when awkward meets weird

@Poppy Leigh

J’avais presque oublié ce rendez-vous. En même temps, toute notion de planning s’est envolée à l’instant où je me suis vautrée en skate. Noël, je l’ai passé en famille, avec une douleur aussi bien physique que morale : entre le chien qui me piétinait pour des câlins et le harcèlement psychologique de ma sœur, c’était la totale. Et maintenant que je suis rentrée chez moi, la dure réalité me frappe : sans mes parents ou Bel pour m’aider, je suis littéralement incapable de faire quoi que ce soit.
Les journées sont longues, floues, et dénuées de sens. Impossible d’écrire, impossible de gratter la guitare, je me résume à fumer et à me perdre dans des films et des séries. Autant dire que ma résolution de diminuer ma conso de weed part très, très mal. Et quand je décide de sortir pour respirer un peu – et accessoirement gagner quelques billets – c’est pas mieux. Mes clients se marrent encore plus en me voyant débarquer à pied, comme une loque. Je fais gaffe à ne livrer que des habitués en qui j’ai une certaine confiance, parce que soyons honnêtes : déjà qu’avec deux mains fonctionnelles, c’est galère de se faire respecter, alors là, avec ma main droite coincée dans une attelle, le premier addict nerveux et violent pourrait facilement m’écraser pour repartir avec la marchandise.

Bref, voilà comment je me retrouve, le vingt-huit décembre en fin d’aprem, à réaliser que j’ai rendez-vous avec Poppy dans une heure trente. Une heure trente, en théorie, c’est large. Sauf que – surprise ! – je n’ai qu’une seule main opérationnelle, et évidemment pas celle qui me sert au quotidien. Tout devient une épreuve. Ma tentative de maquillage ? Trois essais pour réussir un trait d’eye-liner si fin qu’il est presque invisible. Heureusement, mes sourcils me donnent moins de fil à retordre, j’ai l’habitude. Un peu de blush, un soupçon de highlighter, un crayon à lèvres discret, et voilà. Franchement, vu la galère que c’est avec ma main gauche, je m’en sors pas trop mal. Ensuite, je brosse mes cheveux histoire de ne pas ressembler à une sauvage sortie tout droit des bois, et j’enfile un t-shirt blanc et un jean. Pas besoin d’en faire des caisses : c’est un premier rendez-vous détendu, pas un gala. Ce serait bizarre d’arriver tirée à quatre épingles alors que c’est pas du tout mon style.
Dernière étape avant de partir : enfiler mes Converses. Lacer des chaussures avec une seule main, spoiler : c’est l’enfer. Après une tentative avec les dents – mauvaise idée – je finis par utiliser ma main blessée, en sollicitant mon annulaire et mon auriculaire tout en gémissant comme un chiot malade.

Et me voilà partie. Pas de skate, donc c’est le bus. C’est long, c’est bruyant, mais au moins je ne risque pas d’arriver en sueur après trente minutes de marche. Une fois descendue à l’arrêt, je presse le pas jusqu’au bar.
À peine arrivée, mon regard balaye la salle. Pas facile de reconnaître Poppy, vu que je n’ai qu’une photo pour référence, mais je repère une fille seule qui lui ressemble beaucoup. Je me dirige vers elle et, une fois à sa hauteur, je lance : « Poppy ? » Je scrute son visage. Je suis presque sûre que c’est elle, mais un petit doute s’insinue. Y a du monde, après tout. Alors, pour éviter un malaise monumental :« Si t’es pas Poppy et que tu repères une fille qui te ressemble étrangement, pitié, indique-la moi. J’ai pas envie de tourner en rond pendant une heure. En plus, je suis déjà en retard… » J’hésite à m’asseoir. Parce que oui, évidemment que ça m’est déjà arrivé de m’incruster à la mauvaise table. Autant dire que ça ne donne pas la meilleure des premières impressions, surtout si la fille avec qui j'ai vraiment rendez-vous assiste à la scène quelques mètres plus loin.

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@Poppy Leigh

 « Je suis bien Poppy ! Enchantée Sixteen ! » Soulagement immédiat, je sens la tension dans mes épaules redescendre alors que je la prends rapidement dans mes bras pour une brève accolade. Elle sent bon, c’était prévisible en soi. Elle a l’air propre sur elle, mais c’est une odeur sucrée, toute douce, qui colle parfaitement à l’image que je m’étais faite d’elle jusqu’ici. Je m’installe en face d’elle, accrochant mon mini sac à dos au dossier de ma chaise tout en me justifiant : « Enchantée aussi. Désolée pour le retard et l’entrée en matière pleine de doute. Avec une seule photo, j’étais pas totalement sûre. » Je suis honnête, même si j’essaie de me contrôler un peu pour ne pas mettre les pieds dans le plat. Ça m’arrive beaucoup trop souvent, à croire que ma maladresse s’exprime dans tous les domaines. Alors pour un premier rendez-vous, ce serait bien que je ne fasse pas de gaffe. Histoire de ne pas tout foutre en l’air en quelques minutes.

« T’as pas trop galéré à te préparer ? » Je suis son index qui pointe mon poignet et hoche lentement la tête. « J’ai galéré… bien galéré même. » J’échappe un léger rire. « Le maquillage surtout, de la main gauche… Déjà que de la main droite je suis pas une experte ! Mais bon, j’ai tenté quand même, faut juste pas regarder de trop près. » De près, mon eye-liner était clairement pourri : fin, oui, mais tremblant et différent d’un œil à l’autre. Après, bon, j’aime bien jouer les caméléons, tenter des looks plus girly ou femme fatale de temps en temps. Mais dans l’ensemble, je suis plutôt du genre maquillage naturel (donc sourcils, blush, et lèvres nude) et tenue décontractée.
Je remarque que Poppy, elle, a mis une robe noire. C’est un mélange subtil entre sexy et mignon. À moins que tout ce qu’elle porte ne soit mignon malgré elle… Elle a ajouté un blazer, probablement de trop vu les températures des derniers jours. Elle n’a pas l’air de porter de maquillage, mais je note surtout qu’elle a une jolie peau, ce qui n’est pas donné à tout le monde.
« J’aime beaucoup ta robe. » Je lâche ça un peu soudainement, comme si mon cerveau venait de me rappeler qu’il s’agissait d’un date et m’avait foutu un coup de pied au cul. « Tu vas vouloir boire quoi ? » J’ajoute déjà, prenant mon téléphone pour scanner le QR code présent sur un sticker collé sur la table.« Ils ont des cocktails corrects ici et de bonnes bières. »
Je lui tends mon téléphone pour qu’elle puisse voir par elle-même. J'ai l'impression désagréable de me mettre la pression, moi qui normalement prend la vie comme elle vient. J'observe la façon dont ses doigts effleurent l’écran du smartphone, comment ses pupilles naviguent de haute en bas, de gauche à droite. Je me demande si elle est du genre à commander comme son date par flemme, aventurière à prendre une boisson inattendu ou plutôt du genre à jouer la sécurité en prenant un soft. Ça en dit parfois long sur une personne. Puis je repense aux textos de Bel, ses pseudo menaces, comme si ce date était obligé d'être concluant, comme si en m'asseyant là j'avais signé une sorte de contrat disant que j'allais être officiellement en couple avec Poppy, alors que je la connaissais à peine... Bref, mon cerveau tourne à mille à l'heure (c'est pas si souvent que ça se produit) et j'ai bien envie de sortir me fumer un joint pour me calmer... Mais je viens d'arriver, donc ce serait idiot.

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@Poppy Leigh

« J'avoue, j'ai triché. Bel m'a dit qu'elle te connaissait et j'ai trouvé ton Insta. » « Ah… Et alors ? Mon Insta t’a pas fait peur ? J’en conclus que non puisque t’es là, mais bon, je demande quand même. » J’ai pas honte de mon Instagram, non, c’est une œuvre d’art ! Mais disons que ma première impression de Poppy sur Brisbuddie était : cute, sage, intelligente. Et la première impression de mon Instagram est : chaos, débilité et prises-de-risques inutiles. Après, peut-être que sur un malentendu, Bel lui a vendu mon profil en tentant de me présenter sous mon meilleur jour… Pas certaine de savoir ce qu’est ce ‘meilleur jour’, ceci dit.
« Ton trait d'eye-liner est plus propre que le mien, et j'ai pas l'excuse d'un poignet immobilisé. » Je pouffe de rire. Ça m’étonnerait qu’elle soit si mauvaise que ça pour tracer un trait de liner. Elle avait bien dit qu’elle dessinait, non ? Donc je suis sûre qu’elle dit plus ça pour me rassurer qu’autre chose… Mais ça marche, donc bon ! Je scanne le QR code du menu, lui passe mon téléphone afin qu’elle puisse voir le menu du bar et fais son choix rapidement. J’aurais volontiers dit que c’est agréable d’avoir en face de soi quelqu’un qui ne traîne pas, mais étant du signe de la Balance… on va dire que je suis souvent la dernière à me décider. Pour éviter de faire patienter tout le monde, en général, je prends soit une Guinness, soit je demande au serveur de me servir ce qu’il préfère sur le menu. Je suis allergique aux fruits de mer, mais en général, on n’en met pas dans les boissons, donc je ne prends pas trop de risques.

« On fonctionne encore à la carte dans le restaurant où je bosse, mais je me dis qu'on gagnerait du temps avec tout ça. » Je récupère mon téléphone et le glisse dans ma poche. « Ou c'est juste moi qui ne suis pas faite pour socialiser avec autant de monde en si peu de temps ! » J’esquisse un sourire amusé. « Ça fait gagner du temps niveau placement des menus sur les tables en début de service et nettoyage des menus en fin de service, mais sinon, c’est la même chose. » Que je note en cherchant justement du regard un serveur. « Ah si, y’a aussi la perte de temps quand les clients ne savent pas utiliser un QR code. » Enfin, j’imagine, clairement, parce que de mon côté : je n’ai pas le droit d’aller en salle. J’y ai fait trop de dégâts au fil des années, et en plus, on fonctionne encore au menu aussi, parce que c’est plus classe, ça colle mieux à l’image de l’établissement.
« Enfin, j'imagine que derrière le bar c'est pire ? Surtout qu'ils sont bien plus alcoolisés... » « Ouais... enfin, y’a un peu de tout. Je reçois des bons de commande qui viennent de la salle : donc là, je n’ai pas de contact client, c’est juste un serveur qui vient récupérer les commandes. Et après, je reçois aussi des gens qui viennent directement au bar, et en général, ceux qui font ça sont les plus alcoolisés, qui ont soudainement décidé de reprendre un verre sans attendre un serveur, ou qui ont une soudaine envie de me taper la discussion. Mais c’est quand même plus calme que le bar irlandais dans lequel je travaillais avant. C’est pas la même clientèle en même temps. » C’est sûr qu’entre le bar d’un casino, classe, qui sent l’argent et l’alcool haut de gamme, et un pub irlandais qui sert des pintes pas chères à des étudiants déjà bourrés… c’est pas la même chose. L’odeur de la sueur et le comptoir collant ne me manquent pas, c’est certain.

Je fais signe à un serveur et passe rapidement notre commande avant de reporter mon attention sur Poppy. « Du coup, on part sur un rendez-vous amical premièrement, de ce que j’ai compris ? Comme ça, c’est sans pression ? » Je ne sais pas si j’ai mal compris lors de nos échanges ou si je viens de faire une boulette en exprimant mon envie comme étant commune à nous deux, mais trop tard, c’est dit. Enfin, je n’ai rien contre les premiers dates ultra romantiques, ou alors avec une liste de questions longue comme le bras, comme si je devais remplir un cahier des charges très précis pour être acceptée comme petite copine, mais c’est vrai qu’un rendez-vous chill est quand même plus sympa.

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@Poppy Leigh

« Me parle pas du nettoyage des menus... Comment les gens peuvent avoir des mains si sales quand ils viennent manger ? » Je glousse un peu en hochant la tête. « C’est terrible ! Parfois j’me dis qu’on devrait autoriser le service qu’après un lavage de mains obligatoire. » Autant les menus salis parce que le client a voulu revoir la liste des dessert avant de commander la fin de son repas : ça s’expliquait un peu. Mais ceux qui arrivaient à les salir en arrivant, là, c’était inquiétant. 
« Du coup, tu fais de la psychologie de comptoir en essayant de les aider à répondre à leurs problèmes existentiels ou tu les sers juste ? »
« Je fais les deux. J’ai l’impression d’être de super bon conseil, mais face à quelqu’un de bourré, c’est certainement facile de l’être ! » J'crois qu'on peut dire un peu n’importe quoi à quelqu’un de bourré, iel trouvera ça pertinent presque à tout les coup ! Donc difficile de savoir si je ferais une bonne psy, si j’ai loupé une belle carrière.
Je tente de savoir un peu les attentes de Poppy quant à ce date et on semble être sur la même longueur d’onde à ce sujet, ce qui me rassure.
 Pas de déception en vue. « Je pense que c'est mieux si on apprend à se connaître histoire de voir si on est compatibles ? C'est pas facile de juger sur un profil de site de rencontres et quelques photos ! »
 Je hoche vivement la tête. 
« Enfin, si ça te va... Comment tu vois tout le truc de date par appli et tout ? »
« Oui, ça me va, je préfère ça honnêtement. De toute façon, je pense que les relations les plus saines naissent d’abord d’une amitié… Enfin, c’est peut-être naïf, je sais pas. » Je crois que j’avais lu ça dans un magazine people quand j’étais gamine. Il me semble que c'était un interview d’Alyssa Milano, et, bizarrement, même avec ma mémoire de merde, je m’en souvenais. Ça m’avait marqué, à une époque où j’avais beaucoup de mal à trouver ma place, parce que je n’étais pas intéressée par les garçons comme les autres filles de mon âge. Je m’étais dit que c’était normal, puisqu’il fallait être amis d’abord, et comme je n’avais pas vraiment d’amis… Puis, quand j’en ai eu, que c’était que des garçons et que je n’étais pas plus intéressée, alors là : j’ai rapidement compris pourquoi. Mais bref : une amitié avant, c’est toujours une bonne idée, selon moi et Alyssa Milano ! 
« Pour ce qui est des applis, je sais pas trop j'avoue. C’est que ma seconde fois sur une application de rencontre. La première fois, on m’a traînée dans un plan cul en jouant avec mes sentiments avant de me larguer le lendemain matin, donc… C'était pas une super exp— »

WIN:

SO CLOSE:

FAIL:

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@Poppy Leigh

« Pas du genre à croire au coup de foudre au premier regard ? » J’y croirais volontiers si c’était possible. Seulement, en général, je suis la seule à craquer aussi facilement, et un coup de foudre, normalement, ça implique deux personnes. Enfin, je crois ? Quoi qu’il en soit, je n’ai pas le temps d’expliquer mon point de vue à ce sujet à Poppy, puisque déjà, le serveur arrive avec nos boissons. Et bien sûr, avec ma malchance légendaire : nos deux verres finissent sur mes genoux. Enfin non, j’ai le réflexe d’attraper un verre sur les deux. Le second cogne ma cuisse avant de finir par terre et de se briser. Leur contenu, quant à eux, se vide totalement sur moi : dans mon décolleté, sur mes genoux… Bref.
Je reste immobile, sous le choc, un verre entre les mains, les yeux écarquillés, alors que je sens quelques glaçons du cocktail de Poppy glisser entre mes seins pour venir fondre lentement contre le haut de mon ventre.
« Vous pouvez aller chercher des serviettes ? » La voix de Poppy me ramène à l’instant présent, et je pose le verre sur la table avant de baisser les yeux sur les dégâts causés par l’incident. Jean trempé au niveau des cuisses, t-shirt blanc devenu transparent du ventre jusqu’aux seins, même la pointe de mes cheveux y est passée. Je tente de pêcher les glaçons qui me gèlent le décolleté, comme si ça allait vraiment changer quelque chose.
« À moins que tu aies de quoi te changer, ça va être compliqué... » Je relève les yeux sur Poppy, qui a les joues rouges. Elle a l’air presque plus gênée que moi. Mon regard balaie machinalement la pièce : la majorité des regards sont sur moi. En même temps, l’accident n’est pas passé inaperçu et mon soutif noir non plus. Je me félicite d’ailleurs d’en avoir mis un, sans quoi ça aurait été un peu gênant pour le coup.
« Je peux te prêter mon blazer pour que tu rentres tranquille, si tu veux. » Je reporte mes yeux sur elle, note sa petite taille, avant de grimacer. « C’est gentil, mais je pense pas que ça servira à grand-chose… »
Je récupère les serviettes en papier amenées par le serveur, qui semblent bien futiles face aux dégâts. J’éponge ce que je peux. C’est collant et froid. J’ai presque envie de retirer mon t-shirt, compte tenu de sa transparence, mais si Poppy est déjà rouge tomate pour si peu, je risque de vraiment la mettre mal à l’aise. Je colle des serviettes en papier sur ma poitrine pour camoufler tout ça avant de reporter mon attention sur Poppy, un sourire crispé sur les lèvres.
« J’irais demander au personnel. » Je vais pas préciser que j’ai une ex qui bosse juste derrière le bar, que je sais d’expérience que ses fringues me vont et qu’elle se change en général en arrivant au boulot. Parce que c’est pas le genre d’infos qu’on donne lors d’un date normalement. Même si, clairement, je suis totalement du genre à parler de mes ex lors d’un premier date… mais bref, puis c’est pas vraiment un date là, quoi qu’il en soit. Et heureusement d’ailleurs, parce que v’la le chaos que ce serait. « Sinon je repartirais en soutif. C’est l’été, ça choquera personne. » Mon corps reste crispé, peut-être un peu à cause du choc, mais surtout à cause du froid de mes vêtements mouillés contre ma peau. Malgré tout, je suis remarquablement détendue face à cette situation. Je sais pas si c’est ma lune en Lion ou quoi, mais j’ai rien contre le fait d’attirer les regards et j’ai presque zéro pudeur. Donc bon. Ce qui me dérange, c’est le froid et la sensation collante de l’alcool. Et… le gâchis aussi.