Ce n’est jamais une bonne idée quand les sentiments se mêlent à la partie. Être empathique fait partie des qualités pour être un bon médecin, mais il faut également savoir mettre ses émotions de côté. Il y a sans doute des cas, des personnes qui viennent vous chercher plus que d'autres. Rafael ne fait que commencer sa carrière, alors, oui, il en verra sans doute d'autres. Il avait cru qu’en cardiologie, il s’éloignait de ses propres traumatismes. Il faut croire qu’il s'est bien foutu un doigt dans l'œil. C’est bien mieux qu’ailleurs, mais ce n'est pas inévitable. Aucun service ne l’est. Il se sent un peu bête de voir Lucia à chaque fois qu’il pose son regard sur ce vieux cardiaque. Parfois il arrive à se raisonner, à dissocier les deux histoires. Ça n’a rien à voir d’avaler des médocs parce qu'on pourrit sa vie en prison versus les avaler parce que les autres nous font souffrir. Lucia avait la vie devant elle. Elle avait encore tellement de belles choses à vivre si elle savait. Lui ? Pas tellement. Il a envie de dire qu'il fallait y penser avant de faire peu importe ce qu'il a fait. Il a l'air sincère quand il dit avoir été inculpé à tort, mais ce n'est pas ce que tous les accusés disent ? Il est parfois con, Raf, mais il n'est quand même pas si con. Tous les jours, il lui parle de sa fille, celle qui ne veut pas venir le voir. Il se doute que c'est en lien avec son incarcération, sans en connaître les détails. Ce n'est pas de ses affaires. Pourtant, il se sent coupable. Pourquoi ? Il ne sait pas. La culpabilité le ronge dès qu'il met un pied dans la chambre d’hôpital. Elle décuple lorsqu'il quitte la chambre en ayant refusé de contacter sa fille. C'est pas à lui de faire ça… pas vrai ? Il n'est que le cardiologue. Il n'est pas son médecin traitant. Il ne s'occupe pas de son cas et ne veut pas s'en occuper non plus. Si les autres ne l'ont pas fait, alors il ne le devrait pas non plus. Pourtant, chaque jour, ça l’obsède un peu plus. Il se dit que la prochaine fois qu'il verra cet homme, c'est à la morgue. La prochaine fois, il ne se ratera pas. Il n'aura jamais eu la chance de voir sa fille une dernière fois et l’inverse est aussi vrai.

Il a les mains moites. Il est nerveux. Il se sent con et regrette déjà de ne pas avoir su s’écarter de cette histoire. Mais qu’est-ce qu'il va bien pouvoir lui dire ? Il ne connaît pas leur histoire, ne veut pas s'en mêler, ne veut pas avoir de sang sur les mains encore une fois. Parce que s'il échoue, encore, il aura une nouvelle mort sur la conscience. C'est ça, non ? Il ne peut pas supporter ça, même si ces deux parfaits inconnus. Il regrette, mais c'est trop tard : elle est déjà là. Il essaie de se convaincre que, au moins, il aura essayé. Lucia n'a même pas eu cette chance. Il n'a rien foutu, que dalle, et elle est morte. « Maeve Mayers ? »  qu’il appelle dans la salle d’attente et la personne qui se lève est bien la dernière personne qu'il s’attendait. Il est… surpris. Oui, c'est peu dire. Son père ne lui avait pas parlé de son handicap visuel. Bon, ça ne change rien, n'est-ce pas ? Physiquement, elle ne lui ressemble pas vraiment non plus. Son visage laisse transparaître une douceur alors que celui de son père affiche une vie difficile. « Vous pouvez entrer. Il y a une chaise sur votre gauche. » qu’il prend la peine de préciser lorsqu’elle entre dans son bureau. Il referme ensuite la porte derrière eux avant d’aller s’installer de son côté du bureau. Maintenant qu'il est en face d’elle, il se sent encore plus bête. Il essaie d’avoir l'air un minimum professionnel tout en se disant que c'est perdu d'avance. « Je suis le Dr.Gomez, le cardiologue en charge du dossier de votre père. Vous savez pour quelle raison il a été admis à l'hôpital ? » qu’il questionne immédiatement. Après tout, son patient lui a dit que sa fille a refusé tous ses appels. Si ça se trouve, elle ignore la situation de a à z.

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tw : maltraitances infantiles, tentative de suicide, suicide

Sur sa chaise inconfortable, Maeve est fébrile. Une sorte d’anxiété latente qui s’est mue en appréhension déguisée, bien que ne sachant pas trop ce qu’elle doit craindre de cette entrevue avec le médecin qui a hérité du dossier médical de son géniteur. Elle ne se fait pas l’affront de dire que Darren est son père car ce mot ricoche avec aigreur sur la pointe de sa langue, tout au plus, est-il le bourreau qui l’a mise au monde avec l’intention de corriger la misérable erreur qu’elle représente à ses yeux. Il lui a suffisamment posé la question quand il la battait et qu’elle n’était qu’une frêle gamine incapable de lui échapper ; elle se souvient parfaitement de la violence des coups de poing, le vlan qui rebondissait sur sa joue à chaque gifle qu’elle se mangeait, les insultes, les cris, et l’obscurité de la pièce dans laquelle il l’enfermait. Elle se souvient de tout. Elle n’a rien oublié. Elle n’a rien pardonné. « Maeve Mayers ? » comme si elle était un simple pantin dont on tire les ficelles pour l’animer, ses épaules se tendent en redressant son buste féminin et elle crispe ses doigts sur son sac-à-main posé sur ses genoux, en prenant une fine inspiration nasale pour se donner du courage — il va lui en falloir beaucoup plus pour affronter la tempête qui se prépare, mais c’est avec une grande dignité qu’elle déplie ses fines jambes pour se mettre debout, s’aidant de sa canne pour avancer en direction du médecin, dont l’écho vocal l’a aidée à le localiser. ’’C’est moi.’’ dit-elle avec une expression neutre qu’elle brandit avec difficulté, elle qui est d’ordinaire d’une douceur délicieuse ; elle redoute, par avance, qu’il lui annonce que son état est incompatible avec une vie en détention et qu’il va être relâché comme il l’a demandé. Ne serait-ce pas la pire des injustices, pour elle ? « Vous pouvez entrer. Il y a une chaise sur votre gauche. » - ’’Merci.’’ souffle-t-elle d’une voix blanche en tendant sa main libre pour trouver le dossier de la chaise sur laquelle elle s’installe, en compressant absolument tout ce qu’elle peut : son coeur, ses poumons, ses cuisses, ses mains. Il faut faire bloc, il faut se barricader. Elle a appris à encaisser les coups, Maeve. « Je suis le Dr.Gomez, le cardiologue en charge du dossier de votre père. Vous savez pour quelle raison il a été admis à l'hôpital ? » sur ses cuisses, elle entrelace ses propres doigts en tâchant de rester aussi impassible que possible mais, le médecin doit bien remarquer que son expression est déjà vacillante ’’Je ne le considère pas comme mon père,’’ corrige-t-elle d’une voix qu’elle s’efforce de maintenir stable, mais qui chevrote néanmoins sous l’émotion ’’Mais mon avocat m’a prévenue, oui.’’ qu’il avait voulu se tuer et qu’il s’était raté ; comme avec elle, en somme. La preuve qu’il n’est vraiment pas terrible comme médecin. ’’Est-ce qu’il va retourner bientôt en prison ?’’

’’Merci.’’ Elle prend place sur la chaise indiquée et Rafael s'installe à son tour derrière son bureau. Lorsqu'il pose son regard sur Maeve, il peut facilement voir qu’elle est nerveuse. Est-ce l'état de santé de son père qui la rend ainsi ? Quelque chose lui fait dire que non. Elle se serait renseignée elle-même et n’aurait pas refusé le contact comme son père semblait le dire si c'était le cas. Sans savoir pourquoi, la nervosité de Maeve déteint sur lui. C'est pas faux que cette situation soit plutôt inhabituelle. Elle le ramène à une période de sa vie qu'il s'entête à faire comme si ce n'était pas arrivé. Pourtant, il se passe toujours quelque chose et il se prend une claque de trois ans en arrière. Les deux situations n'ont rien à voir. Rafael tâche de se le répéter en boucle depuis qu'il a pris la décision d’entrer en contact avec la fille de son patient. Il est soulagé de voir que sa voix garde impeccablement son assurance habituelle. Au moins, grâce à son handicap visuel, aucune chance pour que la Mayers ait conscience des différentes vagues d'émotions qui le traversent en ce moment. Son visage n'est pas aussi impartial que sa voix peut l'être. ’’Je ne le considère pas comme mon père,’’ Ah. Il se doutait bien que leur relation était compliquée. C'est tout de même un peu extrême de renier son père non ? Même si c'est un gros connard ? Il ne peut pas comprendre, Rafael. Il a grandi avec deux parents qui l'ont aimé plus que tout. Ils ont passé leur vie à lui dire à quel point la famille est importante. Alors, entendre quelqu'un parler ainsi de son père, non, il ne peut pas comprendre. Un médecin se doit de ne pas juger, mais peut-être qu'il juge un peu secrètement. Voilà quelque chose dont il risque de s'en vouloir sous peu. ’’Mais mon avocat m’a prévenue, oui.’’ Son avocat. De mieux en mieux. La petite mission altruiste qu'il s'est donné, qu'il s'est senti obligé d'accomplir, rien d'être plus compliqué que prévu. ’’Est-ce qu’il va retourner bientôt en prison ?’’ C’est vraiment la première question qui lui vient à l'esprit ? Rafael n'est pas vraiment au courant de son dossier judiciaire. Il ne sait que ce que le vieux à bien voulu lui raconter sans plus. Il sait qu'il est éligible à une libération conditionnelle avec le soutien d'un membre de sa famille. Il en a conclut que sa fille est sa dernière famille vu qu'il mise tous ses espoirs sur elle qui n’en a rien à foutre de lui. Ce n'est pas difficile à voir. « Je ne peux pas vraiment vous donner d’information là-dessus, mais je peux déjà vous dire que dans cinq jours il n’aura plus à être hospitalisé. » Où est-ce qu'il ira dans cinq jours ? Absolument aucune idée. En prison, sûrement. Il doute que même si sa fille soit en faveur de sa libération, ça se fasse si rapidement pour que ce soit régler en cinq jours. « Il a demandé à vous voir. Il le demande à tous les jours. » Et d'un point de vue extérieur, elle a l'air de la méchante qui ne veut pas accorder une dernière volonté à son père suicidaire. Elle pourrait sûrement panser ses idées suicidaires si elle faisait un petit effort. « Je crois comprendre que votre relation est difficile, mais vous risquez de vous en vouloir toute votre vie si vous n'allez pas écouter ce qu'il a à dire. » Comme lui s’en veut et s'en voudra toute sa vie de ne pas avoir véritablement écouter Lucia quand elle en avait besoin. « Il n’y aura peut-être pas de prochaine fois. » Peut-être que la prochaine fois, il ne se manquera pas.

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Est-ce qu’il va retourner bientôt en prison ? n’est pas vraiment le genre de question qu’une enfant devrait poser à propos de son père. Mais l’homme qui l’a élevé n’en est pas vraiment une ; du moins, l’est-il seulement aux yeux de la loi, jouissant de ce titre présomptueux grâce à des papiers qui l’assignent à ce rôle alors que celui de bourreau est davantage proche de la réalité. Mais Maeve ne le pose pas en espérant entendre qu’elle a encore du temps à partager avec son tocard de père, non, elle le demande pour s’assurer que c’est bien là-bas qu’il va retourner moisir, car bien que dotée de qualités de coeur indéniables, elle n’en reste pas moins lucide sur la question : s’il avait pu, il l’aurait tuée sans jamais regretter son geste. « Je ne peux pas vraiment vous donner d’information là-dessus, mais je peux déjà vous dire que dans cinq jours il n’aura plus à être hospitalisé. » elle se tend un peu sur sa chaise, redresse le menton en même temps que ses épaules se courbent vers l’intérieur de son corps, comme si elle essayait de conserver le placide de sa façade en même temps qu’elle éprouvait le besoin de se protéger ’’Donc il retournera en prison.’’ les contours d’un sourire vague commencent à envahir ses lèvres, preuve que cette nouvelle la soulage et qu’elle ne cherche guère à s’en cacher — ce n’est pas à elle d’avoir honte, n’est-ce pas « Il a demandé à vous voir. Il le demande à tous les jours. » une hilarité totalement désabusée vient défaire ses lippes tandis qu’elle baisse le menton, touchant presque son plexus avec ce dernier, laissant son rire mauvais ricocher entre eux comme des cailloux de misère ’’C’est pour ça que je suis ici ?’’ elle ne le demande pas avec aigreur, bien consciente que le médecin ne fait qu’abattre une besogne pour laquelle Darren Mayers l’a mission, mais elle n’apprécie guère la façon dont son paternel est présenté ; un pauvre homme dépressif cloitré au fond d’un lit, comme s’il était victime du destin. Son destin, il l’a choisi. « Je crois comprendre que votre relation est difficile, mais vous risquez de vous en vouloir toute votre vie si vous n'allez pas écouter ce qu'il a à dire. » elle passe l’une de ses mains sur son visage en mordillant le coeur de sa lèvre inférieure, profondément heurtée de ce misérable chantage affectif qui ne prend pas, heureusement pour elle « Il n’y aura peut-être pas de prochaine fois. » - ’’Il y aurait pu ne jamais en avoir pour moi non plus.’’ qu’elle claque en se rendant bien compte que son père doit s’être bien gardé d’expliciter ses exploits auprès de son médecin, alors elle plisse légèrement ses paupières en demandant, d’une voix chevrotante sous l’émotion : ’’Vous savez pourquoi il est incarcéré ?’’ elle n’attend qu’un bref instant avant de lui délivrer la réponse, sans pincette aucune : ’’Il a voulu me tuer quand j’étais gamine. Manque de bol pour lui, il m’a juste rendue aveugle.’’ son coeur subit un tremblement terriblement douloureux mais, ne laissant rien paraître, elle assène, en espérant qu’il comprenne les raisons de son refus : ’’C’est cet homme là que je devrais aller voir, selon vous ?’’

’’Donc il retournera en prison.’’ C’est un sourire qu’il voit se dessiner sur son visage ? D’accord… Rafael n’a visiblement pas mesuré l’ampleur du conflit entre le père et la fille. De plus en plus, il se dit qu’un coup de téléphone aurait été suffisant. Au moins, elle aurait pu lui raccrocher au nez et ils se seraient tous les deux évités un très grand malaise… à moins que ce ne soit que le médecin qui le soit ? Mmm, possible oui. « Je suppose, oui. Ce sera à confirmer avec les bonnes personnes. » qu’il lui répond pour ne pas créer de faux espoirs. Il n’est pas celui qui peut réellement s’avancer sur le sujet, mais son avocat le peut sûrement. Depuis quand est-ce qu’on passe par un avocat pour avoir des nouvelles d’un parent d’ailleurs ? Lorsqu’il présente le désir de son père de la revoir, un rire mauvais traverse les lèvres de la jeune femme. De mieux en mieux. Malheureusement pour Raf, il est désormais trop tard pour rebrousser chemin. ’’C’est pour ça que je suis ici ?’’ Il hoche de la tête avant de réaliser qu’il est stupide, qu’elle ne peut pas le voir faire. Il poursuit toutefois son petit discours, en se disant qu’il lui semblait meilleur dans sa tête qu’en vrai. À moins que ce ne soit que Maeve qui n’est pas très réceptive ? Oui, c’est sûrement de sa faute à elle et certainement pas lui qui ne choisit pas les bons mots. Évidemment. ’’Il y aurait pu ne jamais en avoir pour moi non plus.’’ Un froncement de sourcil démontre son interrogation devant ce qu’elle avance. Il ne voit pas trop où elle veut en venir. Est-ce qu’ils sont toujours en train de parler de suicide ? Elle aussi, est-elle passée par les idées noires ? ’’Vous savez pourquoi il est incarcéré ?’’ - « Non. » qu’il répond tout simplement même si c’est probablement déjà très logique dans la tête de Maeve. Ils ne sont pas autorisés à savoir les raisons de l’incarcération d’un patient. Ça pourrait modifier le jugement des médecins dans leur méthodes de traitement. Alors, non, Rafael n’a aucune idée, n’y a même pas réfléchi. Il sait seulement laisser influencer par l’histoire de l’homme. ’’Il a voulu me tuer quand j’étais gamine. Manque de bol pour lui, il m’a juste rendue aveugle.’’ Ah. Si Rafael pouvait disparaître sous son bureau, il le ferait sans hésiter. Putain ce qu'il est con à vouloir sauver… sauver quoi au juste ? Il ne le sait même pas. Il a terriblement honte. ’’C’est cet homme là que je devrais aller voir, selon vous ?’’ - « Euh… non ? » Bravo. De mieux en mieux. Que voulez-vous ? Elle vient totalement de le déstabiliser et son cerveau tourne à cent mille à l’heure pour trouver une manière de se sortir de cette situation particulièrement embarrassante. Rafael, il est pas reconnu pour ses meilleures idées hen. Surtout pas quand c’est réfléchi de la sorte. « Désolé, c’est juste que je connais quelqu’un qui… » Qui quoi ? S’est suicidé ? Sa gorge se noue, incapable d’avouer la suite. « J’ai juste cru que… » Que quoi ? Qu’il pouvait sauver son père de ses démons ? Que s’il faisait ça, il pourrait se racheter de ne pas avoir su le faire avec Lucia ? C’est totalement con. Il s’en rend compte maintenant. « Je vais lui dire que vous refusez. » Enfin, il réussit à formuler une phrase complète avec un ton qui se veut presque confiant. Il ne l’est pas du tout. Il espère même ne jamais avoir à la croiser dans une rue par hasard.

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« Je suppose, oui. Ce sera à confirmer avec les bonnes personnes.  » - ’’Qui sont ?’’ qu’elle demande en arquant un sourcil tout en relevant légèrement son menton pour l’incliner sur le côté, ayant du mal à entrevoir qui sont les bonnes personnes qu’il évoque ; n’est-il pas le médecin qui s’occupe de son père, comme il s’est lui-même présenté un peu plus tôt ? Qui d’autre pourrait donner son aval pour qu’il reparte croupir dans sa cellule misérable, comme il le mérite ? Elle n’y connaît rien, Maeve, à tous ces rouages juridiques et médicaux, mais elle est naïvement persuadée que son interlocuteur est celui qui détient les clefs de ce problème insoluble, et ça la heurte profondément de se rendre compte qu’il siège du côté du banc des accusés.

Si un médecin affirme qu’un prisonnier n’est pas en capacité physique de retourner en détention, personne ne va s’y opposer, n’est-ce pas ? Alors elle se défend comme elle peut, la fille indigne, loin de se réjouir de porter cette étiquette même auprès d’un illustre inconnu, pas quand elle est la victime d’un père qui prenait un malin plaisir à se défouler sur elle chaque fois qu’il en avait l’occasion — c’est une injustice supplémentaire qu’elle ne peut admettre. Alors elle n’hésite pas à lui livrer les vraies raisons de son refus, avec des mots peut-être un peu trop crus, un peu trop incisifs et acides, sans réaliser que la situation n’est peut-être pas aussi blanche et noir qu’elle le croit ; mais les nuances de gris, Maeve ne parvient pas encore à les voir, braquée dans l’idée que le cardiologue prend la défense de son père sans même questionner la légitimité de sa demande. « Désolé, c’est juste que je connais quelqu’un qui… » qui quoi ? semble interroger le sourcil qui remonte sur son front d’un air curieux, sans vraiment entrevoir la suite possible de cette phrase ; il connaît quelqu’un qui est en prison, lui aussi ? C’est ça, qu’il allait dire ? « J’ai juste cru que… » décidément, il semble avoir des difficultés à finir ses phrases, le médecin, et elle s’en veut un peu, Maeve, d’avoir été si hargneuse alors qu’il n’est coupable de rien. « Je vais lui dire que vous refusez. » elle soupire en se sentant accablée d’une culpabilité terrible, et même la main qu’elle passe sur son propre visage ne suffit pas à dissiper cette auto-accusation. Les raisons de son emportement ne sont pas difficiles à deviner mais, dans les faits, elle s’en veut de laisser son père avoir encore autant d’emprise sur ses émotions, au point de lui donner un visage qui n’est pas du tout le sien, par simple instinct de protection. ’’Je suis désolée,’’ souffle-t-elle d’une voix contrite, baissant les yeux et le menton vers ses mains qui se pétrissent ’’Je n’aurais pas dû m’en prendre à vous de la sorte, je m’excuse.’’ elle marque une petite pause en faisant rouler ses lèvres rosées l’une contre l’autre, avan de poursuivre : ’’Je ne voulais pas raviver de mauvais souvenirs.’’ du moins, c’est ce qu’elle croit avoir compris avec ses phrases précédentes, et elle ne peut que s’en sentir davantage honteuse. Les traits de son visage s’adoucissent quand elle redresse sa figure vers Rafael, en tentant de lui adresser un petit sourire qui se veut réparateur. ’’Je suis sûre que vous vouliez bien faire mais… Mon géniteur est particulièrement doué pour tromper son monde, et encore plus pour le manipuler.’’ c’est bien ce qu’il a fait avec son médecin, non ?

’’Qui sont ?’’ - « Son agent de probation ? » qu’il propose. Rafael ne comprend pas trop pourquoi c'est lui qui se retrouve avec toutes ses questions. Ça lui apprendra à se mêler de ce qui ne le regarde pas sans doute. Il peut répondre à toutes ses questions concernant la santé cardiaque de son père. Il peut lui parler de la médication qu'il a ajustée en conséquence des examens. Il peut lui parler de l’intervention qu'il a eu. Il peut sûrement lui donner d'autres informations sur sa santé en général en fouillant dans son dossier - même s'il n'est pas celui qui s'occupe de son cas en intégralité. Lui parler de ce qui l'attend à sa sortie d'hôpital ? Pas vraiment. Son père ne fait que parler du fait qu'il sera bientôt sortie d'ici. Est-ce vrai ? Est-ce faux ? Aucune idée. Mais plus Maeve lui explique la complexité de son lien avec son père, des raisons de son incarcération, plus il comprend que les paroles de son patient ne valent pas grand chose. Rafael s'est fait mener par le bout du nez comme un con - et il en est pas très fier. Il a même un peu honte d’avoir laissé ses émotions prendre le dessus sur ce cas en particulier. Voilà qui sera sans doute une bonne leçon de vie pour lui. Après tout, il est encore dans le début de sa carrière de médecin. Il lui reste plus à apprendre qu'il ne le pense. ’’Je suis désolée, je n’aurais pas dû m’en prendre à vous de la sorte, je m’excuse.’’ Il lui fait alors signe de la tête que non. Même si c'est complètement inutile, c'est un automatisme. « Non, non. Ne vous excusez pas. C’est moi, je n’aurais pas dû essayer de m’en mêler. » Elle n'a nullement besoin de se sentir coupable, Maeve. Ce n'est absolument pas le but du médecin. D'ailleurs, la culpabilité qu’elle ressent ne fait qu’augmenter la sienne. Comment faire pour se sortir de cette situation ? ’’Je ne voulais pas raviver de mauvais souvenirs.’’ Ses sourcils se froncent automatiquement. « C’est rien. » qu’il répond sans doute un peu trop rapidement et un peu trop sérieusement, à la limite d'être parfaitement dénué d'émotions. Les mauvais souvenirs ne sont qu’à peine évoqués. Elle n'a absolument aucune idée du contexte. Elle n'a que celui qu'elle s'imagine. Pourtant, Rafael a déjà besoin de monter sa forteresse. Juste y réfléchir, c'est déjà trop pour lui. ’’Je suis sûre que vous vouliez bien faire mais… Mon géniteur est particulièrement doué pour tromper son monde, et encore plus pour le manipuler.’’ Ça, il l’a bien compris. Dommage qu’il ne l'ait pas réalisé avant de s’humilier de la sorte devant sa fille. Mais, oui, Rafael voulait réellement bien faire. Ses intentions, quoique déplacées, étaient parfaitement nobles. « On dirait que je me suis fait bien avoir, oui. » qu’il répond en osant laisser un sourire se glisser sur ses lèvres. Il se sent bien con, Raf, d'avoir éprouvé autant d’empathie pour un homme condamné pour tentative de meurtre sur sa propre fille - s'il a bien compris. « Je suis vraiment désolé. Est-ce que je peux faire quoique ce soit pour rattraper le coup ? » Ok, il vient vraiment de proposer ça comme s'il venait de merder avec un vieil ami ? Soudainement, un rire nerveux traverse ses lèvres. « J’suis en train de rendre ça encore plus étrange hen ? » Ouais, ferme là et dis-lui de passer une bonne journée, ça vaut mieux.

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« Son agent de probation ? » elle appuie davantage le milieu de son dos contre sa chaise en serrant les cuisses, ses deux paumes devenues moites sous la nervosité que toute cette situation impose. Mais encore plus, elle est totalement perdue par les paroles du médecin car, avec peut-être trop de naïveté, elle imaginait qu’il était celui qui allait décider du sort de son père ; si le docteur avance l’idée que Darren Mayers est trop fragile pour une vie en incarcération, est-ce que quelqu’un osera contester cette décision ? N’est-il pas celui auquel on s’en remet pour déterminer ce genre de choses ? ’’Je vois.’’ cette formule, dans sa bouche, semble franchement ironique, encore plus désuet du fait que même au sens figuré, elle est caduque. Mais elle n’a pas franchement envie de chercher à comprendre, Maeve, peu intéressée par l’idée que son père puisse recouvrir sa liberté pour un stupide souci de santé — du moins, à ses yeux, aucune justification ne sera suffisante pour corroborer l’idée qu’il puisse être libre, alors elle rabroue ses propres élans de colère pour réaliser qu’elle a malmené, avec grande injustice, celui qui ne faisait que son travail. « Non, non. Ne vous excusez pas. C’est moi, je n’aurais pas dû essayer de m’en mêler. » elle apprécie qu’il le reconnaisse, mais elle ne compte pas rebondir sur son aveu pour le blâmer davantage ; plutôt, elle courbe ses lèvres avec un brin de soulagement, rassurée de constater qu’il ne lui en tient pas rigueur, et qu’il comprend — peut-être — pourquoi elle est tant sur la défensive concernant l’homme qui l’a élevée. « C’est rien. » elle tord sa bouche sur le côté dans une grimace dubitative, comme si elle ne pouvait pas accorder un crédit suffisant à cette affirmation ; même s’il n’a pas fini son aveu, elle a bien compris que cette situation le touchait plus que de raison mais elle ne se sent pas légitime d’approfondir frontalement le sujet « On dirait que je me suis fait bien avoir, oui. » elle l’entend sourire à travers ses mots et, presque inconsciemment, elle l’imite en souriant à son tour, avec davantage d’indulgence ’’Vous êtes tombé sur un expert en la matière, pas de raison de vous en vouloir. Maintenant, au moins, vous savez à quoi vous en tenir.’’ elle le dédouane de toute culpabilité en creusant davantage ses joues avec son sourire, ses deux mains se détachant enfin. « Je suis vraiment désolé. Est-ce que je peux faire quoique ce soit pour rattraper le coup ? » le rire nerveux qui poursuit cette demande lui fait pincer les lèvres avec amusement, ce qui confère une expression adorablement enfantine à son visage déjà poupin « J’suis en train de rendre ça encore plus étrange hen ? » il est mal assuré, le médecin, mais elle trouve ça plutôt attendrissant désormais ’’Je crois que vous avez plein de bonnes intentions, plutôt.’’ elle ne le croit pas, elle en est sûre et certaine ’’Je viens de vous confier la plus grande tragédie de ma vie, est-ce que vous avez besoin d’un café pour digérer la nouvelle ? C’est moi qui invite.’’ elle le balance d’une voix limpide en se tournant sur sa chaise pour récupérer son sac, dont elle accroche la anse sur son épaule pendant que sa main libre récupère sa canne, prête à partir : à la recherche de la cafétéria en sa compagnie ou seule pour sortir de l’hôpital. La décision revient au médecin, désormais.