mai 2023, St-Vincent's

Elle se sent comme une harceleuse, Leslie, et elle déteste ça. Elle trépigne d’impatience dans la salle d’attente des chirurgiens. La porte du bureau de Jill semble être fermée depuis des heures alors qu’elle n'attend que depuis dix minutes. Elles se sont croisées dans les couloirs la semaine passée. On se parle plus tard qu’elle lui à répondu, et Leslie n'a pas su cacher son agacement cette fois. Plus tard, elle ne peut pas. Plus tard, elle ne sera plus là. Ces messages sont restés sans réponse pendant deux jours jusqu'à ce qu’elle s’excuse, elle est occupée. Alors, on en est là. Leslie qui surveille la porte de son bureau, prête à s'introduire quand son patient en sortira. Entre elles, c'est Jillian qui mène la danse. Parfois oui, d'autres fois non, mais elle revient toujours. Leslie a toujours respecté ses désirs sans forcément les comprendre. Les retours sont tellement délicieux que parfois, elle s’impatiente qu’elles remettent une distance entre elles. Elles ne sont pas un couple, ne sont pas intéressées à l'être non plus. C'est léger, sans prise de tête, une attirance à l'état pure. Jill, elle a ce charisme qui rend dingue, qui rend accro, celui que personne ne peut résister, qu’on ne peut rien lui refuser. Elle est sexy et intelligente. La Cohen tente encore de lui trouver des défauts, mais honnêtement, elle n’en voit aucun. Trop beau pour être vrai ? Oui, sans doute. Leslie adore travailler avec elle. Elle pourrait passer des heures seulement à la regarder faire. Elle n'est pas la seule d'ailleurs à zieuter subtilement sa silhouette de dos. Elle est le fantasme numéro un de tous les internes, mais c'est Leslie qui a la chance de partager ses draps, et elle a envie d’espérer qu’elle puisse le faire encore une dernière fois. Avec ses deux filles à temps plein pour la semaine entière, ça risque d'être compliqué. Elle peut se satisfaire d'un baiser d'adieu langoureux. Leslie redresse la tête lorsqu’elle entend une porte s’ouvrir. Elle ne perd pas de temps pour se lever de sa chaise, faire quelques pas doucement le temps de laisser un père et sa fille quitter la pièce. « Vous êtes difficile à rejoindre Dre. Monroe. » qu’elle débute lorsqu’elle apparaît dans le cadre de la porte. Un sourire en coin, charmeur, ne tarde pas à s'immiscer sur ses lèvres. Leslie n'attend même pas d'être invité - ou rejeté. Elle franchit la porte et referme derrière elle. « Tu m’accordes deux minutes ? » qu’elle lui demande aussitôt. Maintenant qu’elle est là, ce n'est pas comme si elle lui laissait vraiment le choix. Et puis, Leslie ne compte pas passer par quatre chemins. Elle sait que son temps est précieux. Surtout entre ses quatre murs. Elle ne peut pas quitter Brisbane sans dire au revoir à sa belle. « C'est important. » qu’elle précise par la suite, au cas où elle aurait une autre défaite pour repousser cette conversation à plus tard. Encore. Elle ne serait pas là à insister autant pour la voir si ce n'était pas important. Ce l'est pour Leslie. Est-ce que ce le sera pour Jillian également ou si ça lui sera complètement égal ?

@jillian monroe

Les journées s’enchaînent et se ressemblent à peu près toutes. Les distractions ne sont que de courte durée, au gré de mes envies et de mon humeur du moment. La période est mal choisie, et comme toujours à ce moment de l’année, j’ai tendance à me recroqueviller dans ma coquille et éviter d’être trop en contact avec le monde extérieur. Il n’y a que mes enfants qui arrivent un peu à me faire oublier la date anniversaire de la mort de l’amour de ma vie. C’était il y a trente ans. Trente ans et quelques jours. Quatre pour être très exacte. Alors pour ne pas ressasser le passé, j’ai choisi de travailler davantage, trouver une raison d’être fatiguée pour quelque chose qui a du sens, et ne rentrer chez moi que pour dormir. Fort heureusement, je n’ai pas vécu de souvenir avec elle dans cette maison, je crois que si ça avait été le cas, j’aurai fini par m’en séparer pour éviter d’y repenser sans cesse. Son souvenir est déjà bien assez présent.

J’enchaîne les rendez-vous patients, qu’il s’agisse d’opérations à venir, de suivis ou de simples examens de contrôles, c’est une journée que je passe dans mon bureau, à voir défiler les patients un à un. Pas les journées que je préfère pour être honnête, mais ça fait partie aussi du métier que j’ai choisi. Je finis par raccompagner mes derniers patients jusqu'à la porte de mon bureau, prête à prendre une pause méritée, lorsque Leslie se faufile sans même demander la permission. « Vous êtes difficile à rejoindre Dre. Monroe. » La main toujours sur la poignée, je suis désormais dos à elle et lâche un soupir pour moi-même. « Tu m’accordes deux minutes ? » Est-ce que j’ai vraiment le choix ? Je referme alors la porte et me tourne enfin vers elle, son sourire charmeur cherchant à me faire fondre. Elle a quelque chose à me demander, de toute évidence. Depuis plusieurs semaines, je mets volontairement une distance entre nous, parce que je ne suis pas dans une phase de vie où j’estime être de bonne compagnie. Ça a toujours fonctionné de cette manière entre nous, du ‘in and out’, sans trop de prise de tête. Comme toute relation humaine où les sentiments entrent en ligne de compte, il y a forcément des moments moins légers que d’autres, mais nous n’avons jamais cherché à officialiser quoi que ce soit. De toute façon, je suis mariée. Et à cette simple pensée, voilà déjà mon pouce qui fait rouler l’anneau autour de mon annulaire gauche. « C'est important. » « Qu’est-ce que tu veux ? » que je lui demande un peu abruptement, avant de me rendre compte de mon comportement. Je soupire à nouveau et la contourne pour aller m’asseoir derrière mon bureau, déposant mes lunettes sur ce dernier avant de me masser l’arrête du nez. « Ecoute, je suis désolée d’avoir mis autant de distance, c’est vraiment pas contre toi je te jure, mais c’est… » Je relève les yeux vers elle et remarque qu’elle est toujours là, debout, plantée au milieu de mon bureau, et c’est à cet instant que je commence à m’inquiéter. « Leslie, tout va bien ? » Je me lève à nouveau et réduis la distance qui nous séparait. Je n’aime pas trop ce que je lis dans son regard…

« Qu’est-ce que tu veux ? » Ambiance. La ton de sa voix est sèche. Leslie n'a aucune difficulté à comprendre qu’elle vient de briser une règle non écrite entre elles : celle où elle doit la laisser tranquille quand elle l’exige. Leslie ne le regrette quand même pas, peu importe comment se termine cette conversation. « Sympa le comité d'accueil. » Elle ne peut s’empêcher de lui en faire le commentaire. Jill pourrait quand même au moins attendre de voir ce qu’elle lui veut avant de tomber sur la défensive, sur l’offensive même. Elle la voit soupirer, s’attendre à une conversation qu’elle n'a pas envie d’avoir. Elle ne peut sans doute pas lui en vouloir. Leslie préfère également se sauver des conflits lorsqu’elle le peut. Sauf que, là maintenant, c'est pas ça. Il n’y aura aucun conflit. Leslie balance ce qu'elle a à dire et elle s’en va aussitôt que c'est fait si c'est ce que Jillian souhaite. Elle a bien des défauts la brune, mais celui de ne pas respecter les limites de l’autre n’en fait pas partie. Elle suit Jillian du regard alors qu’elle va s’installer derrière son bureau. Elle regarde pendant un instant la chaise qui lui fait face. Elle pense à s'y asseoir avant de changer d'avis. Bien trop impersonnel. Elle ne prendra certainement pas la place d'un patient. Bon, rester debout au milieu de la pièce n'est sûrement pas mieux. « Ecoute, je suis désolée d’avoir mis autant de distance, c’est vraiment pas contre toi je te jure, mais c’est… » Oh pitié, qu’elle garde sa salive pour elle. Ça lui demande un effort surhumain pour ne pas lever les yeux au ciel. Qu’elle ne lui sorte pas le c’est pas toi, c'est moi, Leslie ose espérer qu’elle vaut mieux que ça. Jill ne termine toutefois jamais sa phrase, lorsque son regard vient trouver le sien, elle peut lire l’inquiétude dans son visage. Elle se relève debout pour franchir les quelques pas qui les séparent. La brune se surprend à frissonner à la simple idée qu’elle instaure un contact entre eux, mais non, rien ne vient. « Leslie, tout va bien ? » qu’elle lui demande plutôt. Elle ne sait pas trop quelle tête elle a en ce moment, mais visiblement, elle n’a rien de rassurante. « Oui, oui, tout va bien. » qu’elle lui dit toutefois. Ce qui n'est pas tout-à-fait faux. Elle n'est pas là pour annoncer une si mauvaise nouvelle. « J’suis pas là pour t’embêter avec ça. » qu’elle précise par la suite. Non, elle n'est pas là pour parler de leur relation où pour changer quoique ce soit entre elles non plus. Alors son petit discours de tout à l'heure, elle n'aura pas à le poursuivre. Voilà qui devrait déjà la soulager. « J’pars en mission humanitaire dans cinq jours. » qu’elle lance du tac au tac. Pourquoi passer par quatre chemins ? Ça n’a jamais été son genre de toute façon. Sa décision doit lui sembler impulsive et, oui, elle l'est un peu. Leslie s'est décidé deux semaines avant le départ. Elle a bien essayé de lui dire avant, mais Jill ne lui a pas particulièrement facilité la tâche. « J’avais pas envie de partir sans te dire au revoir. » qu’elle ajoute en laissant un sourire en coin se glisser sur ses lèvres. Timidement, elle vient chercher le bout de ses doigts des siens. Elle cherche un contact sans trop savoir si elle risque de se faire repousser ou non. Elles peuvent bien faire une trêve de cette distance dans de telles conditions, non ?

« Sympa le comité d’accueil. » Ok, je sais. Je sais que je ne suis pas la meilleure compagnie qui soit en cette période. Je sais aussi que depuis toutes les années que nous nous connaissons, j’aurai pu lui parler de Loïs, de cette partie de moi rompue à jamais, et qui refait surface à cette partie de l’année. Je soupire un peu et continue de mettre de la distance, jusqu’à ce que mon intuition ne me fasse comprendre que quelque chose cloche. Que ce n’est pas juste son égo qui est blessé que je ne lui donne pas l’attention qu’elle mérite. Non. Il y a autre chose. Alors un peu plus précipitamment, je me rapproche d’elle pour sonder son regard, qu’elle me rassure qu’il n’y a rien de grave. « Oui, oui, tout va bien. » Vraiment ? Alors pourquoi cette attitude ? Pourquoi cette tête ? Je tente de sonder son regard maintenant que je suis plus près d’elle, à quelques dizaines de centimètres à peine. « J’suis pas là pour t’embêter avec ça. » Cette fois, mes sourcils sont froncés. De quoi parle-t-elle. ‘Ça’ quoi ? La distance que j’ai mise entre nous depuis quelques semaines ? C’est de ‘ça’ dont il ne s’agit pas ? Je suis en train de perdre patience, ce qui ne me ressemble pas vraiment, mais elle joue avec mes nerfs. « J’pars en mission humanitaire dans cinq jours. » Je ne l’ai pas vue venir. « Quoi ? » Je n’ai jamais connue Leslie comme étant le genre de personne à tourner autour du pot. Elle y va franchement, prend la vie à bras le corps, et je l’admire beaucoup pour ça. « J’avais pas envie de partir sans te dire au revoir. » Cette fois mon coeur se serre. Parce qu’on pourra penser tout ce qu’on veut, que cette relation n’a ni queue ni tête, il n’en reste pas moins beaucoup d’affection entre nous, et une sorte d’habitude aussi, malgré tout. « Cinq jours ? » Je ne peux m’empêcher de me repasser le film de ces dernières semaines, enfermée dans une bulle ternie par le souvenir de la femme que j’aime et qui n’est plus. Je sens le contact du bout de ses doigts qui semblent venir chercher les miens, presque un peu timidement. Je reprends contact avec cette réalité, et la regarde d’un air désolé. Parce que je le suis vraiment, d’avoir mis cette distance alors qu’on aurait pu profiter dignement des quelques jours qu’il nous reste avant son départ.

Je tente un faible sourire. « C’est un beau projet. » Même si je n’ai pas souvenir qu’elle m’ait parlé d’une telle chose récemment. Je penche la tête sur le côté, laissant mon regard sonder ses traits, ses expressions. « Tu pars combien de temps ? » Mes doigts ont retrouvé le contact des siens en douceur, comme réchauffés d’une récente hypothermie. Peut-être que ça me brûle un peu, mais c’est pour mon bien, je crois. De ma main libre, je viens replacer une mèche de cheveux derrière son oreille. J’ai du mal à croire que je ne vais plus la croiser dans les couloirs, dans ce bureau ou n’importe où à l’hôpital pendant un temps plus ou moins défini, et plus ou moins long…

. « Quoi ? » L’effet de surprise est plus que réussi. JIllian semble même un peu déstabilisé par la nouvelle et ce serait mentir de dire que ça ne fait pas plaisir à Leslie. Ce n’est pas qu’elle en doutait vraiment, mais sa réaction lui confirme qu’entre elles, ce n’était qu’une nouvelle pause, que ça allait finir par reprendre comme toujours. Parce que oui, à chaque fois qu’elle prend du recul, Leslie se demande si c’est la dernière fois, si cette fois-ci elle ne va pas tourner la page sur leur histoire. Elle ne lui en voudrait pas de le faire. Elle ne le comprendrait pas, mais elle ne lui en voudrait pas. Après tout, elles ne se sont rien promis. Relation sérieuse ou pas, après un certain temps, les émotions viennent s’en mêler. De l’affection, elle en a beaucoup pour Jillian. Ce n’est pas de l’amour, rien de ça, mais elle apprécie sa présence, oui. Elle a hâte de la retrouver. Elle occupe une majeure partie de ses pensées. Ce n’est pas tous les jours qu’on rencontre une personne sur la même longueur d’onde. Peut-être que dans une autre vie, elle en serait folle dingue, mais ce n’est pas dans cette vie là qu’elles sont. C’est si clair entre elles que ça n’ira jamais plus loin que Leslie ne s’est jamais réellement posé de question. « Cinq jours ? » qu’elle répète pour confirmer qu’elle a bien entendue. Elle hoche la tête pour lui confirmer. Oui, pas cinq semaines, encore moins des mois, des jours. Non, ce n’est pas une décision très réfléchis. C’est une décision stupide qu’on ne prend pas sur un coup de tête lorsqu’on a des enfants à charge, mais c’est du Leslie tout craché. Un côté d’elle qu’elle ne connaissait sûrement pas. Bah voilà, surprise. « J’ai essayé de te prévenir avant… » Elle n’aime pas l’impression que ça sonne comme un reproche. Au fond, Leslie n’est pas certaine que le fait que Jill ait eu l’information en main avant aujourd’hui aurait changé quoique ce soit. Peut-être que oui, elle n’en saura jamais rien. De toute façon, ça ne sert à rien de se poser la question. La brune tente une approche, sans trop savoir comment ce sera reçu. C’est bien la seule raison pour que son geste soit aussi hésitant. Elle est toujours sûr d’elle, Leslie, mais avec Jillian, parfois, elle ne sait pas trop sur quel pied danser. « C’est un beau projet. » qu’elle finit par lui dire en lui souriant pour la toute première fois depuis des semaines. Automatiquement, le sourire de Leslie revient à la charge. Il s'agrandit encore plus lorsqu’elle sent les doigts de la médecin accepter son contact. « Oui, je suis impatiente d’y être. » Impatiente au point de partir bien trop rapidement donc. Sans doute parce qu’elle sait qu’elle ne le ferait jamais si elle avait un délai plus long. Elle réussirait à se faire convaincre qu’elle est une mauvaise personne de s’en aller en laissant deux jeunes enfants derrière elle. Comme ça, elle le réalisera juste quand elle sera de retour à la maison. Ce qui est bien mieux pour sa conscience, évidemment. « Tu pars combien de temps ? » qu’elle demande par la suite. Son corps s’enflamme automatiquement au simple contact de ses doigts qui viennent glisser une mèche de cheveux derrière son oreille. C’était quoi la question déjà ? « Je sais pas. Quelques semaines. » Peut-être plus. Beaucoup plus, c’est la bonne réponse, mais ça, elle ne le sait pas encore. Elle ne sait pas encore combien ça la rendra heureuse d’être là-bas. Quelques semaines, ça passe mieux. Personne ne voudrait s’occuper de sa plus jeune si elle dirait l’abandonner une année entière. « Ça va dépendre de… pleins de choses. » qu’elle spécifie en haussant légèrement les épaules. De comment elle se plait là-bas, de comment ça se passe ici en son absence. Elle ne sait pas, ne veut même pas y réfléchir pour le moment. Tout ce qu’elle souhaite, c’est partir, essayer quelque chose de nouveau. « J’ai droit à un baiser d’adieu ? » qu’elle demande ensuite sur un ton presque innocent. Ses lèvres qui se pincent dans un air taquin n’ont rien de très innocents, non.

Evidemment que je suis surprise, comment ne pas l’être. Je n’ai pas vraiment la notion de temps en ce qui concerne notre ‘histoire’, je n’ai pas compté depuis combien de temps nous avons commencé à nous fréquenter, de manière plus ou moins fréquente d’ailleurs. Une relation discontinue qui nous convient très bien, sans vraiment d’attache ou en tout cas pas celles d’un couple à proprement parler. Nous vivons chacune notre vie, avec ce petit plus que nous nous octroyons de manière plus ou moins régulière. Il est évident qu’avec le temps, la connaissance de l’une et de l’autre, il est né une certaine affection, mais rien qui ne ressemble à une histoire d’amour conventionnelle. J’apprécie le temps passé avec elle, et l’inverse est tout aussi vrai, je crois. Mais nous ne nous sommes rien promis, pas d’attaches, juste la liberté d’aller et venir comme bon nous semble, mais toujours dans le respect de l’autre.

Je n’ai pas cherché à lui manquer de respect en me mettant en retrait ces dernières semaines, j’ai juste pris le temps de me renfermer sur moi-même pour traverser une période difficile émotionnellement. De toute manière, toutes mes pensées allaient vers Loïs et passer du temps avec Leslie m’aurait apparu comme de la tromperie envers la défunte femme de ma vie. « J’ai essayé de te prévenir avant… » Je soupire un peu, parce que même si ça ne sonne pas comme un reproche, je sens que c’en est un, ou en partie en tout cas. Il n’a jamais été question de se retenir de quoi que ce soit, et jamais je n’empêcherai quelqu’un de vivre une expérience pareille. Je suis heureuse pour elle, je sens que c’est un projet qui l’anime. Pourtant, une part de moi n’imagine pas sa vie sans une Leslie qui s’articule tout autour. Les passages de la jeune femme dans les parages, les oeillades plus ou moins discrètes, un frôlement de mains par-ci par-là… Quelques moyens de se redonner le sourire de temps en temps, lorsque nous vivons des journées assez plombantes ou fatigantes à cause de ce boulot. J’ai besoin de savoir combien de temps elle sera partie, pour me préparer à l’idée de ne plus la voir dans le coin. « Je sais pas. Quelques semaines. » Pour une action bénévole dans un pays dans le besoin, je doute que quelques semaines suffiront, et je sais d’expérience que quelques semaines pourraient sans mal devenir quelques mois. J’ignore si elle essaie de se convaincre elle-même ou si elle tente de rassurer son entourage, mais ça ne fonctionne pas avec moi. Pourtant, je me contente d’une esquisse de sourire. « Ça va dépendre de… pleins de choses. » Elle laisse ses enfants pendant un temps indéterminé, je ne sais pas si je l’admire ou si je trouve que c’est une mauvaise décision. Pourtant je n’en dis rien, je n’ai pas à juger. « J’ai droit à un baiser d’adieu ? » J’arque un sourcil en voyant sa petite moue, et ris un peu face à son air faussement innocent. « Adieu, j’espère bien que non. » Si elle pouvait rentrer en un seul morceau, ça m’arrangerait. Et puis, imaginer lui donner un ‘dernier baiser’ me donne froid dans le dos. Je n’ai jamais pensé à mettre fin à ce que nous avons construit, aussi déconstruit soit cette relation. « Est-ce que tu le mérites au moins ? » que je lui demande en m’approchant un peu plus d’elle, glissant ma main gauche dans le bas de son dos, pendant que ma main droite écarte une mèche de cheveux qui retombait sur son front. « Ne pars pas trop longtemps quand même… » Désormais dans son cou, ma main s’échoue dans sa nuque pour rapprocher son visage du mien, et je viens finalement presser mes lèvres sur les siennes pour lui offrir le baiser demandé. Baiser qui s’intensifie assez rapidement, comme à notre habitude. Je finis par y mettre un terme et pose mon front contre le sien, dans un silence. « Tu pars où ? Y’aura moyen de se joindre au moins ? Que j’ai des nouvelles de toi ? » Les missions humanitaires au bout du monde peuvent parfois s’avérer dangereuse, et je n’ai aucune envie de vivre un autre deuil, quel qu’il soit.

« Adieu, j’espère bien que non. » Un sourire amusé se glisse sur les lèvres de Leslie. Bien sûr que ce n’est pas un adieu à proprement parler. Ce n’est qu’un au revoir. La médecin va revenir. Quand ? Elle ne le sait pas. Elle a toujours fait ça, Leslie. Elle est toujours partie, et elle est aussi toujours revenue. Quelque chose qu’elle s’est privé de faire lorsqu’elle est devenue une mère et dont elle a souffert. Ce n’est pas ce que font les mères de toute façon ? Se sacrifier pour le bien-être de leurs enfants ? Il faut croire que les sacrifices de Leslie ont une date de péremption. Elle n’en peut plus de cette vie sédentaire qui la rend plus malheureuse qu’elle ne l’avouera jamais. « Est-ce que tu le mérites au moins ? » Cette fois, c’est un rire qui franchit ses lèvres. « Vu tous les efforts que j’ai mis pour l’avoir, je crois que c’est plus que mérité. » Pour tout dire, elle serait extrêmement déçue de ne pas y avoir droit, mais elle n’insistera pas si elle le lui refuse. Elle a toujours respecté les limites et les règles. Même quand ça la frustrait parfois. Elle n’a jamais rien dit. Elle a toujours laissé Jillian mener la danse. Et, au final, elle n’en a jamais véritablement été déçue. Peut-être que c’est Leslie aujourd’hui qui déçoit en mettant abruptement fin à leur relation dans un sens. Il peut se passer beaucoup de choses entre aujourd’hui et le moment où elle reviendra poser ses valises à Brisbane. L’une comme l’autre peuvent rencontrer quelqu’un d’autre. Que ce soit sérieux ou non, ça ne veut pas dire qu’elles auront encore leur place dans la vie de l’autre. Du moins, pas la même place qu’elles ont aujourd’hui. « Ne pars pas trop longtemps quand même… » - « C’est promis. » Règle numéro un : Leslie ne tient jamais ses promesses. Celle-ci ne fait pas exception à la règle même si elle est toujours remplie de bonnes intentions. Le corps de Leslie s’embrase à la seconde où les mains de Jill se posent respectivement contre sa nuque, puis dans le bas de son dos. C’est un regard rempli de désir qui va chercher celui de la brune. Les mains de Leslie viennent enrober son visage lorsque leurs lèvres se retrouvent. Le baiser ne reste pas sage bien longtemps. Il s’intensifie en une fraction de seconde. Elle ressent déjà le manque lorsqu’elle y met fin. Elle vient déposer son front contre le sien, mais tout ce dont Leslie pense, c’est qu’elle en veut plus. Elle n’est pas rassasiée. Ça lui a, au contraire, ouvert l’appétit. Ce n’est malheureusement pas l’endroit idéal pour se laisser aller à ses pulsions. Elle n’est pourtant pas du genre pudique, Leslie, mais au boulot, c’est différent. Elle n’y ferait jamais rien de déplacé. « Tu pars où ? Y’aura moyen de se joindre au moins ? Que j’ai des nouvelles de toi ? » Techniquement, oui. En réalité ? Elle ne sait pas vraiment. Les connexions internet ne sont pas toujours très bonnes, mais elle suppose tout de même que ça devrait le faire pour envoyer quelques messages ici et là. Elle ne peut quand même pas passer quelques semaines sans parler avec ses filles. Elle n’est pas si horrible non plus. « Au Costa Rica. On devrait pouvoir s’écrire, oui. » Devrait. Avec le décalage horaire et leur vie respective bien occupée, ce ne sera probablement pas si simple que ça. Mais oui, elles pourront. « J’ai pris congé pour être avec les filles, mais si tu as envie de passer un soir… je te montrerais à quel point tu vas me manquer. » qu’elle ajoute avec un sourire espiègle aux lèvres. Après le dernier baiser, elle peut bien avoir droit à une dernière partie de jambe en l’air, non ?

« Vu tous les efforts que j’ai mis pour l’avoir, je crois que c’est plus que mérité. » Je fronce un peu le nez dans une légère grimace, parce qu’il est vrai que ces derniers jours, peut-être même ces dernières semaines, je n’étais pas vraiment dans mon assiette. Nous n’avons jamais parlé de mon histoire que dans les grandes lignes, juste assez pour qu’elle comprenne que je n’étais prête à offrir mon coeur à personne, et qu’il y avait des périodes comme ces derniers jours, où je n’étais capable d’être en contact avec aucune femme, ou en tout cas pas de cette manière. Pas de notre manière.

Egoïstement, j’espère qu’elle ne partira pas trop longtemps. Pourtant, je sais qu’elle s’épanouira dans cette mission, et qu’elle reviendra différente, quoi qu’il advienne. Je ne sais pas encore si cette perspective m’effraie ou si elle me réjouit, mais je n’ai de toute manière aucun contrôle sur la situation. Alors je choisis de lâcher prise, et viens lui offrir le baiser qu’elle a demandé, avec un petit supplément. Je ne m’éternise pas et lui demande sans tarder si j’aurai un moyen de la joindre, juste pour me rassurer qu’elle va bien. J’imagine que connaître sa destination aidera aussi à me rassurer. Le Costa Rica, ce n’est pas une destination qui craint pour une femme seule, ça ira. Et puis, Leslie est loin d’être une femme en détresse de toute façon, elle saura faire de cette aventure une réelle force. « J’ai pris congé pour être avec les filles, mais si tu as envie de passer un soir… je te montrerais à quel point tu vas me manquer. » Je ne peux retenir un rire amusé à sa phrase, parce que c’est tout elle, ça. Croquer la vie à pleines dents, la grignoter par les deux bouts. « Je pourrai faire ça, oui… » lui dis-je d’une voix un peu plus feutrée, plus suave, alors que ma main est toujours placée dans le bas de son dos, elle perd légèrement de l’altitude. « Il se peut aussi que mon prochain rendez-vous ne soit que dans une heure… » Je la fais reculer doucement jusqu’à ce que son dos heurte doucement la porte de mon bureau. Délicatement je me saisis de la clé pour faire un tour et verrouiller la porte. « Tu avais peut-être quelque chose de mieux à faire ? » que je lui demande, ma bouche un peu plus proche de la sienne. Je peux sentir son souffle devenir plus rapide, et l’adrénaline s’affoler dans mes veines. « Si tu préfères on peut attendre que j’ai un soir de libre, au risque de ne pas pouvoir me libérer à cause du boulot. Tu sais comment c’est.. » Ma main toujours dans sa nuque, j’agrippe une poignée de ses cheveux pour lui faire pencher légèrement la tête sur le côté, sans force, juste pour la sentir à ma merci. Mes lèvres effleurent son cou pendant que le son de son souffle plus rapide me ravit les oreilles et me fait sourire. Pour quelqu’un qui n’était pas dans le mood, il faut dire qu’elle a su retourner la situation à son avantage…

Elle pousse sa chance, Leslie. Après le baiser gourmand auquel elle a eu droit, elle ose espérer une dernière soirée avec elle. Peu importe ce qui se passe dans la vie de Jillian et les raisons qui la poussent à s’éloigner en ce moment, Leslie sait qu’en sachant qu’elle sera partie dans cinq jours, ça change la donne. Elle ose l’espérer du moins. Son visage s'imprègne d'un sourire espiègle dans l’attente du verdict final. « Je pourrai faire ça, oui… » Pourrait est-ce que cette phrase semble venir avec un mais, alors que sa main qui remonte contre son dos semble vouloir, au contraire, accepté cette proposition. « Il se peut aussi que mon prochain rendez-vous ne soit que dans une heure… » Leslie lève un sourcil. Elle fait quelques pas derrière, se laisse guider par Jillian qui s’arrête au moment où le dos de la brune vient heurter le mur derrière. Le bruit de la serrure semble presque relié à son bas ventre qui s’enflamme au même moment. Ce ne serait pas très sage de se laisser guider par cette pulsion ici. Leslie n'est pas particulièrement reconnu pour être très très sage. « Tu avais peut-être quelque chose de mieux à faire ? » Son visage s'approche du sien. Les lèvres de la médecin s'étirent dans un sourire suave. Son regard dévore chaque trait de son visage, s’attarde sur ses lèvres qui l’appellent. Elle veut en mémoriser chaque millimètre. Ce n'est toutefois pas la seule chose dont elle veut se souvenir. Elle compte bien repasser, mémoriser, redécouvrir chacune de ses courbes comme si c'était la première fois. « Si tu préfères on peut attendre que j’ai un soir de libre, au risque de ne pas pouvoir me libérer à cause du boulot. Tu sais comment c’est.. » - « Mmm, je sais pas si je suis prête à courir le risque. » qu’elle lui répond comme si elle avait vraiment une once d’hésitation. Elle n’en a aucune. Oui, elle sait exactement comment c'est. Et c'est sans doute l’une des choses qu’elle apprécie le plus avec Jillian. Elle la comprend, n’en fait pas un cas si elle a du retard, si elle doit même canceller à la dernière minute, si elle doit même partir en plein milieu des préliminaires (plus frustrant ceux-là). La main de Jill s'agrippe à sa chevelure, lui tire la tête vers l’arrière. Elle sent son souffle contre sa nuque, son coeur qui s’emballe, sa respiration qui s’accélère. Elle gémit, alors qu’elle ne l'a même pas encore touché. Les mains de la brune se glissent contre les hanches de Jillian jusqu'à ses fesses. Elle l’attire à elle pour venir presser son corps contre le sien. Ses lèvres trouvent de nouveau rapidement les siennes. Sa langue part immédiatement à la recherche de la sienne. Son corps tout entier s’embrase sous ce contact à la fois familier, mais toujours aussi surprenant, excitant. « Bon sang, ça va tellement me manquer. » qu’elle glisse entre deux baisers fiévreux. Elle, ses lèvres, l’intensité de leur moment. Ce n'est toutefois pas suffisant pour la faire rester. Encore heureux. Si ses enfants ne le sont pas, rien ne l'est.

Je ne vais pas me mentir, cinq jours, c’est comme si c’était demain. Et être sûre de trouver le temps pour venir passer une dernière soirée/nuit avec elle avant son départ, je ne suis pas certaine d’y parvenir. D’un autre côté, j’ai envie moi aussi de passer un moment aussi intime qu’intense avec elle, partager une nuit qui nous ressemble avant qu’elle ne prenne l’avion pour rejoindre l’Amérique centrale, pour on ne sait combien de temps. Alors, plutôt que de rester dans le vague et l’attente d’une dernière nuit avant son départ, je propose autre chose. Quelque chose qui n’est pas dans mes habitudes, parce que depuis la mort de Loïs, j’ai tout fait pour ne pas utiliser l’hôpital comme lieu de retrouvailles charnelles avec les femmes que j’ai pu côtoyer. C’est mon lieu de travail, pas un lieu pour faire ce genre de chose. Et pourtant, il y a des moments comme aujourd’hui où la vie me rattrape, et les choix sont vite faits, guidés par une envie, un désir qui surpasse tout. « Mmm, je sais pas si je suis prête à courir le risque. » Le risque de ne pas pouvoir me libérer. Mon sourire s’étend en l’entendant me dire à demi-mot qu’elle préfère, elle aussi, utiliser l’heure que j’ai devant moi, sans rendez-vous ni sollicitation extérieure. Certes, le risque zéro n’existe pas, mais il ajoute une forme d’excitation, d’adrénaline qui me fait me sentir plus vivante.

Les mains de la médecin se font plus entreprenantes elles aussi, pendant que mes lèvres s’échouent dans son cou, à la recherche des frissons qui ne tardent pas à faire leur entrée. Nos lèvres se retrouvent pendant qu’un gémissement étouffé meurt entre nos bouches, juste de sentir ses mains agripper mes fesses. « Bon sang, ça va tellement me manquer. » Je souris et poursuis nos échanges. Je ne suis personne pour lui demander de rester, et ce serait bien trop égoïste, ce qui ne me ressemble pas. Au contraire, je crois que ce voyage pourra lui permettre de vivre de belles choses à me partager à son retour. La vie est faite pour être vécue pour soi, pas pour les autres. Bien que la question des enfants soit posée, je l’admire beaucoup d’avoir choisi de partir en laissant ses filles, je suis sûre que l’expérience d’une telle mission les rapprocheront, à son retour.

Les choses vont très vite, nous n’avons que peu de temps, et il n’est pas question de gérer la frustration aujourd’hui, sans avoir la certitude que nous pourrons nous dire au revoir de cette manière. Devoir faire en sorte que nos décibels soient réduits pour ne pas attirer l’attention, ce n’est pas chose aisée, pourtant, nous nous en sortons comme des cheffes. Tout juste le temps de redescendre, que mon biper me notifie une urgence. Nous échangeons un regard entendu, parce que nous savions toutes les deux que ce moment ne pourrait pas durer plus longtemps que la plage horaire proposée. Une fois rhabillées et à peu près remises de nos émotions, nous nous dirigeons vers la porte de mon bureau. Je prends une seconde pour la regarder, remettre une mèche de ses cheveux derrière son oreille comme j’en ai l’habitude, et lui offrir un dernier baiser. « Passe me voir la veille de ton départ pour un dernier baiser, si tu veux. » Peu de chance pour que nous puissions remettre le couvert comme aujourd’hui, mais au moins un dernier baiser.

the end