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guinevere evans & @mac sutherland #35 hargrave road
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L’ambiance au #35 Hargrave Road était celle décrite dans toutes les histoires bohémiennes du début du 19e siècle. L’appartement était dans un bordel sans nom. Les dernières semaines avaient vu Guinevere faire les cents pas dans sa demeure en quête d’inspiration : elle avait sorti la majorité son équipement de la chambre d’ami (qui agissait comme atelier-maison) pour le déplacer dans la cuisine, sous prétexte que c’était un changement d’environnement de travail qui allait la débloquer. Cependant, le seul effet que ça avait eu, c’était de compliquer l’utilisation de la cuisinière et faciliter l’accès à ses sculptures pour Totoro, son chat, qui ne trouvait pas mieux pour faire ses griffes. « Toto, putain ! », s’exclama Guinevere en sortant de sa chambre, apercevant le félin en train de jouer avec ses morceaux de soie qu’elle avait laissés sur la table à manger.

« J’ai pas le temps de te gérer, là », dit la sculptrice avec un léger soupir. Guinevere agrippa gentiment le chat et l’emmena dans sa chambre. Elle n’avait, pour une fois, réellement pas le temps de gérer le British Shorthair. Gwen attendait quelqu’un, et pas n’importe qui. Elle venait tout juste de recevoir le message de Mac qui lui disait qu’elle avait quelque chose dont elle voulait parler, et Gwen, dans son infinie stupidité, l’avait invitée chez elle, oubliant momentanément l’état de son appartement. Elle déposa Totoro dans sa chambre, et se pencha pour lui dire : « Tu restes ici, hein ? » Ça avait beaucoup plus le ton d’un supplice que d’un ordre, mais Gwen faisait de son mieux, du haut de ses 1 mètre 55, pour imposer son autorité sur le chat.

L’artiste se mit au travail pour rendre l’appartement à peu près présentable pour Mac. C’était sa meilleure amie, elle la connaissait depuis le début de sa vingtaine, et elle était plus qu’habituée au bordel que pouvait faire Gwen chez elle… Mais tout de même, elle avait une petite gêne à l’accueillir avec une statue d’acier et de marbre dans la cuisine. Avec un grand soupir, Guinevere se mit à transférer son équipement dans la chambre d’ami. Leur séjour dans la cuisine avait aussi fait en sorte qu’il y avait maintenant quelques petites traces de peintures sur les armoires que Gwen allait devoir trouver un moyen de cacher. Elle soupira en les observant, avant de passer à autre chose. Elle ne pouvait pas tout faire aujourd’hui non plus.

Plusieurs soupirs s’ensuivirent alors que Gwen faisait le tour de l’appartement. Dans le salon, les piles de bouquins durent être replacés dans la bibliothèque, et l’humiliant tabouret dut être sorti pour que Guinevere puisse atteindre l’étagère la plus haute. Alors qu’elle continuait son ménage de derrière minute, elle ne pouvait s’empêcher d’avoir ce pressentiment qu’elle connaissait si bien : celui que quelque chose allait mal se passer. Cette boule au fond de son ventre qui refusait de s’en aller. Ce n’était pas rare qu’elle le ressente : en grande pessimiste, cette boule au ventre était présente dès que Gwen entreprenait de faire quoique ce soit. Mais lorsque ça concernait Mac, la boule était habituellement absente. Mac était celle qui la poussait à oublier la boule au ventre, à se lancer dans l’inconnu quand elle hésitait trop. Gwen secoua la tête, perdue dans ses pensées. Si Mac pouvait l’entendre, elle lui dirait sûrement d’arrêter de s’en faire et de continuer son ménage : alors Gwen allait suivre les conseils de la petite Mac sur son épaule.

Soudain, un coup à la porte l’interrompit. « J’arrive ! », s’exclama-t-elle en fermant le porte de la chambre d’ami, cachant le capharnaüm qui s’y trouvait. Elle se dirigea vers l’entrée pour accueillir Mac. « Saluuuuuuut ! », dit-elle, allongeant la dernière syllabe en prenant son amie dans une étreinte. « Allez, entre, entre. Comment ça va ? » Fermant la porte derrière Mac, Gwen se dirigea vers la cuisine en se retournant vers son amie. « Alors, ton texto avait l’air plutôt sérieux, et j’ai une excellente bouteille de vin qu’un client m’a offerte qui n’attendait qu’une occasion spéciale. Est-ce que je te sers une coupe ou quatre ? »

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Je me rappelle de l'époque où ils ont fait remplir à Spence une liste d’excuses ou de remords qu'elle avait. Pas la basique, pour contacter les gens et leur dire qu'on était désolé et qu'on avait été un immonde connard, histoire de bien s'humilier jusqu'au bout en plus de tout ce qu'on avait déjà fait ; plutôt la version draft, avec les regrets écrits dans ses mots et non présentés ensuite, pour s’astreindre à l'honnêteté. Je n'ai pas compris, au début, pourquoi c'était si dur, pourquoi ça semblait si personnel, pourquoi la prochaine étape (aller s’humilier en s’insultant soi-même) s’apparentait à un purgatoire, et j'imagine que j'aurais pu faire preuve d'un peu plus de compréhension et d’imagination : c’est exactement ce que j'ai l'impression d'être en train de faire, à me dandiner devant ta porte d'entrée sans oser enclencher la sonnette, puis à le faire et à me maudire instantanément en hésitant à m’enfuir en courant tant que je le pouvais encore. Tout ce qui me retient, c’est la perspective que ce serait quand même ultra cramé : je t'ai prévenue par message que j'arrivais bientôt y a quinze minutes et ça fait une semaine qu'on a prévu ça.

Quand même, ça ressemble drôlement à une trahison : t’es l'une des dernières au courant, parce que t’es celle à qui je craignais le plus de l'annoncer, probablement parce que t’aurais été témoin, avec Olive, ou que t’aurais préparé un truc à la con à réciter, même si tu te serais volontiers passée de l'enterrement de vie de jeune fille juste avant, parce que t'aurais voulu faire ça bien. J'ai l'impression de t'avoir retiré un truc (même si le truc en question est composé à 99% de stress, soyons franches deux secondes) par simple peur de ta réaction.
Je sais pas si c'est notre historique – aussi diffus et lointain qu'il soit, sans labels ni réelle raison d'être invoqué maintenant, ou si c’est parce que t’es l'une des personnes qui connaît le plus Spencer à travers moi. Sûrement un peu des deux. De nos épreuves, des allers-retours, t’as tout entendu et vu : tu m’as ramassée à la petite cuillère quand elle est partie pour pseudo-Sydney sans me contacter pendant deux ans, t’as vu toutes les soirées où elle a promis de venir pour finalement me laisser en plan, toutes les engueulades parce que je m'inquiétais pour elle et qu’elle en avait marre que je m'en soucie. Si y a une personne qui aurait émis des réserves sur le mariage, ce serait sûrement toi, et malgré notre proximité et toute la confiance que j'ai en toi, je t'aurais pas écoutée. Je le sais, et c’est sûrement pour ça que je t'ai rien dit avant : j'avais peur que ça brise un truc. Aujourd'hui, si je viens à reculons, c'est parce que j'ai peur de constater que c’est trop tard pour le réparer.

« Saluuuuuuut ! Allez, entre, entre. Comment ça va ? »

Je sais pas si tu te rends compte d’à quel point mon sourire est crispé, ou que je fais durer l'étreinte un peu trop longtemps pour que ce soit réellement anodin (ce qui est totalement con, au fond : je viens t'annoncer que je me suis mariée, pas que j'ai tué tous tes proches et ton chat). « Alors, ton texto avait l’air plutôt sérieux, et j’ai une excellente bouteille de vin qu’un client m’a offerte qui n’attendait qu’une occasion spéciale. Est-ce que je te sers une coupe ou quatre ? » Je rigole comme si Totoro avait placé un flingue sur ma cheville avant de retrouver ma voix : « Pour l'instant une, faut qu'il t'en reste un peu aussi. » Il me vient à l'esprit que c'est drôle qu'on boive un verre comme si on allait célébrer un truc, alors que potentiellement tu vas être vexée et me jeter le tiens à la tronche, ou sur mon beau t-shirt Star Trek qui serait bon à jeter. « Mais euh, ça va, cool. Et toi ? » Cool. Tellement que je laisse ma main gauche vissée dans ma poche pour éviter les spoilers (et le vin, toujours), que je regarde un peu partout sauf dans tes yeux et que je me dandine comme un ver constipé. Je dis toujours que je suis une bonne menteuse pour distraire les gens du fait que je ne saurais pas dévier de la réalité d'un millimètre même si ma vie en dépendait, et pas moyen que ça t'échappe aujourd'hui : je regarde partout sauf dans tes yeux, jusqu'aux taches de peinture sur le mur que je détaille comme si j'étais au musée, j'ai l'air angoissé et je porte sur mes traits les stigmates de la mort de ma conscience tranquille. « Tu sais quoi ? Peut-être quatre, en fait. » Ou alors ne sors même pas de verre : on se débrouillera avec un cul-sec. « Bon, tu sais quand je t'ai dit que je partais en vacances avec Spence ? C'était vrai, et c'était super sympa, mais c'était pas tout. Oh, je t'ai ramenée un souvenir, d'ailleurs, je l'ai oublié, je suis nulle, faudra que j'y pense », on est partis pour la logorrhée, je suis consciente que chaque mot renvoie sur mon visage l’impression d’une souffrance extrême, et je m’assois sur une chaise pour me faire toute petite, histoire de te préparer à la suite. « C'était pas tout, parce qu'on était à Vegas. » J’ajoute plus rien, et d'un coup, le silence, jusqu'à ce que ça atterrisse, que tu comprennes : ta meilleure amie s'est mariée sans t’inviter, et elle t’a même pas prévenue.

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La liste des gens que Gwen se sentait confortable d’inviter chez elle était assez courte. Son appartement, dans lequel elle était installée depuis plusieurs années maintenant, était un véritable cocon pour l’artiste. Parmi cette liste, déjà assez courte, il y avait encore moins de personnes pour qui Gwen se sentait obligée de nettoyer. Mais Mac en faisait partie. Elle ne pouvait pas l’expliquer : les deux avaient été amies pendant si longtemps, elles avaient tant partagé, s’il y avait bien quelqu’un avec qui Guinevere devait se sentir assez à l’aise pour montrer son appartement tel qu’il était naturellement, ça aurait dû être Mac. Gwen avait pleuré sur son épaule, l’avait confortée dans ses pires moments, elle était sa première ressource en cas de problème. Et pourtant, chaque fois qu’elle passait à l’appartement, Guinevere avait cette boule au ventre qui la poussait à faire un rangement de dernière minute, souvent en panique. Peut-être avait-elle envie d’avoir l’air plus « stable » pour son amie, qui, ces derniers temps, semblait flotter sur un petit nuage grâce à sa relation avec Spencer. Peut-être que Mac motivait tout simplement Gwen à être un peu plus proactive : il fallait avouer que, bien que le désordre lui plût, la procrastination dont l’artiste pouvait faire preuve était en grande partie responsable de son existence. Ou encore, peut-être que c’était leur passif, aussi lointain soit-il, qui la poussait à ranger pour elle : une manière un peu inconsciente d’essayer de l’impressionner, de bien paraître.

Quelle que soit la raison, l’appartement avait bien été nettoyé (et c’était tant mieux, il en avait bien besoin), prêt à accueillir Mac, qui venait tout juste de sonner à la porte. La partie pessimiste de Gwen fut bien satisfaite d’observer ce qui semblait une confirmation de la boule au ventre qu’elle avait eu plus tôt : le sourire de Mac était inquiétant. Il semblait figé dans le temps, comme si Mac n’osait pas modifier les traits de son visage par peur de perdre ce sourire. Ce simple détail fut suffisant pour que l’esprit de Gwen se mette à besogner : son imagination se mit à concevoir toutes les possibilités qui pourraient expliquer ce sourire. C’était une de ses spécialités, après tout, et Mac le savait bien. Gwen pensait toujours à toutes les pires éventualités dès qu’elle en avait l’occasion. C’était de l’autosabotage pur et simple. Mac l’avait subi un nombre incalculable de fois : cette manie que Guinevere avait d’assumer le pire et d’agir en conséquence. Elle avait ruiné des relations amoureuses, des jobs, des amitiés de cette manière.

Gwen nota la durée de l’étreinte (sans pouvoir s’empêcher de sur-analyser ce détail) et, peut-être pour combler sa propre nervosité, proposa une coupe de vin (ou quatre) à son amie. « Pour l'instant une, faut qu'il t'en reste un peu aussi », lui répondit Mac. Guinevere pouffa de rire à cette remarque, se dirigeant vers son réfrigérateur. « Pfft, ouais, comme si j’allais boire ça avec ma sœur », lui lança-t-elle à la blague en sortant le rosé du frigo. Contrairement à Mac, Gwen excellait pour cacher sa nervosité. Elle avait l’impression que c’était ce qu’elle faisait à longueur de journée : camoufler ses vrais sentiments. Guinevere n’allait certainement pas se gêner de le faire maintenant. Clairement, quelque chose n’allait pas avec son amie. Si elle lui montrait qu’elle aussi était nerveuse, elles allaient toutes les deux s’entraîner dans une spirale infernale d’appréhension. Elles avaient cet effet-là, quand elles se tenaient ensemble. Elles finissaient toujours par déteindre l’une sur l’autre : le dynamisme de Mac finissait toujours par infecter Gwen, la créativité de Gwen finissait toujours par inspirer Mac. Malheureusement, ça ne s’appliquait pas seulement à leurs qualités positives.

« Mais euh, ça va, cool. Et toi ? » L’hésitation dans sa voix confirma ce dont Guinevere était déjà convaincue : quelque chose n’allait pas. « Tout roule… Enfin, comme d’hab, quoi », lui répondit-elle. Gwen prit deux verres à vin de son placard qu’elle posa sur la table, invitant Mac à s’asseoir d’un geste de la main (qu’elle ne vit pas, trop occupée à détourner le regard). À vrai dire, ce n’était pas exactement ‘comme d’hab’… Gwen s’apprêtait à ouvrir sa première exposition personnelle, il y avait eu beaucoup de mouvement au travail, plein de trucs qu’elle aurait adoré partager avec son amie… Mais aujourd’hui n’était clairement pas le bon jour. Gwen ne s’assit pas immédiatement, observant Mac alors que la boule au ventre s’était transformée en boule de tungstène, vu le poids qu’elle semblait avoir au fond de ses tripes. « Tu sais quoi ? Peut-être quatre, en fait, » lui dit-elle. Gwen répondit avec un petit rire, incapable de pondre une phrase complète tant l’appréhension pesait lourd sur son esprit. Elle qui normalement pouvait se montrer de marbre si elle le souhaitait, elle savait que son regard trahissait ses sentiments. Elle jeta un coup d’œil à la bouteille de vin sans oser l’ouvrir, pas tout de suite, du moins.

« Bon, tu sais quand je t'ai dit que je partais en vacances avec Spence ? C'était vrai, et c'était super sympa, mais c'était pas tout. Oh, je t'ai ramenée un souvenir, d'ailleurs, je l'ai oublié, je suis nulle, faudra que j'y pense », commença Mac. Il y avait au moins là quelque chose à se mettre sous la dent pour la petite pessimiste dans le cerveau de Gwen : ça concernait Spencer. Guinevere, voyant la difficulté qu’avait Mac à finir sa phrase, décida de ne pas répondre. De lui laisser le temps de continuer, de respirer, de prendre avantage du silence… Elle le fit en s’asseyant. Gwen se dit qu’elle devrait aussi s’asseoir, pour mettre Mac en confiance, ne pas créer une dynamique de pouvoir dans leur positions… Mais elle semblait, elle aussi, figée.

« C'était pas tout, parce qu'on était à Vegas. » Gwen fronça les sourcils, instinctivement. Il n’y avait qu’une seule raison de se sentir nerveuse à l’idée de révéler qu’on se trouvait à Las Vegas avec sa copine. La pessimiste dans le cerveau de Gwen se tut, comme si le silence dans l’appartement était si lourd qu’il s’étendait à même son esprit. Un sourire se matérialisa, progressivement. Elle était obligée de sourire, pas vrai ? Sa meilleure amie était mariée. Elle n’avait pas le droit de penser au fait qu’elle avait raté un des moments les plus importants de sa vie. Gwen n’avait pas le droit de penser au fait que, sachant qu’elle n’allait sûrement jamais se marier, elle avait manqué sa seule occasion de participer à un mariage avec sa meilleure amie. Elle n’avait pas le droit de se demander pourquoi est-ce qu’elle le lui avait caché. Ça ferait d’elle une amie exécrable, pas vrai ?

« Ouah… Félicitations ! », s’exclama-t-elle, rompant finalement le silence oppressant. Sa voix était tremblotante, incertaine, trahissant la joie que laissait transparaître son visage. « On va définitivement avoir besoin de 4 verres », ajouta-t-elle avec un petit rire nerveux (ou forcé), tentant de se convaincre elle-même avec une touche d’humour. Elle agrippa le tire-bouchon qu’elle avait ramené avec les verres et s’empara de la bouteille de vin. Ses mains, comme sa voix, étaient un peu tremblotantes, agitées. Elle tâtonna avec l’outil pendant quelques secondes, aillant du mal à le manier correctement. « Alors, euh… Quand est-ce que… Qui était… », commença-t-elle, tentant tant bien que mal de combler ce moment d’hésitation, sans réussir à trouver une question à poser qui ne laissait pas transparaître encore plus à quel point elle était déstabilisée par la nouvelle.

« Pourquoi, euh… » La question fut vite interrompue par le son de la bouteille, enfin ouverte. Guinevere réalisa qu’elle était encore debout et s’assit en face de Mac, n’ayant pas recroisé son regard après s’être détaché de ses yeux pour ouvrir la bouteille de vin. « Putain, c’est génial ! Félicitations ! », répéta-t-elle. Le regard toujours fuyant, Gwen servit un verre à son amie, puis se servit elle-même. « Alors, qui a fait la demande à qui ? », dit-elle, trouvant enfin une question innocente à poser. « Enfin, ça fait des années que tu donnes l’impression que t’as envie de l’épouser, donc je vais deviner que c’est toi », ajouta-t-elle avec un autre rire forcé. C’était à son tour de laisser les mots se déverser.