Jayden était tendu comme une corde sur le point de rompre. Avoir Charlie à ses côtés, sous l’œil scrutateur de son frère, le mettait dans une position inconfortable. Il pouvait sentir le poids du regard de Troy, comme une lame aiguisée prête à trancher. Il savait exactement à quoi pensait son frère : il était persuadé que Charlie n’avait pas de bonnes intentions envers lui. Mais Jayden savait que ce n’était pas vrai. Charlie n’avait rien fait pour mériter cette suspicion. Cependant, il connaissait Troy mieux que quiconque. Têtu comme une mule, son frère campait toujours sur ses positions, et Jayden n’avait aucune illusion sur sa capacité à lui faire changer d’avis. Lorsque le UBER arriva enfin, Jayden ressentit une vague de soulagement.  Les pneus crissèrent légèrement lorsqu’ils s’arrêtèrent devant la villa moderne aux larges baies vitrées. Jayden poussa un soupir à peine dissimulé en ouvrant la portière pour Charlie, espérant qu’ils pourraient laisser ce moment tendu derrière eux. Il fit cependant de grands au revoir à Troy et Joe, leur adressant un sourire poli et chaleureux, bien qu’une certaine nervosité transparaissait dans ses gestes. Jayden veillait à garder une distance respectable entre lui et Charlie, conscient des regards attentifs du chauffeur au volant. Une fois leurs silhouettes disparues derrière la porte d’entrée, il se tourna enfin vers Charlie, relâchant un soupir imperceptible.

Charlie, profitant de cet instant de solitude, prit la parole avec une légèreté qui tranchait avec la tension précédente. “Enfin seuls. Je rêve de pouvoir me téléporter là-bas et de me balader avec toi main dans la main.” Jayden sentit un frisson doux lui parcourir l’échine, et un sourire vint éclairer son visage. Charlie avait ce don inexplicable, presque magique, de raviver les papillons qui sommeillaient dans son ventre. Ces mots, simples mais sincères, avaient ce pouvoir de le désarmer complètement. “Tu dis ça maintenant, mais attends un peu”, répondit Jayden avec un sourire en coin. “Peut-être que tu n’auras même pas envie de sortir une fois là-bas. L’hiver anglais, c’est une autre histoire. Bien plus rude qu’ici.” Il marqua une pause, levant légèrement le menton comme pour souligner ses propos. “Ici, on n’a pas de vrai hiver,” ajouta-t-il d’un ton presque taquin, bien qu’un soupçon de regret perçait dans ses mots. Il disait cela comme si c’était un défaut, et dans le fond, peut-être bien que c’en était un. La neige lui manquait parfois. Cette froideur blanche, cette magie silencieuse qui transformait le monde en un paysage féerique. Il se surprenait à rêver de ces jours où il pourrait retrouver les joies simples de l’hiver : faire des bonhommes de neige avec Joe, courir dans la poudreuse, et surtout… enterrer Izan, Mary et Troy sous une avalanche de boules de neige.

Quoique Mary… Il plissa légèrement les yeux en y réfléchissant. Non, ce serait risqué. Très risqué, même. Il n’avait pas envie de réveiller la dragonne qui sommeillait en elle. Avec Mary, on ne plaisantait pas impunément. Un mauvais geste, une boule de neige mal lancée, et elle pouvait vous renvoyer à votre place d’un simple regard glacial, aussi tranchant que l’hiver qu’il désirait tant. Un sourire en coin étira les lèvres de Jayden tandis qu’il imaginait la scène. Joe, éclatant de rire dans un élan d’enthousiasme enfantin, Izan ripostant avec stratégie et précision, et Troy, incapable de s’empêcher de donner des ordres à tout le monde comme s’il menait une armée dans une bataille épique. Mary, elle, resterait probablement à l’écart, observant tout cela avec dédains… Jusqu’au moment où elle déciderait que c’était assez. Et alors, gare à celui qui se trouvait sur son chemin.

La question de Charlie vint briser la quiétude des réflexions de Jayden. Il tourna la tête vers lui, le regard un peu absent, avant de se mordre légèrement la lèvre. “Tu n’aimes pas, toi.” Ce n’était pas une question, mais une affirmation. Il avait senti l’hésitation de Charlie, presque imperceptible, mais bien réelle. Jayden passa une main distraite dans ses cheveux, un geste nerveux qu’il avait pris l’habitude de faire lorsqu’il se livrait. “Un jour, tu connaîtras toute l’histoire,” murmura-t-il, son regard s’évadant un instant vers un point imaginaire. “Pour le moment, je peux juste te dire que… Troy m’aime. Il aime Mary et sa fille.” Il marqua une pause, cherchant ses mots, puis esquissa un sourire, fragile et teinté de mélancolie. “Et même si parfois… il est maladroit. Ou un peu trop… présent, il le fait pour nous.” Il baissa les yeux, jouant un instant avec ses doigts comme pour se donner du courage, puis releva la tête, ses prunelles voilées d’une tristesse contenue. “Il faut dire que je n’étais ni très grand, ni très fort quand j’étais petit. Microbe… c’était assez approprié.” Un léger rire s’échappa de ses lèvres. “Et c’est resté.” Il inspira profondément avant de continuer, la voix un peu plus basse, presque murmurée. “Mais quand il m’appelle comme ça… Microbe… Je sais qu’il est là. Je sais que, quoi qu’il arrive, tout va bien se passer.” Jayden détourna les yeux, luttant contre un trop-plein de souvenirs qui menaçaient de l’envahir. Mais le simple fait de les partager, même partiellement, semblait déjà alléger un poids qu’il portait depuis longtemps.


Le vol se déroula sans encombre. Jayden, habitué à ce genre de longs trajets, avait pris soin de prévoir de quoi s’occuper. Il avait glissé son ordinateur portable dans son bagage à main, bien décidé à régler les derniers détails professionnels en suspens avant de pouvoir enfin décrocher. Installé confortablement dans son siège, il tapotait sur son clavier avec efficacité, envoyant des e-mails succincts mais clairs pour rappeler à tout le monde qu’il prenait une pause d’une semaine. Une vraie pause. Cela signifiait : pas de messages, pas d’appels, et surtout, aucune intrusion, même de la part de son agent. Sauf… peut-être… s’il s’agissait d’un rôle inespéré. Il sourit en coin à cette pensée, imaginant son agent surgissant comme un héros masqué pour lui annoncer qu’il venait d’obtenir le rôle de Batman. Mais quelque chose lui disait que ce n’était  pas demain la veille. Il se redressa légèrement, jetant un coup d’œil à Charlie assis à côté de lui. Ce dernier était plongé dans un livre, le visage détendu, presque captivé par sa lecture. Jayden sentit un apaisement naturel le gagner. Voyager avec Charlie donnait à ce déplacement une teinte différente, moins routinière. Après avoir envoyé son dernier e-mail et fermé son ordinateur, il s’autorisa à poser la tête contre le dossier de son siège. Une semaine loin de tout. Une semaine loin des regards insistants, des responsabilités incessantes, et du rythme effréné de sa vie habituelle. Une semaine pour se retrouver, pour profiter d’une simple balade, d’un moment de calme, ou d’un fou rire avec Charlie. Il jeta un dernier regard par le hublot, où le ciel se teintait d’une lumière douce et diffuse. Une nouvelle page s’ouvrait, même si ce n’était que pour quelques jours.

Dans la voiture qui les conduisait de Londres à Castle Combe, Jayden laissa son regard errer sur le paysage qui défilait lentement derrière les vitres. À ses côtés, Charlie avait succombé au sommeil. Sa tête reposait légèrement sur l’appui-tête, son visage détendu, les traits adoucis par le repos. Jayden esquissa un sourire tendre. Il  aimait ces rares moments où il pouvait observer Charlie sans que ce dernier ne s'en rende compte, capturant des instants où il semblait complètement lui-même, vulnérable et paisible. Jayden dans ses moments là ne rougissait pas sous le regard brulant de Charlie. Lui, plus habitué au décalage horaire, se sentait étonnamment alerte. Peut-être était-ce l’excitation d’être ici, ou simplement la satisfaction de s’être éloigné, ne serait-ce que temporairement, des regards scrutateurs et des obligations constantes. Il sortit son téléphone et composa un rapide message destiné à Troy, Mary et Izan. « On est bien arrivés à Londres. Ne vous en faites pas, tout va bien. Je vous enverrai des nouvelles bientôt. »

La voiture ralentit légèrement en empruntant une route sinueuse bordée de murets de pierre, annonçant l’approche du village pittoresque de Castle Combe. Jayden posa son regard une dernière fois sur Charlie, dont la respiration régulière se fondait avec le ronronnement du moteur. Il étouffa un petit rire en se disant qu’il aurait sans doute du mal à réveiller le sportif une fois arrivés, mais il n’en avait pas vraiment envie. Ces moments de calme, où ils pouvaient simplement être, étaient rares et précieux. Le chauffeur réglé et les valises sorties, Jayden attrapa les clés dans sa poche et les glissa dans la serrure. La porte s’ouvrit en un léger grincement, révélant l’intérieur accueillant du petit cottage. Une douce chaleur les enveloppa immédiatement, contrastant avec l’air frais de l’extérieur. Jayden esquissa un sourire.

Il connaissait bien cette attention. Madame Hudson, une voisine du coin, avait sûrement demandé à son mari de venir préparer la maison pour leur arrivée. Et ses soupçons se confirmèrent lorsqu’il aperçut un petit tas de muffins au chocolat soigneusement disposés sur la table, accompagnés d’un mot écrit à la main : « Bienvenue ! Prenez le temps de vous reposer. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, vous savez où nous trouver. Amicalement, les Hudson. » Jayden déposa le mot avec un sourire amusé. Cette générosité désintéressée lui rappelait pourquoi il aimait tant venir ici. Il laissa sa valise dans un coin de l’entrée, prêt à faire visiter les lieux à Charlie. Mais ce dernier, les traits tirés par la fatigue, sembla presque le supplier d’un regard pour qu’il le conduise directement à un lit.

Il guida Charlie jusqu’à l’une des chambres, ouvrant la porte sur un espace simple mais confortable. Une grande fenêtre laissait entrer la lumière diffuse de l’après-midi, tandis qu’un lit aux draps immaculés les attendait au centre de la pièce. Charlie, à peine conscient, s’écroula sur le matelas sans même enlever ses chaussures. Tout habillé, il ferma les yeux et sombra immédiatement dans un sommeil profond, ignorant complètement les couvertures qu’il n’avait pas prises la peine de relever. Il aurait pu le réveiller pour lui suggérer de se mettre à l’aise, mais il décida de le laisser ainsi. Le voyage avait été long, et Charlie avait manifestement besoin de repos. Alors, incapable de résister à la fatigue qui l’envahissait, Jayden se glissa à son tour sur le lit. Il s’allongea doucement à côté de Charlie, prenant soin de ne pas le réveiller. Pourtant, l’instinct le poussa à se rapprocher, et avant qu’il ne s’en rende compte, il s’était lové contre lui. La chaleur qui émanait du corps de Charlie, douce et rassurante, enveloppa Jayden comme une couverture invisible. Il ferma les yeux, laissant ses sens s’imprégner de l’instant. Le bruit apaisant de la rivière qui coulait non loin se mêlait au souffle régulier de Charlie, un rythme qui semblait parfaitement harmonisé avec le calme de la maison. Jayden inspira profondément, un sourire léger flottant sur ses lèvres. C’était un moment parfait, simple et sincère. Un refuge loin de l’agitation, loin des regards extérieurs, où il pouvait se permettre d’être simplement lui-même. En quelques minutes, le poids du voyage et des semaines précédentes s’effaça sous l’effet du sommeil. Bercé par la chaleur de Charlie, le murmure de la rivière, et cette sérénité qu’il n’avait pas ressentie depuis longtemps, Jayden glissa doucement dans un profond sommeil. Un véritable rêve en somme.