Des dérapages, il y en avait eu et il y en aurait toujours un peu plus. La convalescence durerait encore, sa prochaine opportunité se montrerait dans trop longtemps pour qu’elle se remette de nouveau à suivre rigoureusement l’hygiène de vie qui était la sienne, et son pessimisme lui laissait penser que ce moment n’arriverait même sûrement plus jamais. Nicola avait besoin de retrouver quelque chose qui la faisait se sentir vivante maintenant qu’elle n’avait plus la possibilité de s’adonner à sa seule et unique passion. Il y avait sa famille, sa sœur surtout, et Romeo lorsque celui-ci avait le temps, mais aucune distraction ne fonctionnait comme celle qui consistait à s'enivrer jusqu’au bout de la nuit. Jusqu’alors, Nicola avait été extrêmement douée dans l’exercice qui consistait à cacher ses excès à ses proches. Seul Romeo avait réalisé par le biais de quelques stories postées sur instagram qu’elle sortait souvent, trop souvent, mais elle ne savait plus dire s’il la mettait réellement en garde ou s’il était simplement jaloux. Alors elle recommençait, avec l’illusion que cela l’aiderait à passer l’épreuve qu’elle vivait sans n’avoir aucun impact sur sa vie. Un étrange sentiment l’avait envahie ce soir-là, sans qu’elle ne sache s’il s’agissait d’une prise de conscience quant à ce nouveau rythme effréné qu’elle s’imposait ou à un mauvais pressentiment. Plutôt que d’écouter son instinct et partir, Nicola avait enchaîné les verres, s’étant même surprise à ne pas avoir la tête qui tourne dès la première taffe tirée sur le joint de quelqu’un qu’elle ne connaissait même pas. Elle avait trouvé l’endroit parfait, celui qui lui permettait de faire à peu près tout, loin des yeux indiscrets de personnes pouvant potentiellement la dénoncer à son frère, sa sœur, ses amis. Nicola semblait sur un nuage, mais le moment n’avait duré qu’un temps car très vite, le combo alcool et cannabis avait eu raison d’elle, la laissant dans un état qu’elle n’avait jamais connu et qui la terrifiait. S’extirpant comme elle le pouvait de l’entrepôt pour prendre l’air, elle n’avait pas réfléchi plus que cela en appelant Connor. Qui d’autre aurait-elle pu appeler à cette heure ? « Bouge pas, j'arrive. » avait-elle réussi à comprendre au milieu d’une conversation qu’elle n’arrivait pas à mener correctement tant sa tête tournait et sa gorge se serrait.

Nicola avait entendu, mais n’avait pas écouté. Elle était retournée s'engouffrer à l’intérieur, oubliant un instant avoir appelé à l’aide. Le moment de doute s’était envolé, laissant à nouveau place à une sorte de plénitude qu’elle ne ressentait que grâce à diverses substances qu’elle banalisait de plus en plus. Pourtant, associées à la fatigue, elles finissaient par la faire s’endormir debout, Nicola cherchant à vibrer au son de la musique pour ne pas s’écrouler. Elle était seule, désespérement seule, incapable de se souvenir comment elle était venue ici ni même comment en repartir puisque le lieu était secret. Puisqu’elle était coincée ici, elle avait commandé un énième cocktail, le premier dont elle avait vu le nom parce que le goût ne l’importait plus. Elle pensait danser, mais elle titubait. Elle pensait qu’il se tenait loin, mais il était tout prêt. Elle n’avait plus aucune conscience du danger. « Casse-toi ! » La voix l’avait tant surprise qu’elle avait tourné la tête et quelques secondes plus tard, le verre avait disparu de sa main, s’éclatant contre un mur de l’endroit. « Qu'est-ce que tu fous Nico ? » « Connor ?! » avait-elle presque crié, par surprise et parce que c’était le seul moyen de se faire entendre ici. Il lui avait fallu quelques instants pour se rappeler qu’elle l’avait appelé à l’aide dans un éclair de lucidité ou dans un moment de peur panique elle n’était plus sûre. « On rentre. » Le ton de sa voix, son regard noir et la façon dont il lui avait attrapé le bras ne laissaient pas de place à la négociation. « T’énerves pas, j’ai eu la tête qui tournait et je t’ai appelé mais tout va bien. » Elle savait qu’elle devait le craindre, encore plus parce qu’elle savait qu’il tenait à elle. Le moment avait agi comme un électrochoc et elle avait un peu désaoulé, pas assez pour s’exprimer correctement et marcher droit. Manquant de tomber, elle s’était accrochée de toutes ses forces à Connor. « On va où ? Pourquoi t’as jeté mon verre ? J’veux pas rentrer, viens on va danser ! » Elle oscillait entre la volonté de se tenir correctement et l’envie de terminer sa fête, les effets de l’alcool s’estompant pour refaire surface un peu plus violemment la minute d’après. « Tu diras rien à papa, hin ? » Elle l’avait appelé lui pour une raison, malgré tout.

Tout semblait toujours être une idée parfaite dans l’esprit d’une Nicola qui ne trouvait pas d’échappatoire à sa condition. Mises en pratique, cependant, ses techniques pour passer à autre chose finissaient toujours mal et ce soir était une preuve supplémentaire de la façon dont elle exagérait. Malheureusement, elle n’en avait pris conscience qu’une fois Connor dans son champ de vision et sa seule défense avait été une tentative grossière de mensonge. « Tout va bien ? » Nicola avait haussé les épaules et avait tenté de garder son sérieux le plus longtemps possible avant d’exploser de rire devant la mine sérieuse de Connor. Ses sourcils froncés et la façon dont il levait les yeux puis le visage au ciel l’amusaient énormément, alors que lorsqu’elle était sobre, l’ami de son père la terrifiait. Elle se rappelait encore lorsqu’elle était plus jeune et qu’il apparaissait dans le salon et qu’elle se cachait comme elle le pouvait pour ne pas lui dire bonjour. Elle n’était qu’une gamine à l’époque, et puisqu’elle n’était pas dans son état normal, elle ne voyait l’agacement de Connor que comme un excès de zèle face à celle qu’il voyait encore comme un bébé. Elle ne voulait plus partir, maintenant que son état nauséeux s’était évaporé et avait même proposé une danse à celui qu’elle ne craignait plus du tout. « Tu tiens à peine debout, on va clairement pas danser. Et j'crois que t'as assez bu. » Le gratifiant d’un roh venu du plus profond de sa gorge, Nicola redoublait d’efforts pour lui faire comprendre son mécontentement. Bien sûr qu’elle titubait, mais c’était parce qu’elle restait plantée là et ne profitait plus du rythme entêtant de la boîte pour garder l’équilibre. Dans ce moment à la fois embarrassant et compliqué à gérer avec un nombre trop important de verres à son actif, Nicola avait tout de même eu un éclair de lucidité. « Non, je dirai rien à ton père. Par contre à ta sœur... » Si ses parents ne savaient rien de ses nouvelles habitudes nocturnes, Judith devait les soupçonner, et c’était toujours un pas de plus vers une vérité qu’elle ne voulait pas encore assumer auprès des siens.  « Tu me ferais ça, à moi ?! » Sa voix s’était faite bien plus portante qu’elle ne l’aurait pensé et sa phrase s’était terminée en un hoquet qui l’avait forcé à coller son poing fermé contre ses lèvres. « Mais t'es défoncée ? Qu'est-ce que t'as pris ? »  « Non ? Rien ? » Les yeux de Connor étaient sombres, son front plissé, et elle savait qu’elle avait épuisé son quota de mensonges.  « Bon ok, j’ai tiré sur le joint d’un mec. Me fais pas la morale, je sais que ça vous est déjà arrivé à papa et toi, dans le garage… » Vacillant de gauche à droite, Nicola avait pointé son index vers Connor avec un sourire fier : elle aussi possédait des secrets mais n’avait rien révélé à personne. « On reste pas là une seule seconde de plus. C'est non négociable. » Sa mine boudeuse et ses bras croisés montraient à quel point cela la contrariait mais elle avait accepté de lui emboîter le pas jusqu’à la voiture.  « T’es garé où ? Je sais pas si je peux marcher, tu me portes sur ton dos ? » Peut-être que le prétexte était simplement trouvé pour s’amuser de se faire transporter ainsi.  « Heureusement que je peux plus mettre de talons hin ? Putain de blessure à la con. » Attrapant le bras de Connor pour marcher à ses côtés, elle avait posé sa tête un instant contre lui, rattrapée par les démons qu’elle avait cherché à combattre par tous les moyens. « Je sens plus rien, au moins, maintenant. » L’excuse n’était pas valable, elle le saurait si elle était sobre, mais elle n’avait pas mieux pour ce soir.