Novembre 2024.

Scarlett regarde sa montre. 10 minutes de retard. Ce n’est pas dans les habitudes de Swann. Elle ne lui envoie pas encore de texto, décide de faire preuve d’un peu de patience, son regard perdu dans la carte du restaurant. Elle se demande bien ce qui peut justifier le retard de la personne la plus ponctuelle qu’elle connaisse.

Elle est contente qu’ils se retrouvent pour dîner dans un restaurant, un espace un peu plus neutre où, elle l’espère, elle ne fondra pas de nouveau en larmes comme une idiote. Il lui a fallu beaucoup de courage pour ne pas couper les ponts avec Swann, ne pas quitter le pays et changer de prénom. Le sentiment d’humiliation qu’elle ressent est pourtant encore là, lui intimant de fuir. Mais quelque chose d’autre la fait rester, répondre aux sms que Swann envoie parfois, revenir à son cabinet pour soigner son épaule. Il accepte qu’elle ne veuille pas reparler de sa confession, pas encore ; c’est un garçon patient, un ami loyal. Chaque douceur de Swann agace Scarlett un peu plus, parce que cela la met face à la personne qu’elle est, elle, loin d’être à la hauteur. Et ça ne lui ressemble pas, de se sentir inférieure, c’est un sentiment qu’elle a trop connu et qu’elle a appris à bannir en se construisant une vie confortable où elle a toujours l’ascendant. Mais Swann la pousse dans ses retranchements d’une façon qui ne lui plaît pas. Et pourtant, elle reste dans son orbite.

15 minutes de retard. Elle s’apprête à appeler Swann, à lui demander s’il vient sérieusement de lui poser un lapin, quand elle aperçoit enfin la silhouette de Swann, qui arrive d’un pas pressé vers sa table. « Bonsoir », elle lui dit, sourire en coin, son corps se tendant légèrement lorsqu’il se penche vers elle pour la prendre dans ses bras en guise de bonjour - pourquoi faut-il qu’elle ait trouvé deux amis et qu’ils soient tous les deux affreusement tactiles ?! Il s’installe en face d’elle, et elle pousse la carte vers lui. Elle l’observe, son air de golden retriever particulièrement prononcé aujourd’hui.  « Dis donc, c’est être en retard qui te met de si bonne humeur ? » Elle demande avec un rire. Elle porte son verre d’eau pétillante à ses lèvres, sirote, plisse les yeux. « Laisse moi deviner », elle commence, amusée, « c’est l’amour fou depuis le retour de Rory, tu es tout sourire parce qu’il t’a dit que tu ressemblais à un ourson en guimauve, ou qu’il t’a offert une rose ? » C'est le genre de trucs qu'ils font, dans ce couple mielleux, non ?


@Swann Craine

Lentement, très lentement, la vie reprend son cours. Il déteste cette idée d’avoir à réapprendre à vivre avec Rory au quotidien mais cela ne se passe pas moins bien pour le couple, dont l’affection et l’amour portés à l’autre n’ont jamais été remis en question malgré les derniers mois difficiles. Ce soir, la quiétude est mise à mal par le retard de Swann, qui passe en hâte du taxi à l’intérieur du restaurant pour tenter de minimiser les dégâts, la montre à son poignée l’informant néanmoins qu’il n’y a pas mort d’homme - mais quand même, il est indubitablement en retard. Malgré tout, il n’a de cesse d’afficher un petit sourire amusé, incapable de laisser ses remords prendre le pas sur sa quiétude pour le reste de la soirée. Le blond finit par répondre à son bonsoir par un autre, se penchant aussi rapidement que doucement (à cause de son épaule) vers elle pour l’enlacer. « Dis donc, c’est être en retard qui te met de si bonne humeur ? » - « Hm ? » qu’il demande distraitement, encore occupé à prendre place face à Scarlett et à retirer sa veste en jean. Il force son sourire à se faner, non moins heureux pour autant.


« Laisse moi deviner » Il la laisse donc faire, mimant l’intérêt pour le menu proposé sous ses yeux. « c’est l’amour fou depuis le retour de Rory, tu es tout sourire parce qu’il t’a dit que tu ressemblais à un ourson en guimauve, ou qu’il t’a offert une rose ? » Elle pourrait être terriblement horripilante mais il ne sait faire autrement que s’amuser innocemment de ses mots, conscient que le quotidien de son couple représente tout ce qu’elle déteste - et elle ne les apprécie pas moins pour autant, lui autant que Rory. Malgré lui, pourtant, ses joues se teintent doucement de rose. « Arrête, sois pas mauvaise. » Et s’il n’a pas pour habitude d’exhiber son couple à tout va, il a encore moins vocation à le faire sur l’instant, plus encore à cause des mots choisis par Scarlett et de la culpabilité étrange qui l’envahit, comme si elle pouvait lire en lui comme dans un livre ouvert. En réalité, il se montre surtout particulièrement pudique et soucieux de ne pas dévoiler de trop sa vie de couple, pour lui autant que pour l’homme avec qui il partage sa vie, justement. « Laisse le en dehors de ça. Il y avait des bouchons. » Ses mots disent une chose, toute son attitude hurle qu’il ne fait que tenter d’esquiver la vérité. Lui se demande où se retrouve sa si bonne aptitude au mensonge dès qu’il est en compagnie de Scarlett ; c’est comme s’il ne pouvait jamais mentir face à son amie.

Sa langue claque sur son palais, comme s’ils étaient au théâtre et devaient signaler le passage d’un acte à un autre. « Je te trouve bien curieuse tout à coup, t’attends avec hâte la sortie des téléfilms de Noël ou quoi ? » Ceux qui dégoulinent d’amour, comme son couple avec Rory finalement, pas vrai ? Son index gratte le bois de la table avant qu’il ne relève la carte face à lui, pour se cacher autant que pour cacher le regard de Scarlett. « J’ai le droit de choisir ou tu as commandé pour moi ? » Tout en jurant de le tuer pour son retard, sans doute, quelque chose de semblable.

Pas qu'elle l'admettrait à haute voix, mais Scarlett trouve Swann beau, quand il sourit bêtement comme ça ; il a quelque chose de résolument ouvert en lui qui irradie autour, une sincérité dans son attitude qui est touchante, bien que complètement étrangère pour Scarlett et son contrôle permanent. Elle ne se souvient pas avoir déjà été heureuse de façon si accessible, oubliant d'être sur ses gardes. Elle penche la tête, observe Swann avec un sourire à la fois exaspéré et amusé. Décidée à en savoir un peu plus sur la cause du sourire stupide, elle interroge Swann avec un rictus taquin, se plaisant à imaginer sa vie de conte de fées (qui, elle le sait, cache des choses bien plus complexes). « Arrête, sois pas mauvaise. » Elle ouvre la bouche en un o dramatique et surjoué. « Moi, mauvaise ?! Jamais ! » Elle proteste en toute mauvaise foi, un petit rire mutin accrochée aux lèvres. Swann sait que c'est de bonne guerre et qu'elle apprécie son couple avec Rory autant qu'elle les trouve insupportable. Elle est dans son rôle, il est dans le sien, c'est aussi le plaisir de cette amitié, le rythme confortable, les plaisanteries, les sous-entendus. « Laisse le en dehors de ça. Il y avait des bouchons. » Elle lève un sourcil. Swann va vraiment tenter ce mensonge-là ? Comme s'il n'était pas le genre de personne qui regardait en avance les applications de trafic routier pour anticiper les bouchons et les retards ? Elle ne l'a jamais connu en retard, même quand il dépendait des bus londoniens. Et en dehors de ce qu'elle connaît de Swann et sa ponctualité, elle sait aussi reconnaître les expressions de son visage, le sourire qu'il essaie d'avaler, le rouge de ses joues, le regard un peu fuyant. « Heureusement que t'es pas un client dont je dois sauver la réputation parce que t'es vraiment l'un des pires menteurs que j'ai rencontrés de ma vie », elle réplique, un poil dramatique, mais toujours amusée.

Elle pourrait presque laisser passer toute cette histoire, si Swann ne semblait pas si suspect - et étonnement, il remet lui-même le sujet sur la table. « Je te trouve bien curieuse tout à coup, t’attends avec hâte la sortie des téléfilms de Noël ou quoi ? » Elle fait une grimace. Le seul film niais qu'elle tolère reste Titanic - information qu'elle avouera sous la torture - et elle est loin d'avoir l'esprit de Noël, une fête qu'elle n'a pas fêté depuis des lustres d'ailleurs. Petite, sa mère essayait de tenir un peu la face, mais adolescente, c'était déjà parti. Et depuis qu'elle vit en Australie, Scarlett le passe seule chaque année. « Quoi, je n'ai pas le droit de m'intéresser à ton bonheur ? » Elle plaisante (à moitié) en secouant la tête. « Tu sais trop de choses sur moi, Swann, il faut bien que je rétablisse l'équilibre », elle ajoute, d'un ton qui se veut léger, même si le fond est tout à fait sérieux. Il est probablement la personne sur terre qui la connaît la mieux, alors qu'ils ne sont pas parlé pendant 15 ans, et cette information gêne un peu Scarlett, qui ne sait qu'en faire.

Swann relève la carte pour cacher son visage, faisant soupirer Scarlett. Pourquoi agit-il comme un enfant pris sur les faits ? « J’ai le droit de choisir ou tu as commandé pour moi ? » « Je n'ai pas encore commandé », elle réplique, mais ajoute : « mais tu vas commander la tourte au gravy, non ? » Elle le défie presque de nier. Peut-être qu'il le fera, par principe, pour ne pas lui donner raison. Mais elle sait pertinemment que c'est ce qui lui fait envie.

Un signe de la main vers le serveur, et la commande est passée. Le jeune homme récupère les menus avec un sourire poli et s'éloigne, arrachant un nouveau sourire à Scarlett. « Tu veux que je lui demande de te laisser la carte, au cas où que tu ais besoin de te recacher derrière ? » Elle propose, piquante. Elle porte son verre à ses lèvres, comme pour donner un peu de répit à Swann, avant de continuer. « Mais je suis contente si ça va mieux entre vous. » Elle est sincère dans sa remarque, offrant presque par politesse une porte de sortie à Swann s'il ne veut vraiment pas lui révéler la raison de sa tête d'imbécile heureux.


@Swann Craine

« Moi, mauvaise ?! Jamais ! » Sa tête se penche avec un faux reproche, l’air de dire “vraiment ?” sans pour autant aller jusqu’à prononcer ces mots qui sont déjà une évidence pour eux deux. Il ne s’enfonce pas davantage dans l’idée, surtout alors qu’il est le premier à répondre par un mensonge trouvé à la va-vite, justifiant ainsi son retard par des bouchons qui n’existaient pas le moins du monde. « Heureusement que t'es pas un client dont je dois sauver la réputation parce que t'es vraiment l'un des pires menteurs que j'ai rencontrés de ma vie. » Il confesse sa faute sans dire les mots, son sourire s’agrandissant encore un peu plus. Elle a vu clair dans son jeu et il n’est pas fourbe au point de continuer à le nier. Tout ce qu’il peut encore faire, pour le moment, c’est faire de son mieux pour préserver l’intimité de son couple, comme il en a l'habitude. « Je suis en retard de cinq minutes Scar, ma réputation va s’en remettre, tu crois pas ? » Le problème est esquivé, il mime une fois de plus la parfaite innocence. « Quoi, je n'ai pas le droit de m'intéresser à ton bonheur ? Tu sais trop de choses sur moi, Swann, il faut bien que je rétablisse l'équilibre » Et ce point là, malgré l’humour sous-jacent, il sait qu’elle n’en pense pas moins et qu’elle n’en est pas moins touchée. Il la connaît par cœur ou presque et l’inverse est tout aussi véridique, en réalité, mais elle est bien trop habituée à ce que la connaissance de l’autre n’aille que dans un sens pour accepter pleinement l’amitié qui l’unit à Swann. Lui n’en est pas si gêné, et loin de là. « Tu aimes bien te moquer de mon couple, ça oui, mais juste mon bonheur ? Hm, non, c’est louche. » Il en rigole, bien conscient qu’elle pourrait se montrer présente pour lui s’il voulait lui parler à coeur ouvert de ses problèmes de couple. La réflexion le fait réfléchir un instant, son regard posé dans le vide. Il se rend compte qu’il aurait aimé lui parler de la phase difficile qu’il a connue avec Rory et il l’aurait sûrement fait, si leur dernière discussion n’avait pas viré au drame lorsqu’elle a découvert son passé d’auto-mutilation. Déjà, il chasse ces pensées de son esprit.

« Je n'ai pas encore commandé mais tu vas commander la tourte au gravy, non ? » Véritable enfant dont on s’occupe de lui, il sourit mais ne nie pas. Au contraire. « Evidemment. » Touché. Il accepte de ne pas être débordant d’imagination et de surprise, cela lui convient parfaitement ainsi. « Tu veux que je lui demande de te laisser la carte, au cas où que tu ais besoin de te recacher derrière ? » Il a un rire bien plus surpris cette fois-ci, même si son absence de discrétion ne devrait pas le surprendre. « Mais je suis contente si ça va mieux entre vous. » Et le voilà maintenant qui se racle la gorge. « T’auras pas de détails, Scar. » Elle est empathique, elle est douce et elle est sûrement sincère lorsqu’elle dit être heureuse pour eux, il ne le remet pas en question, mais il voit aussi parfaitement ce qu’elle essaye de faire et lui annonce déjà que cela ne sert à rien. Son regard retrouve celui de son ami pour affirmer son avis tranché, bien qu’il ne soit pas sans un sourire en coin. « Et puis… hey, je t’ai jamais dit que ça allait mieux entre nous. » Connaissant son mari, il n’a pas dû chercher à aborder le sujet non plus, autant par pudeur habituelle que parce qu’il n’y avait justement rien de très glorieux à en dire jusqu’à très récemment. Le lien est fait sur le tard, sa tentative de sauvetage de dernière minute venant sans doute sonner le glas pour lui. « Les affaires retombent, tu t’ennuies que tu veux aussi t’occuper de tes proches, maintenant ? » Elle ne le laissera pas en paix en étant si peu farouche, c’est évident, mais au fond de lui il veut garder l’idée et l’excuse qu’il aura essayé, même avec si peu de conviction.

Ils se chamaillent, et cela rappelle à Scarlett leur adolescence, les disputes dans les allers du Tesco, pour savoir si oui ou non le coca light ou le coca zéro avait le même goût, et le meilleur goût de chips Lays. Avec lui, elle a pu avoir une certaine légèreté dans ses pseudo-engueulades, bien loin de celles qu’elle affrontait avec sa mère, sur des sujets bien moins amusants - l’argent du mois dépensé dans des bouteilles au lieu de remplir le frigo, le petit-copain qui squatte le canapé et utilise la couverture des cahiers de Scarlett pour rouler ses filtres de joint. « Je suis en retard de cinq minutes Scar, ma réputation va s’en remettre, tu crois pas ? » Elle secoue la tête, l’air de dire à d’autres, Swann, à d’autres. Ils savent tous les deux qu’il est la personne la plus ponctuelle de Brisbane. Le retard n’est pas grave, mais il est intriguant. « Tu aimes bien te moquer de mon couple, ça oui, mais juste mon bonheur ? Hm, non, c’est louche. » Elle a un rire, parce que la plaisanterie aurait presque un fond de vérité. « C’est toi qui est louche », elle réplique, une pique de c’est toi le qui ressemble à une répartie d’adolescente grognonne qui lui arrache à nouveau un sourire.

La tourte au gravy, bingo, cela amuse Scarlett, qui pour sa part compte commander un risotto aux champignons, tout aussi classique bien qu’un peu moins anglais. C’est drôle, elle se fait la réflexion que si Swann et elle ont perdu de leur accent britannique, il semble ressortir quand ils sont ensemble, la façon dont ils prononcent certaines syllabes, les expressions qu’ils utilisent. « T’auras pas de détails, Scar. » « C’est censé être moi la mystérieuse du duo ! »  Elle proteste. En réalité, ils sont tous les deux pudiques (l’Angleterre, que voulez-vous) d’une manière différente. Swann, avec une douceur polie de celui qui ne veut pas déranger. Scarlett, avec le froid métallique d’une porte blindée qui refuse d’être ouverte. « Et puis… hey, je t’ai jamais dit que ça allait mieux entre nous. » La remarque surprend Scarlett, qui s’en saisie au vol immédiatement, cherchant quel angle choisir pour le questionner. « Les affaires retombent, tu t’ennuies que tu veux aussi t’occuper de tes proches, maintenant ? » Tes proches. C’est drôle, il y a un an, elle aurait considérée ne pas en avoir. Les choses ont bien changé, en quelques mois. « Crois le ou non, mais je suis sincèrement intéressée par ta vie. Et je ne pense pas ça avec beaucoup de gens. » Deux, à vrai dire. Swann et Ruben. Trois, si elle compte Sloane, ce qu’elle fait, mais n’admet pas.

Le serveur arrive, et ils commandent, laissant un instant de flottement. C’est une trêve polie, Swann sait très bien que Scarlett va revenir à la charge. Il en a trop dit - ou pas assez, justement - pour ne pas l’intriguer. « Si ça ne va pas mieux entre vous, pourquoi tu as l’air si content ? » Elle demande, sourcil levé.


@Swann Craine

« C’est toi qui est louche » Il ne réplique rien, à peu près conscient qu’elle n’a pas tort, déjà bien assuré de l’idée qu’il n’a rien à gagner à vouloir entamer un débat sur ce point à ses côtés. « C’est censé être moi la mystérieuse du duo ! » Et cette fois-ci il rigole de bon cœur face à cette répartie digne d’une enfant, laquelle génère chez lui une certaine empathie en même temps. « Moi je suis louche et toi t’es mystérieuse ? Tss, j’ai jamais eu le droit aux bons rôles. » Il reprend, il dénigre, il siffle une seconde mais surtout il s’en amuse et ne prend rien au sérieux. Scarlett a toujours été difficile à cerner, et s’il a à coeur de penser qu’il a aussi su ériger des barrières avec le temps, elle l’a fait bien plus rapidement et bien plus professionnellement que lui. Lui-même ne saurait dire avec assurance qu’il la connaît totalement, parce qu’il sait qu’elle a encore des parts d’ombre et qu’il n’a rien contre cette idée, tant que cela ne joue pas contre Scarlett elle-même. Lui n’est pas un adepte de l’idée de se dévoiler entièrement non plus, même à ses proches en qui il a pourtant totalement confiance. Seul Rory outrepasse cette limite et il a passé certains soirs au cours des dernières semaines à se demander s’il n’avait pas fait une erreur en lui laissant une telle place unique dans son cœur. Maintenant, il se rend compte qu’il a été stupide d’en douter.

Ses mots se retrouvent usé et abusé, le requin dormant en Scarlett ne dormant justement jamais réellement. « Crois le ou non, mais je suis sincèrement intéressée par ta vie. Et je ne pense pas ça avec beaucoup de gens. » Et il la croit, bien sûr. Sur le premier point autant que sur le second. Elle n’adhère pas à ses choix de vie, et elle n’a pas peur de le blâmer, mais elle fait toujours l’effort de s’intéresser à lui sans que cela ait justement l’air d’être un effort de sa part. Il apprécie, il a toujours apprécié. Aujourd’hui, il trouve même que tout est plus facile entre eux, sans doute grâce à l’environnement extérieur qui a changé du tout au tout et pour le meilleur. « Si ça ne va pas mieux entre vous, pourquoi tu as l’air si content ? » Son pouce parcourt sa lèvre inférieure, le temps de la réflexion. Son regard, lui, se pose sur Scarlett, avant que son visage se fende dans un sourire. « Tu vas pas abandonner, c’est fou ça. » Ce n’est pas une question, évidemment que non, mais bien une constatation : elle a un bout de gras qu’elle adore, elle va le dévorer jusqu’à la moelle parce qu’elle connaît Swann et parce qu’elle sait qu’il finira par céder face à elle. « On a couché ensemble. T’es contente, on peut passer à autre chose ? » Il baisse cette fois-ci d’un ton, pas réellement mis mal à l’aise par le sujet de discussion - il est un adulte, merde - mais particulièrement soucieux qu’il reste strictement entre eux. Son couple n’a pas besoin de voir les détails de sa vie privée affichés sur un compte Twitter ou un autre, le tout colporté par une oreille trop indiscrète. « Mais y’avait quand même de la circulation, pour ma défense. » Et il reprend avec les joues rosies par l’humour certain de ses mots, son sourire se retrouvant parfaitement caché derrière le verre d’eau qu’il boit goulument. Il ne trouve aucun plaisir à décortiquer sa vie sexuelle mais l’instant est simple, il le ramène des années en arrière quand ses arguments face à toute question du genre étaient semblables à “oui évidemment que je l’ai déjà fait”. Elle a aussi connu cette époque. « Tu peux vraiment te passer de l’idée d’être “sincèrement intéressée par ma vie” pour ce soir, je t’en voudrais pas. » Swann termine avec une certaine ironie, comme s’il n’était pas déjà très clair qu’il ne répondrait pas davantage à ses possibles questions.

Lorsque son pouce retrouve le même chemin contre sa lèvre, il abandonne petit à petit son sourire d’adolescent pour se montrer plus sérieux. « Ça va vraiment mieux. Petit à petit. » Sans qu’il n’y ait de véritablement corrélation avec leur intimité, mais tout de même, ça avait à voir. « Quand il est revenu il a voulu m’embrasser, comme tu sais, juste… Normalement. » Comme ils en avaient l’habitude, comme les couples le font. Un geste naturel de deux personnes qui s’aiment, surtout alors qu’elles se retrouvent après plusieurs semaines d’absence. Le souvenir pousse pourtant Swann à bouger sa tête de droite à gauche sans même s’en rendre compte, son regard un instant perdu dans le vide. « Même ça ça me semblait trop demandé. » Et si ça lui était trop déjà demandé, il la laisse imaginer ce qu’aurait pu donner l’autre ça ainsi que la raison pour laquelle il se montre stupidement heureux ce soir. Il hausse pourtant les épaules et mime que ce n’était pas si important que ça. Ça l'était pour lui. « C’est d’ami à amie, ok ? Personne d’autre a besoin de savoir. » Pas même Rory, qui n’a pas besoin de savoir qu’il a ressenti le besoin de se confier sur ce point et de toute évidence encore moins n’importe quelle autre personne que Scarlett pourrait vouloir mettre dans la confidence pour un coup de com’ ou un autre.

« Moi je suis louche et toi t’es mystérieuse ? Tss, j’ai jamais eu le droit aux bons rôles. » Scarlett lève un sourcil, se demandant si Swann plaisante, ou si la pique cache une pointe de sincérité. Elle recule légèrement sur sa chaise, cherchant ses mots. « N’importe quoi. Tu as toujours été le gentil et moi l’insupportable. » C’est lui qui a été patient avec elle, qui l’a aimé alors qu’elle ne savait même pas comment recevoir de l’affection. Il est venu la chercher dans les foyers quand elle fuguait, il l’a laissée dormir chez lui quand elle s’engueulait avec sa mère, il ne l’a jamais forcée à faire quoi que ce soit, ne l’a jamais fait culpabilisé de ne pas être prête, et ce alors qu’il était plus âgé qu’elle, plus avancé, qu’il aurait pu perdre patiente. Il a été doux, gentil, drôle, une véritable ancre. Et l’adolescente qu’elle était ne savait pas comment le remercier, trop pudique, trop fermée, maladroite même dans ses gestes physiques. Elle se souvient lui avoir tenu la main, l’avoir étreint, brièvement, en fermant les yeux, les joues rougies de la honte d’avoir besoin de l’affection de quelqu’un d’autre. C’est même pour ça qu’elle a fini par rompre avec lui, trop prise dans ses propres tourments, incapable d’abaisser complètement sa muraille. Puis elle a disparu de sa vie, alors qu’ils auraient pu rester amis, et même lorsqu’ils se sont retrouvés en Australie, par le plus grand des hasards, elle l’a évitée pendant près de deux ans, avant de l’insulter alors qu’il se confiait à elle sur ses problèmes. Non, ce n’est pas Scarlett qui a le bon rôle. C’est Swann. Parce qu’il est une bonne personne.

Mais Scarlett ne dit pas tout ça, non. Comme toujours, elle est incapable de cette vulnérabilité-là. A la place, elle décide de revenir sur le sujet qui l’intrigue et l’amuse. « Tu vas pas abandonner, c’est fou ça. » Elle secoue la tête. « Pas mon genre », elle réplique, avec un petit sourire mesquin malgré elle. Elle a compris qu’il y avait quelque chose à fouiller, et elle est trop curieuse : elle ne fera demi-tour que si Swann lui demande explicitement, car malgré tout, elle respectera son droit à ne rien vouloir dire. Elle est trop pudique, elle aussi, pour ne pas comprendre qu’on le soit. Mais pour l’instant, elle sent dans la discussion un jeu, une taquinerie, et elle en profite.  « On a couché ensemble. T’es contente, on peut passer à autre chose ? » Ooooh. Scarlett penche la tête, se retient de répliquer un piquant wow, t’es toujours aussi heureux quand tu couches avec ton mari ? mais elle sent que quelque chose est plus complexe, et qu’elle risquerait de le brusquer si elle prenait immédiatement un ton amusé. « Mais y’avait quand même de la circulation, pour ma défense. » Elle a un petit rire. « Elle a bon dos, la circulation, hmm ? » Elle soulève en secouant la tête. « Tu peux vraiment te passer de l’idée d’être “sincèrement intéressée par ma vie” pour ce soir, je t’en voudrais pas. » « Oh, non, désolée, je suis bien trop curieuse maintenant », elle admet, aussi amusée que sincère. Qu’est-ce qui se cache derrière cette histoire de coucherie ? Est-ce la première fois qu’ils recouchent ensemble depuis le retour de Rory ? Est-ce qu’ils ont des soucis de ce côté là ?!

« Ça va vraiment mieux. Petit à petit. » C’est une réelle bonne nouvelle, quoi que Scarlett et son anti-romantisme puisse prétendre : elle est heureuse que Swann ait trouvé quelqu’un qui le rende heureux. « Quand il est revenu il a voulu m’embrasser, comme tu sais, juste… Normalement. » Les pièces du puzzle commencent à mieux s’organiser, et Scarlett hoche la tête. Swann, lui, a le regard un peu au loin, son visage légèrement assombri. « Même ça ça me semblait trop demandé. » Scarlett ne le juge pas, loin de là : elle n’a jamais été démonstrative physiquement, sauf quand il s’agit de sexe, et elle imagine facilement que l’on puisse se refermer à l’affection physique même venant de son propre mari. « C’est d’ami à amie, ok ? Personne d’autre a besoin de savoir. » Scarlett ressent une chaleur dans son estomac. « D’ami à amie », elle confirme, comme si cette phrase était normale pour elle. Comme si c’était normal qu’elle ait un ami. Qu’elle soit l’amie de quelqu’un.

Elle se redresse sur la chaise, tandis que les plats arrivent, coupant un instant leur conversation, offrant un petit répit à Swann et sa confession. Elle passe sa main dans ses cheveux, méditant ce qu’il lui a dit. « Tu penses que c’est la distance émotionnelle qui t’a rendu distant physiquement ? » Elle demande. « C’est la première fois que vous recouchiez ensemble depuis son retour ? Vous aviez déjà eu ce genre de soucis, avant ? » Il n’y a pas de moquerie dans sa voix, au contraire. « Je suis mal placée pour les conseils amoureux, mais le sexe, ça, c’est plus mon rayon », elle précise, un peu amusée, plantant sa fourchette dans son risotto.


@Swann Craine

Il est dans cet entre-deux où il ressent le besoin de parler de sa situation à quelqu’un et celui où il garde toujours l’éternelle retenue qui lui correspond tant et fait de lui un homme simple et discret, même alors que l’exposition médiatique de Rory aurait aussi pu devenir la sienne avec le temps. Il n’en est rien, et il n’a aucun projet que cela le devienne. Face à Scarlett seulement, et grâce à leurs nombreuses années d’amitiés, il parvient à délier sa langue alors qu’elle sait son possible pour lui tirer les vers du nez en même temps. Se confier à Scarlett n’est pas un sacrifice, ce n’est pas même difficile, mais il s’agit d’un exercice qu’il apprend encore à manier. « Elle a bon dos, la circulation, hmm ? » C’est la dernière fois qu’elle lui sert d’excuse, du moins, et il tend à lui faire comprendre avec le sourire qu’il partage avec elle. « Oh, non, désolée, je suis bien trop curieuse maintenant » Seul le contraire aurait pu l’étonner, si bien qu’il n’en dit rien de plus.

Il choisit la façon dont il aborde le sujet, il choisit les premiers aveux qu’il en fait. Swann y va pas à pas, sans trop savoir où commencer, sans trop savoir jusqu’où aller non plus. Tout ce qu’il sait, c’est qu’il baisse d’un ton pour assurer que cette discussion reste purement entre eux deux. « D’ami à amie. » Elle confirme l’aspect privé et intime de ces confessions et Swann hoche à nouveau la tête, pour se rassurer bien plus qu’autre chose. « Tu penses que c’est la distance émotionnelle qui t’a rendu distant physiquement ? » La question est légitime mais elle lui arrache un rire qu’il reconnaît être malvenu. Sa réaction est purement nerveuse. Ils étaient distant physiquement de milliers de kilomètres pendant quelques mois, c’est un simple fait, pas même une réaction émotionnelle. « C’est la première fois que vous recouchiez ensemble depuis son retour ? Vous aviez déjà eu ce genre de soucis, avant ? » - « N-non… pour le premier et le second. » Et cette fois-ci, la main qui vient se poser sur ses deux tempes en même temps et cacher une bonne partie de son visage par extension est le reflet d’une expression purement gênée. Parler de leurs retrouvailles est une chose, mais parler de leur vie sexuelle de façon générale est un sujet qui n’était pas supposé être au bout du jour. « Je suis mal placée pour les conseils amoureux, mais le sexe, ça, c’est plus mon rayon. » Sa franchise le pousse à remettre un brin ses idées en ordre et à se rappeler qu’il est un adulte, qu’il peut parler de ce genre de sujet et qu’elle ne lui pose pas des questions à cause d’une curiosité adolescente mais bien parce qu’elle cherche à comprendre comment tout s’est passé et comment tout a pu en arriver là. Alors, il reprend, il explique. « C’est la seconde fois. Depuis son retour. Ça a pris… plus d’un mois. » Il compte les semaines en même temps qu’il parle, n’ayant jamais eu besoin de faire le calcul jusqu’alors. « C’était… bizarre. On a toujours été très fusionnels, même quand on cachait notre relation. » Une phase qui a tout de même duré plusieurs années. Sa fourchette se plante dans son plat sans jamais faire d’autre chemin. Il la plante, encore et encore. Il mélange ce qui ne devrait pas l’être, il est un enfant qui joue avec son assiette pour ne pas avoir à penser à trop d’autres choses.

« On est pas resté “juste” des amis longtemps. Ça a vite été une évidence. » Tout était compliqué autour d’eux mais entre eux, c’était simple, c’était naturel. Swann était bien plus heureux de sa présence dans sa vie que de l’idée fugace d’avoir retrouvé sa famille, et c’est pour dire. « C’est comme si on apprenait à se connaître depuis qu’il est rentré. » Comme s’ils devaient passer par une phase qu’ils n’ont jamais connue en huit ans de relation, ironiquement. Le temps n’avance pas dans le bon sens. « Il est huit ans de ma vie. Presque neuf. C’est pas juste du sexe. » Ce n’est pas un reproche contre Scarlett, loin de là. Il veut simplement la prévenir que cela ne peut pas se régler de cette simple manière, même si elle veut faire au mieux et qu’il la remercie d’écouter ses déboires dans un fichu restaurant. « Je prends tes conseils, vraiment, mais… je suis pas certain que tu puisses en donner sans avoir vraiment été amoureuse dans ta vie. » Et de ça, il s’en trouve être désolé. Il aimerait qu’elle lui donne tort mais anticipe déjà qu’elle n’a jamais ressenti une telle chose pour quelqu’un, parce que c’est se rendre vulnérable à autrui et cela représente l’impossible pour Scarlett.

L’avantage de voir le sexe comme un jeu purement charnel, c’est que Scarlett n’a aucun mal à en parler. Bien sûr, elle ne sera pas du genre à en rire autour d’un verre avec ses connaissances ou ses collègues, parce qu’elle considère que ça ne regarde que les gens avec qui elle couche. Mais elle qui est si pudique sur ses émotions, elle n’a pourtant jamais hésité à confier à ses amants ce qu’elle aimait, ce qu’elle voulait, et ce sans aucune gêne. Peut-être aussi parce qu’elle se positionne toujours comme une amante assertive voire dominante, et que ce rôle lui confère une protection qui facilite la tâche. Elle n’a jamais eu l’occasion de vraiment parler de ça avec quelqu’un d’extérieur, un ami, puisqu’elle ne pensait pas en avoir véritablement avant cette année, mais elle réalise que si Swann est en train d’enfouir son visage à moitié dans ses mains, elle se sent pour sa part complètement à l’aise dans la conversation. Mieux, cela l’amuse. « N-non… pour le premier et le second. » Scarlett hoche la tête, s’en fait une note mentale, comme si Swann lui donnait plus de pièces de puzzle. Elle a toujours aimé résoudre des problèmes. Elle essaie de montrer à Swann qu’elle n’ira pas plus loin qu’il ne le souhaite, qu’elle essaie simplement d’aider, sincèrement, sur un sujet qu’elle considère maîtriser. Pour les histoires d’amour et de mariage, elle se réfère plutôt à ce qu’elle connaît de la fiction, ou des mariages des clients qui viennent pleurer dans son bureau pour qu’elle cache leurs infidélités. Ou Ruben (mais du coup, cela ressemble pas mal aux clients dans le bureau et les infidélités, finalement). « C’est la seconde fois. Depuis son retour. Ça a pris… plus d’un mois. » « C’est long, pour vous ? » Elle demande, parce qu’elle sait que la vie sexuelle des couples n’est pas ce que l’on décrit dans les magazines, et que parfois la passion peut se calmer, voire disparaître un temps. C’est d’ailleurs bien pour cela que Scarlett n’a jamais vraiment cru en la monogamie. Pour elle, c’est attiré des problèmes (see above : Ruben) là où une liberté pourrait permettre, in fine, une meilleure complicité. « C’était… bizarre. On a toujours été très fusionnels, même quand on cachait notre relation. » C’est drôle, se dit Scarlett, quand elle voit des gens aussi niais que Swann et Rory, elle a du mal à imaginer une vie sexuelle de couple très passionnée ou fusionnelle ; peut-être parce qu’elle n’arrive pas à imaginer qu’on puisse s’aimer sainement et tendrement tout en ayant du désir pour l’autre, parce qu’elle n’a jamais vécu ça, et ne perçoit le sexe que comme une transaction, une séduction brêve, une bataille de pouvoir. Le visage de Sloane passe dans son esprit - la façon dont elles se regardent, parfois, les mains dans les cheveux, le rythme qui devient plus lent, moins combatif - et elle secoue la tête pour la chasser.

« On est pas resté “juste” des amis longtemps. Ça a vite été une évidence. » Scarlett écoute, curieuse, réalisant qu’elle ne connaît pas bien la genèse de leur couple. « C’est comme si on apprenait à se connaître depuis qu’il est rentré. » La phrase fait tiquer Scarlett, parce qu’elle sent que cela chiffonne Swann, tandis qu’elle n’y voit pas quelque chose de négatif, au contraire. Le renouveau, dans un couple, lui semble essentiel. Mais elle ne proteste pas encore, ne cherche pas le débat, laissant à Swann la possibilité de trouver les mots. Elle a toujours été observatrice, à laisser les autres compléter les blancs, et chaque jour à son travail lui rappelle que les gens remplissent les vides de façon souvent surprenante ou intéressante. « Il est huit ans de ma vie. Presque neuf. C’est pas juste du sexe. » « Bien sûr que non », elle admet. « Mais ça en fait parti. » Si ce n’était pas si important, pourquoi aurait-il cette tête de golden retriever heureux d’une histoire de coucherie ? « Je prends tes conseils, vraiment, mais… je suis pas certain que tu puisses en donner sans avoir vraiment été amoureuse dans ta vie. » La remarque la surprend, et elle repose sa fourchette. Elle n’est pas vexée, non, il en faudrait bien plus, et elle est d’accord, elle n’a jamais été la meilleure placée pour commenter les couples. Elle n’a pas encore parlé de son historique romantique avec Swann - la conversation viendra plus tard, dans des textos tard le soir dont elle regrettera la sincérité à vif - mais il la connaît assez bien pour deviner, pour bien la cerner. Mais s’il y a bien une personne sur terre qui sait qu’elle n’a pas qu’un coeur de pierre, c’est l’homme qui est assis en face d’elle. « Tu sais très bien que j’ai déjà été amoureuse », elle proteste, s’appuyant plus franchement sur le dos de la chaise, sondant le regard de Swann. « De toi, imbécile. » Et elle est soudain presque triste à l’idée qu’il ne le sache pas, ça lui paraît même improbable : bien sûr, qu’il sait, non ? Ce n’est pas possible que la seule personne qu’elle ait jamais aimé sincèrement ne le sache pas, même si elle ne lui a jamais dit ? « Ne me dis pas que tu en doutais », elle ajoute, d’une voix moins assurée qu’elle ne voudrait. « Et n’essaie pas de me dire que ça ne comptait pas parce qu’on était jeune ou une bêtise du genre », elle prévient. « Parce que ça comptait et ça comptera toujours. Pour moi, en tout cas », elle baisse les yeux un instant sur son assiette, une fuite de quelques secondes après un aveu trop personnel. « Mais d’accord, on était des adolescents et on a pas couché ensemble, certes, et ça n’a rien à voir avec un mariage non plus. Mais je savais déjà que le sexe entre deux personnes qui s’aiment, ça peut être spécial, c’est bien pour ça que ça me faisait aussi peur. » Elle hausse les épaules. Swann sait aussi, à présent, qu’elle avait d’autres difficultés de ce côté-là, parce qu’on lui avait volé ses premières expériences, dans une violence qui avait abîmé tout le reste, et que même la patiente et affection de Swann n’avaient pas réussi à l’adoucir.

Elle reprend une bouchée de risotto, comme pour mâcher ses propres mots, réfléchir à ce qu’elle va dire. « Moi je trouve ça plutôt positif que vous appreniez à vous connaître à nouveau. Je veux dire, qui a la chance de rencontrer pour la deuxième fois son mari ? De tomber à nouveau amoureux de quelqu’un qu’il aime déjà ? C’est plutôt beau, non ? » Elle spécule presque, pas tout à fait sûre d’où elle met les pieds. Et puis, parce qu’elle revient à ce qu’elle connaît mieux, elle ajoute : « Et ça vous permet de vous redécouvrir physiquement. Peut-être que vos goûts ont changé, sexuellement, et que vous n’en avez jamais parlé, que vous étiez pris dans une routine. C’est l’occasion d’explorer, de remettre des étincelles. Regarde, tu serais pas aussi heureux ce soir sinon, non ? Ou alors t’as vraiment cette tête à chaque fois que vous consumez votre mariage ? » Elle pique avec un sourire affectueux.


@Swann Craine

« C’est long, pour vous ? »
« C’est long. »

Il dévoile les pans de la vie privée de son couple avec culpabilité, pourtant rassuré que Scarlett prenne le temps de poser des questions sur ce qui semble évident pour lui mais ne l’est pas forcément pour les autres couples, ou les autres personnes tout court. Lui n’ajoute pas de détails, il ne contente pas un public qui n’existe pas avec des anecdotes croustillantes et tout ce qu’il fait, finalement, c’est parler de ses sentiments et de sa vie quotidienne avec une amie. Rien de plus, rien de moins, même alors que cela le montre vulnérable et qu’il ne sera jamais à l’aise face à une telle idée, toujours un peu trop habitué à verser dans un extrême ou un autre dès que tel commence à être le cas. « Bien sûr que non. Mais ça en fait parti. » Il ne nie pas. Le sexe ne résume pas leur couple, mais il fait partie de l’équation, comme pour bien d’autres couples à leur tour.

« Tu sais très bien que j’ai déjà été amoureuse. » Il ne le sait pas, non, et la réponse de Scarlett le prend de court, surtout alors qu’elle ne semble pas douter un seul instant de ses mots. Son visage s’éclaire de seule interrogation alors qu’il l’observe avec attention en attendant la suite de ses explications. « De toi, imbécile. » A l’image d’un poisson, il ouvre la bouche pour simplement mieux la refermer. Il s’attendait davantage à entendre qu’elle était tombée amoureuse de Ruben plutôt que ça, si bien qu’il en reste parfaitement sans voix. « Ne me dis pas que tu en doutais. » Et soudainement, la voix qu’elle prend à son égard lui fait ressentir toute la culpabilité du monde. Ce n’est pas même qu’il en doutait, c’est qu’il était persuadé dans son propre monde que ce n’était pas le cas le moins du monde, parce que comment une fille comme elle aurait sincèrement pu tomber amoureuse d’un garçon comme lui ? Ils jouaient à des niveaux si différents, et aujourd’hui encore. « Tu me l’as jamais dit. » Il annonce, penaud. Pour lui, il s’agit d’un sentiment qui se retrouve forcément partagé à voix haute un jour ou l’autre s’il existe bel et bien, parce qu’il ne s’imagine pas aimer une personne sans le partager avec elle. « Et n’essaie pas de me dire que ça ne comptait pas parce qu’on était jeune ou une bêtise du genre. Parce que ça comptait et ça comptera toujours. Pour moi, en tout cas » Sa tête balaie l’espace de droite à gauche. « Non, c’est pas ce que je dis. » Il ne l’a même pas pensé, ni envisagé. Les sentiments n’ont pas à être moqués parce qu’ils datent de plusieurs années en arrière, il refuse. « Mais d’accord, on était des adolescents et on a pas couché ensemble, certes, et ça n’a rien à voir avec un mariage non plus. Mais je savais déjà que le sexe entre deux personnes qui s’aiment, ça peut être spécial, c’est bien pour ça que ça me faisait aussi peur. » Le sourire qu’il affiche est tendre, bien loin de tout jugement. Si elle avait été Rory, il aurait initié un geste physique pour la rassurer, mais il se doute que ce n’est pas ce dont elle a envie, encore moins en public, même si elle est sûrement aussi touchée qu’elle mime l’indifférence. « Non, je pensais simplement que tu m’aimais bien, comme on aime le fils du voisin qui perd toujours son ballon de l’autre côté de la grille du jardin. » Qu’il n’avait finalement jamais été autre chose qu’un ami et que leur statut de couple était aussi temporaire que perfectible. Sur ce point, avoir eu tort lui redonne un peu de baume au cœur, même si cela le fait aussi se demander s’ils auraient pu faire fonctionner leur couple, au final. La vie qu’il mène aujourd’hui le rend pleinement heureux pour sa part, mais Scarlett ? Est-ce qu’elle n’y aurait pas gagné à être aimée au cours de la dernière décennie passée ? « Et que c’était sans doute aussi pour ça que ça avait jamais été plus loin. » Qu’ils n’avaient jamais fini par coucher ensemble, qu’ils avaient fini par prendre des chemins séparés. Il était résigné un brin trop tôt dans leur histoire, sans doute. « Mais alors mes charmes avaient parfaitement fonctionné, hm ? » La fossette se creuse contre sa joue alors qu’il relève le regard et imprime davantage le sourire sur son visage, bien décidé à ne pas remuer le passé pour le rendre douloureux mais bien à s’en amuser autant que possible. Ils ne peuvent pas en faire de même sur tous les sujets, autant profiter de celui-ci.

Et déjà, ils en reviennent au sujet principal et à la raison même de toute cette discussion autour du sexe, un sujet généralement peu ou pas abordé par Swann et sa pudeur. « Moi je trouve ça plutôt positif que vous appreniez à vous connaître à nouveau. Je veux dire, qui a la chance de rencontrer pour la deuxième fois son mari ? De tomber à nouveau amoureux de quelqu’un qu’il aime déjà ? C’est plutôt beau, non ? » L’image est belle, l’idée est séduisante. Dit comme ça, elle a raison ; dit comme ça, tout semble aussi doux que la finalité réjouissante. « C’est justement la partie tomber amoureux qui me faisait peur. » Il est un amoureux de l’amour, ses craintes ne sont pas les mêmes que celles de Scarlett : ce n’est pas le fait de tomber amoureux qui lui fait peur, c’est justement la crainte de ne pas arriver à le faire. « J’avais peur qu’on s’installe dans une routine en pensant juste à Robin et qu’on se retrouve comme des… amis. En colocation. » Il n’a jamais cessé d’aimer Rory, mais c’est bien cette peur-là qui lui rongeait le ventre à l’idée de devoir réappendre à vivre à ses côtés. Et si ce nouvel apprentissage menait à une finalité différente ? Et s’il se disait que finalement, après neuf ans, ils ont fait le tour et n’ont plus rien à se dire, plus rien à vivre ensemble ? L’idée est d’autant plus douloureuse qu’il s’imaginait agrandir leur famille il y a à peine six mois de ça - et que c’est bien là ce qui a mis le feu aux poudres. « Regarde, on s’est retrouvés, nous deux. » Ils se sont aimaient - il vient d’apprendre le fait mais ne risque pas de l’oublier - et pourtant aucune ambiguïté ne règne aujourd’hui. Bien plus de temps s’est écoulé, c’est vrai, mais tout de même. Perdre ses sentiments est une idée qui le terrifie, surtout pour lui qui aime tant passer outre les vagues du chaos et préfère encore se noyer plutôt que d’affronter la tempête. « Et ça vous permet de vous redécouvrir physiquement. Peut-être que vos goûts ont changé, sexuellement, et que vous n’en avez jamais parlé, que vous étiez pris dans une routine. C’est l’occasion d’explorer, de remettre des étincelles. Regarde, tu serais pas aussi heureux ce soir sinon, non ? Ou alors t’as vraiment cette tête à chaque fois que vous consumez votre mariage ? » Il répond avec humour à cette dernière boutade, bien au fait que Scarlett essaie de le rassurer et non de le pousser dans ses retranchements. S’il n’avait pas eu le droit à une version plus complète de son histoire, peut-être même qu’il aurait osé un “tu aurais pu le savoir à l’époque, si on avait…” qu’il juge pourtant particulièrement malvenu sur l’instant. « Non, tu as raison. » Sur ce point, il ne nie rien. « L’arrivée d’un enfant change beaucoup la donne. » Se retrouver et en discuter serait assurément une bonne chose pour eux, mais il reste à peu près certain que cela aurait pu arriver sans qu’ils se quittent en chaos et fracas. Il n'y a pas eu que l'arrivée de Robin, il y a aussi eu la non-arrivée d'un autre enfant pour changer la donne et rebattre les cartes.

Il inspire une seconde, penche légèrement sa tête l'instant suivant pour observer Scarlett et se désintéresser brièvement de son repas. « Tu penses souvent à ça ? Je sais pas, la place du sexe dans une relation ? » Il ne parle même pas d'une relation de couple. Tout ce sur quoi il s'interroge, ce sont les mots posés et réfléchis d'une adulte qu'il n'avait pourtant que très peu entendu débattre sur le sujet. Elle est bien loin de la gamine qu'il avait connu à l'époque, et sans doute cherche-t-il à comprendre son évolution.

« Tu me l’as jamais dit. » La voix de Swann est basse, mal assurée, et le coeur de Scarlett s’effrite. Oh, non, vraiment ? Il en doutait ? Elle est donc si incapable d’aimer correctement les gens que la seule personne qui a eu ses faveurs romantiques ne le sait pas, et se raconte une autre histoire depuis quinze ans. Elle ressent une profonde tristesse, une sorte de fatigue qui lui tombe sur les épaules - quel gâchis, se dit-elle, quelle idiote. « Tu ne me l’as jamais dit non plus », elle fait remarquer. « Alors que… » Elle marque une pause, sent une décharge dans le bas de son dos, une pointe d’angoisse. « Enfin, je me suis peut-être trompée ? » Elle dit d’un ton qui se veut piquant, léger, au lieu de dire dire la vérité : j’ai construit toute ma vie avec une seule croyance positive, celle que quelqu’un comme toi pouvait m’aimer, et si je perds cette certitude, je ne sais pas ce qu’il me reste et je pourrais en pleurer au-dessus de ce risotto stupide.

Et comment n’a-t-il pas pu comprendre, lui ? Etait-elle si distance et cryptique ? Elle est pourtant habituellement fière d’être mystérieuse, mais cette fois-ci, elle se sent surtout honteuse. « Non, je pensais simplement que tu m’aimais bien, comme on aime le fils du voisin qui perd toujours son ballon de l’autre côté de la grille du jardin. » Je t’aimais avec la force d’un ouragan, elle pense, mais ne le dira pas ; c’est trop, même pour sa volonté d’être honnête et de réparer cette incompréhension vieille de quinze ans. « Et que c’était sans doute aussi pour ça que ça avait jamais été plus loin. » Elle secoue la tête. C’est l’opposé de ce qu’elle a ressenti - plus elle l’aimait, moins elle pouvait le toucher. « Mais alors mes charmes avaient parfaitement fonctionné, hm ? » « Un peu trop, même », elle réplique, sourire aux lèvres. Est-ce qu’il en doutait sincèrement ? Il était l’adolescent cool, un peu plus âgé, stable et sain malgré leurs vies qui vrillaient. C’est lui qui venait la chercher quand elle fuguait, lui qui était le mec mignon sur lequel les filles de la classe crushaient. « Tu me plaisais énormément, Swann. J’écoutais des chansons de Taylor Swift en pensant à toi en souriant comme une niaise. » Ce n’est pas une exagération : encore aujourd’hui, elle ne peut pas écouter certaines paroles sans avoir un sourire amusé de son emballement d’adolescente, parce qu’elle se souvient d’avoir écouté en boucle la chanson Fearless jusqu’à en avoir la migraine. « Et j’ai quand même le souvenir de quelques makeout session qui n’avaient rien de chaste », elle fait remarquer, retenant un rire, parce que c’est étrange de parler de ça là, chose qu’ils ne faisaient même pas à l’époque. Elle a des images étranges, lointaines, Swann allongé, elle sur lui, ses mains sur son torse, avides, lui qui caresse ses cheveux avec un peu trop ferveur, elle qui embrasse le creux de son cou. Ils étaient deux adolescents bourrés d’hormones, même si c’était compliqué pour une myriade de raison - Scarlett se demande si les cicatrices sur les poignets de Swann en faisaient déjà parties, mais elle ne veut pas demander. « Mais… plus tu acceptais mon non et plus je te faisais confiance et plus j’avais peur. C’était un cercle vicieux. Et je me disais que si on couchait ensemble et que ça se passait mal, que ça me rappelait d’autres chose, je… Ça serait la preuve que je ne pourrais jamais partager ça avec quelqu’un de bien. » Elle a couché avec des gens biens, depuis, mais aucun qu’elle n’a aimé. Elle n’a jamais eu à tester sa théorie, ne s’est jamais laissée être vulnérable au lit, toujours dans un contrôle parfait, qui tend vers une certaine domination, parce qu’au moins, elle est sûre d’avoir le dessus. « T’es trop bien pour moi, et même à 15 ans, je le savais. C’était difficile d’accepter ton amour en sachant que tu méritais mieux. » C’est pour ça qu’elle avait préféré tout arrêter, elle n’avait pas les épaules, il voulait la sauver et elle voulait se sauver, littéralement : partir, le plus loin, ne dépendre de personne, d’aucune attache, être inatteignable. Elle se demande souvent ce que serait sa vie si elle avait accepté qu’on l’aime. Si elle avait accepté d'aimer.

Swann, lui, a réussi, il a rencontré Rory, a pansé ses plaies. Il est marié. C’était sûr, des deux, c’était lui qui serait l’heureux en amour. L’heureux en tout. « C’est justement la partie tomber amoureux qui me faisait peur. » Elle plisse les yeux, intriguée. « J’avais peur qu’on s’installe dans une routine en pensant juste à Robin et qu’on se retrouve comme des… amis. En colocation. » Aaaah, oui. Elle hoche la tête. « C’est vrai que c’est un risque dans beaucoup de mariage. C’est tout un travail pour maintenir l’étincelle, je suppose. » C’est ce qu’elle a observé autour d’elle, dans son boulot. Elle pourrait plaisanter et dire à Swann qu’il suffit d’un petit scandale de tromperie pour ramener un peu de piquant dans une relation, mais elle se doute que ça ne le fera pas rire. « Regarde, on s’est retrouvés, nous deux. » Elle réfléchit à ce qu’il sous-entend, se demande si c’est vraiment comparable. Oui, on peut aimer quelqu’un de mille façons, et les choses peuvent changer. « Certes, et il n’y a plus rien de romantique, mais… » Elle marque une pause, réfléchit à ses mots. « Qui dit qu’on aurait pas pu s’aimer à nouveau si le contexte avait été différent ? » L’idée lui arrache un petit rire, parce que ça parait improbable aujourd’hui.

Elle se mêle de leur vie sexuelle, et c’est étonnant, mais amusant à la fois, une drôle de conversation où ils prennent leur aise petit à petit. « Non, tu as raison. L’arrivée d’un enfant change beaucoup la donne. » Cela vient tout compliqué, effectivement. « Les gens arrêtent de se désirer pendant des périodes, puis ça peut revenir, ou jamais, tout comme ils peuvent arrêter de s’aimer et retomber amoureux pour mille raisons, on a aucune garantie quand on parle de sentiments. Je ne te le souhaite vraiment pas, mais peut-être qu’un jour tu n’aimeras plus romantiquement Rory, c’est des choses qui arrivent. » Elle sait qu’elle ne va pas du tout là où le souhaite, mais elle est comme ça, un peu trop directe. « Mais t’as pleins d’amour à revendre, lui aussi, vous faites une bonne équipe. Laissez-vous le temps. » Elle se sent un peu bizarre d’être une grande sage, alors qu’elle est aussi catastrophique en romance : mais elle est une bonne observatrice, elle a vu des relations autour d’elle, elle a lu trop de livres, elle peut au moins partager ce qu’elle en a conclu.

Le risotto refroidit, et Scarlett mange à peine, trop tournée vers la conversation. « Tu penses souvent à ça ? Je sais pas, la place du sexe dans une relation ? » Elle en aurait presque un rire. Si Swann savait, pense-t-elle.  Que s’imagine-t-il de sa vie amoureuse à elle ? Il l’a toujours bien cernée, elle est persuadée qu’il se doute que ce n’est toujours pas son point fort. « Je suis plus sexe que relation, alors je n’ai pas l’occasion de penser vraiment à ça », elle commence. « Je préfère quand le sexe est la relation. » Voilà, c’est un bon résumé, et elle n’en est pas gênée, elle hausse les épaules. Elle aime le sexe, elle ne s’intéresse pas à l’amour, et elle s’en porte très bien. « Mais je vois bien que c’est une grande question autour de moi. Les problématiques de désir, de garder la flamme, de rester fidèle… » Elle pense à Ruben et toutes ses aventures, et se dit qu’à sa place, elle en serait déjà bien fatiguée. « J’ai l’impression que le monde se porterait mieux si tout le monde pouvait détacher le sexe des sentiments et que la plupart des couples étaient non-exclusifs, d’ailleurs. » Elle sait qu’encore une fois, elle va à l’opposé de Swann sur ce point-là, mais elle est prête à débattre, assumant sa position sans honte. « Mais je sais que je ne prêche pas à la bonne paroisse, là », elle taquine avec un sourire affectueux.


@Swann Craine

Apprendre que Scarlett a pu avoir des sentiments pour lui est une véritable nouvelle dont il ne cherche pas à lui cacher la surprise. Ils se montrent plus transparents que jamais au cours de cette discussion, il ne se voit pas changer la donne maintenant à cause d’une question d’ego, ou de Dieu sait quoi. « Tu ne me l’as jamais dit non plus » Certes, mais... elle a bien vu comment il la regardait à chacune de leurs rencontres, non ? Elle a bien vu qu’il aurait été prêt à tout pour elle, non ? Il ne lui a jamais dit pour ne pas la mettre mal à l’aise, en réalité, mais il n’en pensait pas moins. « Alors que… Enfin, je me suis peut-être trompée ? » Malgré le ton qu’elle tente d’y accrocher pour ne pas paraître faible ou pathétique, il comprend bien la crainte qui l’anime soudainement. « Non, tu t’es pas trompée. » Le temps est révolu, les sentiments aussi, mais l’époque était au moins belle parce que le temps passé auprès de Scarlett l’était. « Et j’ai quand même le souvenir de quelques makeout session qui n’avaient rien de chaste » Ce n’est pas la seule chose à laquelle il pensait quand il disait “aller plus loin” mais la propension de Scarlett à lui rappeler ces moments vécu le faire rire un instant. Il n’en a pas honte, il n’a pas envie de s’enterrer six pieds sous terre à se souvenir de ces moments. A l’époque, ils en avaient le droit. « Je le nie pas. » Il assure dans un sourire, sans chercher à se remémorer de trop des souvenirs qui lui semblent être malvenus aujourd’hui : ils ne sont plus ensemble et lui est avec un autre. « Mais… plus tu acceptais mon non et plus je te faisais confiance et plus j’avais peur. C’était un cercle vicieux. Et je me disais que si on couchait ensemble et que ça se passait mal, que ça me rappelait d’autres chose, je… Ça serait la preuve que je ne pourrais jamais partager ça avec quelqu’un de bien. » Plus ses explications s’affinent et plus il s’en veut de tout avoir compris de travers à l’époque, d’avoir pensé faire au mieux en acceptant ses limites et surtout en ne parlant jamais ô grand jamais du sujet. Il la pensait timide, il ne la pensait pas encore prête, il ne pensait pas être sa bonne personne ; et tout était ok, pour lui. Tout faisait du sens, tout expliquait son refus. « T’es trop bien pour moi, et même à 15 ans, je le savais. C’était difficile d’accepter ton amour en sachant que tu méritais mieux. » Les mouvements de sa tête marquent son désaccord avec sa conclusion. « Je suis pas trop bien pour toi. » Ni au présent, ni au passé. Ni lui, ni personne d’autre. Elle ne devrait pas avoir à en douter. « Et oui, je pense que Rory est ma bonne personne, pour autant je pense pas qu’on aurait pas pu faire fonctionner notre couple dans la durée si on avait réussi à mieux communiquer. » La faute n’est rejetée sur personne en particulier, il tente d’apprendre de leurs erreurs communes. Il n’y a pas de couple à réparer, mais ils peuvent au moins prendre les meilleures notes possibles pour leur amitié qui subsiste malgré des incompréhensions tenaces. « C’est pas une question de bonne personne. C’est qu’on était des gamins et qu’on a opté pour la solution qui méritait le moins d’en discuter. » Parce que c’était plus simple de dire “c’est terminé” plutôt que de demander “qu’est-ce qui ne va pas ?”. « Certes, et il n’y a plus rien de romantique, mais… Qui dit qu’on aurait pas pu s’aimer à nouveau si le contexte avait été différent ? » Elle en rigole, il en fait de même. Ils auraient sûrement pu. Scarlett est une belle femme. Elle est aussi une belle épine dans le pied lorsqu’elle s’y met, mais peut-être qu’il aurait apprécié un couple dans lequel le ton monte parfois, sans jamais que ce soit pour humilier l’autre ou avoir l’ascendant. Peut-être. Il est heureux de savoir que cela restera au statut d’hypothèse, parce que son couple actuel est la seule chose qui puisse animer son coeur.

Rien qui ne l’empêche de se livrer au sujet des problèmes rencontrés dans son mariage, cependant. Il écoute Scarlett livrer son expertise, éternellement étonné de son attitude particulièrement posée et réfléchie sur le sujet. « Je ne te le souhaite vraiment pas, mais peut-être qu’un jour tu n’aimeras plus romantiquement Rory, c’est des choses qui arrivent. » Il ne le souhaite pas, vraiment pas, et cela ressemble à son pire cauchemar. Il a construit sa vie autour de lui et il a surtout construit son équilibre autour de Rory et de son amour pour lui. Sans ça, il a peur de ce qui pourrait advenir. « Mais t’as pleins d’amour à revendre, lui aussi, vous faites une bonne équipe. Laissez-vous le temps. » Cette conclusion est préférable, ce n’est qu’après celle-ci qu’il hoche la tête et marque son consentement, la mine attristée.

Il préfère amener le sujet vers Scarlett plutôt de son couple dont ils n’ont de cesse de pointer les failles. « Je suis plus sexe que relation, alors je n’ai pas l’occasion de penser vraiment à ça » S’il s’amuse de la façon dont elle explique les faits, il n’est pas étonné pour autant. « Je préfère quand le sexe est la relation. » Mais le sexe n’est pas une relation. Le sexe est du sexe ; temporaire, parfois anonyme, parfois bon et parfois mauvais. Seulement du sexe. Ils ont un avis différent sur le sujet, ce n’est pas nouveau, ce n’est sans doute pas prêt de changer non plus. « J’ai l’impression que le monde se porterait mieux si tout le monde pouvait détacher le sexe des sentiments et que la plupart des couples étaient non-exclusifs, d’ailleurs. » Une idée qu’il peut comprendre, mais qu’il ne risquerait pas de vouloir pour son couple. Swann n’est pas du genre jaloux parce qu’il n’a jamais eu de raison de l’être, mais il le deviendrait sans doute s’il savait Rory avec d’autres hommes ou femmes dans un cadre du genre. « Mais je sais que je ne prêche pas à la bonne paroisse, là » Elle rigole avec lui mais il répond avec sérieux. « J’ai connu ça, surtout à l’université. Le sexe pour le sexe, rien de plus. » Parce que c’est ce que tout le monde fait à l’université, parce que c’est ce qu’il avait besoin de faire pour rester fondu dans la masse ; parce qu’il était aussi le meilleur ami d’Arthur et que ce dernier cherchait toujours à le pousser en ce sens. Il a arrêté ce jeu-là uniquement une fois arrivé en Australie, en réalité, parce que c’est à cette période là qu’il a rencontré Rory et que l’idée de sexe pour sexe a fini par lui sembler parfaitement insensée et inutile. « Je pense que tu confonds les deux. » Il ne la juge pas pour ça, il apporte simplement son propre avis à la discussion, érigé avec ses propres idées et expériences. « Détacher le sexe des sentiments c’est ok pour des inconnus. » Ou de vagues connaissances, pourquoi pas. « Mais dans un couple, le sexe est le sentiment. » Et il y a des exceptions, il y en a qui ne couchent pas ensemble, il y en a qui ne le veulent pas, il y en a qui ne le veulent pas. Il sait. Scarlett sait aussi. Son discours est général, très général. Ils ne mènent pas une analyse. « Et les sentiments sont la relation. » Parce que sur ça, au moins, ils devraient s’entendre : aucune relation n’existe sans sentiments.

Elle ne saurait même pas expliquer comment elle a su que Swann l’aimait, sans qu’il lui dise, et pourtant ça a été une certitude, une à laquelle elle se raccroche encore aujourd’hui. Alors quand la conversation dérive sur ce sujet, Scarlett essaie de garder la tête haute et de ne pas avoir l’air d’accorder trop d’importance à la réponse de Swann, comme s’ils riaient ensemble d’une amourette d’adolescent. Il n’en est rien, évidemment. « Non, tu t’es pas trompée. » Et malgré elle, Scarlett sent qu’elle sourit, un vrai sourire qui lui tire les joues et l’oblige à baisser les yeux. D’accord, pense-t-elle. Elle inspire. Le sentiment de soulagement est tiède dans ses poumons, comme des rayons de soleil en été.

Même si au fond, tout ça ne change rien au vrai problème de leur relation de l’époque, et d’encore aujourd’hui si Swann était honnête : ils sont différents, notamment dans leur douceur, leur gentillesse, et si Scarlett est fière de qui elle est, aujourd’hui, et qu’elle passe la plupart de son temps à moquer les vrais gentils, elle admire Swann pour qui il est, une catégorie de personne rare à rencontrer : il est quelqu’un de bien, profondément, parce que ça fait bien pour une couverture de magazine ou un gala. Il est une bonne personne. Pas Scarlett. « Je suis pas trop bien pour toi. » Elle secoue la tête pour repousser la remarque. « Et oui, je pense que Rory est ma bonne personne, pour autant je pense pas qu’on aurait pas pu faire fonctionner notre couple dans la durée si on avait réussi à mieux communiquer. » Elle se demande à quel point il y croit, ou s’il veut juste être gentil avec elle, comme il a toujours fait. « C’est pas une question de bonne personne. C’est qu’on était des gamins et qu’on a opté pour la solution qui méritait le moins d’en discuter. » « Ce n’est pas qu’une histoire de communication. C’est être à la hauteur de ta générosité émotionnelle. Je n’aurais pas pu te donner ça. » Parce qu’elle est trop fermée, que ça ne l’intéresse pas, elle se dit, ou que ça lui fait peur, si elle était honnête. Encore aujourd’hui, elle ne pense pas pouvoir donner cela dans leur amitié, ne le voit-il pas ?

C’est bien pour ça qu’elle préfère les histoires sans attaches. Histoire est même un bien grand mot pour ce qu’elle partage avec les gens : ça reste charnel, jamais exclusif, et le contact est coupé dès que Scarlett sent poindre chez l’autre les moindres sentiments. Elle n’arrive jamais à s’attacher, elle, n’en voit pas l’intérêt. « J’ai connu ça, surtout à l’université. Le sexe pour le sexe, rien de plus. » Elle plisse les yeux, curieuse. « Swann, bourreau des coeurs de la fac. J’aurais bien aimé voir ça », elle plaisante, mais en vérité, elle ne doute pas un seul instant du succès qu’a pu avoir le jeune homme. Il est mignon, et probablement le genre d’amant à l’écoute, qui savait rassurer l’autre personne dans son lit - utile pour la plupart des jeunes adultes qui se lancent dans la sexualité sans savoir où mettre les pieds.

« Je pense que tu confonds les deux. » Elle fait un signe du menton, l’air de dire : vas-y, je t’écoute. « Détacher le sexe des sentiments c’est ok pour des inconnus. » Elle n’est pas sûre de saisir où il veut en venir. « Mais dans un couple, le sexe est le sentiment. » Scarlett n’a jamais vu le sexe comme un sentiment. Plutôt comme un jeu, une transaction, une bataille, un hobby. Une blessure, parfois - même si elle n’a jamais considéré que son agression relevait du sexe - parce qu’on ne frappe pas quelqu’un avec un balai en disant faire le ménage. « Et les sentiments sont la relation. » Elle ne répond pas tout de suite, s’autorise à réfléchir. A vrai dire, ils commencent à glisser sur un terrain où elle ne peut parler qu’en hypothèse. « Et tu trouves ça mieux, vraiment ? » Elle demande, plus curieuse qu’elle ne voudrait. « Je veux dire, le sexe comme sentiment. » Elle essaie de résumer à nouveau sa pensée. « J’ai plutôt l’impression que ça vient compliqué les choses, polluer le côté simple, amusant et physique. » Elle hausse les épaules. « J’ai l’impression que je passe un meilleur moment sans tous les enjeux émotionnels. »


@Swann Craine