sentait bien l’émotion dans sa voix. « pour moi, tu es rare. je ne voudrais jamais que tu changes… même si tu parles trop, j’aime bien quand tu fais tes discours… » lui dit-elle, petit sourire en coin.

Soudainement, elle se sentait si … fatiguée. Peut-être le trop plein d’émotions ou l’heure tardive ou bien même l’alcool qui se chargeaient d’elle, mais Lani avait besoin de rentrer à la maison. Oui, elle ne parlait pas de son bateau de cette manière désormais, mais bien de la villa de Lincoln. Ce dernier l’aida à se relever après en avoir fait de même. La douleur était présente, mais supportable. ”Tu penses que tu pourras marcher jusqu’à la voiture en t’appuyant sur moi ? Je suppose que je te ramène à la maison ? Assez d’émotions pour ce soir non ?”  La brunette acquiesça et s’appuya tout contre lui. « oui, allons à la maison. Le répète pas, mais je l’aime bien ta maison… j’espère bien pouvoir y rester longtemps…. » Certes, la vie pouvait amener bien des changements, mais Lani savait qu’elle était bien entourée. Lincoln était là pour elle et elle serait là pour lui. Ils s’étaient bien trouvés tous les deux et ce, malgré leur début de relation chaotique. En vérité, elle n’avait jamais pensé qu’ils en arriveraient là, mais ce soir, elle réalisa pour une fois qu’elle avait trouvé en lui quelque chose de précieux, une amitié qu’elle ne voudrait pas lâcher. Il était désormais bien plus important pour elle qu'elle ne pouvait se l'imaginer.

[ @Lincoln Reddington ]