Talia était assise sur le bord de son lit, son téléphone serré dans une main, une légère moue se dessinant sur ses lèvres. Elle observait son reflet dans le miroir de sa chambre, scrutant chaque détail de sa tenue. Un jean noir classique, un pull crème légèrement ample qui tombait juste assez pour flatter sa silhouette sans être trop habillé. À ses pieds, des bottines qui ajoutaient une touche décontractée mais soignée. Elle avait voulu rester simple, mais pas négligée, un équilibre difficile à atteindre lorsqu’on s’apprête à rencontrer quelqu’un pour la première fois. Et pas n’importe qui : un homme rencontré sur un site de rencontres.

Rien que d’y penser, elle sentait une boule se former dans son estomac. Elle n’arrivait pas à croire qu’elle en était arrivée là. Elle avait réfléchie des heures et des heures avant de s'inscrire, poussée par sa meilleure amie. Et maintenant, la voilà, prête à rencontrer un parfait inconnu dans un parc. Elle soupira, ajustant une boucle de ses cheveux. Ce n’était vraiment pas son genre. Elle aimait les choses spontanées, naturelles, les rencontres qui se faisaient au détour d’une conversation banale dans un café ou d’un échange de regards dans une librairie. Pas ce genre de rendez-vous où tout semblait scénarisé à l’avance, depuis la localisation jusqu’au choix du banc où ils se retrouveraient.

Pourtant, quelque chose chez Ian l’avait intriguée. Ils avaient discuté pendant plusieurs semaines sur l’application, échangeant des messages à la fois légers et sincères. Il avait un humour qui la faisait sourire devant son écran, et un intérêt sincère pour ses passions et son quotidien. Mais maintenant que l’heure de la rencontre approchait, elle se demandait si tout cela allait s’effondrer face à la réalité. Le temps était doux pour une journée de fin d’automne, une chance étant donné son aversion pour le froid. Talia se força à se lever, attrapa son sac à main posé sur le canapé et se dirigea vers la porte. Le trajet jusqu’au parc n’était pas long, mais elle sentait son cœur battre un peu plus vite à chaque pas. Elle passa rapidement devant la boulangerie du coin, où l’odeur de pain frais l’aurait habituellement arrêtée, mais aujourd’hui, elle n’avait pas d’appétit.

Pourquoi je fais ça ? Pourquoi ne pas tout annuler et prétendre que quelque chose m’est tombé dessus à la dernière minute ?

Les excuses lui venaient en tête plus rapidement que les réponses à ses angoisses. Mais elle savait qu’elle ne pouvait pas se défiler. En arrivant à l’entrée du parc, Talia ralentit son pas, profitant de l’air frais pour calmer son esprit. Les feuilles mortes crissaient sous ses pieds, ajoutant une touche de sérénité à l’ambiance. Le parc était animé mais pas bondé, ce qui la rassura un peu. Elle repéra rapidement l’étang dont Ian avait parlé. À côté, un banc vide l’attendait, encadré par des arbres aux branches nues.

Elle consulta une dernière fois son téléphone, vérifiant qu’elle n’avait pas mal compris l’heure ou l’endroit. Tout était en ordre. Elle s’assit sur le banc, posant son sac à côté d’elle, et inspira profondément. La vue de l’eau et des canards lui apporta une légère distraction. Les minutes passèrent, et chaque instant la plongeait dans un mélange d’anticipation et de doute. Elle attrapa son téléphone une nouvelle fois, cette fois pour faire défiler distraitement des notifications inutiles. Mais son esprit ne pouvait s’empêcher de revenir à Ian. Et si ce n’était pas lui sur les photos ? Et s’il ne me plaisait pas ? Ou pire, si je ne lui plaisais pas ?

Perdue dans ses pensées, elle faillit ne pas le remarquer. Une voix masculine la tira de ses réflexions. Elle releva la tête, croisant enfin le regard d’un homme qui se tenait là, un sourire légèrement nerveux sur le visage.

Ian avait longuement hésité avant de proposer un rendez-vous à Talia. Elle était quand même beaucoup plus jeune que lui, à peine plus âgée que sa fille. D'ailleurs, il avait été très étonné de recevoir une notification comme quoi elle avait aimé son profil sur l'application de rencontres sur laquelle il était inscrit depuis quelques mois. Mais voilà, avouons-le, l'algorithme de ce genre de site est beaucoup plus favorables aux femmes qu'aux hommes et Ian n'avait pas eu beaucoup de succès. Il avait pourtant tout rempli comme il le fallait, jusqu'à la moindre rubrique. Allez donc savoir !
Alors, après avoir hésité quelques minutes, son pouce survolant le bouton « aimer en retour », il s'était finalement lancé à l'eau. Elle avait l'air sympathique, et il avait remarqué quelques touches d'humour dans son profil qui lui avait plus. Après tout, il verrait bien à la discussion ce que cela donnait, même s'il était quand même frileux, vue la différence d'âge. Mais bon, c'était elle qui l'avait choisi et non le contraire ! Il pouvait bien lui donner une chance. Et puis trente ans, ce n'était pas vingt ans... Elle avait dépassé l'âge où l'on devenait assez mâture... n'est-ce pas ? Ce n'était pas non plus une jeunette, sans quoi il n'aurait jamais cliqué en retour ! En tous cas, il fut agréablement surpris,  car ils discutèrent plusieurs jours, même semaines, avant de finalement décider de se rencontrer dans la vraie vie. Le virtuel, c'était bien, mais il n'y avait rien de tel que de se parler de vive voix, dans un lieu neutre, évidemment, pour apprendre à se connaître. Puis, physiquement... Sans doute que ses rides se voyaient moins en photo... peut-être qu'elle le pensait plus jeune qu'il ne l'était ? Beaucoup de monde lui disait qu'il ne faisait honnêtement pas son âge. A vrai dire, pendant longtemps, il n'avait pas changé de tête depuis l'adolescence. C'était venu d'un coup ! Rattrapé par les années !
Des fois, on avait un très bon feeeling à l'écrit, mais lorsqu'on se rencontrait pour de vrai, plus rien. Cela lui était déjà arrivé, et il espérait que ce ne serait pas le cas cette fois-ci. Même s'il devait avouer qu'il avait des doutes, toujours, sur cette différence d'âge. C'était un peu le point noir... Mais si l'on ne sort jamais des cas, on risque de passer à côté d'une belle histoire, n'est-ce pas ?

Il se fit donc le plus présentable pour son rendez-vous. Pas de là à se mettre sur son 31 (de toute façon, il n'en avait pas), mais à enfiler les meilleurs vêtements de sport en sa possession, et à se montrer bien plus soigné que quotidiennement. Il n'était pas un homme négligé, loin de là, mais il mit les bouchée doubles pour ce « rencard ». Et voilà qu'il se dirigeait d'un pas décidé vers le lieu de rendez-vous, dans un parc, su un banc entre deux arbres, devant un étang. C'était un endroit où il aimait aller courir de temps en temps, et qui était toujours très peuplé, alors très rassurant pour tout le monde. Lorsqu'il arriva, il remarqua une jeune femme assise sur le banc... Il sortit son téléphone pour vérifier discrètement qu'il s'agissait bien de son rencard du jour. « Talia ? » demanda-t-il en s'approchant de face, afin d'éviter de lui faire peur. « Salut ! » dit-il ensuite, avec un sourire très doux. « Comment vas-tu ? » demanda-t-il ensuite chaleureusement.

Talia sentit son cœur s'accélérer en entendant son prénom. En relevant la tête, elle aperçut Ian qui avançait vers elle avec un sourire chaleureux. Elle répondit par un sourire poli, prenant une seconde pour l’observer. Il avait quelque chose de rassurant dans son approche, une gentillesse désarmante qui transparaissait dans ses gestes mesurés et son ton doux. Mais en même temps, quelque chose la fit tiquer presque instantanément. Ian était charmant, certes, mais il semblait… différent de l’image qu’elle s’était faite de lui d’après ses photos de profil. Il avait ce genre d’apparence qui inspirait confiance, mais elle ne pouvait ignorer les signes subtils qui trahissaient peut-être une vérité qu’il n’avait pas totalement révélée. Ses cheveux, bien que soigneusement coiffés, avaient plus de gris que ce qu’elle avait imaginé. Les ridules autour de ses yeux, quand il sourit, parlaient d’histoires vécues plus longues que celles qu’un homme de 33 ans aurait dû avoir.

Elle tenta de ne pas se focaliser sur ces détails, se levant pour le saluer, mais son esprit était déjà en train de recalculer.

— Salut, Ian. Oui, c'est moi, Talia.

Il lui répondit avec chaleur, engageant la conversation. Et bien qu’elle sourît et qu’elle réponde aimablement, son esprit continuait à analyser. Était-il vraiment âgé de 33 ans, comme indiqué sur son profil ? Elle avait rencontré des gens qui embellissaient un peu la vérité sur ces sites – des photos retouchées, quelques centimètres ajoutés à la taille... Mais là, cela semblait être autre chose. Une différence bien plus significative.

Alors qu’il s’asseyait à côté d’elle, elle essaya de se recentrer. Peut-être qu’elle se trompait. Peut-être que son visage portait simplement les traces d’une vie active ou qu’il avait été pris sous une lumière moins flatteuse aujourd’hui. Après tout, leurs conversations avaient été formidables, et c’était cela qui comptait, non ? Mais, finalement, elle décida d’aborder la chose doucement.

—  Tu sais, tu as l’air un peu différent de tes photos. commença t-elle, — Je veux dire, ce n’est pas grave, mais... tu as écrit que tu avais 33 ans, c’est bien ça ?

Elle inspira profondément et se redressa, essayant de garder une expression ouverte. Il avait ce sourire chaleureux qu’elle avait appris à apprécier lors de leurs échanges en ligne, et malgré son trouble initial, elle se sentait obligée de lui donner une chance.

Le quinquagénaire était un peu stressé. Il avait déjà eu quelques rencards par le passé, mais avec quelqu'un de si jeune, c'était une première. Après tout, trente ans, c'était bien loin de ses critères habituels. Mais la conversation avec Talia avait été si agréable qu'il avait eu envie d'en savoir plus. Après tout, c'était elle qui avait aimé son profil en premier ! Il avait donc répondu, après une longue hésitation, à sa sollicitation. Et les voilà, à présent, dans ce parc, à se saluer de vive voix pour la première fois. Il afficha un beau sourire, espérant ne pas être trop décoiffé par le vent lors de son trajet pour venir dans le coin. L'ai était encore frais à cette période de l'année, alors il referma un peu le haut de son pull, avant de s'asseoir aux côtés de la demoiselle sur le banc.
Elle avait un drôle de regard... Comme si elle était étonnée ? Ou déçue ? Est-ce qu'il était bien plus moche en réalité que sur les photos ? Pourtant, il en avait mis des récentes ! Elle, en tous cas, elle était exactement comme ce qu'il s'était imaginé, d'après les différentes images composant son profil sur le site de rencontres. Souriant toujours avec douceur, il la regarda, prêt à lancer un sujet de conversation, mais elle fut plus rapide. Différent ? Il pencha la tête, ne comprenant pas trop, parce qu'il n'avait jamais rien caché, il n'utilisait ni filtres ni rien l’embellissant sur son profil. Mais il était vrai que, sur une photo, on ne voyait ni les détails de la peau, ni les rides et ridules. Après tout, l'appareil photo de la plupart des smartphones appliquait de lui-même une sorte de lissage sur les portraits.
Attendez... 33 ans ? Mais de quoi parlait-elle ? Il n'avait jamais dit cela ! A quoi cela servirait-il de mentir sur son âge ? C'était complètement idiot ! Car une fois en face à face, le pot aux roses serait évident ! « Quoi ? » demanda-t-il, un peu hébété, dans un parfait exemple de toute son élocution. « J'ai 53 ans, pas 33 ! » dit-il en secouant la tête. Si elle pensait qu'il en avait 33, alors pas étonnant qu'elle ait aimé son profil, même en se disant qu'il avait l'air un peu vieux pour son âge. Il sortit son téléphone, pris d'un doute, afin de vérifier les informations rentrées dans son profil sur son application... Et c'est là qu'il comprit. Il s'était trompé dans sa date de naissance ! Ian se mit alors à rire, d'un rire sincère et claire. « Oh non ! Je suis une grosse boulette ! Je me suis trompé en entrant ma date de naissance et j'ai même pas capté pendant tout ce temps... Je trouvais ça bizarre qu'aucune demoiselle de mon âge ne me réponde... » Pas que son profil était irrésistible, mais quand même. Il continua de rire tout en reposant un regard doux sur la jeune femme. « Je suis trop désolé... Je me disais que c'était très étonnant que tu m'aies liké, mais je n'avais pas osé te demander. » dit-il, posant une main contre sa bouche, ses joues se rougissant. Ah bah là, au moins, il n 'avait plus à se poser le dilemme si elle n'était pas trop jeune pour lui.

Talia resta immobile un instant, scrutant Ian avec un mélange de surprise et d’amusement. La révélation sur son âge venait de lui couper l’élan, mais ce n’était pas pour autant qu’elle se sentait déçue ou fâchée. Non, ce qu’elle ressentait, c’était plutôt une curiosité piquée et une certaine perplexité. Elle prit une inspiration lente, ses doigts jouant distraitement avec la couture de son manteau, et finit par hausser un sourcil, un léger sourire naissant au coin de ses lèvres. Elle bascula légèrement son poids sur le côté du banc, ses jambes croisées, et inclina la tête pour mieux le regarder. Ian avait l’air embarrassé, et cette maladresse sincère le rendait étrangement attachant. Le vent jouait doucement avec ses cheveux, tandis que lui, assis à côté d’elle, s’efforçait de rassembler ses pensées après cette bourde mémorable.

–  Alors, 53 ans, hein ? commença-t-elle, sa voix teintée d’un amusement non dissimulé. Ça explique beaucoup. Genre pourquoi je me disais que tu étais particulièrement ‘mature’ pour un soi-disant trentenaire.

Elle laissa échapper un léger rire, croisant ses bras pour se réchauffer un peu dans l’air frais. Elle n’était pas du genre à rejeter quelqu’un pour un simple malentendu, surtout quand ce quelqu’un avait visiblement le cœur à la bonne place.

–  Pour être honnête, j’étais un peu sceptique au début, admit-elle, son regard pétillant de malice. J’avais même envisagé la possibilité que tu sois l’un de ces gars qui exagèrent un peu leur âge sur les applis de rencontres pour paraître plus jeunes. Mais là, je dois reconnaître que tu fais fort. C’est pas une exagération, c’est carrément une refonte complète de ton profil.

Elle se redressa légèrement, prenant appui sur le dossier du banc, et ajouta, avec une pointe de sarcasme affectueux :

–  Tu sais, ça aurait pu être pire. T’aurais pu te retrouver dans la catégorie des ados en te trompant encore plus sur ta date de naissance. Imagine les conversations gênantes que ça aurait causées.

Talia laissa son rire cristallin adoucir la situation, décidée à ne pas le laisser se noyer dans sa gêne. Elle n’était pas venue pour juger mais pour rencontrer quelqu’un qui, sur le papier, avait su captiver son attention.

–  Plus sérieusement, Ian,  reprit-elle après un instant de silence, son ton devenant légèrement plus doux, je vais te poser une question simple : qu’est-ce qui t’a poussé à te lancer dans tout ça ? Dans les applis, dans les rencontres... dans ce rendez-vous avec moi ?

Elle savait qu’elle abordait un terrain potentiellement sensible, mais sa curiosité était sincère. Et puis, elle estimait qu’après une telle introduction, ils pouvaient bien se permettre un peu d’honnêteté. Elle croisa les jambes et planta ses yeux dans les siens, attentive à sa réponse. Mais avant qu’il ne puisse répondre, elle ajouta avec un sourire taquin :

–  Et ne me dis pas que c’était juste pour voir si tu pouvais encore plaire aux filles de 30 ans, parce que là, je risque de repartir tout de suite.

Elle accompagna sa boutade d’un clin d’œil, décidée à maintenir une ambiance légère malgré l’étrangeté de la situation. Après tout, si elle était là, ce n’était pas par obligation mais par choix. Et si Ian avait réussi à la faire rire, il méritait au moins qu’elle prenne le temps de l’écouter.

Elle n'avait pas l'air particulièrement surprise. Au contraire, visiblement, son âge expliquait beaucoup de choses. Il était vrai qu'il donnait cette image de quelqu'un d'expérimenté dans la vie, et sur différents points. Avec le temps, il avait appris la patience et le calme, à poser de bonnes bases et prendre son temps, malgré un petit côté foufou qui le suivait partout. La jeunesse, c'était dans la tête, et il se sentait encore dans la fleur de l'âge psychologiquement ! Talia lui raconta qu'elle avait, elle aussi, hésité devant son profil, elle avait dû aimer ce qui était écrit, mais la photo lui avait paru étrange pour un homme de trente-trois. Mais après tout, certains ont parfois l'air vieux alors qu'ils n'ont que quinze ans, et d'autres ont l'air d'avoir quinze ans presque toute leur vie. Sans doute que cela avait été sa logique pour se rassurer un peu.
« Je comprends. » répondit-il en riant de nouveau. C'était la honte ! Mais en même temps, c'était vraiment très drôle comme quiproquo, n'est-ce pas ? Il fallait vraiment le faire ! « Ah oui, vingt-ans de moins, c'est pas un détail ! Je ne pense pas avoir mal vieilli, mais quand même ! » dit-il, ses joues gardant leur couleur si parfaitement rosée, lui donnant une bonhomie particulière, derrière son petit sourire mi-gêné mi-amusé.
« Oh mon Dieu ! M'en parle pas ! J'aurais reporté l'appli à la police pour me proposer des ados ! » Ah oui ! On ne rigolait pas avec cela, il avait une fille, il savait à quel point il existait des prédateurs, dans la vie réelle, tout comme derrière un écran interposé. D'ailleurs, il en avait parlé à Talia, de Mac, mais il n'avait pas partagé son âge... Sans doute que cela aurait levé le doute ! « Ou alors, c'est moi qui aurait été reporté à la police pour viser cette tranche d'âge... » ajouta-t-il, riant en s'imaginant la scène. Allez donc expliquer aux flics qu'il s'était sincèrement trompé ! Enfin, cela dit, à sa décharge, il n'aurait pas accepté de discuter avec des profils su jeune ! Trente ans, c'était déjà bien jeune de son point de vue !

Il sourit tendrement alors que son interlocutrice lui posa une question bien plus sérieuse, et terre-à-terre. En effet, ce n'était pas pour savoir s'il plaisait aux jeunes femmes de vingt ans ses cadettes. « Je me sentais seul. Mon épouse est décédée il y a de cela quinze ans, et j'ai commencé à ressentir cette envie de rencontrer l'amour de nouveau il y a quelques années. Et donc voilà. La vraie vie, ça me réussissait pas trop, surtout pour rencontrer des gens de mon âge. Je présume que c'est un peu plus simple quand on est plus jeune. » expliqua-t-il. « Et toi... Et bien, j'ai énormément apprécié nos conversations. J'avais hésité, du fait de l'énorme différence d'âge, mais je me suis dis que si je t'avais plu, je pouvais bien voir un peu ce qu'il en était. Tu es bien jeune, à peine plus âgée que ma fille, mais bon... Je me suis dis que ce n'était pas non plus un frein si extrême, vu que tu avais été la première à me liker. Je t'avoue par contre que je n'aurais jamais liké ton profil en premier, aussi intéressant soit-il... Ton âge n'était pas dans mes critères de recherches. » indiqua-t-il doucement, sur un ton serein. Il n'avait rien à cacher, et son erreur était vraiment sincère. « Et toi ? Les sites de rencontres ? » Il était vrai qu'ils avaient parlé de tout et de rien mais n'avait pas abordé ce point-là, le pourquoi de leur présence sur ce site. « Je présume que pour un rencard, c'est un peu mort, mais je t'apprécie, alors un rencard amical me va très bien. L'important, c'est de rencontrer du monde après tout ! » ajouta-t-il ensuite, pour qu'elle comprenne qu'il n'y avait absolument aucune gêne, et qu'elle ne devait pas avoir peur de dire que, maintenant qu'elle connaissait son véritable âge, elle n'était plus intéressée par des interactions romantiques. Il fallait dire que si le feeling passait bien entre eux, il avait été un peu refroidi aussi, par la découverte que leur petit lien ne s'était créé que par un quiproquo...

Talia écouta Ian avec une attention teintée d’amusement et de respect. Il avait un certain charme dans sa façon d’assumer son erreur, son rire sincère et son honnêteté touchante. Elle joua distraitement avec une mèche de cheveux, observant la manière dont ses joues se teintaient de rose lorsqu’il plaisantait à propos de ses bourdes. Ce n’était pas un homme prétentieux, et ce mélange d’assurance mature et de maladresse naturelle lui plaisait plus qu’elle ne l’aurait admis.

–  Bon, soyons honnêtes, commença-t-elle en se tournant un peu plus vers lui sur le banc. J’aurais peut-être dû avoir plus de doutes, mais c’est vrai que ton profil m’a intriguée. Je me suis dit : “Wow, ce gars de 33 ans a l’air d’avoir vécu au moins trois vies !” Elle lui adressa un sourire taquin, puis haussa les épaules.  Alors forcément, je voulais voir si tu étais aussi intéressant en vrai.

Elle laissa échapper un léger rire à son tour, amusée par sa propre naïveté et par le quiproquo qui les avait menés à ce moment. Mais très vite, son expression se fit plus douce alors qu’elle écoutait Ian parler de sa solitude et de son parcours. Il n’y avait pas de faux-semblants dans ses paroles, seulement une sincérité désarmante.

–  Tu sais, je pense que ça demande beaucoup de courage, ce que tu fais,  dit-elle d’une voix calme.  Après avoir vécu quelque chose d’aussi difficile que la perte de ton épouse, décider de te réouvrir au monde et de donner une nouvelle chance à l’amour, ce n’est pas rien.

Elle réfléchit un instant, cherchant les bons mots.

–  Pour être honnête, je ne m’attendais pas à ce genre de conversation en venant ici, admit-elle avec un sourire mi-figue, mi-raisin. Mais je ne suis pas déçue non plus. Au contraire, je trouve ça rafraîchissant de parler à quelqu’un d’aussi honnête et… comment dire ? Ancré.

Elle marqua une pause, laissant le vent caresser son visage avant de répondre à son tour à sa question sur les sites de rencontres.

–  Pourquoi les applis ? répéta-t-elle en jouant avec les bords de son écharpe.  Disons que je n’ai pas vraiment eu beaucoup de succès dans les rencontres “traditionnelles”. Je sors avec des amis, je vais à des événements, mais je finis toujours par attirer des gens qui… comment dire… cherchent à cocher une case. Une case “petite amie parfaite”, ou “relation idéale”, mais sans vraiment vouloir connaître la personne derrière.

Elle se tut un instant, le regard porté sur un point au loin, puis reprit avec un sourire un peu plus vulnérable.

–  Et puis, je suppose que je voulais voir si des conversations comme celles qu’on a eues en ligne pouvaient se traduire en vrai. Tu as été l’une des rares personnes avec qui j’ai senti que je pouvais parler sans pression. Et je me suis dit que même si ça ne menait à rien, au moins, ce serait une expérience enrichissante.

Elle croisa les jambes et se pencha légèrement en avant, un éclat de malice revenant dans son regard.

–  Maintenant, pour le rencard, c’est clair qu’il y a un petit hic, plaisanta-t-elle. Mais tu sais quoi ? Je suis pas déçue. Tu as raison, l’important, c’est de rencontrer des gens, d’élargir ses horizons. Et je dois dire que je n’ai jamais rencontré quelqu’un comme toi, Ian.

Elle laissa échapper un léger rire avant de continuer.

–  Alors, un rencard amical ? Ça me va parfaitement. Je veux dire, on a déjà un point commun incroyable : on est tous les deux très doués pour les quiproquos. Ça mérite bien un café, non ?

Talia avait fait le choix de rester légère mais sincère, laissant à Ian la possibilité de répondre à son rythme. Elle voulait lui montrer qu’elle appréciait cette rencontre, même si elle ne correspondait pas exactement à ce qu’elle avait imaginé en cliquant sur son profil. Après tout, la vie était pleine de surprises, et parfois, ce sont les erreurs qui mènent aux meilleures conversations.

Ian sourit doucement alors que la jeune femme lui expliquait qu'elle le trouvait courageux, de se remettre sur le marché des relations, ou plutôt de s'ouvrir de nouveau à l'amour et au potentiel cœur brisé. Il ne l'avait jamais vu de cette façon. « Courageux, je ne sais pas, mais j'ai pris du temps à me retrouver moi-même. » expliqua-t-il. Le conducteur de ferry avait toujours été très ouvert et très orienté vers les autres. Le drame qu'était le décès de son épouse ne l'avait pas changé sur ce point. Certes, il avait traversé une période difficile, sur quelques années, où la dépression le guettait au moindre détours. Il avait dû être suivi médicalement, et de près. Mais tout cela ne lui avait jamais enlevé ce côté extraverti et bienveillant qui était ancré en lui. Ian ne s'en doutait pas, il vivait au jour le jour à présent, et c'était depuis peu qu'il se surprenait à se créer des projets sur le long terme.

Au moins, elle n'avait pas l'air trop attristée ni déçue par ce rencard qui tombait à l'eau. La désillusion n'était pas si violente qu'elle aurait pu l'être. Après tout, ils avaient longuement parlé par messages sur l'application, pendant des jours, et, quelque part, ils s'étaient tous les deux attachés à une certaine image de l'autre personne. Cela aurait pu être vraiment affolant de se rendre compte que cette image n'était pas vraiment semblable à la réalité. Mais enfin, Ian n'avait pas menti, il avait été lui-même, sauf qu'il avait fait une petite bêtise et s'était trompé sur son âge. L'âge, cependant, était un critère très important, surtout pour une jeune femme qui souhaitait peut-être fonder une famille un de ses jours, avec son nouveau partenaire.

« Oh je vois... Et tu trouves pas que sur les applis, c'est moins authentique ? » demanda-t-il doucement. Il était vrai que les personnes présentes sur les sites de rencontre se mettaient sous leur meilleur jour, faisaient des efforts, étaient directement dans la séduction, alors qu'ils ne se connaissaient à peine. C'était un peu bizarre, en vérité, de parler à quelqu'un dans l'unique but d'en ressortir avec une relation potentielle. Ian n'avait jamais fonctionné comme cela, il parlait comme on parle à un inconnu qu'on veut connaître un peu, mais sans espérer quoi que ce soit de plus. C'était sans doute la raison pour laquelle cela avait si bien matché avec Talia. « C'est vrai que je t'ai trouvé très naturelle dans nos conversations, cela faisait du bien. » Contrairement à d'autres qui allaient taper dans la drague ouvertement.

Il rit à ce petit point commun que son interlocutrice mit en exergue. Un rire franc et cristallin. « Si tu n'es pas déçue, j'en suis heureux. Je m'en serais terriblement voulu si tu avais jugé tout ça comme une perte de temps... Et encore désolé. Je me demande comment j'ai fait pour ne pas le remarquer... » dit-il, baissant légèrement les yeux, l'espace de quelques secondes seulement, avant de les relever vers la jeune femme. « Alors, c'est parti pour un café ! Je connais un petit coin sympa par ici. A moins que tu n'en connaisses un autre ? » proposa-t-il. Tout ce qu'il voulait, c'était qu'elle se sente à l'aise, et obligée à rien.

Talia écoutait Ian avec attention, chaque mot qu’il prononçait résonnant en elle avec une sincérité rare. Il n’essayait pas de se présenter sous un jour flatteur ou de minimiser ce qu’il avait traversé. Il se livrait, simplement, et c’était une chose qu’elle appréciait profondément. La vie l’avait appris à reconnaître la force derrière l’humilité, et Ian en était l’incarnation même. Lorsqu’il mentionna le temps qu’il avait pris pour se retrouver, elle sentit une profonde admiration grandir en elle. Trop souvent, elle avait vu des personnes, elle-même incluse parfois, se précipiter dans de nouvelles situations pour éviter de faire face à leurs blessures. Mais lui avait fait un choix différent, un choix courageux.

—  Prendre le temps de se retrouver, c’est une démarche tellement importante, dit-elle d’une voix douce, presque introspective. Et je crois que c’est quelque chose que peu de gens osent vraiment faire. Tu aurais pu te cacher derrière une façade ou te perdre dans des distractions, mais tu as choisi de te reconstruire. Franchement, je trouve ça admirable.

Elle marqua une pause, ses yeux posés sur lui, essayant de capter la profondeur de son regard. Il y avait une chaleur et une douceur dans ses traits qui parlaient d’un homme ayant traversé des tempêtes, mais toujours debout, lumineux d’une certaine manière. Quand Ian aborda les applications de rencontre, Talia rit légèrement, son rire clair résonnant dans l’espace.

—  Tu sais, je me suis souvent posé cette question. Sur ces applis, tout le monde essaie de se montrer sous son meilleur jour, et parfois, c’est presque… irréel. Les photos sont parfaitement filtrées, les bios soigneusement rédigées pour séduire. C’est tellement loin de ce que sont vraiment les gens.

Elle haussa les épaules avec un sourire amusé, comme si elle partageait un secret.

— Mais avec toi, ça n’a jamais été comme ça. Dès le début, nos conversations étaient… naturelles. On parlait de tout et de rien, sans pression, sans essayer de jouer un rôle. C’est rare, tu sais ? Et c’est pour ça que je ne regrette rien.

Elle joua un moment avec sa veste, ses doigts traçant distraitement les bordures, avant de continuer :

— Je pense que les vraies connexions se construisent dans l’authenticité, pas dans les artifices. Et ça, c’est exactement ce que j’ai ressenti avec toi. Alors, non, je ne suis pas déçue. Et encore moins frustrée. Parfois, la vie nous surprend de la meilleure façon, même si ce n’est pas toujours ce qu’on attendait.

Un léger sourire étira ses lèvres, mais cette fois, il était teinté d’une touche de malice lorsqu’elle évoqua la fameuse question de l’âge.

— Et pour l’âge… Elle fit mine de réfléchir, son regard brillant d’une lueur amusée.  Honnêtement, ce n’est qu’un chiffre. Ça n’a pas d’importance pour moi. Ce qui compte, c’est qui tu es, ce que tu dégages, la personne que tu choisis d’être chaque jour. Alors, oublie cette histoire.

Elle rit doucement, presque pour chasser la moindre hésitation qui aurait pu subsister chez Ian. Elle voulait qu’il comprenne qu’elle ne portait aucun jugement, bien au contraire. Quand il baissa les yeux, comme s’il était gêné par cette situation, Talia ressentit une vague de tendresse. Il était rare de croiser quelqu’un d’aussi humble et authentique. Ce genre d’honnêteté, elle l’avait toujours valorisé, et Ian semblait en être l’incarnation.

— Tu sais, on passe tellement de temps à chercher des choses parfaites dans la vie qu’on oublie parfois de juste apprécier ce qu’on a devant nous. Et toi, Ian, tu es quelqu’un de bien. Ça se sent, dans tout ce que tu dis, dans la façon dont tu parles de ton passé, de ce que tu ressens. Alors merci pour ça.

Quand il proposa un café, son sourire s’élargit, et elle hocha la tête avec enthousiasme.

— Un café ? Ça me semble parfait. Je te suis. Je ne connais pas trop les bons endroits ici, alors je vais te laisser être mon guide.

Elle se leva, prenant son manteau et ajustant son sac sur son épaule, prête à le suivre. Mais elle sentit qu’il restait quelque chose à dire, quelque chose qu’elle ne voulait pas laisser en suspens. Alors, alors qu’ils marchaient côte à côte, elle reprit d’une voix douce :

—  Je veux que tu saches… Ce moment, cette rencontre, ce n’est pas rien pour moi. Ce n’est pas tous les jours qu’on peut être soi-même dès le départ avec quelqu’un. Et même si nos chemins ne prennent pas la direction qu’on imaginait, je suis heureuse qu’ils se soient croisés.

Elle tourna son visage vers lui, un sourire éclatant éclairant ses traits. Chaque mot qu’elle avait prononcé venait du cœur, et elle espérait qu’il le ressentait. Pour elle, cette journée, qu’elle soit un tournant ou simplement une parenthèse, resterait gravée comme un moment d’authenticité et de douceur partagée.

Ian hocha la tête. En effet, il aurait pu se cacher, se lancer dans des divertissements et des plaisirs faciles, mais il avait eu la chance de ne pas sombrer. Il avait failli, cela dit, ayant combattu un dépression à la suite du décès de son épouse. « Je suppose que le fait que j'ai une fille, qui n'était qu'une jeune adolescente à ce moment-là, m'a aidé à m'en sortir. » D'autant que Mac avait été très responsable, du haut de ses treize ans. Elle avait pris une place qu'elle n'aurait jamais dû prendre, elle qui devait également faire son deuil. Ian s'en était voulu de ne pas avoir été aussi présent qu'il aurait dû l'être, dans ces moments difficiles. Mais la dépression est une maladie, et peut-on en vouloir à un malade ?

« Ça m'a pris du temps, j'aurais aimé être plus 'fort'. » indiqua-t-il. Du moins, l'image qu'on se faisait d'un homme fort. Ian n'était pas vraiment de ceux-là, lui qui montrait si facilement ses émotions, qui n'avait pas peur de pleurer ou honte de montrer ses faiblesse et sa vulnérabilité.
« Oui, avec toi, c'était pareil. J'ai ressenti la même chose. » répondit-il lorsqu'elle lui parla du naturel avec lequel ils avaient échangé, sans tenter d'enjoliver la situation, ou à peine, sans chercher à se draguer ou brûler des étapes. Juste à discuter simplement, de la façon naturelle avec laquelle la conversation se formait, petit à petit, sans jamais pousser les choses, et les rendre forcées. C'était sans doute ce qui lui avait donné envie de la rencontrer malgré leur différence d'âge, cette façon désarmante qu'elle avait de partager les choses, sans se cacher derrière des faux semblants.
« Tu as eu beaucoup de conversations sur l'application, d'ailleurs ? » demanda-t-il. « Tu as pu rencontrer d'autres personnes ? » Il savait que les femmes avaient plus de succès sur ce genre de plate-formes que les hommes, surtout ceux de son âge. Il sourit timidement, alors qu'elle se mit à le complimenter, et à lui dire encore une fois qu'elle n'était ni déçue ni gênée par me petit quiproquo qui les avait réunis. Au contraire, elle en avait l'air plutôt heureuse.
« Merci à toi pour ta gentillesse et ta douceur. » lui répondit-il simplement, avant de lui proposer d'aller boire un café. Enfin, lui proposer, plutôt rebondir sur sa propre proposition ! Ils se levèrent donc du banc, se mettant à marcher doucement, Ian les guidant, se concentrant pour se souvenir où se trouvait le petit café sympathique qu'il avait en tête. Le conducteur de ferry rougit de plus bel lorsqu'il entendit Talia lui dire encore une fois qu'elle était heureuse de l'avoir rencontré. « Arrête, tu vas me faire verser quelques larmes ! » s'exclama-t-il. Il était émotif, c'était certain et que disait la jeune femme le touchait de plein fouet, du fait de sa sincérité. Cela se voyait que ce n'était guère des paroles en l'air. Il se contenta cependant de sourire, de cette façon solaire et chaleureuse qui était la sienne, et que ses proches lui connaissaient, avant de répondre, avec la même douceur : « Je suis très heureux aussi de t'avoir rencontrée. »

Ils continuèrent le trajet plus ou moins en silence, avant de ne se retrouver devant le café en question. « C'est là ! » indiqua Ian, ouvrant la porte pour laisser passer Talia en premier, lui faisant signe de la main, toujours avec le sourire.

Talia suivit Ian dans le café, le sourire aux lèvres. Ses paroles résonnaient encore en elle, leur douceur et leur sincérité lui laissant une impression à la fois apaisante et bouleversante. Elle l’observa discrètement, cet homme qui incarnait une simplicité et une vulnérabilité qu’elle trouvait rafraîchissantes. Il ne jouait pas un rôle, ne cherchait pas à projeter une image idéalisée. Il était simplement lui-même, et c’était une chose rare. Ils s’installèrent à une table près de la fenêtre, et Talia prit un moment pour contempler l’endroit. Le café avait une atmosphère chaleureuse, presque intime, avec ses murs de briques apparentes et ses lumières tamisées. Mais son esprit restait ailleurs, tourné vers Ian et les mots qu’il avait confiés, ceux qui racontaient son combat, son rôle de père, et cette résilience qu’il semblait minimiser. Elle prit une grande inspiration, cherchant comment exprimer ce qu’elle ressentait. Finalement, elle posa ses coudes sur la table et parla, doucement :

— Ian, tu sais… je crois que tu es bien plus fort que tu ne le penses.

Elle marqua une pause, son regard plongeant dans le sien.

— Ce que tu as vécu, perdre ton épouse, devoir t’occuper de ta fille tout en traversant ta propre douleur… Ce n’est pas rien. Et pourtant, te voilà, capable de parler de tout ça avec une telle honnêteté. C’est une force, ça.

Elle s’arrêta un instant, triturant le bord de sa tasse. Les mots étaient plus difficiles à trouver qu’elle ne l’aurait cru.

— Je sais ce que c’est, de vouloir être ‘fort’, de se sentir comme si on ne faisait jamais assez, jamais ce qu’il faudrait. Moi aussi, je me suis souvent jugée sévèrement. J'ai élevé mon fils de 5 ans tout seul, alors que son père était loin et ne connaissait meme pas son existence.

Elle baissa les yeux un moment avant de les relever avec un léger sourire.

— Mais la vérité, c’est que la force, ce n’est pas de tout supporter sans faillir. C’est d’accepter qu’on est humain, d’accepter qu’on a le droit de craquer parfois. Et je crois que tu l’as compris.

Elle s’arrêta pour le laisser répondre ou réagir, mais avant qu’il ne puisse dire quoi que ce soit, elle ajouta, plus doucement :

— Quant à moi, je crois que j’ai toujours cherché ce genre de connexion. Ça me touche vraiment. Sur l’application, j’ai eu quelques conversations, oui. Mais rien qui ait mené à quelque chose d’aussi… sincère que ce qu’on partage là.

Elle rougit légèrement, se trouvant peut-être un peu trop émotive à cet instant, mais elle décida de continuer.

— Tu sais, Ian, je ne m’attendais pas à ça. À ressentir cette sorte de… sérénité. D’habitude, je suis nerveuse, à vouloir bien faire, à chercher les bons mots. Mais avec toi, c’est différent. Je n’ai pas l’impression de devoir être quelqu’un d’autre.

Elle sourit à nouveau, plus franchement cette fois.

— Et si je te dis tout ça, c’est parce que je veux que tu saches que je te trouve admirable. Pour ce que tu es, pour ce que tu as traversé, et pour la façon dont tu te tiens ici, devant moi, sans prétendre être autre chose que toi-même.

Ses mots étaient honnêtes, dénués d’attente ou de calcul. Elle n’essayait pas de flatter Ian, mais simplement de lui montrer à quel point elle appréciait ce moment et ce qu’il représentait pour elle. Elle prit une gorgée de son café, savourant à la fois la chaleur du breuvage et celle de la conversation. Puis, dans un souffle léger, presque comme une confession, elle ajouta :

— Je suis heureuse d’être ici, avec toi. C’est tout ce que je veux en ce moment. Et ça, c’est une certitude que je ne ressens pas souvent.

Ils s'installèrent dans le café, tous les deux, près d'une fenêtre. L'endroit était cosy, et il y sentait très bon les différentes odeurs de café, chocolat chaud et autres boissons chaudes. A peine était-ils entrés que Ian se souvînt pourquoi il aimait bien cet endroit. C'était zen, il y avait du bruit, mais pas autant que cela, juste ce qu'il fallait pour se rendre compte que l'on se trouvait dans un endroit vivant. Cependant, pas de musique de fond, pas de cris démesurés, juste des bruits de couverts, de verres, et de gens qui discutaient sereinement. Un endroit parfait pour une belle pause, ou pour un rencard serein. Si Talia commanda un café, Ian opta pour un thé. Il avait déjà bu du café le matin-même et ne voulait pas en abuser, sinon, il devenait encore plus foufou qu'il ne l'était déjà.

Ils étaient donc tous les deux en train de siroter leur boisson lorsqu'ils reprirent la conversation arrêtée un peu plus tôt, sur le banc. Ian se mit de nouveau à rougir, devant les mots si forts et si beaux de son interlocutrice. « Haha, toi, tu sais me parler. Plus sérieusement, ça me touche vraiment ce que tu dis. » C'était important d'entendre de tels mots, de temps en temps, pour se rendre compte d'où on venait et où est-ce qu'on se dirigeait. Et que cela ne vienne pas de quelqu'un qu'il connaissait depuis des lustres, mais une personne avec qui la relation était très nouvelle, c'était encore plus poignant.
« Et je suis d'accord avec toi. » Qu'être fort, ce n'était pas tout surmonter sans jamais fléchir ou avoir de moments de détresse, mais bien de les surmonter à son rythme. Même lorsqu'on enchaînait les échecs, on était fort, d'une certaine façon. La vision viriliste de la force n'était pas la véritable définition, mais une définition précise et toxique pour tout le monde.
Ainsi, la demoiselle avait bien eu quelques conversations, mais pas aussi limpides et naturelles que les leurs.

Ian sourit, les joues encore un peu empourprées.
Il savait bien qu'il n'y avait aucun sous-entendu ni aucune idée de repartir dans une potentielle relation amoureuse derrière les mots de son interlocutrice, même si cela pouvait sonner de la sorte. Elle lui ouvrait juste son cœur, avec une vulnérabilité qu'il ne pouvait que respecter. Il tendit donc une main pour la poser sur celle de Talia, dans un geste tendre et doux. Il leva sa tasse de thé, la présentant à elle. « A nous alors ! » déclara-t-il, proposant de trinquer.
« En fait, tu ne m'as pas beaucoup parlé de ton fils ? » Il savait juste qu'il avait cinq ans et s'appelait Mael.

L’ambiance apaisante du café faisait du bien à Talia, comme un cocon qui tempérait la nervosité qu’elle avait encore du mal à masquer. La chaleur de sa tasse de café contre ses paumes lui procurait un réconfort simple, presque enfantin, tandis qu’elle observait Ian. Il avait ce quelque chose de désarmant, cette capacité à rougir sous les mots qu’elle pensait pourtant maladroits, cette douceur qui rendait leurs conversations si naturelles, si fluides. Quand il avait posé sa main sur la sienne, dans ce geste simple mais empreint de sincérité, Talia avait ressenti un mélange d’émotions. Ce n’était pas romantique – elle le savait, il le savait – mais c’était plus fort que tout ce qu’elle avait partagé depuis longtemps avec quelqu’un en dehors de Maël. Un geste qui disait : « Je suis là, et je t’écoute. »

Elle sourit en levant sa tasse pour répondre à son toast. « À nous, alors, » murmura-t-elle, sa voix teintée d’une chaleur timide. Elle sentit ses épaules se détendre légèrement, comme si l’atmosphère du lieu et la gentillesse de son interlocuteur commençaient enfin à dissiper les tensions qu’elle traînait depuis des semaines. Quand Ian aborda Maël, une lueur douce illumina les yeux de Talia. Ce genre de question la touchait toujours, car parler de son fils, c’était partager la partie la plus précieuse d’elle-même. Elle déposa sa tasse et joua distraitement avec la anse avant de répondre.

- Maël… commença-t-elle doucement, son sourire s’élargissant.  Il a cinq ans, mais parfois j’ai l’impression qu’il a déjà tout compris de la vie. Il a ce côté malicieux, curieux… il pose mille questions, sur tout. Pourquoi le ciel est bleu, pourquoi je travaille autant, pourquoi les étoiles brillent, et même pourquoi les gens pleurent.

Elle rit doucement, se perdant un instant dans ses pensées.

- Parfois, il me dépasse avec ses réflexions. Et à d’autres moments, c’est encore juste un petit garçon qui court partout en criant qu’il est un dragon ou un chevalier.

Elle releva les yeux vers Ian, son regard plus sérieux maintenant.

- Il est ma plus grande fierté, mais aussi mon plus grand défi. Être maman, c’est… apprendre en permanence. Et parfois, je me demande si je fais bien les choses.  

Elle leva à nouveau son café, plongeant un regard sincère dans celui de Ian.

- Merci de me demander. Ça me fait du bien de parler de lui. Il est… tout pour moi.

Talia se laissa ensuite envelopper par le silence confortable qui s’installa. Ce n’était pas gênant, juste le calme après une confession, ce genre de moment où les mots flottent encore entre deux personnes, sans qu’il soit nécessaire d’en dire davantage tout de suite.

C'était véritablement plaisant, de discuter et de trinquer avec des tasses de café, à leur relation. Cette dernière ne serait certainement ce qu'ils avaient pu imaginer dans un premier lieu, mais elle serait tout autant importante et magique. Ian ne regrettait absolument pas d'avoir donné sa chance à cette jeune femme, alors qu'elle avait aimé son profil par erreur. Enfin, plutôt du fait de l'erreur du quinquagénaire, qui s'était trompé sur son âge. Heureusement que cette erreur avait eu lieu, en vérité, parce qu'il était bien heureux d'avoir rencontré Talia. C'était une belle rencontre, c'était certain. Il sourit alors que les yeux de la trentenaire s'illuminèrent alors qu'il lui posait une question sur son fils. Oh, il pouvait bien comprendre cette réaction. Une mère aimait que l'on s'intéresse à son enfant, et ce qu'elle aimait par-dessus tout c'était de penser à lui. Tout comme un père, d'ailleurs. Les yeux de Ian s'illuminaient toujours alors qu'il parlait avec un fierté non dissimulée  de Mac.

Il hocha la tête alors qu'elle lui expliquait à quel point son fils était formidable. « Il a l'air d'être un petit garçon plein de ressources. » commenta-t-il. Oh, et il ne doutait pas qu'il l'était ni que sa mère était très fière de son petit bout de chou. Il pouvait aussi comprendre sa crainte, de mal faire les choses. Il l'avait eue, à de nombreuses reprises, même lorsque son épouse était encore en vie. « Être parent, ce n'est pas inné, ça s'apprend. Et on est obligé de faire des 'erreurs' de temps en temps. Le plus important, c'est que l'on reste bienveillant avec notre enfant, mais aussi avec nous-mêmes, et que l'on fasse de notre mieux. » répondit-il. Certes, il fallait être responsable. Certaines choses n'étaient pas acceptables lorsqu'on avait la responsabilité d'un petit être humain totalement dépendant de nous. Mais il fallait aussi accepter qu'on ne pouvait pas tout savoir et qu'il fallait se renseigner, mais aussi expérimenter avec son propre enfant. Chaque enfant était différent. Ce qui correspondait à l'un, ne fonctionnait peut-être pas avec un autre, que ce soit dans la façon de lui expliquer des choses ou tout simplement de vivre quotidiennement.  « Et je suis sûr que tu es une maman formidable. » ajouta-t-il ensuite, le regard doux, et un sourire calme sur les lèvres.

Talia posa doucement sa tasse de café sur la table, ses doigts effleurant la céramique chaude tandis qu’un sourire léger mais sincère flottait sur ses lèvres. Elle ne s’attendait pas à ce que cette rencontre, née d’un quiproquo numérique, puisse donner lieu à une conversation aussi enrichissante et apaisante. Les mots d’Ian résonnaient en elle d’une manière qu’elle n’aurait jamais anticipée. Elle leva les yeux vers lui, touchée par la sincérité dans son regard. Parler de Maël, de son rôle de mère, était un sujet qui la remplissait d’amour mais aussi d’un certain poids. Ian, avec son attitude bienveillante et ses paroles empreintes de sagesse, lui offrait un espace pour exprimer ses craintes sans jugement.

- Merci, Ian, vraiment, dit-elle doucement, un brin d’émotion colorant sa voix.  C’est vrai que parfois, je me demande si je fais les bons choix pour Maël. Être maman, c’est à la fois le rôle le plus gratifiant et le plus effrayant que j’aie jamais eu.

Elle marqua une pause, son regard dérivant un instant vers la fenêtre, comme si elle cherchait ses mots dans le paysage extérieur.

- Ce que tu dis sur le fait d’apprendre et d’accepter ses erreurs, ça me parle énormément. On a tendance à croire qu’il faut être parfait, mais au fond, ce qui compte, c’est d’aimer inconditionnellement et de toujours essayer de faire de notre mieux.

Un sourire adouci vint éclairer son visage, et elle ajouta en se tournant à nouveau vers lui :

- J’essaie de montrer à Maël qu’il est possible de grandir et d’apprendre à partir de nos erreurs, tout en restant bienveillant envers soi-même. C’est un équilibre que je trouve encore difficile à atteindre parfois, mais entendre quelqu’un comme toi me rappeler que c’est normal, ça fait vraiment du bien.

Les compliments qu’il lui adressait la touchaient profondément. Elle n’était pas habituée à recevoir ce genre de reconnaissance pour son rôle de mère, surtout dans un quotidien où elle jonglait souvent avec ses responsabilités seule.

- Et merci pour tes mots. Je ne sais pas si je suis une maman formidable, mais je peux te dire que j’essaie de l’être chaque jour. Je suppose que c’est tout ce qu’on peut vraiment faire.

Un éclat amusé traversa ses yeux alors qu’elle ajoutait, un brin taquine :

- Et toi, Ian, je vois bien que tu es un père fier et attentif. Je suis sûre que Mac a de la chance d’avoir quelqu’un comme toi à ses côtés.

Talia reprit une gorgée de son café, appréciant ce moment de partage. Il y avait quelque chose de réconfortant et d’authentique dans cette conversation. Une parenthèse rare et précieuse dans un monde qui bougeait si vite.