Le pire dans tout ça n’est pas même l’incendie, et il a l’impression d’être une horrible personne à le penser ainsi. Le pire ne réside pas dans les hectares brûlés, les personnes ayant perdu leur logement et les animaux en ayant pâti ; le pire réside dans le simple et unique fait qu’il s’agit de la seconde catastrophe en à peine un an et qu’il est déjà en train de craindre ce que Mère Nature pourrait leur réserver pour le prochain Noël. Ils ont eu de la chance avec la tempête Olga, ils ont encore de la chance d’être épargnés avec l’incendie ; mais seront-ils autant préservés à l’avenir ? Rien n’est moins sûr. Swann n’a aucune envie de connaître la réponse face à cette question, pas plus qu’il n’a envie de voir le temps avancer pour savoir ce que l’avenir leur réserve. L’avenir a toujours été une douce et belle perspective depuis qu’il connaît Rory mais maintenant, et après les derniers mois qui viennent de s’écouler, l’avenir ne lui a jamais semblé aussi peu resplendissant. Il sera plus calme, il sera plus doux. Normalement. Il l’espère.

Eux ont eu de la chance, d’autres se sont retrouvés moins chanceux, alors il occupe son temps libre et ses jours de repos à tenter d’aider autour de lui, à proposer son aide à ceux dont les blessures sont légères, ou ceux qui ont surtout besoin d’une aide morale, personnelle, ou bien des affaires de première nécessité et de la nourriture. Ils sont privilégiés, il le sait ; tout ce qu’ils peuvent donner ne leur manquera pas le moins du monde, pas même à Robin qui aura toujours tout ce dont elle a besoin. Dans son nouvel état d’esprit, pourtant, il accepte l’idée que faire partie d’une famille désormais aisée et privilégiée ne fait pas de lui une personne intouchable : ne pas avoir perdu sa maison, son travail ou de sa santé physique ne fait pas de lui une personne intouchée non plus.

La ville a mis en place des centres d’aide, ou peut-être que ce sont simplement les professionnels qui se sont proposés ; il n’en sait rien, cela n’importe peu. Il ferme son poing, fait glisser son pouce sur chacune de ses phalanges encore et encore jusqu’à se décider à faire un pas de plus vers la salle de consultation improvisée. Il ne veut pas embêter Rory avec ses craintes et ses peurs, il veut surtout être un adulte raisonné et raisonnable qui n’attendra pas d’être complètement rongé de l’intérieur pour oser parler de ce qui lui pèse. « Swann. » On lui demande le nom à inscrire, il se contente du prénom. Il a appris à se faire discret, à se fondre dans la masse, à ne pas préciser son nom de famille qui est aussi celui d’un acteur reconnu et qu’un seul clic sur Google suffirait à sortir tout l’historique de son histoire avec Rory. La liste d’attente est courte, une seule personne discute avant que ce ne soit déjà à son tour, et il l’observe s’engouffrer dans la salle de fortune en jetant un simple regard curieux à l’intérieur, son regard croisant avec curiosité celui de la jeune femme à l’intérieur.

Et il se liquéfie. Les traits lui sont connus, les mimiques lui sont connues, et lui n’a aucune envie de renouer avec son passé dans un tel moment. « N… non en fait c’est bon, vous pouvez m’enlever de la liste. » A peine assis, le voilà qui se relève déjà, prêt à prendre ses jambes à son cou pour ne pas vivre ce moment qu’il déteste déjà. D’autres ont de toute façon bien plus besoin de parler que lui, c’est évident, alors il rend service à tout le monde en se retirant de cette liste où il n’a de toute façon rien à faire.

La présence de Victoria sur ses pas est évidente mais il ne se met pas à courir comme dans une mauvaise comédie. Il n’a pas le cœur à lui parler, pas alors que le contexte autour d’eux est déjà difficile à gérer pour lui, mais Swann n’est pas du genre à fuir ses responsabilités. Du moins, il est seulement du genre à vouloir les marquer par des cicatrices sur sa peau, ce qui est un autre sujet - et il ne l’a pas fait depuis longtemps, qu’il serait prêt à dire. « Tu as l’air d’en avoir besoin. » Il se demande un instant si elle a mis quelque chose dans la bouteille qu’il accepte pourtant ; et il se retrouve rassuré comme un imbécile lorsque le cran cède au moment où il l’ouvre, lui assurant ainsi qu’elle était jusque-là scellée. « C’est un mauvais jeu de mot en rapport avec l’incendie ? » Incisif ou d’humeur blagueur, il ne saurait dire par lequel de ces deux sentiments sa remarque est animée. « J’espère que ta famille va bien. » - « Ma mère va bien. » Il ne sait pas si elle est au courant pour Rory et lui, il ne sait pas non plus si elle sait qu’ils ont eu une fille, et il n’a pas à cœur d’annoncer ces deux nouvelles dans un tel contexte. Seule son alliance pourrait trahir le secret, si tant est qu’elle n’a pas déjà tout lu dans un article de presse people ou un autre. « Et toi ? » Ils agissent comme s’ils étaient des collègues devant tenir une discussion le temps de quelques étages à franchir dans l’ascenseur, et l’idée le rend plus mal à l’aise que jamais. Victoria n’est pas une collègue et ils ne sont pas non plus dans un foutu ascenseur qui l’aurait sans doute rendu plutôt claustrophobe sans qu’il ne le soit réellement. Simplement du fait du malaise palpable.

« Les circonstances sont loin d’être idéales, mais si tu as besoin de parler, l’un des bénévoles ne tardera pas à revenir de sa pause. » Il retient dans sa gorge un rire amer, un “c’était sûr” qu’il crève pourtant d’envie de balancer. « Non, je me suis trompé de tente. » qu’il ment comme il respire, habitude prise de son adolescence qu’il n’a aucun mal à retrouver tant elle est ancrée en lui : assurer qu’il va parfaitement bien est un art qu’il maîtrise à merveille. « Je suis venu pour voir si je pouvais pas donner un coup de main. » Sûrement que les rescapés n’ont pas à cœur de voir un kiné pour le moment, mais il pensait au moins aider à la distribution de repas, ou Dieu sait quoi d’autre. Tant qu’il se rend utile, en réalité, il se moque bien de la façon dont cela peut se faire. « J’ai entendu parler de ta publication. Félicitations. » Il n’a toujours pas bu une goutte et ne compte pas le faire. Il a suivi la vie de Victoria comme il l’a pu, et c’est au moins un point qu’il tient à éclaircir : il a quitté Londres pour bon nombre de raisons, mais certainement pas à cause de ses proches. Ils sont au contraire la raison pour laquelle il a tenu chaque nouveau jour dans une vie qui, à l’époque, était bien plus un supplice qu’autre chose.