«le ciel est magnifique, non? » mentionna Kehlani désormais assise au bord de son voilier. La jeune femme regardait le coucher de soleil en compagnie de son chat, Billy. Le ciel se teintait de magnifiques couleurs et elle se comptait chanceuse de pouvoir l'observer comme ça presque à chaque semaine. Elle avait recommencé ses études depuis peu et n'avait plus autant de temps pour aller sur l'eau. Cela ne l’empêchait pas d'y aller chaque week-end.  Elle allait toujours visiter ses petits endroits secrets qu’elle ne montrait jamais à qui que ce soit. Il s’agissait de ses petits havres de paix où elle prenait le temps de réfléchir et de se calmer face à ses tourments toujours bien présents à chaque seconde de son existence. Un de ses plus gros problèmes, c’était que la brunette se sentait seule même lorsqu'elle était entourée ces temps-ci. Elle s'était promis de faire des efforts pour s'améliorer, mais ce n'était pas facile. Levant le regard vers le ciel, elle regarda en même temps en direction de la falaise qui était toute proche. Pendant quelques secondes, elle se demanda si elle avait vu un reflet d’un objet métallique. La brunette fronça les sourcils, mais elle se dit qu'elle avait dû halluciner. « penses-tu qu'elle me voit de là où elle se trouve?» Kehlani posait souvent cette question à voix faute. Son chat poussa un petit miaulement et elle le caressa de sa main. Quatre ans avaient passé, mais elle avait toujours l'impression que le décès de sa mère était récent.  La colère était finalement en train de s'estomper laissant place à la tristesse.  Son processus de deuil était vraiment long, mais pouvait-on se remettre de la perte de l’être qui était le plus cher à nos yeux? Elle ne s’était jamais imaginée un monde sans sa mère et désormais, c’était son quotidien… Elle avait tellement gaspillé d'énergie à détester l’univers entier qu'elle n'avait plus la force de se battre. Cela était pour le mieux. Peut-être serait-elle moins désobligeante envers les autres? « Non, mais je n’hallucine pas?! Il y a bien quelqu’un en haut de cette falaise? » Elle fronça les sourcils, puis alla chercher sa paire de jumelles. Non, elle ne rêvait pas, il y avait bien quelqu’un qui traînait là. Il ne semblait pas avoir d’équipement et la nuit allait tomber rapidement. En Australie, il y avait des animaux étranges et surtout, des bestioles qui faisaient froid dans le dos. Si Kehlani connaissait bien l’océan, elle n’était pas tellement familière avec ce qui se trouvait sur la terre ferme. « qu’est-ce que je fais Billy? Et s’il était en danger? » Si elle n’avait aucun problème à secourir les gens sur l’océan, c’était autre chose lorsqu’ils étaient sur un sol solide. « oh et puis, zut! » Elle alla amarrer son voilier sur la plage qu’elle avait quitté il y avait une demi-heure de ça et pris son sac avec elle (provisions, premier soin, couverture… etc. Bref, un sac de survie en cas de problème). Son chat la suivait tel un chien, mais elle avait pris bien soin de lui mettre son harnais. Elle prit le sentier précaire et fit bien attention de ne pas se faire mal en gravissant la falaise. L’endroit où l’individu se trouvait n’était pas dans un endroit facile d’accès. Elle se demanda même à un moment si elle n’aurait pas dû envoyer un message de détresse, mais elle avait son téléphone si jamais il y avait quelque chose. Elle arriva finalement sur les lieux, du moins, presque… mais il n’y avait plus personne. « non, mais je ne suis pas folle quand même. » dit-elle à voix haute. « mais où te caches-tu? » Pourtant, elle n’avait pas bu d’alcool ni fumer quoi que ce soit. « où êtes vous?! histoire que je ne sois pas venue vous secourir pour rien? » Si elle parlait à voix haute, peut-être que quelqu’un allait finalement se manifester?

Et s'il était, encore une fois, en train de vaciller ? C'est la crainte qui prend de plus en plus de place dans l'esprit d'Alistair qui ne sait pas ou ne sait plus comment gérer les émotions et comment faire avec les tourments à nouveau de la partie. Il est persuadé qu'il ne devrait pas renouer avec Willow, aussi délicieuses aient pu être ces retrouvailles, contre toute attente. Délicieuses, parce que pour la première fois depuis des mois il a ressenti autre chose que la douloureuse perdition avec laquelle il doit apprendre à composer dans la vie de tous les jours. Il ne sait toujours pas pourquoi il a accepté qu'elle fasse ce pas en avant, tout droit dans sa vie. Surtout en sachant que cela fait plus d'un an et demi qu'il évite autant que possible les bons sentiments des uns et des autres. Un an et demi qu'il refuse qu'on l'approche de trop. Qu'on tente de lui offrir réconfort et fausses paroles sympathiques et de compassion. Parce qu'il ne supporte pas tout ça. Il se sent étouffer à tous les coups et n'a d'autre solution que de prendre la fuite. Mais Willow. Elle est arrivée avec son sourire toujours beaucoup trop doux et ses grands yeux beaucoup trop perturbants. Alors lui, il a bêtement ouvert la porte et en plus grand encore quand elle le lui a plus ou moins demandé. Il est faible face à elle. Exactement comme il l'a été à vingt-deux ans. Quand leurs regards se sont croisés au cours d'une soirée à laquelle ni l'un ni l'autre n'aurait vraiment dû se trouver. Parce que ce n'était pas leur genre. Parce qu'ils n'avaient franchement rien à y faire et rien à en retirer. Plus il se perd dans ces vieux souvenirs et dans les plus récents, plus il se sent étouffer sous son propre toit. Alors très vite, il décide que ce sera une nuit à la belle étoile.

Bien entendu, pas le genre de nuit que l'on s'offre parfois dans un camping un peu sauvage, mais parfaitement sécurisé dans un champ, dans une prairie ou même sur la plage. Ce n’est pas de ça dont il a besoin, l’écrivain. Lui, il choisit un sentier escarpé qui lui permet de retrouver le sommet d'une falaise au pied de laquelle l'océan se fracasse avec violence. N'importe qui, qui tomberait de là, y perdrait assurément la vie. Et c'est bien pour cette raison qu'Alistair choisit souvent ce coin. Personne ne prend jamais trop le risque de s'y rendre et moins encore une fois la nuit tombée. Et ça lui offre une petite dose d'adrénaline qui est la bienvenue. Comme à chaque fois, il n'a pas pris la peine de s'équiper de quoi que ce soit. Rien d'autre que le nécessaire pour que son chien ne subisse pas son choix un peu idiot et un peu dangereux. Lui-même s'est nourri, puis muni d'une gourde, pour aller traîner et trôner en haut de cette falaise. Installé en tailleur face au ciel qui s'assombrit à vue d'œil avec le soleil qui disparaît petit à petit de la plus jolie des façons, il attend que le temps passe. Quand des bruits de pas le font hésiter. Dans le doute, il se lève et se recule de quelques pas. Il n'est pas certain d'avoir envie de rebrousser chemin, mais il n'a pas non plus envie de croiser qui que ce soit ici. C'est pourtant une voix féminine qui vient mettre fin au paisible silence. Il grince des dents, retient un soupir et hésite à lui répondre. Mais si elle est vraiment venue jusque là par peur pour lui, il préfère autant la rassurer et lui conseiller de s'en aller avant que la nuit ne la bloque ici. « Parce que votre but était de me secourir ? Vous êtes plutôt en train de vous mettre en danger. »  Qu'il ne manque pas de lui répondre, sans doute un peu plus sèchement qu'elle ne le mérite.

Kehlani était quelqu’un de téméraire. Il n’y avait qu’à penser à toutes les tempêtes qu’elle avait affrontées seule à bord de son voilier. Elle aurait pu y passer à de nombreuses reprises, mais elle continuait tout de même ses périples en plein océan. C’était ce qui la rendait bien vivante. Elle croyait que sa mère, de là-haut, la protégerait contre tout. Peut-être était-elle naïve, mais c’était ce qui lui permettait de continuer. L’américaine ne semblait avoir peur de rien, mais ce n’était pas tout à fait le cas. Elle avait une peur bleue de l’abandon depuis la mort de sa mère. Peut-être que c’était d’ailleurs un peu pour cela qu’elle faisait souvent n’importe quoi et qu’elle mettait souvent sa vie en danger comme maintenant. Gravir ce sentier n’était définitivement pas de tout repos. Elle aurait pu tomber et se faire très mal, sans aucune possibilité d’appeler à l’aide. Même si Billy s’avérait être un chat très intelligent, il ne possédait aucunement la capacité d’appeler lui-même les secours. Peut-être même que l’homme qu’elle avait aperçu n’était peut-être pas une bonne personne. Mais tout ça, Kehlani n’y avait pas réfléchi une seule seconde. Elle ne se mêlait pas de ses affaires et aurait très bien pu tomber sur quelque chose de dangereux ici dans la forêt en bordure de la falaise. Lorsqu’elle se retrouva tout en haut, le fait qu’il n’y ait personne la frustra au plus haut point. Si elle avait tout fait cela pour rien, elle allait s’en mordre les doigts. Après avoir râler à voix haute, le silence se fit entendre. L’américaine n’allait certainement pas rebrousser chemin si rapidement. Elle était têtue et téméraire et même si ce n’était que pour prouver à son chat qu’elle n’avait pas rêvé, elle allait continuer de chercher l'individu un peu crétin qui avait décidé d’élir domicile pour la nuit tout en haut de la falaise. Elle espérait quand même qu’il ne soit pas tombé en bas de cette dernière. Elle-même n’était pas assez folle pour décider de sauter à l’eau. Elle n’avait peur de rien, mais face à la mort, elle allait rebrousser chemin. « Parce que votre but était de me secourir ? Vous êtes plutôt en train de vous mettre en danger. »  Kehlani manqua de sursauter à l’entente de ces paroles, mais décida de ne pas le lui montrer. Pourtant, son cœur battait fort dans sa poitrine. Dans les ténèbres grandissantes, elle avait un peu de mal à distinguer l’homme qui se tenait face à elle. Son ton était désobligeant, ça, elle s’en était bien rendue compte. « quoi? vous êtes un tueur en série? » demanda-t-elle de manière ironique en sortant sa lampe torche et en le braquant droit sur lui. Billy était quelque part derrière et elle ne manquerait pas de le protéger si besoin était. « mais si vous parlez du chemin pour venir jusqu’ici, c’était de la petite bière. » elle haussa les épaules. « mais oui, je suis venue vous sauver. c’est un peu téméraire de rester là. vous savez que la nuit va bientôt tomber. Vous allez dormir à la belle étoile? » Kehlani et ses questions… Un jour, elle allait le regretter amèrement. « oh en plus vous avez un chien? Il s’appelle comment ? » demanda-t-elle en venant d’apercevoir un chien à ses côtés. Son ton s’était fait plus doux que précédemment.

Il est tombé sur ce coin de falaise un peu par hasard, au cours de l’une de ses nombreuses promenades, voilà des mois. Il était déjà tard et c’est ce qui l’a poussé à rester pour y dormir. Sans aucune sécurité, sans avoir mangé, sans avoir de quoi se protéger de la fraîcheur de la nuit. Et c’était grisant. Tant et si bien qu’il a remis ça à quelques reprises et qu’il remet ça encore une fois ce soir. Et jusqu’à présent, il n’avait jamais croisé qui que ce soit. Alors ça le laisse un peu hésitant quand il entend que quelqu’un le rejoint et qu’une voix féminine se fait ensuite entendre. C’est quelqu’un qui est venu pour lui. Il ne comprend pas pourquoi et il n’a certainement pas envie d’être dérangé. Mais avec l’obscurité qui les enveloppe désormais, la jeune femme aura du mal à faire demi-tour. Pas sans se mettre en danger. Et c’est ce qu’il entend par sa réponse quand il daigne enfin se dévoiler un peu. À sa réaction, il échappe un soupir parfaitement sonore. « Ce serait l’endroit parfait si j’en étais un, en tout cas. » Qu’il ne manque pas de faire le constat. Parce qu’il n’aurait aucun mal à faire disparaître un corps dans le coin. Non pas que de sombres pensées soient en train de s’insinuer dans son esprit, mais c’est elle qui vient de le pousser à penser ainsi. Il marmonne son agacement dans sa barbe, quand elle braque une lampe torche dans sa direction. Il lève un bras pour se protéger de cette luminosité soudaine qui lui arrive en plein dans les yeux. Il est aveuglé et ce n’est pas la chose la plus agréable qui soit.

Elle, elle continue sur sa lancée. Elle parle. Encore. Elle parle. Beaucoup trop. C’est ça. Elle est très bavarde et surtout trop pour quelqu’un comme lui, qui ne l’est vraiment pas tant. « C’est bien mon intention, oui. Et si vous ne voulez pas en faire de même, vous feriez mieux de faire demi-tour tout de suite. Tant qu’il en fait pas encore totalement nuit. » Il n’a rien contre elle, mais il n’est pas certain d’avoir envie de se la coltiner pour le reste de la soirée et la nuit à venir, en attendant que le jour soit de retour pour lui permettre de repartir sans trop de risque. Le regard est sur elle quand, de son côté, elle réalise la présence du labrador, il fronce les sourcils. Elle est intenable. « Hey ! » Ce qu’elle ne va certainement pas prendre comme une réponse. Alors très vite, il reprend la parole pour préciser : « C’est son nom. Il s’appelle Hey. » Et il a le sentiment qu’elle va avoir un tas de questions à poser autour de ça. Parce qu’elle a l’air d’être ce genre de personne qui ne peut s’empêcher de trop parler et de poser trop de questions. « Comment vous m’avez vu, d’ailleurs ? » L’endroit est discret. Ce n’est pas pour rien s’il l’a trouvé tout à fait par hasard. C’est que l’endroit est planqué et il pensait vraiment être le seul à le connaître, à ce niveau-là. Le seul à prendre le risque de s’y rendre si souvent et surtout à une heure aussi tardive. Qui d’autre que lui est assez dingue pour faire ce genre de choses et le faire avec autant de plaisir ?

Kehlani n’avait pas réalisé qu’en venant sur cette falaise à ce moment précis de la journée qu’elle ne pourrait plus rebrousser chemin par la suite, puisque c’était trop risqué de s’aventurer sur un passage si escarpé sans risquer de tomber et de se blesser. Encore une fois, elle n’avait pas réfléchi aux conséquences de ses gestes. Mais elle était confiante que comme d’habitude une bonne étoile brillait sur elle et que rien ne pouvait lui arriver tant et aussi longtemps qu’elle continuait de sentir la présence de sa mère auprès d’elle. C’était un peu tiré par les cheveux même pour elle, mais croire que sa mère était toujours à ses côtés lui permettait d’avoir une confiance infinie en elle-même et ce n’était pas rien. L’inconnu n’allait pas lui faire du mal, non? En fait, il semblait simplement exaspéré de la trouver là et elle le sut à cause du soupir un peu trop exagéré qu’il poussa lorsqu’elle lui répliqua. Elle grimaça quelque peu dans les ténèbres grandissant parce que c’était elle d’habitude qui était découragée de l’attitude des autres et non, l’inverse comme en ce moment. « Ce serait l’endroit parfait si j’en étais un, en tout cas. » - « compte tenu du fait qu’il n’y a pas âmes qui vivent ici, ça serait fort étonnant quand même. Il n’y a pas d’autres idiots que nous qui s'aventurent ici si près du couché du soleil. Et si vous êtes là pour vous débarrasser d’un corps, ça serait vraiment culotté de votre part et vous seriez beaucoup trop motivé de traîner qui que ce soit ici, alors que l’endroit est dangereux pour une personne seule, alors deux… » Elle avait vu assez de films d’horreur pour se dire qu’il faudrait vraiment de la motivation pour un tueur en série de faire tout cela. Même eux n’étaient pas assez stupides pour risquer leur propre vie pour le simple plaisir d’en enlever une.

Lorsqu’elle braqua sa lampe torche sur lui, l’inconnu eut pour réflexe de protéger ses yeux avec son bras. pas de geste brusque pour l’attaquer, c’était bon signe… Kehlani resta quand même méfiante. L’homme semblait simplement exaspéré par sa présence, rien de plus. « C’est bien mon intention, oui. Et si vous ne voulez pas en faire de même, vous feriez mieux de faire demi-tour tout de suite. Tant qu’il en fait pas encore totalement nuit. » L’américaine évalua sérieusement ses options, regardant autour d’elle. Cela lui avait pris une bonne quinzaine de minutes à se rendre à ce point de la falaise de la plage. Si elle se rendait à son voilier à temps, ça serait okay, mais repartir dans de telles conditions était tout de même téméraire. Elle ne serait pas en mesure de voir les rochers et risquait de s’échouer. « je crois que vous êtes pris avec moi pour la nuit. j’avoue que j’ai pas tellement réfléchi. et puis, je suis …. accompagnée.. » En disant cela, elle prit Billy dans ses bras. « je suis venue sur un voilier. je ne risquerai pas de m’échouer avec lui à bord… » Elle poussa elle-même un soupir quand elle vit un labrador aux côtés de l’homme. « Hey ! » s’exclama son interlocuteur, mais il précisa qu’en fait c’était le nom de son chien. « vous avez vraiment appeler votre chien « hey ! » c’est… original. » Mais Lani connaissait cette race de chien. Il fallait souvent les rappeler à l’ordre. Ils adoraient l’eau normalement d’ailleurs, comme son Billy. « ce petit gars ici s’appelle Billy, comme le tueur principal dans le film « scream ». Les bengals ressemblent un peu aux labradors niveau indiscipline, mais ils sont quand même un peu plus intelligents…» lui dit-elle. Son commentaire ne se voulait pas méchant. C’était un fait… les chiens étaient naïfs en comparaison d’un chat qui était plus… indépendant si on voulait rester poli.   « Comment vous m’avez vu, d’ailleurs ? » - « un reflet d’un objet métallique. j’ai sorti mes jumelles et hop, je vous ai vu. Et bien évidemment, je ne me suis pas mêlée de mes affaires et je me retrouve coincée avec vous. j'apprends jamais de mes erreurs. » Elle haussa les épaules. Oui, elle lui donna ouvertement la chance de se moquer d’elle. « si on est prisonnier de cet endroit tous les deux, autant se présenter. Je m’appelle Kehlani et d’ailleurs vous aviez vraiment prévu de dormir ici sans aucun équipement? vous n’avez pas peur? » Elle n’avait pas tendu sa main lorsqu’elle s’était présentée, évaluant toujours la situation et puis, avec son bengal dans ses bras, elle n’avait pas l’intention quand même de le lâcher, pas tant qu’elle ne saurait pas si « hey » aimait la présence des chats.

Plus la jeune femme parle et plus il se tend, le regard rivé sur elle à se demander ce qu'elle est en train de raconter. Parce qu'il a clairement perdu le fil. C'est qu'elle enchaîne quand même beaucoup trop les mots pour qu'il parvienne à rester concentré. Ce n'est pas vraiment dans ses habitudes à Ali de parler autant, alors en retour il a beaucoup de mal à rester concentré quand on lui en balance autant en plein visage. « Je crois que j'ai décroché au mot "âme". » Beaucoup trop honnête, sans aucun doute. « Vous développez beaucoup trop sur un sujet qui n'en méritait pas tant. » En grande partie parce que ce n'était même pas une histoire sérieuse. Parce qu'elle ne l'a quand même pas sérieusement imaginé dans le rôle d'un tueur en série, pas vrai ? Certainement que non, sinon, elle ne serait pas en train de lui tenir la jambe comme ça. Elle aurait plutôt tourné les talons pour vite aller se réfugier dans l'endroit duquel elle vient. Maintenant, la seule chose qu'il attend de sa part, c'est qu'elle comprenne qu'il est encore temps de faire demi-tour. Il n'a pas envie qu'elle lui tienne compagnie pour la nuit. Et moins encore si elle est aussi bavarde que ce qu'elle vient de lui montrer, en quelques minutes de présence à peine. Grâce à la luminosité de sa lampe torche, il la devine un peu mieux. Elle semble terriblement jeune. Qu'est-ce qu'une gamine fait dans un tel endroit, à une heure aussi tardive ? Témérité ou bêtise, il l'ignore bien. Et il n'a pas particulièrement envie de lui demander. Pas alors qu'il attend toujours qu'elle entende raison et tourne les talons. Mais elle douche tous ses espoirs en quelques mois à peine. Elle va donc rester pour la nuit. « Un chat ... » Qu’il fait le constat en lançant un coup d’œil à la boule de poils qu’elle vient de récupérer entre ses bras. En même temps que, de son côté, elle réalise la présence du chien qui vient de se perdre contre les jambes de son maître. Il attend de savoir s’il doit ou non s’inquiéter de la présence d’une autre humaine dans les parages. C’est que, pour lui aussi, c’est inédit de rencontrer des gens aussi loin de la civilisation.

« Ce n'est pas particulièrement original. Je ne savais simplement pas comment l'appeler ... » Et il n'a pas franchement le courage de lui expliquer comment c'est venu, du coup. De toute façon, elle est déjà en train de se perdre à nouveau dans des explications dont il n'est pas sûr d'avoir besoin. Il la regarde, toujours aussi perplexe devant le flot de paroles qu'elle est capable de lui offrir. C'est assez dingue de parler autant et de donner tant de détails. Il faut réussir à écouter et à faire le tri entre les différentes informations pour n'en retirer que l'utile. Et ce n'est pas tâche aisée pour l'écrivain qui peine à se concentrer en cet instant. De toute façon, il préfère lui poser un tout autre genre de question. À savoir, comme elle a pu le voir là. Encore une fois, sa réponse est beaucoup trop longue. Si elle a l'intention de passer la soirée à parler autant, il est évident que l'écrivain va aller se coucher avec un mal de crâne insupportable. « Ce n'était peut-être pas moi ... Il y a peut-être quelqu'un d'autre dans les parages, qui sait ... ? » Est-ce qu'il essaie de lui faire peur pour qu'elle tourne les talons et prenne le risque de faire demi-tour malgré l'obscurité grandissante ? C'est probable. Est-ce qu'il en est fier ? Pas franchement. « Je m'appelle Alistair. » Qu'il daigne répondre à sa question. C'est toujours ça de gagné. « Et oui, j'avais bien l'intention de dormir là sans équipement ni rien. Je le fais assez souvent et, en règle générale, j'ai la chance de ne pas être interrompu dans ma quête de solitude. » Il soupire, bien conscient maintenant qu'il ne pourra pas inverser la tendance ce soir. Ils sont voués à passer la soirée et la nuit à quelques mètres l'un de l'autre. Avec un chat et un chien au milieu. « De quoi voulez-vous que j'aie peur ? » Il glisse ses doigts sur le crâne de son chien qui n'a pas bougé. « Votre chat ne risque rien. J'ai récupéré Hey dans un refuge où il cohabitait avec un tas de chiens et de chats. » C'est que lui aussi, il finirait par en devenir bavard. C’est trop de mots à son goût déjà.

Kehlani avait tendance à beaucoup trop parler. Parfois, elle n’arrêtait que pour reprendre son souffle et puis, elle continuait sur sa lancée. Ce moment ne faisait pas exception. Elle avait tendance à ne pas trop respecter l’ordre de paroles et coupait même les gens si elle jugeait que ce qu’ils disaient était trop long ou pas assez intéressant. L’inconnu semblait ne pas être attentif  ni même réceptif à ce qu’elle disait et le commentaire qu’il émit par la suite la fit froncer les sourcils. « vous avez la mémoire et l’attention d’une Doris ou quoi? » Elle faisait évidemment référence au poisson bleu dans le film « nemo », qu’elle avait été contrainte de regarder beaucoup de fois lorsqu’elle était plus jeune, alors que ce n’était pas du tout son film préféré. « Vous développez beaucoup trop sur un sujet qui n'en méritait pas tant. » - « avez-vous pris de la drogue?  ou avez-vous bu, peut-être? Parce que ce que je dis est toujours intéressant. » surtout lorsqu’elle parlait de tueurs en série. Elle serra davantage ses bras contre sa poitrine en guise de mécontentement. D’ailleurs, elle commençait de plus en plus à regretter ses choix de vie. Elle aurait simplement dû ignorer le reflet métallique qu’elle avait vu et continuer sa route comme si de rien n’était. Mais elle ne pouvait plus partir, du moins, pas pour le moment. Kehlani espérait que la nuit passe vite, mais avec cet homme désagréable, elle sentait que le temps allait passer très lentement. S’il y avait de l’alcool caché quelque part, elle ne disait pas non par contre. Ce serait peut-être la seule chose qui allait faire en sorte que son interlocuteur soit supportable.

« Un chat ... » Il n’avait pas l’air trop surpris. En fait, l’homme n’avait pas l’air d’être intéressé par quoi que ce soit mise à part sa tranquillité que Kehlani avait visiblement gâchée. D’ailleurs, Billy poussa un miaulement agacé lorsque sa maîtresse le prit dans ses bras. Cependant, l’américaine devait évaluer avant toute chose si le chien qui se promenait entre les jambes de son humain était à l’aise avec la présence du bengal. Ce n’était pas tous les chiens qui appréciaient la présence des chats. Quant à Billy, il appréciait tous les animaux. « Ce n'est pas particulièrement original. Je ne savais simplement pas comment l'appeler ... » En fait, Kehlani trouvait que c’était bien l’inverse. « au moins, vous ne l’avez pas appelé « chien », c’est déjà ça. Hey! c’est simple et efficace! Au moins, il se reconnaît facilement… » commenta-t-elle en haussant les épaules. Son interlocuteur avait beau l’agacer, parler d’animaux de compagnie était toujours un sujet qu’elle appréciait beaucoup et de loin. En fait, elle préférait bien plus les animaux aux humains. Ces derniers étaient dévastateurs et souvent, désagréables. « Ce n'était peut-être pas moi ... Il y a peut-être quelqu'un d'autre dans les parages, qui sait ... ? » - « non, je suis certaine que c’est vous que j’ai vu avec mes jumelles. » lui dit-elle simplement en haussant les épaules. et il n’y avait certainement pas d’autre idiot que lui pour venir jusqu’ici… Elle-même se trouvait quand même idiote d’être là. Peut-être souhaitait-il lui faire peur? Mais ça lui en prenait beaucoup pour être effrayé.

« Je m'appelle Alistair. » lui dit-il finalement lorsqu’elle se présenta à lui parce qu’elle se disait qu’il fallait au moins qu’elle sache comment il s’appelle. Pour une fois, elle n’allait pas répondre « enchanté » ni même tenter de lui serrer la main. Elle se disait qu’il n’avait pas envie de tout ça. Ses soupirs en disaient long et il ne semblait pas très patient. Heureusement, Alistair ne lui semblait pas dangereux. « Et oui, j'avais bien l'intention de dormir là sans équipement ni rien. Je le fais assez souvent et, en règle générale, j'ai la chance de ne pas être interrompu dans ma quête de solitude. » ne répond pas, ne répond pas, ne répond pas Elle pinça ses lèvres ensemble pour éviter de dire un commentaire désobligeant. « bah désolée d’avoir pensé que vous aviez besoin d’aide. La prochaine fois, je me retiendrai. promis. et si quelqu’un est réellement en danger, bah, il ne sera pas secouru. » Elle poussa elle-même un soupir. « De quoi voulez-vous que j'aie peur ? » - « peut-être des créatures dont regorgent l’Australie? je ne sais pas moi? des serpents? des tarentules? ou des lézards? » Même après un an, l’américaine n’était pas particulièrement familière avec la faune locale, elle qui passait plus son temps sur l’eau que dans la forêt. Elle n’en croyait pas ses oreilles de savoir qu’il ne se souciait d’aucun de ces dangers potentiels.

La seule bonne nouvelle, c’est que Alistair lui donna enfin le feu vert et lui mentionna que son chien venait d’un refuge et qu’il était habitué aux chats et aux chiens. Kehlani lui montra son soulagement et déposa Billy sur le sol parce que ce dernier commençait déjà à se débattre. Il alla directement vers le chien pour le sentir. Lani n’essaya pas de l’en empêcher. Lui au moins s’était fait un camarade en haut de la falaise. C’était très mal parti pour la brunette.  « je vais prendre mon petit coin. et promis, je vous embête plus. » dit-elle finalement en sortant de son sac sa couverture et s’éloigna un peu en poussant des soupirs. S’il voulait le silence, il allait l’avoir. « viens Billy… on va laisser le grincheux en paix… » Elle s’assit sur le sol et commença à caresser son chat qui se mit à ronronner. Elle garda sa lampe torche allumée quelques instants et voyant qu’il n’y avait pas de dangers potentiels, elle l’éteint. « ouais, bah, c’est bien la dernière fois que j’essaie d’aider quelqu’un. promet moi de me mordre si j’essaie encore une fois… » dit-elle à son chat avant de regarder l’horizon. Le soleil avait complètement disparu et même avec la présence de Billy à ses côtés, elle se sentait bien seule.

La jeune femme qui vient finalement de le rejoindre en haut de cette falaise parle beaucoup trop pour qu’il ait réellement envie de lui accorder toute son attention. Il n’est pas vraiment habitué à ça, Alistair. Il n’y a que Jessie pour parler autant, mais Jessie, il l’adore. Alors il dévore ses paroles sans se faire prier et ne manque même jamais d’intervenir pour donner son avis ou pour lui montrer à quel point il est intéressé par tout ce qu’elle dit. Avec une parfaite inconnue qui vient de percer sa bulle de tranquillité, c’est une toute autre histoire et il a bien du mal à se montrer agréable avec elle. Il est même tout juste poli ... Il échappe encore un soupir, quand elle le compare à un certain poisson bleu. Celui d’un film qui est sorti quand il était déjà un poil trop grand pour vraiment s’y intéresser, mais qu’il s’est retrouvé à visionner avec et pour Willow et sa petite sœur, bien des années plus tard. Très vite, Alistair se pince l’arrête du nez, signe qu’il peine à rester patient avec la jeune femme qui le soupçonne maintenant d’avoir bu ou d’être sous les effets d’une quelconque drogue. « Je ne sais pas qui vous a dit ça, mais je crains que cette personne n’ait menti pour vous faire plaisir. » Qu’il n’hésite pas à lui répondre. On repassera pour la gentillesse. Pour le moment, il ne pense pas à grand-chose d’autre qu’à son agacement d’avoir été rejoint alors qu’il pensait pouvoir passer une nuit tranquille, à la lueur de la lune et des étoiles. En revanche, il veut bien faire un effort quand il est question de son chien qu’il a nommé Hey, comme il l’indique à la brune qui ne semble pas trouver ce nom ridicule. Mais elle saute aux yeux comme étant une personne un peu étrange. Alors ça ne devrait effectivement pas la choquer plus que ça.

Simple hochement positif de la tête, quand elle lui fait remarquer que ce nom permet au moins au chien de se reconnaître tout de suite. C’est le cas, et c’est bien pour cette raison qu’Ali a conservé ce nom une fois qu’il a réalisé que ça lui convenait, à lui aussi. C’est court. Presque juste un son. C’est donc suffisant pour un animal. La conversation file beaucoup trop vite d’un sujet à un autre. Ali a toutes les peines du monde à suivre, mais quand il parvient à s’y raccrocher, il ne manque pas quelques réponses à peine agréables. C’est qu’il va sans doute lui en vouloir jusqu’au lendemain matin, de l’avoir rejoint ici et de passer la nuit à quelques mètres de lui. « Quelle âme charitable vous avez. » Qu’il ne manque pas d’ironiser très fort, quand elle lui rappelle que son but était de le secourir. Et de lui faire entendre que, par sa faute, les prochaines fois elle laissera des gens potentiellement en danger, puisque ça lui servira de leçon, cette rencontre. Il a quand même envie d’échapper un rire tant l’idée est idiote et folle. Mais il n’a pas envie qu’elle se sente pousser des ailes parce qu’il l’aura finalement trouvé un peu amusante et que cela lui donne envie de poursuivre sur sa lancée. Elle l’est un peu moins quand elle pense utile de lui rappeler le genre de bestiole qui peut se promener dans la forêt et autres coins de nature. « C’est justement toute la magie d’une nuit comme ça. On n’est pas sûr de ce qu’on va vivre ni de ce sur quoi on va tomber. » Qu’il prétend, juste pour avoir le dernier mot. Parce qu’il est hors de question que cette bavarde l’emporte sur ces échanges stériles.

Finalement, la brune semble prête à prendre place maintenant qu’elle voit bien qu’elle n’a d’autre choix que de dormir là, mais qu’elle est également rassurée sur le fait qu’Ali n’a pas l’intention de la faire basculer tout droit en direction de l’eau. Il s’apprête à rejoindre son propre coin sans rien répondre, quand une remarque qu’elle fait lui arrache un énième soupir. « Non, mais attendez. Vous êtes culottée quand même. C’est moi le grincheux ou vous la casse-pieds ? » Qu’il continue justement de ronchonner. Mais franchement, est-ce si grave que ça de se faire traiter de grincheux par une gamine qui débarque d’il ne sait trop où ? Il s’éloigne pour poser ses fesses sur un petit rocher. Très vite, il est rejoint par son chien qui ne lui est infidèle que lorsque Willow et Jessie sont dans les parages. Il vient se presser contre lui et Ali ne se fait pas prier pour perdre ses doigts dans les poils longs. Il a le pouvoir de l’apaiser et de le rassurer par sa simple présence. De le calmer, par la même occasion. Assez pour faire retomber un peu de l’agacement qui est venu le secouer tout entier, à la seule vie d’une parfaite inconnue qui s’est permise de s’égarer sur son territoire du soir. « C’était vous le voilier ? » Qu’il réalise en mettant lui-même fin au silence cette fois. Sans vraiment y prêter attention. Parce qu’il doit admettre être un peu curieux à ce sujet. Jusqu’à présent, il ne s’était intéressé plus que ça aux bateaux et à l’idée d’aller se perdre sur l’eau à bord d’un voilier ou autre embarcation du genre. Ce soir, il réalise que c’est peut-être la meilleure façon de s’offrir des heures et des heures de solitude. Voire quelques jours. Et ça, pour Ali, ça n’a pas de prix.

Il était rare que Kehlani croise des types comme cet Alistair. Peu importe ce qu’elle disait, il semblait irrité ou bien même découragé ou bien même les deux, hein? Son langage corporel ne faisait qu’accentuer son malaise par rapport à cet inconnu, même si elle était loin d'en avoir peur. Pourtant, même si elle-même le trouvait agaçant, elle n’était pas convaincue qu’il était une mauvaise personne. Billy n’avait pas peur et elle était certaine que si elle le laissait aller dans sa direction, il allait se frotter à ses jambes comme il le faisait toujours avec les gens qui avaient un bon fond. Peut-être était-ce une façade, mais Kehlani était bien trop irritée par ses paroles pour voir tout ça. Pour une fois, elle était même prête à abandonner cet exercice qu’elle faisait toujours lorsqu’elle rencontrait une nouvelle personne. Elle les testait de toutes les manières possibles pour voir à qui elle avait affaire. Pour l’instant, même si elle se doutait qu’elle n’avait pas en face d’elle une mauvaise personne, cela ne voulait absolument pas dire qu’elle l’appréciait pour autant, bien au contraire. « Je ne sais pas qui vous a dit ça, mais je crains que cette personne n’ait menti pour vous faire plaisir. » Elle leva les yeux au ciel. « vous êtes vraiment aigris comme personne. et pourtant, je suis convaincue que vous n’avez même pas quarante ans. Ce n’est pas les « vraiment vieux » qui agissent de la sorte, d’habitude? » et quand elle disait cela, elle parlait des gens dans la cinquantaine en montant. Certes, Lani ne connaissait aucunement l’âge de son interlocuteur, mais dans la pénombre grandissante, elle se doutait bien qu’il avait dans la trentaine. Pourtant, il agissait comme un vieillard qui arrosait les jeunes qui passaient trop proches de son gazon…. alors qu’ils étaient à deux mètres de la bordure… Elle n’avait pas hâte d’arriver à son âge, elle qui était déjà râleuse… Si vieillir voulait dire de voir ses défauts décuplés, personne ne serait à l’abri de la tempête « Kehlani ». Ce serait cette fois-ci dévastateur. « Quelle âme charitable vous avez. » il avait sorti cette réplique sur un ton qui lui sembla totalement ironique lorsqu’elle lui mentionna qu’elle aurait dû passer son tour en pensant l’aider. « On apprend de ses erreurs, je vous le promet. » dit-elle, elle-même sarcastique. En ce moment précis, l’américaine avait envie de se laisser emporter par la colère, mais elle se retint de toutes ses forces. Après tout, cela ne donnait rien de lui balancer des inepties en plein visage, surtout s’ils devaient se supporter une nuit entière. Elle se doutait bien qu’il trouvait ses paroles illogiques. Bien évidemment que Kehlani viendrait en aide à quelqu’un qui en avait besoin! Elle ne laisserait personne en situation de danger et se mettrait elle-même dans les eaux troubles pour aider les autres. Mais bon, si c’était lui qu’elle croisait une nouvelle fois, peut être qu’elle le laisserait mariner un peu avant de l’aider, quitte à le laisser perdre des plumes en cours de route. du moins, c’était agréable de se l’imaginer. « C’est justement toute la magie d’une nuit comme ça. On n’est pas sûr de ce qu’on va vivre ni de ce sur quoi on va tomber. » Elle pencha la tête sur le côté et se demanda bien quoi répondre à cela. Elle entendait déjà sa défunte mère dans sa tête lui dire de bien peser ses mots, mais son pire défaut était de n’avoir aucun filtre devant sa bouche. Elle disait toujours ce qu’il lui passait à l’esprit sans même réfléchir. « ah je comprend maintenant, vous jouez avec le feu… vous vous pratiquez pour « survivor » ou vous testez vos limites pour le plaisir? Dans tous les cas, je trouve que vous semblez un peu… » suicidaire.... Il s’agissait du dernier mot de sa phrase, mais ce dernier se perdit dans le souffle du vent qui s’était levé d’un seul coup. En haut d’une falaise, cela arrivait assez souvent que l’air décide de souffler bien plus fort, mais elle n’avait aucune envie de répéter. Kehlani était également convaincue qu’il ne le lui demanderait pas par lui-même. Elle avait bien compris qu’elle l’agaçait au plus haut point et qu’en fait, il aurait bien aimé se débarrasser d’elle. Peut-être que sa drogue à lui, c’était le danger? Il y avait des gens comme ça qui flirtaient avec la mort tous les jours. Même elle qui appréciait se retrouver dans des situations plus dangereuses, comme une vague un peu plus haute que prévue, ne pensait pas rester dans des endroits hostiles comme ceux-là. « si vous vous endormez et vous tombez en bas de la falaise? » L’américaine se demandait bien ce qu’il avait vécu pour aimer ce genre de sensation forte.

Kehlani lâcha une énième pique en direction de l’homme avant d’aller s'asseoir dans son coin. Elle ne se laisserait pas faire et têtue comme elle était, elle aimait toujours avoir le dernier mot. Elle se tourna vers lui, avec une lueur de défi dans le regard. « je préfère être culottée et casse-pieds que d’être un schtroumpfs  grognon… vous faites ce que vous voulez de ce que je vous dis. » L’américaine haussa les épaules. Au moins, il s’agissait de traits de personnalité intéressants. Alistair donnait juste l’impression d’être un ermite frustré, mais ça, elle se garda bien de lui dire pour le moment. Elle se concentra plutôt sur son chat qui réclamait des caresses. « je sais, on est bien loin de l’eau. je suis désolée… » lui dit-elle dans un souffle avant de lui sortir des gâteries, tentant de se faire pardonner du mieux qu’elle le pouvait vis-à-vis de son chat. Billy adorait l’eau, il pourrait passer sa vie sur l’océan, mais c’était beaucoup moins vrai sur la terre ferme. Elle avait élevé une sirène, pas un coureur des bois… « C’était vous le voilier ? » L’américaine se retourna vers le grincheux qui venait de briser le silence, surprise qu’il ose parler, alors qu’il lui avait très bien fait comprendre qu’elle l’emmerdait. Kehlani pesa le pour et le contre. Les ronronnements de son chat l’avaient un peu apaisé et elle avait un peu moins envie de lui sauter à la gorge. Il avait de la chance, elle attaquait rapidement, mais elle se calmait tout aussi vite fort heureusement. « oui, c’était moi. Il m’appartient… » Elle se demanda si elle devait continuer de parler. Après tout, il avait fait ce qu’elle détestait le plus au monde mise à part de l'abandonner, il l’avait fait sentir qu’elle était de trop. Elle ne savait pas si elle avait envie de passer par-dessus ça. Mais parler, c’était quelque chose qu’elle aimait plus que de remettre à sa place quelqu’un. « je n’habite plus à temps plein dedans, mais j’y ai passé deux ans en continue ou presque… » Elle laissa les informations flottées dans les airs avant de reprendre tout d’un coup qu’il n’en ait rien à foutre. « je continuerais bien de parler, mais j'ai pas l'impression que vous appréciez ce que je dis. » finit-elle par dire en caressant toujours son chat.

Il a beaucoup de mal à ne pas ironiser sur le fait qu'elle s'imagine être intéressante, sans le moindre doute possible. Elle apparaît un peu trop sûre d'elle. Alors il ne manque pas de la remettre plus ou moins à sa place à ce sujet. En retour, elle lui offre une réponse fracassante. Qui le laisse littéralement pantois. Le regard tourné dans sa direction, les sourcils levés et la bouche légèrement entrouverte par la surprise. « Est-ce que vous connaissez la définition de ce mot, avant de commencer à l'utiliser ainsi ? » Qu'il répond toujours aussi froidement. « Il n'y a pas d'âge pour le devenir. » Les sales coups de la vie peuvent provoquer ce genre de retournement de situation chez quelqu'un, et le double drame qu'il a dû encaisser peut complètement expliquer ça chez lui. Mais il n'a pas vraiment de raison de se confier à elle et de lui raconter ses propres déboires. Il n'en fera donc rien. Il préfère retrouver le silence et ne pas surenchérir quand elle lui fait remarquer qu'elle va apprendre de ses erreurs. Laissant entendre que, si elle retrouve un jour quelqu'un en danger, elle le laissera se débrouiller. Il doute qu'elle passe d'une personnalité qui veut aider son prochain, à quelqu'un qui choisit d'ignorer une personne en détresse sous prétexte qu'une fois lui a porté préjudice. Mais ça ne le regarde pas du tout et il n'a pas envie d'en parler davantage avec elle. Il prend quand même la peine de lui faire entendre les raisons pour lesquelles c'est une si bonne idée que ça de passer une nuit dans un endroit de ce genre où le danger peut survenir de n'importe où. Il ne le dit pas clairement, mais c'est exactement ça qu'il est venu chercher dans le coin. Les mêmes choses que lorsqu'il fait de l'escalade sans toute la panoplie sécuritaire qui devrait normalement venir avec une telle activité, par exemple. Il y a tout un tas d'autres sports plutôt dangereux qu'il a eu l'occasion de tester sur tous les derniers mois. Jusqu'à présent, à part des sensations fortes et de sacrées doses d'adrénaline, il n'a pas vraiment trouvé ce qu'il cherchait pour un effet plus durable ...

« Suicidaire ? C'est ça le mot que vous ne voulez pas dire à voix haute ? » Le ton est toujours à l'ironie. Un peu à la provocation aussi. Elle craint peut-être de le froisser ou de trop le pousser dans ses retranchements, si c'est vraiment là l'intention profonde qui anime l'écrivain. Il ferme les yeux aux premières bourrasques de vent. Il sait quand même apprécier la petite pointe de liberté qui vient avec ce genre de sensation. Être perché trop haut avec peu de choses pour le retenir s'il venait à basculer. Pour ne pas dire, rien du tout. Lui et le vide. Lui et les fracas de l'eau contre la roche, des mètres plus bas. « Eh bien ? Ce sera juste que mon heure a sonné. » Haussement d'épaules pour accentuer le fait que ça n'a pas grande importance à ses yeux. Que ça ne l'effraie pas le moins du monde. Au contraire, ce serait une libération. Mais ça, pour ne pas paraître trop fataliste ou trop suicidaire, il le garde pour lui. Il doute d'avoir envie, maintenant ou au cours de la nuit, de se confier à cette parfaite inconnue sortie de nulle part et qui, pour l'instant, lui tape sur les nerfs plus qu'autre chose. Il n'est pas certain de changer d'avis à son sujet par miracle. Pour ça, il faudrait s'intéresser à elle et avoir un peu plus envie de discuter et d'apprendre à la connaître. Ce qui n'est clairement pas gagné ... Après d'énièmes échanges piquants, elle s'éloigne pour aller s'asseoir plus loin. Non sans une dernière envolée lyrique qui fait pincer les lèvres à l'écrivain. C'est qu'il a presque envie de rire, mais qu'il n'a pas du tout le désir de se laisser ainsi aller. Il a l'impression que ça reviendrait à lui donner raison. Or, il n'a vraiment pas envie de ça. Il ne veut pas qu'elle s'imagine qu'il est en train de se détendre à son contact en fin de compte. Mais quand même ... Un schtroumpf ? C'est bien la première fois qu'on la lui fait, celle-là. Et ça ne devrait pourtant pas l’amuser plus que ça. Ce n’est pas drôle. Mais c’est sorti de nulle part et ça rend la chose cocasse.

Chacun de leur côté, ils semblent désormais bouder et ils pourraient bien laisser le silence s'éterniser avant qu'ils n'aillent séparément se coucher pour dormir quelques heures. En attendant que le soleil soit de retour et que la luminosité leur permette de repartir chacun de leur côté comme s'ils ne s'étaient jamais rencontrés. Mais, soudainement, Alistair est curieux. Il a aperçu le voilier avant que la jeune femme ne débarque ici et elle vient de parler de l'eau avec son chat. De quoi lui mettre la puce à l'oreille et lui faire deviner qu'elle vient de ce voilier. Alors il se montre curieux et il interroge. Coup d'œil en direction de l'étendue d'eau rendue scintillante par la caresse de la lune qui s'installe. Il écoute la réponse de la jeune femme, qui se fait un peu plus développée après un court silence. Elle y a vécu à temps plein. Il échappe un soupir frustré quand elle se tait et se reprend, prétendant qu'il ne s'intéresse pas à ce qu'elle dit. « Vous vous trompez. Cette fois, c'était intéressant. » Qu'il admet quand même en ronchonnant. Parce que ça l'agace un peu de lui donner raison cette fois-ci et de n'avoir pas juste envie de la faire taire une fois de plus. « Quand vous viviez dedans ... Il vous arrivait de prendre le large durant des jours ? Des semaines ? Des mois ? » Qu'il ne manque pas de l'interroger de nouveau, contre toute attente. Il est bien trop curieux et, en toute honnêteté, il est peut-être en train de grapiller des petites informations pour le jour où il lui prendra l'envie de s'éloigner à nouveau de toute vie humaine durant quelque temps et sans risquer d'être dérangé par qui que ce soit. Loin de la civilisation. De la réalité. Parce que si Willow fait actuellement partie de sa vie et lui redonne quelques couleurs, il s'attend encore à ce qu'elle finisse par tourner les talons, à son tour. Se libérer de lui et de son obscurité qui dévore tout ce qui l’entoure, l’écrivain.

Kehlani ne pensait pas que son interlocuteur pouvait avoir une autre expression faciale que  le découragement ou l’impatience, mais elle obtint à son plus grand désarroi de la surprise. ah bon? Il est capable d’autre chose, le grincheux? « Oh parce que vous pensez que parce que je suis jeune, je suis illettrée? » Quoi qu’elle pouvait comprendre le préjugé. Les personnes de son âge étaient toujours sur leur téléphone et ne semblaient plus en mesure d’écrire une seule phrase sans l’aide de leur auto-correcteur. Elle en avait fait l’expérience lors de ses premiers laboratoires et travaux d’équipe à son retour à l’université. C'en était presque effrayant de voir qu’ils n’étaient plus en mesure d’ouvrir un bon vieux bouquin. Leur cellulaire était l’extension de leur bras. Oui, Kehlani avait également un téléphone, mais elle préférait, et de loin, chercher ses informations dans les livres. Autant bien faire les choses si elle retournait à l’école. « non, en effet, il n’y a pas d’âge, mais je vous vois bien donner des coups de canne sur la tête des autres dans un avenir rapproché à l’épicerie. Mais bon, c’est votre problème. Mais c’est vraiment dommage. » Oui, dommage d’être si jeune et frustré. Encore une fois, elle se demandait bien ce qu’il avait pu se passer dans sa vie pour qu’il soit ainsi. Pour l’instant, l’américaine n’était pas certaine de vouloir creuser la question. Il lui servait une réplique désagréable après l’autre et elle en faisait de même. Comment pouvait-il en être autrement? S’il la trouvait agaçante à trop parler, pourquoi la poussait-il à répliquer sans arrêt? Il n’y aurait pas de fin à ça. Il fallait qu’elle-même décide de se taire. Elle finirait par en avoir l’envie. Il s’agissait d’une question de temps. « Suicidaire ? C'est ça le mot que vous ne voulez pas dire à voix haute ? » demanda l’homme sur le même ton ironique. Elle releva le regard vers le sien, essayant de ne pas paraître surprise qu’il la relance et elle acquiesça finalement à la question. « Eh bien ? Ce sera juste que mon heure a sonné. » Peut-être cherchait-il volontairement le danger? Kehlani ne comprenait pas. Même au sommet de sa douleur suite à la perte de sa mère, elle n’avait jamais essayé de disparaître. Même lorsqu’elle était au plus mal par rapport à ce qui s’était produit avec sa meilleure amie, elle n’avait jamais essayé de s’effacer jusqu’à ne plus exister. Elle poussa un profond soupir, mais ce n’était n’avait rien à voir avec ceux de son interlocuteur. Elle n’était pas découragée, juste qu’elle ne savait pas tellement comment réagir. Kehlani était brillante, elle était quand même capable de faire un plus un, mais elle ne se demandait encore une fois si ça valait la peine de creuser. Après tout, ce n’était pas de ses affaires, mais une question restait. Qu’est-ce qui poussait un homme à ne plus avoir peur de la mort et qui en fait souhaitait l’accepter si… facilement? Si elle posait des questions maintenant, elle n’était même pas certaine d’obtenir des réponses. Elle resta donc étonnamment silencieuse et c’était très rare, voir même quelque chose à écrire au calendrier.

Désormais chacun de leur côté, Alistair commença finalement une discussion par lui-même ce qui lui valut un froncement de sourcils de la part de la brunette. Décidément, Kehlani avait du mal à le suivre. Parler de son bateau était un sujet dont elle adorait discuter. Elle pouvait en parler pendant des heures. Évidemment, elle ne put s’empêcher au préalable de lui lancer une énième pique parce qu’elle ne voulait pas frapper une nouvelle fois un mur en parlant trop selon ses standards - un peu trop bas, fallait bien le dire. « Vous vous trompez. Cette fois, c'était intéressant. » L’américaine se retint une nouvelle fois de parler et de lui balancer des insultes. D’où lui venait ce self-control soudain, bonne question? mais il fallait bien en profiter le temps que ça passe. Elle le laissa donc continuer sans émettre de commentaires. « Quand vous viviez dedans ... Il vous arrivait de prendre le large durant des jours ? Des semaines ? Des mois ? » Le vent se levant une nouvelle fois, Kehlani n’eut pas d’autres choix que de se lever et de se rapprocher de cet homme qui était toujours aussi mystérieux pour elle. Elle garda tout de même une certaine distance entre eux, mais elle n’avait aucune envie de crier de là où elle était. « ne vous en faites pas, je retournerai d’où je viens dans peu de temps. » En marchant jusque là, elle avait claudiquer puisqu’elle manquait un peu de sang dans les jambes vu comment elle s’était assise. « ma cabine n’est pas très grande, alors je ne peux pas garder des réserves trop longtemps et puis, mon chat, Billy, ne peut pas rester indéfiniment sur le voilier sans pause, alors je pourrais dire deux semaines maximum, mais je n’ai fait qu’une semaine à la fois jusqu’à présent, avec une pause d’une journée ou deux maximum tout dépendamment de l’endroit où je me trouvais. » dit-elle, prenant une petite pause histoire de ne pas paraître trop enthousiaste à l’idée de parler de son voilier. « avez-vous dans l’idée de devenir matelot et de vous perdre en mer? » lui demanda-t-elle d’un ton qui oscillait entre la curiosité et l’amusement. Il avait le profil du pirate ronchon classique. « sans blague, je pense que votre chien s’ennuierait de vous si vous disparaissiez… » Elle ne le connaissait pas, elle ne ressentait pas un amour fou pour cet homme, mais elle s’inquiétait pour son chien. Elle voyait bien que ce dernier était fortement attaché à son maître. Il pourrait bien se laisser mourir à son tour si ce dernier disparaissait pour toujours. Elle reprit après quelques instants de silence. « je suis partie de la Caroline du sud sur mon voilier et ce fut la plus belle expérience de ma vie. Souvent, si on part aussi longtemps et aussi loin de chez soi, c’est pour fuir quelque chose…. Moi, c’était la mort de ma mère. Et vous? » Désormais qu’elle avait laissé le voile de mépris tombé, elle voyait bien que les ténèbres entouraient son interlocuteur. Elles étaient subtiles, bien camouflées derrière une carapace, mais elles étaient bien là.

Elle est quand même en train de lui donner toutes les raisons du monde de râler et de l’envoyer chier. S’en rend-elle seulement compte ? Il est fort probable que non. Même pas. Il n’empêche que lui, il serre les dents et lui offre un énième regard agacé. « C’est que vous avez un sacré problème avec l’âge. » À aucun moment il n’a mentionné son jeune âge et le fait qu’elle puisse donc être follement stupide ou illettrée ou n’importe quelle autre connerie du genre. Et mettre des mots qu’il n’a pas dits dans sa bouche, c’est typiquement le genre de chose qui peut l’enflammer et le faire sortir de ses gonds. Elle a vraiment le don de trouver tout ce qui l’agace et de le lui balancer en plein visage. Finalement, elle espérait peut-être réellement tomber sur un tueur en série en venant se perdre par ici. Parce qu’elle continue quand même bien sur sa lancée en lui balançant une image tout sauf réjouissante. Lui, à mettre des coups de canne sur le crâne de pauvres innocents. « Vous n’allez donc vraiment pas me lâcher avec ça ... » Qu’il soupire, toujours aussi agacé par elle. Il se retient quand même de lui faire remarquer qu’il n’est pas certain d’aller jusqu’à un âge suffisamment avancé pour avoir besoin d’une canne. Parce qu’il n’a pas envie de raconter sa vie de la sorte. Pas envie d’avoir l’air si assombri et fataliste face à la réalité d’une vie qui pèse lourd sur ses épaules. Plus simplement, il ne la connait certainement pas assez pour se confier ainsi à lui et il y a quand même de fortes chances pour qu’ils n’apprennent pas à se connaître. Parce qu’on ne peut pas dire que le courant passe très bien entre eux. À vrai dire, le courant ne passe plus vraiment avec grand monde, pour l’écrivain qui se referme chaque jour un peu plus sur lui-même. Mais il n’a pas tellement envie de changer ça, de toute façon ...

Il n’est pas impossible que sa facilité à parler de fin de vie, de suicide ou parfois même de dépression soient justement des choses qui poussent les gens à se tenir à bonne distance de lui. Ce qu’il ne pourrait leur reprocher et, à vrai dire, il apprécie ce résultat. Puisqu’il préfère justement cheminer seul dans l’obscurité que sa vie est devenue, près de deux ans plus tôt. Le sujet étant relativement sombre, il n’est pas tout à fait surpris de constater que ça a fait fermer la bouche de la jeune femme. C’est bien la première fois qu’il trouve le moyen de lui clouer le bec, depuis qu’elle est venue le rejoindre. Est-elle en train de se dire qu’elle a peut-être bel et bien à faire à un type suicidaire et elle commence à regretter leurs mots durs ? Ce serait quand même dommage. Parce que ce n’est certainement pas ce qui va avoir raison de l’écrivain et qui va finalement le pousser à basculer par-dessus bord. De toute façon, il n’a pas l’intention de faucher sa propre vie de façon aussi volontaire. Il préfère prendre un maximum de risques en espérant que la vie décide qu’il a bien mérité une pause sans fin. C’est idiot et il le sait parfaitement. C’est idiot, mais ça le rassure presque d’agir ainsi. C’est peut-être parce qu’elle se tait enfin qu’il se permet de lancer un nouveau sujet de conversation. Un qui l’intéresse réellement cette fois-ci, comme il ne manque pas de le lui faire remarquer. Parce qu’elle semble piquée par le fait que, contre toute attente, c’est lui qui ne sait plus se taire. Bien sûr, que depuis le début de leurs échanges à tous les deux, sa réponse ne manque toujours pas de mordant et pourrait bien la vexer au point de lui couper l’envie de lui répondre. Mais quelque chose lui dit, à Alistair, que ça n’arrivera pas. Il semble évident que la jeune femme adore parler. Et avec un peu de chance, il vient peut-être d’aborder un sujet qui la passionne assez pour qu’elle lui réponde.

Il la sent remuer dans son dos et tressaille un peu de surprise quand sa voix se fait entendre un peu plus proche de lui. Bien sûr, elle n’est pas excessivement près de lui. Mais ça a quand même le don de le prendre de court. Alors que de son côté, Hey ne bouge pas. Il garde la gueule maintenant posée sur les cuisses de son maître, parfaitement immobile. C’est qu’il apprécie sacrément les caresses qu’il est en train de déposer sur son crâne. Et Alistair aussi adore ça. Parce que ça parvient à le rassurer, à l’apaiser et à l’ancrer dans la réalité. Finalement, la brune partage un peu de son expérience avec lui et, cette fois, il est attentif. Il hoche la tête de haut en bas, le regard perdu en direction de l’étendue d’eau. Toujours aussi merveilleuse à contempler. Plus encore quand la lumière de la lune la caresse de sa douceur et la fait briller de mille feux. Ce qui est bien certain, c’est qu’il n’a aucun mal à imaginer se perdre sur un voilier de ce genre durant une semaine entière. S’arrêter dans un port pour se ravitailler et repartir une autre semaine entière. Et faire ça, aussi souvent que possible et aussi longtemps que nécessaire. L’idée est très plaisante et elle est sérieusement en train de se frayer un chemin dans son esprit. Sauf qu’il y a Willow et qu’il peine à s’imaginer ne pas la voir pendant aussi longtemps. Elle l’interroge, l’air sincèrement amusée. Alors il ramène les yeux sur elle. « Pourquoi cette idée a l’air de vous amuser ? » Qu’il ne peut s’empêcher de lui demander, un brin sur la défensive. Il papillonne un peu des paupières, de surprise, quand elle mentionne son chien. Elle semble lire dans ses pensées, bon sang. Alors il détourne à nouveau le regard. Cette fois, pour le poser sur Hey dont les yeux sont fermés. Toujours cet air bienheureux. « C’est justement pour lui que je suis encore là. » Qu’il confesse sans vraiment y penser. La suite des mots qui s’échappent dans le silence de la nuit le fait se tendre. Pour d’autres raisons cette fois. Il a soudainement le sentiment d’avoir été un peu injuste avec elle. Il met fin aux mouvements de ses doigts dans les poils de Hey et relève la tête. Pendant un petit moment, il est incapable de lui répondre. Alors il laisse le silence s’étirer à l’infini avant d’échapper un soupir porteur des mots qui écorchent la bouche à chaque fois qu’il les souffle : « La mort de ma femme et de notre enfant. » Il a rarement besoin de les dire, ceux-là. La majorité des gens qu’il rencontre ou qui l’abordent parce qu’ils le connaissent sont déjà au courant. L’avantage et l’inconvénient d’avoir un peu de notoriété.

Un problème avec l’âge? Non, pas vraiment, puisque Kehlani avait des amis de tous les âges. Il était simplement la première personne qu’elle rencontrait qui semblait être dans la trentaine qui lui donnait autant l’impression d’être autant agacé par la vie. « non, pas vraiment. C’est juste que d’habitude les gens dans la trentaine n'agissent pas ainsi. » Elle haussa les épaules en pinçant ses lèvres ensemble. Ses exemples n’étaient pas particulièrement nombreux, mais elle était tout de même convaincue que ce n’était pas les réactions classiques d’un homme qui était très loin de la moitié de sa vie. Quoi qu’elle avait de plus en plus d’indices qui la menaient vers une conclusion assez troublante. Il ne semblait pas s’en faire avec la mort et semblait même vouloir danser avec elle jusqu’à ce que cette dernière lui coupe les ailes pour toujours. « Vous n’allez donc vraiment pas me lâcher avec ça ... » - « bah, ça dépend. Allez-vous toujours me donner raison de le faire? » Tourner en rond ne lui faisait pas peur, bien au contraire. Elle avait visiblement toute la soirée et toute la nuit pour le faire à son grand désarroi. Elle eut cependant un petit sourire amusé cette fois-ci, mais elle n’était plus aussi agacée face à ses commentaires. En fait, Kehlani se devait de tenter une nouvelle approche en se montrant un peu plus douce, dans la mesure du possible. Ce n’était pas chose facile vu comment était sa personnalité. Elle était plutôt de type « je rentre dans le tas et je ne me pose pas de question », alors ça relevait du miracle qu’elle se radoucisse un tant soit peu. Kehlani faisait de son mieux, mais son interlocuteur ne lui laissait pas beaucoup de chances de s’en sortir. À chaque fois qu’elle pensait que la tempête était sur le point de se calmer, voilà qu’il soupirait de plus belle et rouspétait davantage. Cependant, elle ne faisait pas cela par peur qu’il se jette par-dessus bord devant ses yeux. Il lui donnait plutôt la forte impression que ce n’était pas ce qui le motivait, mais plutôt l’idée d’une possibilité. Alistair ne se jetterait peut-être pas volontairement devant un train, mais si quelqu’un le poussait pas inadvertance, ce ne serait pas plus mal. Elle ne lisait évidemment pas les pensées et il s’agissait là simplement d’une supposition qui lui passait par la tête. Du moins, elle espérait que ça en soit ainsi, parce qu’elle n’avait aucune envie d’assister à un suicide cette nuit.

D’ailleurs, en se rapprochant de lui, Kehlani le fit tranquillement, parce qu’elle se demandait même s’il n’allait pas se lever à son approche et aller simplement s'asseoir plus loin. Alistair lui faisait penser à un bambi des conversations sociales. Si elle parlait trop longtemps, trop vite ou trop fort, il allait s’enfuir en courant sans même demander son reste. L’image qu’elle avait en tête lui sembla drôle, alors l’ombre d’un sourire s’installa sur ses lèvres tandis que Billy se couchait de nouveau sur ses genoux. Le félin n’avait définitivement peur de rien, puisqu’en se rapprochant de l’homme, elle s’était également rapprochée de la falaise. Elle avait tout de même gardé une distance sécuritaire, parce que advenant qu’elle s’endorme, elle n’avait aucune envie de tomber et qu’on voit son sang s’extravaser sur le sol escarpé de la falaise. L’image, cette fois-ci, était beaucoup moins drôle. Après avoir répondu à sa question sur son voilier, Kehlani lui demanda à ce moment-là si c’était parce que l’idée d’avoir son propre bateau l’intéressait. Elle fut amusée à l’idée de le voir déguisé en pirate. « Pourquoi cette idée a l’air de vous amuser ? » - « oh il faut bien rire parfois! je vous imagine en pirate ronchon si vous voulez tout savoir. » lui dit-elle avant de poursuivre vers une conversation beaucoup moins joyeuse. Elle se sentait obligée d’en parler parce que ce qu’elle découvrit avait le don de lui pincer le cœur. L’idée que son chien se retrouve seul à cause de ses pensées remplies de ténèbres la remplissait de tristesse. Non, elle n’allait pas pleurer, elle ne pleurait plus depuis la mort de sa mère. C’était juste que lorsqu’il était question d’animaux, ça la touchait plus particulièrement. Elle ne le connaissait pas assez pour que son absence change quelque chose dans sa vie, mais elle n’allait certainement pas le laisser à ses pensées. Elle n’était pas sans cœur, même si elle ne pouvait pas dire pour l’instant qu’elle s’attachait à cet homme, parce que c’était loin d’être le cas pour le moment. « C’est justement pour lui que je suis encore là. » lui mentionna-t-il. Les animaux avaient le don de nous enraciner sur terre de la meilleure des façons. Billy avait été celui qui l’avait empêché de réellement sombrer à la mort de sa mère. Sa présence bienveillante à ses côtés l’avait en quelque sorte maintenu dans le monde des vivants et l’avait empêché de plonger complètement dans les ténèbres et surtout, se laisser emporter par la colère. Elle ne commenta pas, du moins, pas tout de suite parce qu’elle savait qu’il n’avait pas fini. Un silence de mort plana plusieurs instants entre eux, puis Alistair s’ouvrit finalement sur ses raisons de vouloir fuir. « La mort de ma femme et de notre enfant. » En l’entendant prononcer ces quelques mots, Kehlani en eut le souffle coupé. Elle se doutait bien qu’il s’agissait de quelque chose de grave pour qu’il en soit arrivé à ce stade, mais elle n’avait jamais pensé qu’il s’agissait de la mort des deux personnes probablement les plus importantes de sa vie. Elle ouvrit la bouche, puis la ferma à nouveau. Pour une fois dans sa vie, elle réfléchissait à ce qu’elle allait dire. « je sais que peu importe ce que je vais dire, cela n’apaisera pas votre peine, parce que je sais qu’on ne se connait même pas et que je suis une inconnue… » et que vous n’en avez rien à foutre de moi. « et je ne peux pas m’imaginer la peine que vous ressentez, parce que même si je suis familière avec la mort, je n’ai jamais vécu une telle épreuve. Mais je sais qu’il y a quelque chose de beau derrière le voile de ténèbres… » Elle resta silencieuse quelques secondes, mais elle se doutait bien qu’il ne dirait peut-être rien. « à la mort de ma mère, les gens disaient tous qu’ils étaient désolés. Mais désolé de quoi? que la meilleure personne au monde était décédée et qu’elle ne reviendrait jamais? désolé que mon pilier ne pourrait plus jamais me soutenir? Ce que les gens peuvent être cons… » ajouta-t-elle d’un ton amer cette fois. « vous ne me connaissez pas, mais moi, je sais très bien que le temps peut s’avérer cruel et que même ce dernier n’arrive pas à apaiser les souffrances. je sais cependant que de s’isoler n’arrangera rien. Avez-vous quelqu’un à qui vous rattachez? Mise à part Hey? » Elle n’allait pas poser les questions classiques parce qu’elle savait qu’il n’en avait pas besoin. Et cela ne servait à rien de savoir depuis combien de temps ils étaient partis au ciel. Que ça fasse deux mois ou dix ans, vivre avec cette douleur était insupportable et elle était bien placée pour le savoir.

Le soupir qu'Alistair laisse s'échapper, témoigne une fois encore de son agacement face à cette rencontre imprévue dont il se serait bien passé. C'est sans fin et ça le restera tant que la jeune femme trouvera toujours à répondre et à redire à chacune de ses paroles à lui. Il n'a pourtant aucune envie et aucune motivation pour faire durer ce genre d'échange avec elle ou avec qui que ce soit d'autre. En grande partie parce qu'il n'a pas d'énergie pour ça et qu'il n'a pas particulièrement le souhait de se fatiguer à continuer. « Parce que vous avez rencontré absolument tous les trentenaires du coin pour pouvoir vous dire que je suis le seul à avoir un tel comportement ? » Il semblerait qu'il soit finalement incapable de faire autrement que de continuer à lui répondre en retour. Il faut dire que, lui aussi, il aime avoir raison et avoir le dernier mot en toutes circonstances. Il n'y a que quand il pense que ça n'a pas d'intérêt de répondre, qu'il choisit plutôt de se taire. C'est le cas quand elle lui fait quand même plus ou moins entendre qu'elle pourrait bien continuer à l'ennuyer avec son image d'une version de lui en train de donner des coups de canne. Il trouve ça beaucoup trop ennuyeux pour poursuivre. Mine de rien, il semble en avoir déjà trop dit à la jeune femme avec laquelle il n'a pourtant pas particulièrement envie de discuter de tout et de rien comme ils sont pourtant en train de le faire. Ainsi, elle n'a sans doute pas de trop de mal à comprendre l'obscurité dans laquelle il se trouve et à deviner qu'il n'aurait rien contre l'idée de voir sa vie s'arrêter d'une façon ou d'une autre. Mais parce qu'il n'est pas suicidaire pour autant, il doit faire avec le fait que sa vie ne semble pas vouloir s'arrêter tout de suite. En revanche, il pourrait la rendre un peu plus intéressante avec certaines nouvelles activités. En passant le permis bateau pour s'en acheter un, par exemple. C'est une idée qui lui traverse l'esprit après avoir compris que le voilier qu'il a aperçu un peu plus appartient à la jeune femme qui vient de se rapprocher de lui au bord de la falaise.

Il est en train d'émettre l'idée de vraiment s'acheter un voilier, à voix haute, quand il réalise que cela semble vraiment l'amuser. Clairement, elle se fout de lui et il ne comprend pas pourquoi. Jusqu'à ce qu'elle dévoile le fond de ses pensées. De quoi lui faire lever les yeux au ciel à l'écrivain. Elle parvient de nouveau à l'agacer, alors que sa seule activité semble être de se foutre de lui de toutes les façons possibles. « C'est vraiment stupide. » Qu'il ne manque pas de donner son avis en se renfrognant comme il sait si bien le faire. Le regard de nouveau complètement perdu en direction de l'étendue d'eau qui leur fait face de la plus jolie des façons. Et cette fois, le silence retombe entre eux et il est loin d'être désagréable. Surtout pour lui qui n'a pas beaucoup apprécié une bonne partie de leurs échanges. Et qui n'est pas certain de beaucoup aimer leurs échanges qui reprennent quand la jeune femme décide de creuser un peu, d'une certaine façon. Il hésite forcément parce qu'il n'est pas certain de savoir ce qu'il va ressentir s'il se confie un peu trop sur les raisons pour lesquelles il est là ce soir. Les mêmes raisons pour lesquelles il n'a de cesse que de se mettre en danger de toutes les façons possibles. Finalement, il va au bout en mentionnant son épouse et leur enfant qui ne sont plus. Il ne regarde pas dans sa direction parce qu'il n'a pas la moindre envie de voir la pitié dans son regard en apprenant ça. En revanche, il devine à son silence teinté d'hésitations qu'elle-même ne sait pas du tout comment réagir à cette annonce ni vraiment quoi en faire. Et ce n'est pas lui qui va l'aider, puisqu'il est incapable de rajouter quoi que ce soit sur la grande tragédie de sa vie. Elle semble quand même réfléchir avant de parler et il n'est vraiment pas certain que ce soit habituel chez elle. En tout cas, ce n'est pas du tout ce qu'elle lui montre depuis qu'elle est venue le rejoindre sur ce bout de roche. Elle semble plutôt être de ces gens qui parlent avant de réfléchir, quitte à parfois être maladroits et à le regretter.

Quand finalement elle prend la parole, il doit reconnaître être un peu surpris par ses mots. Elle n'est pas en train de prétendre qu'elle le comprend ni de faire montre de trop de pitié, sans pour autant donner l'impression d'être insensible. Elle gagne des points en se révélant bien plus mature qu'il n'aurait pu l'imaginer. Alors il daigne tourner la tête pour poser le regard sur elle. Elle confirme ne pas prétendre connaître ce qu'il traverse,puisque, même si elle a perdu un être cher, le lien et la logique d'absence sont forcément très différents. Même si elle est bien jeune pour avoir perdu sa mère, il est logique qu'elle soit partie la première. C'est une autre histoire pour Alistair, sa femme et leur enfant qui n'a pas eu la chance de naître. Il arrive même à afficher un sourire léger, l'écrivain, quand elle réagit aux bons mots qui sont offerts lors d'un enterrement. « Vous avez oublié le "je comprends ta peine". » Qu'il ne manque pas de lui faire remarquer, le ton bien plus calme et détendu qu'au cours de tous leurs précédents échanges. Elle continue sur sa lancée et il continue d'y être attentif. Ne se détournant que lorsqu'elle retrouve le silence. Cette fois, ses yeux se posent sur Hey qui est bien incapable de comprendre la teneur des échanges entre les deux humains qui discutent à côté de lui. « Je pourrais avoir des gens à mes côtés ... Mais pour l'instant, je n'ai pas vraiment envie qu'ils soient là. » Elle ne devrait pas avoir trop de mal à imaginer que ces gens n'ont pas non plus envie d'être présents à cause du comportement qui est le sien depuis trop longtemps maintenant. « Vous en avez, vous, des attaches de ce genre ? Ou c'est pour ça que vous passez autant de temps sur votre voilier ? » Il doit admettre que, maintenant, il commence à être un peu plus curieux à son sujet. Elle est encore très jeune et a pourtant déjà dû encaisser une perte terrible et accepter de vivre avec. Parce que, contrairement à lui, elle ne semble pas éprouver le besoin ou l’envie d’en finir le plus tôt que possible pour se faciliter les choses.

À ce rythme, ils n’étaient visiblement pas sortis du bois. Peut-être que finalement ce serait Kehlani qui allait le pousser en bas de la falaise, qui sait? Les paris étaient lancés. Cette joute verbale tournait en rond, mais l’américaine n’avait aucune envie de lui laisser gagner du terrain, du moins, pas tout de suite. Ce ne fut que lorsqu’elle comprit qu’il y avait quelque chose de plus sombre enterré sous la surface qu’elle s’obligea à se radoucir - du moins, de son point de vue à elle. Elle ne le faisait pas pour lui, bien au contraire, mais plutôt par respect pour les raisons cachées derrière. Évidemment, Kehlani n’était pas encore au courant de leur gravité, mais elle se disait que c’était sûrement bien pire que ce qu’elle pouvait s’imaginer. « Parce que vous avez rencontré absolument tous les trentenaires du coin pour pouvoir vous dire que je suis le seul à avoir un tel comportement ? » La jeune femme serra ses jointures et se mordilla la lèvre inférieure pour éviter de sortir une énième réplique qui ne servirait à rien. Elle s’imagina plutôt le pousser en bas de la falaise et de faire une petite danse de la joie par la suite. Cela lui suffit pour ne pas flancher. Elle se contenta de soupirer et d’attendre qu’il sorte un énième commentaire lui aussi ou qu’il daigne lui expliquer les raisons derrière son attitude de monsieur grognon. Kehlani pouvait s’avérer patiente dans de rares circonstances. Cette capacité lui demandait beaucoup de retenue, peut-être même un peu trop et elle flancha. « Mon échantillon est en effet restreint et tant mieux, plutôt me crever les yeux que de rencontrer tous les hommes de la trentaine du coin. Je suis certaine qu’ils sont aussi intéressants que vous. » Elle préférait davantage la compagnie des femmes, même si son attirance allait des deux côtés. calme toi! calme toi ! Elle se força à prendre de profondes respirations.

Lorsque l’homme lui parla de son voilier, elle y vit une possibilité d’avoir un sujet un plus agréable et moins tendu. Kehlani lui fit même un commentaire dans lequel elle l’imaginait être un pirate, mais elle ne lui offrit qu’une porte d'entrée pour une insulte de sa part. « C'est vraiment stupide. » - « Ce que vous pouvez ne pas avoir d’imagination? Je parie que vous êtes cachés derrière un ordi de huit à dix-sept heures à rentrer des données et que ça vous a grillé le cerveau. Il faut rire des fois dans la vie! C’est certain que ce n’est pas en grimaçant et en insultant les gens que vous allez retrouver un semblant de sourire. » lui mentionna-t-elle en haussant les épaules. Disons que ses bonnes résolutions perdaient du terrain, mais ce n’était aucunement de sa faute si cet homme était si énervant. Okay, ce n’était aucunement une bonne raison de disparaître et pour le bien-être de son chien, elle ne souhaitait pas que ce soit de si tôt.

Lorsque le silence s’installa finalement entre eux, Kehlani profita de la brise du vent contre sa peau. Billy ne semblait pas avoir froid, même s’il se collait contre sa poitrine. Il cherchait sûrement simplement du réconfort. Son chat était en mesure de deviner lorsque sa maîtresse était mal à l’aise, alors il ronronnait bien plus fort qu’à son habitude. Plongeant son regard dans l’immensité de l’océan, Kehlani se dit qu’il fallait vraiment qu’elle se calme. Son attitude n’aidait en rien la situation tendue. Mais c’était bien plus fort qu’elle. Il s’agissait d’un mécanisme de défense qu’elle avait depuis de nombreuses années. Cette carapace l’empêchait de souffrir et elle l’utilisait comme parapluie face aux commentaires blessants des gens. De ce fait, elle souffrait moins, en tout cas, lorsqu’elle rencontrait de parfaits inconnus. Finalement, après quelques instants, l’homme finit par lui mentionner la raison ou plutôt les raisons de sa souffrance intérieure. Kehlani ne regrettait pas que cette conversation s’était rendue jusque-là. Elle n’était pas mal à l’aise face à la mort, mais elle comprenait mieux désormais pourquoi il dansait de si près avec la grande faucheuse. Elle savait qu’il ne la regarderait pas, du moins pas tant et aussi longtemps qu’elle allait parler. Elle était également parfaitement au courant que peu importe ce qu’elle dirait, cela n’allait aucunement limiter ses souffrances. Rien ni personne n’avait pu l’aider à la mort de sa mère et encore moins un inconnu. Elle ne peut s’empêcher de parler cependant, prenant même la peine de mesurer chacune de ses paroles. Parler de tout ça lui rappelait également de douloureux souvenirs même si après quatre ans, elle avait enfin réussi à passer à une autre étape du deuil. Elle n’était tout simplement plus en colère contre tout et n’importe quoi. Ce qu’elle était en mesure de savoir, c’était que chaque personne vivait un deuil de manière différente et qu’ils avaient le droit de gérer comme ils le souhaitaient. En revanche, ce qui la rendait triste avec l’histoire de cet homme, c’est qu’il en avait perdu l’envie de vivre. Elle trouvait ça profondément dommage. Il était évident que peu importe l’endroit où se trouvait sa femme et son enfant, ces derniers ne voudraient certainement pas le voir dans cet état. Il était amer et ne semblait vouloir se faire approcher par personne. « Vous avez oublié le "je comprends ta peine". » Kehlani tourna également sa tête dans sa direction. Elle eut un petit rire qui n’avait cette fois rien d’amusé.  « non, personne ne comprend notre peine… même s’ils essaient, ils ne pourront pas l’imaginer, comme je ne peux pas m’imaginer la tienne, même si j’ai vécu un deuil moi aussi. » La brunette haussa les épaules, puis attendit que l’homme réagisse à ses propos. Cela ne se fit pas trop longtemps attendre. « Je pourrais avoir des gens à mes côtés ... Mais pour l'instant, je n'ai pas vraiment envie qu'ils soient là. » lui mentionna-t-il.  « je comprends. j’étais pareil au début. une chance qu’on a nos petits compagnons dans ces temps-là. Ils ne jugent pas et ne disent jamais rien qui pourrait nous déranger. » Kehlani prit la peine de serrer un peu son chat contre elle et Billy émit un  petit miaulement de contentement. « Vous en avez, vous, des attaches de ce genre ? Ou c'est pour ça que vous passez autant de temps sur votre voilier ? » lui demanda-t-il. La brunette hésita quelques instants avant de répondre.  « à vrai dire, au départ, non. Mon père est toujours en vie, mais il n’a pas vécu de la même façon le deuil. Moi, je n’étais que colère. C’est la maladie qui a emporté ma mère. Ce n’est que récemment que j’ai réussi à calmer la tempête. La seule personne qui était mon ancre a disparu de ma vie il y a peu. Mais oui, c’est pour ça que j’ai passé deux ans sur mon voilier avant de venir à Brisbane… » Une chose était certaine, elle n’avait jamais essayé de faire taire la souffrance en trouvant un échappatoire.  « je suis cependant convaincu que vous pouvez trouver un autre échappatoire que de toujours danser avec la mort. je crois que ma mère me regarde de là-haut. Elle ne voudrait pas me voir souffrir et elle ne voudrait certainement pas que je la rejoigne de si tôt. je suis convaincue que c’est la même chose pour eux. Mais vous avez le droit de croire que ce n’est pas ça. c’est juste plus facile pour moi de m’imaginer que ma mère est toujours à mes côtés. » lui dit-elle en poussant un soupir.  « est-ce que j’ai le droit de vous demander comment elle était? » lui demanda-t-elle, suivi d’un petit sourire compatissant.