Tout va bien. La vie suit son cours, il a trouvé la place de ses rêves auprès d’un homme politique qu’il admire, tout suit son cours. Sa relation avec Nicola avance à son rythme, ils fêteront leur sixième mois ensemble dans quelques jours et s’il n’irait pas déjà jusqu’à dire qu’ils passeront leur vie ensemble, il pense néanmoins qu’il s’agit d’une possibilité envisageable. Elle ira loin, elle aussi. Elle a un bon niveau, très bon même, et il ne fera que s’améliorer avec la bonne équipe pour l’entourer. Ils sont jeunes et le monde autour d’eux leur tend ses bras ; ce qui les rend bien assez insouciants pour s’autoriser une soirée passée au stand de jeux d’arcade nouvelle établi en ville.

Bras dessus bras dessous avec la jolie blonde, il profite de la carte bleue prêtée par Norman pour la soirée pour leur acheter des jetons qu’ils pourront utiliser à leur guise, et bien assez de quoi attaquer leurs dents avec du sucre sans jamais leur remplir le ventre. « Équipe ou ennemis ? » Il demande comment elle veut qu’ils organisent leur équipe pour choisir au mieux les jeux de la soirée, un sourire mutin affiché sur son visage alors qu’il prend à nouveau le temps de décortiquer celui de la jeune femme, jamais trop certain de réaliser sa chance de l’avoir à ses côtés. « Pour info, je partage pas ma barbe à papa avec des ennemis. » Il mime balancer ces mots comme une simple information et non comme un moyen de lui faire comprendre que lui, de son côté, a déjà une idée bien arrêtée de ce qui serait une bonne stratégie pour leur soirée. Pour prouver ses dires, il étire déjà son bras en arrière pour éloigner la sucrerie d’accès de Nico. « Mais t’en fais ce que tu veux, hein. » Il rajoute dans un rire, terriblement et pathétiquement sous son charme. Face à ce qu’il perçoit comme un certain manque d’engoument, pourtant, il en vient à proposer une alternative et à temporiser. « … mais si tu veux qu’on partage avant de devenir ennemis, ça peut fonctionner. » Tout n’est pas une question de stratégie et de négociations, il le sait mais ne sait plus comment agir normalement tant il s’est entraîné à ce sujet-là. Tout ce qu’il dit, en réalité, c’est qu’il ne la force pas à jouer si elle n’est pas dans son assiette ou si, simplement, elle a changé d’avis. Tant qu’ils passent la soirée ensemble, la façon dont ils s’occupent n’est pas ce qui importe réellement.

Il n’y avait jamais eu de place pour le superflus dans sa vie, et c’était à force de patience que Nicola s’était décidée à accepter de vivre une relation. Ambrose était idéal dans cette position, lui-même extrêmement occupé et n’étant pas de ces petits-amis qui nécessitaient qu’on leur donne des nouvelles à chaque instant ou des rendez-vous chaque week-end, chaque soir. Il lui avait même accordé quelques jours après son retour avant de lui proposer une sortie, bien conscient du rythme effréné qui était le sien et de son besoin de repos surtout après une compétition. Nicola, elle, n’avait pas fait le premier pas comme cela avait parfois été son cas, parce qu’elle savait que ce rendez-vous serait probablement le dernier. « Équipe ou ennemis ? » Nicola s’apprêtait à répondre, choisissant plutôt qu’ils soient ennemis parce qu’elle n’était plus en mesure de faire équipe avec lui. Pas maintenant, pas aujourd’hui, pas alors que sa décision était prise et guidée par une erreur trop conséquente pour lui permettre une autre issue. Mais ce n’était pas facile, lorsqu’il était aussi prévenant, souriant et que ses sentiments pour lui n'étaient pas entièrement éteints. Simplement éclipsé par l’idée qu’elle se faisait de l’autre et d’un fantasme devenu réalité. « Pour info, je partage pas ma barbe à papa avec des ennemis. » Rose était déjà lancé corps et âmes dans cette soirée, la première qu’ils s’accordaient depuis longtemps, et à le voir agir comme celui dont elles rêvaient toutes, elle n’avait pu s’empêcher de sentir sa poitrine se serrer. Son visage n’était pas aussi expressif qu’à l'accoutumée et bien sûr qu’il l’avait remarqué, lui qui avait toujours su lire ses traits et qui se souciait d’elle autant que sa propre personne. Il était parfait, mais il n’était pas lui. « Mais t’en fais ce que tu veux, hein. » Nicola ne savait pas réellement pourquoi elle avait laissé son propre rire s’associer au sien sans aucune once de sincérité. Elle cherchait le courage, retardait l’échéance, s’imaginait pouvoir faire marche arrière et prendre conscience qu’elle s’apprêtait sûrement à commettre une erreur. « … mais si tu veux qu’on partage avant de devenir ennemis, ça peut fonctionner. » Le choix de mots était extrêmement ironique, et elle avait fait de son mieux pour ne pas rebondir sur cette perche, cherchant une manière non violente de mettre un point final à leur relation. « T’as oublié que j’aimais pas la barbe à papa et que c’est pas bon pour mon régime ? » Elle était cruelle, de lui reprocher ce détail insignifiant alors qu’il s’était toujours souvenu de tout mais elle avait besoin d’amorcer le début de la fin, de commencer à creuser un fossé qui devait se faire toujours un peu plus important entre eux. « Excuse-moi, je suis fatiguée, depuis Londres. » Elle avait la tête ailleurs, son esprit incapable de se défaire d’une couleur bleue qu’elle avait retrouvée au fond du grand bassin et dans les yeux de Romeo Stanford. Il ne comprendrait sûrement pas l’importance de cette rencontre, mais elle avait à cœur d’essayer de le lui en faire capturer au moins une fraction. « Tu sais le nageur que j’adore ? Je l’ai rencontré, là-bas. » Son regard échappait au sien et se plantait dans le bitume alors qu’elle prenait conscience de ce qu’elle était sur le point de faire. Nicola allait être honnête, mais cela l’obligerait à tirer un trait sur quelque chose de réel pour se concentrer sur une probabilité si faible que cela lui donnait le tournis. « Tu trouves pas qu’on a trop d’ambition pour gérer ça ? » En une fraction de seconde, elle avait laissé tout le poids de sa décision peser sur ses seules épaules et elle s’en voulait, de l'inclure dans son vieux stratagème. Elle n’avait simplement pas eu la force d’arracher le pansement dès le début de leur moment à deux.

Elle semble un brin à part de la discussion mais il ne lui en veut pas. « Excuse-moi, je suis fatiguée, depuis Londres. » Il a remarqué, évidemment, mais il ne lui fait pas la remarque. Elle a des horaires difficiles, elle pousse son corps à bout, et cela la rend sans doute bien plus légitime encore qu’Ambrose à être ainsi fatigué. Tout du moins, c’est de cette façon qu’il le comprend lui-même. « T’en fais pas. » Plus calme, plus posé, il la rassure dans un sourire sincère. Elle travaille dure pour avoir les résultats qui sont les siens, ce n’est pas un fait qu’il risque de pouvoir lui reprocher, pas alors qu’il a lui-même de grands rêves et qu’elle le soutient à son tour. C’est pour ça qu’ils sont faits l’un pour l’autre, il en est certain. Ils iront loin, ensemble.

« Tu sais le nageur que j’adore ? Je l’ai rencontré, là-bas. »
« Ah oui ? Cool. »

Il n’est qu’à moitié intéressé par le nageur dont il est question mais il est intéressé par Nico, alors il est prêt à poser des questions, à lui demander si elle a eu son autographe, à chercher à savoir s’il était quelqu’un de sympa ou à la grosse tête. Autant d’informations dont il se fiche mais qui ont de l’importance pour sa petite-amie, il le sait. « Tu trouves pas qu’on a trop d’ambition pour gérer ça ? » La question dénote du soliloque qu’il tenait jusque-là, elle dénote aussi de l’information hasardeuse qu’elle vient de lui lâcher au sujet du nageur. Il se demande naïvement si elle ne parle peut-être pas d’un des jeux d’arcade autour d’eux, tout en sachant au fond de lui que cela n’a rien à voir avec le lieu où ils se trouvent, bien sûr. « La natation ? » Il joue à l’imbécile. Il a bien compris le sujet mais refuse de l’aborder. « C’est pas parce qu’on est jeunes qu’on a pas les épaules pour. » Pour la natation, pour tout le reste aussi. Ambrose ne pense plus à rigoler de tout et de rien, le sérieux ayant empoisonné leur discussion jusque là douce et enfantine. « Pourquoi tu te poses la question ? » Il y a un déclencheur et s’il veut désamorcer la bombe, il sait devoir le trouver pour y arriver. Pour ça, il a besoin de Nicola, parce que la laisser s’éloigner ne lui semble pas envisageable. Tout ce qu'il tente de faire pour l'heure, c'est ne pas se montrer trop insistant au risque de la faire fuir. Elle semble déjà lui filer entre les doigts, il le sent.

Gagner l’argent, c’était un rêve qu’elle n’aurait jamais cru accessible seulement quelques années auparavant. Sa détermination et sa force mentale l’avaient menée à l’une de ses plus belles performances et pourtant, c’était la première fois que ses propres résultats passaient après un autre détail. Son esprit était encore embrumé par une rencontre que, là aussi, Nicola n’aurait jamais cru possible. Nicola ne ressentait pas le même enthousiasme à l’idée de revoir Ambrose, à cause de sa culpabilité et de ce sentiment d’avoir trouvé ce dont elle avait réellement besoin. « T’en fais pas. » Sa compréhension et sa douceur se dressaient comme des obstacles presque insurmontables, elle qui aurait voulu qu’il lui reproche son caractère pour que la discussion se transforme en une dispute les menant vers l’inévitable. A la place, elle devait trouver la direction avec le peu d’arguments qu’elle possédait, se concentrant sur le plus évident. « Ah oui ? Cool. » « Cool, ouais. » Il ne s’encombrait pas de l’idée de feindre un quelconque intérêt pour l’information. Ambrose était égal à lui-même et rien ne pouvait lui être reproché, s’il avait quelques lacunes sur ce point là, il contrebalançait le tout par le réel intérêt qu’il lui portait à elle. La capacité de Nicola à voir le négatif avait évolué depuis son retour, au point d’enfin oser questionner ce couple qu’ils formaient. « La natation ? » Il avait réussi à faire apparaître un triste sourire sur ses lèvres, elle qui n’avait aucun doute qu’il cherchait simplement là à retrouver la légèreté à peine s’en étaient-ils éloignés. « C’est pas parce qu’on est jeunes qu’on a pas les épaules pour. » Nicola n’avait jamais eu besoin d’être rassurée, il lui avait toujours montré qu’il croyait fermement en leur couple. Elle n’avait aucun reproche à lui faire, et pourtant, elle se sentait incapable de ne pas penser qu’elle pouvait viser plus haut, comme si son mantra se propageait dans chaque détail de sa vie et pas seulement sa carrière. « Pourquoi tu te poses la question ? » Il n’était pas question que l’un éclipse l’autre, ils étaient bien loins de telles préoccupations étant plutôt de ceux qui se nourrissaient du succès des autres. Le problème était ailleurs, Ambrose avait pu le deviner, une autre réponse banale empreinte d’une subtilité qui cachait le peu de certitude de Nicola ne lui suffirait pas. « Parce qu’on a des rêves et qu’on vise des carrières qui demandent du temps. » L’excuse était minable, il valait mieux que ça, même une Nicola sur le point de l’amener à en douter pouvait s’en rendre compte. « Y a forcément un moment où nos agendas correspondront plus. Je sais pas, je me dis juste que pas être avec quelqu’un qui comprend ce que je vis ça va finir par être trop compliqué. » Romeo, lui, avait compris pourquoi son effusion de joie avait été suivie par un moment de faiblesse où le stress accumulé avant l’exploit avait enfin eu raison d’elle. Et inversement, elle avait compris les mots dont il avait eu besoin pour surmonter son abandon. Juste comme ça, le sentiment qu’ils étaient liés bien plus qu’elle ne le serait jamais à Ambrose avait fait du chemin dans son esprit. « Je vois bien que tu t’en fous du sport et c’est pas grave mais aux compet’ je suis avec des gens qui sont à fond et c’est peut-être mieux ? » avait-elle commencé, laissant l’intonation de sa voix poser une question à laquelle elle possédait déjà la réponse. « Je sais pas comment t’expliquer les choses. J'ai beaucoup réfléchi, là-bas. » avait-elle repris en entreprenant quelques pas au milieu d’un endroit où son discours dénotait et dont elle voulait s’échapper pour pouvoir se libérer du poids de sa culpabilité. Il n’en était pas conscient, mais Nicola avait déjà mis fin à ce qu’ils vivaient durant les jeux.