L’excitation qui découlait de l’idée d’un Noël - presque - tous ensemble était palpable chez tous les Gutiérrez. Alejandro était évidemment celui qui le laissait paraître sans aucun mal, sa crise d’adolescence ne l’empêchant pas de continuer à démontrer l’innocence de son jeune âge. Mais l’enthousiasme de Maritza était contagieux, reprise par une Alma qui programmait tout de manière millimétrée. Une féerie de Noël s’était emparée d’eux au point où même Cesar et son éternel flegme et Sara qui préférait faire la fête avec ses amis en toutes circonstances réussissaient à discuter repas et cadeaux sans que cela ne ressemble à une corvée. Diego, lui, s’était même hasardé à se libérer de ses contraintes professionnelles ce jour-là, et c’était une exception assez rare pour être soulignée. Et puis il y avait Sergio, de retour pour de bon semblait-il, et capable de redonner le sourire à une Maritza qui n’y croyait certainement plus. Alors derrière cette magie se cachait les doutes, les rancoeurs et les craintes de chacun, mais aucun Gutiérrez n’avait le coeur de contredire le sourire du ciment de la famille, surtout pas à Noël. Contre toute attente, le père et le fils s’étaient même organisés une séance de shopping, ne s’accordant sur rien si ce n’était la volonté de faire plaisir aux membres de la famille. Ils pouvaient au moins compter l’un sur l’autre pour s’aider à trouver le cadeau parfait, et pour réussir à survivre à une journée entière dans un centre commercial bondé quand l’un et l’autre aurait préféré être tout ailleurs. « Tu penses vraiment que Ale saurait monter ça ? » Inclinant la tête et grimaçant, Diego avait jaugé la taille du lego sur lequel son petit frère avait jeté son dévolu - sa folie des grandeurs ne laissait aucun doute sur sa filiation. « Sous supervision, et vu sa patience, il le finira dans un siècle. Mais je peux te dire que ses grands frères seront là pour l’aider, si ça t’ennuie pas que ce truc devienne un cadeau déguisé pour Cesar et moi également. » Diego s’était mis à rire, chaque jour passé avec Sergio le rendant un peu moins hostile et plus à même de partager de réels moments avec lui. « Il a aussi demandé un chat. Ou un lapin, il n’est pas trop difficile, m’a-t-il dit. Mais je pense que ta mère serait furieuse. » « Tu penses bien. » Alors le lego était la meilleure option. « Au moins il avait une liste pour le ‘’Père-Noël’’. » Il avait compris non sans mal où il voulait en venir. « J’ai besoin de rien, moi, tu sais. » Et l’idée d’évoquer un éventuel cadeau de sa part le mettait quelque peu mal à l’aise, après tant d’années à se débrouiller seul pendant que le patriarche savourait le fruit de son dur labeur. Chassant la mauvaise pensée car elle n’avait pas sa place, il s’était à nouveau tourné vers lui. « Tu penses que tu réussiras à avoir une journée de congé pour Noël ? » Difficile de cacher son enthousiasme quant à cette nouvelle. « Elle t’a rien dit ? Bon j’ai su hier mais oui je serai là, sauf urgence, mes patients sont tous stables, et les infirmiers pourront gérer. » Un miracle de Noël, en soi. Il serait probablement en retard, venant agacer ses soeurs parce qu’il se comporterait comme un macho venant glisser ses pieds sous la table une fois qu’elle serait dressée et garnie de bonnes choses. Sara et Alma le savaient, ce n’était pas son but, surtout pas alors qu’il avait été élevé par une femme seule, mais il les laisserait volontiers râler parce que cela faisait partie de leur ADN et que même profiter des défauts de sa fratrie semblait la manière parfaite de célébrer Noël, lui qui n’en avait que rarement l’occasion. « Bon courage pour lui trouver meilleur cadeau que ça… Des idées ? Elle m’a parlé d’un piano, t’étais au courant ? » Il s’amusait avec Sergio, osant des plaisanteries qui n’avaient plus réellement de sens à ses côtés depuis des années, et lui faisait assez confiance pour lui livrer les confidences que sa mère le lui avait fait. « Je vais prendre un bijou identique pour toutes, juste la couleur du bijou changera. » Pour bien appuyer sur ces liens qui se durcissaient. « Tu m’aides à choisir ? » C’était agréable, de s’entendre sans se forcer, et de voir l’animosité peu à peu remplacée par une sorte de complicité.

Jamais il n’aurait pu jalouser son petit frère, pas même lorsqu’il bénéficiait d’une chance dont eux n’avaient jamais bénéficié. A l’époque, il n’aurait pas utilisé ce mot, mais aujourd’hui, il voyait l’opportunité qu’avait Alejandro de grandir avec son père comme tel. Diego se raccrochait à cette idée, qui devenait une aide supplémentaire pour aller au-delà des secrets, des trahisons et des ressentiments et continuer à aller de l’avant. Le moment était simple, et pourtant, il représentait bien plus pour lui qu’une simple après-midi entre un père et son fils. C’était un moment de complicité qu’il n’avait plus connu depuis ses plus jeunes années. « J’imagine que ce serait une bonne activité de cohésion entre frères. » L’idée était recevable pour Cesar et lui, Diego ayant bien moins besoin d’un coup de main pour sa relation avec Alejandro qui n’avait pas encore appris à lui faire mille et un reproches. « La persévérance est une qualité, dira-t-on. » Là où il voyait de la persévérance, Diego reconnaissait seulement la tête de mule qu’était son frère et il s’était mis à rire, n’imaginant pas que son tour de choisir un cadeau allait arriver. « Je sais. Mais il s’agit juste de te faire plaisir. » Malgré quelques doutes coriaces, Diego avait été touché par ses mots. Il l’estimait sincère, et c’était assez déroutant pour être noté. S’il avait été avec sa mère, il aurait pu s’autoriser un brin de niaiserie en lui indiquant que le moment présent était un cadeau assez précieux, mais malgré leurs efforts communs, jamais Diego ne se comporterait avec Sergio comme il le faisait avec elle. C’était évident, et cela n’était même pas dû à un jugement de valeur. Pourtant, l’idée avait bel et bien traversé l’esprit d’un médecin conscient que leur relation ne tenait qu’à un fil, qui pourrait se briser à l’instant où son père apprendrait certains aspects de sa vie.  « La façon dont je lorgne sur tes costumes ou tes boutons de manchette peut te servir d’indice, alors. » avait-il répondu en arquant un sourcil en sa direction avant de rire. De son père, il n’avait pas gardé de nombreux souvenirs, mais il ne pouvait pourtant nier quelques traits similaires : le bon goût et l’amour des pièces de qualité, notamment.

Diego aurait d’ailleurs tout le loisir de réfléchir à sa tenue du réveillon de Noël, puisqu’il y serait présent cette année, qui serait probablement la plus importante de toutes. « Non, elle ne m’avait rien dit. J’espère que ça pourra se faire. » Il avait souri, venant oser une remarque condescendante. « Tu mets la barre haute. » Il avait haussé les épaules, feignant l’innocence. Il était bien plus facile pour eux de discuter des autres membres de la famille que d’eux-mêmes, alors ils avaient recentré la discussion sur Maritza. « Elle m’en avait vaguement parlé. J’ai essayé de la pousser à se lancer dans de nouvelles activités, faire quelque chose qui lui plaît. » Il pouvait l’accuser de tous les maux, mais Sergio semblait réellement attaché à l’idée de combler Maritza après avoir cessé de le faire depuis de nombreuses années. « Je ne sais pas si elle a déjà ne serait-ce que touché un piano, à vrai dire. » Et la logistique d’un tel cadeau les laissait à court d’options pour le moment, permettant à Diego d’indiquer sa propre idée. « C’est une délicate attention. » Il l’espérait, s’il voulait que le moment soit unique, et il comptait sur Sergio pour s’impliquer. « Oui bien évidemment. » Il lui avait accordé un sourire avant que celui-ci ne poursuive. « Si je peux me permettre une suggestion… tu devrais partir sur autre chose qu’une bague. Cela risquerait d’être redondant pour ta mère, ce Noël. » Son coeur avait raté un battement, Diego avait froncé les sourcils et s’était tourné vers lui. « Attends, attends. » avait-il lancé, se figeant au milieu du centre commercial et plaçant une main devant lui. « T’es bien en train de me dire ce que je pense avoir compris ? » Les mouvements du visage de Sergio le lui avait confirmé, et Diego avait eu besoin de quelques instants pour encaisser la nouvelle. Un mélange d’excitation pour sa mère qui serait folle de joie et de crainte qu’il ne fasse tout s’effondrer à nouveau s’était emparé de lui, et il avait fait de son mieux pour s’accrocher à l’émotion la plus positive des deux. « Wow. » Difficile d'exprimer clairement ce qu'il ressentait, et Sergio semblait nerveux, un sentiment qu'il n'avait jamais vu chez son père. « Ce sera davantage une surprise pour la famille que pour elle, ceci dit. » Il s’était mis à penser à ses frères et soeurs et à la manière dont ils réagiraient.  « Parce que tu comptes pas les préparer à la nouvelle avant ? Je veux dire, moi je m’y serai attendu, mais je sais pas pour eux. » C’était délicat et Sergio ne lui en voudrait pas de penser à eux dans un premier temps. Lui avait poussé sa mère à y croire, malgré ses réticences et ses rancoeurs envers son père, parce qu’il avait assez de recul pour accepter de placer son bonheur avant le sien. Mais il en faisait de même avec les autres, et il s’inquiétait forcément pour eux.  « On va se concentrer sur la bague. Et je pense que ce sera son plus beau cadeau. » Diego s’était repris, proposant un discours plus positif, refusant d’être celui qui viendrait gâcher la toute nouvelle harmonie qui semblait régner entre eux. Dans l’euphorie du moment, naissant de la manière dont il plaçait sa mère au centre de tout, Diego avait offert une légère pression sur l’épaule de son père - un geste anodin, qui passait inaperçu auprès de tous les passants, mais qui avait valu un échange de regard plus sincère que jamais entre eux deux.