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Jules Anderson & @Kayna Anderson

Depuis les fêtes de fin d’année, tu n’avais pas eu le temps de voir ta mère. Tout s’était enchainé tellement vite que tu n’avais pas eu le temps de passer la voir. Vos échanges avaient été purement électronique ces derniers temps et cela t’avait bien arrangé. Tu étais restée plus que vague sur tes plans pour le nouvel an, ne voulant pas encore dire à ta mère que toi aussi tu avais recroisé Mia et que cette dernière t’avait invitée à son nouvel an. La soirée avait été on ne peut plus étrange pour toi mais tu l’avais vu comme un pas de plus dans l’aventure qu’était Brisbane. Il fallait que tu sortes, que tu rencontres des gens et que tu essaies de te faire des amis tant bien que mal. Mais le sujet que tu voulais aborder avec ta mère était tout autre. Il y aura un moment où tu lui parleras de Mia toutefois, il y en avait un plus urgent avant. Tu avais rencontré un de ses ex petits amis par le plus grand des hasard en gardant ses enfants. Et cela avait été l’une des expériences les plus bizarres que tu avais vécues dans cette ville. Alors que vous discutiez et que tout allait bien, il s’était soudain mis à faire une espèce de crise de panique et avait pris la fuite avec ses enfants. Tu ne doutais pas que tes amies de Wellington l’auraient trouvé canon alors tu pouvais comprendre que ta mère l’ait trouvé à son goût mais il semblait vraiment bizarre alors tu voulais lui en parler et pourquoi pas la taquiner un peu. Tu savais que tu auras l’occasion de le recroiser en plus vu que ses enfants sont les cousins des enfants Allen que tu gardais alors avoir un peu de contexte sur Leonard ne te fera pas de mal.

Vu que tu travaillais plutôt intensément ces derniers temps vu que vous étiez en période de vacances scolaires, tu avais fait manger les enfants, laissé des restes pour Riley et Joshua et tu les avais mis au lit avant que leurs parents ne puissent venir leur lire une histoire pour les endormir. Cela voulait dire que c’était la fin de la journée pour toi, tu pouvais donc filer. Tu avais prévenu ta mère que tu passerais dans la soirée, une fois les enfants couchés pour vérifier si elle serait bien disponible. Quand elle t’avait répondu qu’elle t’attendait, ce fut un soulagement. Tu étais donc partie dans ta chambre pour récupérer ton sac et tu récupérais les clés de voiture que Riley t’avait prêté. Heureusement que ta famille d’accueil était plutôt sympa parce que tu n’allais pas pouvoir continuer à payer des trajets en taxi dans tout Brisbane. Il allait certainement falloir que tu discutes avec ta mère de la possibilité d’acheter une voiture, ce pourquoi tu allais avoir besoin de son aide. En attendant, Riley avait accepté que tu prennes sa voiture, celle de Joshua était dans le garage en cas d’urgence. La seule condition était qu’elle soit de retour pour qu’elle puisse aller au boulot le lendemain. Le trajet vers la maison où habitait ta mère, Lennon et Mae fut un peu long car il nécessitait de quitter le centre-ville de Brisbane pour un quartier un peu plus résidentiel et proche de l’océan.

Le quartier était très calme et tu te garais tranquillement devant la maison. Mae devait certainement être elle aussi au lit alors tu ne pris même pas la peine de sonner. Tu ouvris la porte et rentrais directement dans la maison. Etrangement, cette maison n’était pas pour toi ta maison. Tu savais que ce sera le cas pour Mae qui y passera son enfance et son adolescence vu que ta mère et Lennon venaient de l’acheter mais ce ne sera jamais pour toi la maison et cette réalisation t’arracha un pincement au coeur. Tu enlevais tes chaussures et avançais dans la maison, trouvant ta mère dans le salon. « Coucou maman ! Comment vas-tu ? » Tu t’approchais d’elle pour déposer un baiser sur sa joue et la prendre dans tes bras. Tu n’avais jamais eu aucun problème avec les preuves d’attention physique alors cela n’allait pas commencer aujourd’hui. Déposant ton sac par terre, tu pris place dans un fauteuil avant de lui dire : « Tu devineras jamais qui j’ai rencontré y a pas longtemps ! » Enfin si, peut-être qu’elle pouvait s’en douter mais tu ne voyais pas trop comment cela pourrait être le cas. Tu laissais le silence s’installer un peu pour que ta mère puisse réfléchir avant d’enchaîner « Les enfants que je garde sont cousins avec ceux d’un de tes exs ! C’est fou comme le monde est petit ! » Dis-tu un sourire amusé sur les lèvres, peu consciente de la bombe atomique que tu venais de lâcher.

Je remercie le ciel que Lennon ne soit pas là cette semaine, et que tout soit arrivé sans que je n’ai besoin de lui parler de tout ça en rentrant à la maison. Mes derniers échanges avec Leo ont été plus que houleux, mais la vérité est rétablie de son côté. Je sais qu’après ça, je n’ai plus vraiment d’espoir de pouvoir partager quoi que ce soit avec lui, même une amitié. La trahison est trop forte, trop longue pour qu’il ne puisse me pardonner un jour. Et je le comprends, je ne peux pas lui en vouloir. Je savais que ça finirait par arriver, et en le retrouvant j’ai volontairement laissé s’écouler les semaines, les mois, juste pour pouvoir profiter de nos retrouvailles, tout en sachant que cette discussion finirait par arriver. Reculer pour mieux sauter, ce n’est pas ce qu’on dit ? Pourtant, la chute est longue et douloureuse. Et encore, je n’ai pas eu cette discussion avec Jules, ni avec Lennon encore. Est-ce que je dois imaginer le pire ?

Les nuits ont été difficiles depuis que Leo connaît la vérité, je suis épuisée, j’ai du mal à travailler, et mon seuil de tolérance atteint ses limites dans un temps record. J’ai demandé de l’aide à Olive toute la semaine pour me soulager de la présence de Mae. Je me sens horrible de le dire en ces termes, mais la petite fille a une énergie telle qu’il est difficile pour moi d’avoir les idées claires, et de faire la part des choses. Je ne veux surtout pas lui faire ressentir mon émotion ou mes états d’âme, alors plutôt que d’être désagréable avec elle malgré moi, j’ai choisi de la confier à des gens capables d’avoir un peu plus de patience que moi.

La porte de la maison se fait entendre alors que je suis en train de faire un peu de rangement dans le salon. « Coucou maman ! Comment vas-tu ? » Il n’y a qu’elle qui peut entrer dans la maison sans s’annoncer. Elle et Lennon, mais Lennon est à l’autre bout du pays. « Bonjour chérie, ça me fait plaisir de te voir. » Mon ton est las, et malgré l’intonation joyeuse que j’aurai voulu lui donner, je ne peux lui cacher ma fatigue et les cernes sous mes yeux. « Tu devineras jamais qui j’ai rencontré y a pas longtemps ! » Mon coeur se serre. Je sais déjà. « Qui ? » que je lui demande en essayant de me montrer intéressée. « Les enfants que je garde sont cousins avec ceux d’un de tes exs ! C’est fou comme le monde est petit ! » C’est fou, oui.

Je reste dos à elle un instant, essayant de ravaler mes larmes en repensant à ma discussion avec Leo il y a quelques jours. Je me racle un peu la gorge pour tenter de camoufler la boule qui s’y trouve. « Il y en a pas beaucoup qui courent les rues pourtant… ». Peut-être pour elle un premier indice pour comprendre qu’il ne s’agit pas juste ‘d’un ex’. Je finis par me retourner et m’asseoir sur le canapé, à quelques mètres d’elle qui a pris possession d’un des deux fauteuils un peu plus loi. « Je sais, qui tu as croisé. Et d’ailleurs tu l’avais déjà croisé devant l’école une fois, mais tu ne t’en souviens probablement pas. » Je soupire pour moi même, ou peut-être pour tenter de prendre l’impulsion pour ce qui va suivre. « Mon coeur… Leo, ce n’est pas n’importe quel ex. C’est mon premier amour. » Est-ce qu’elle va faire elle-même les connexions, ou est-ce que je vais devoir l’y aider ?

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Jules Anderson & @Kayna Anderson

Il te tardait de passer ce temps avec ta mère. C’était un des bénéfices de ton emménagement à Brisbane, tu n’avais plus besoin d’attendre des mois pour partager des moments complices avec elle. Certaines personnes trouveront certainement votre relation particulière et trop fusionnelle mais tu te fichais du regard des autres. Ta mère est une personne essentielle dans ta vie, elle avait été avec toi au fil de toutes les épreuves que vous aviez pu traverser alors ces moments, tu les chérissais particulièrement. Alors que tu rentres dans la maison tout sourire et d bonne humeur, tu remarques vite que ta mère n’est pas au top de sa forme. « Bonjour chérie, ça me fait plaisir de te voir. » Son ton n’est pas aussi enjoué que d’habitude et quand ton regard se pose sur son visage, tu ne manques pas d’y voir des cernes qui n’étaient pas présents la dernière fois que tu l’avais vue. Ton corps tout entier est de suite en alerte car ta mère ne peut pas aller mal, pas de nouveau, c’est pas possible. Tu décides de prendre de grandes inspirations le plus discrètement possible et de ne pas penser au pire. Tu lui parles donc de la rencontre que tu as faite avec son ex alors que tu gardais les enfants Allen et les siens par la même occasion. Ta mère ne sembla pas plus enchantée par tes paroles alors que tu pensais qu’elle prendrait cette taquinerie pour ce qu’elle était, une taquinerie. Cependant, ta mère te tourne le dos et le raclement de sa gorge n’a rien de rassurant. « Il y en a pas beaucoup qui courent les rues pourtant… » Le sujet de la vie amoureuse de ta mère n’était jamais trop venu sur le tapis. Il y avait toujours eu Lennon dans tes souvenirs et tu savais qu’il y avait eu ton père mais tu n’avais pas cherché plus loin que ça à vraie dire. Peut-être aurais-tu dû. Elle finit par se tourner, pose son regard légèrement embué sur toi avant de dire : « Je sais, qui tu as croisé. Et d’ailleurs tu l’avais déjà croisé devant l’école une fois, mais tu ne t’en souviens probablement pas. » Elle soupire et tu n’as jamais vu ta mère agir ainsi. Alors que son inquiétude t’avait fait penser qu’elle avait une mauvaise nouvelle liée à sa santé, vu qu’elle ne changeait pas de sujet, tu te dis que c’était peut-être autre chose. Décidément, elle devenait aussi bizarre que Leonard … « Si je m’en souviens, t’as pas voulu en parler quand je t’ai demandé. » Ta mère avait coupé court au sujet, comme elle le faisait d’ailleurs quand tu posais des questions sur ton père. Tu t’y étais habituée et n’avais pas relevé sur le moment. « Mon coeur… Leo, ce n’est pas n’importe quel ex. C’est mon premier amour. » Les mots de ta mère résonnent dans ta tête et tu as juste envie de lui répondre : Et alors ? Mais tu croises son regard suppliant et il ne faut pas être un génie pour comprendre qu’elle essaie de te dire quelque chose sans réellement te le dire. Ok, une chose est sûre, ils se sont bien trouvés avec Leonard, ils semblent tous les deux capables de devenir super bizarres en l’espace de quelques minutes. Une fois ce constat fait, les mots de ta mère tournent de nouveau dans ta tête. Son premier amour … Ces mots te ramènent à Wellington, dans ta chambre d’enfant alors que tu supplies ta mère de te parler de ton père. Tu avais décidé de ne pas lâcher et cela avait fini par payer. Ta mère t’avait raconté une histoire. Une jeune adulte qui tombe amoureuse pour la première fois, un premier amour intense et fort, tellement qu’il les avait consommés mais pas sans laisser une trace. Tu sens ton rythme cardiaque s’accélérer à cette réalisation. Non … Ce n’était pas possible …

Tu te lèves soudainement et plantes ton regard dans celui de ta mère. Elle plaisante n’est-ce pas ? Elle n’est pas vraiment en train de te dire que l’homme que tu as rencontré, le père d’Archie et de Noah est aussi le tien de père. Cela signifierait qu’Archie et Noah sont tes petits frères, tout comme Mae. Enfin non, Mae n’avait sans doute pas le même père que vous, ce n’était pas possible. Tu mets une main sur ta bouche pour retenir ton haut le coeur et essayer de te calmer. « C’est une blague n’est-ce pas ? Maman, dis-moi que c’est une blague. » Tu la supplies pour que ce soit le cas. Cet homme, si tu avais su, tu ne lui aurais pas ouvert la porte. Leonard n’avait pas voulu de toi et tu avais grandi sans père. Arrivée trop tôt apparemment car aujourd’hui père de deux enfants. « T’es en train de me dire que le gars qui a failli me faire un malaise, le weirdo qui me regardait comme si j’avais une deuxième tête, le père d’Archie et Noah, c’est aussi mon père ? » La colère face à cette injustice est grande. Tu n’as pas posé de questions à ce sujet depuis des années. Trop d’essais infructueux, tu savais que ton père n’était pas à Wellington mais à Brisbane, tu l’avais vite compris. Raison de plus pour faire de cette ville maudite un enfer dans lequel tu ne sentais pas à ta place.

Je n’ai même pas la force de faire un effort pour cacher mes émotions, mon état. De toute manière, je sais qu’elle me connaît bien assez pour déceler la moindre aiguille dans une botte de foin. C’est ma fille, je suis sa mère, et actuellement, ma plus grande peur c’est de la blesser, même si je sais que c’est ce qui va arriver. Au fond de moi, une tornade est déjà en train de tout ravager. « Si je m’en souviens, t’as pas voulu en parler quand je t’ai demandé. » me rétorque-t-elle sur un ton assez sec. Je ne peux l’en blâmer. Je ne tarde pas à lui donner une information cruciale concernant l’homme qu’elle a croisé il y a quelques jours. Ce n’était pas n’importe qui pour moi. Ici à Brisbane ne j’ai pas connu beaucoup de garçons, il y en a bien eu un avant Leo, mais rien de très sérieux. Et puis il y a eu lui, le premier à qui j’ai offert mon coeur, mon âme, et tout mon être. Je n’ai eu que deux véritables amours dans ma vie : Leo et Lennon. Les autres n’ont aucune importance.

Je l’observe, elle ne tarde pas à faire les connexions. Son visage change, mon ventre se tord de douleur. « C’est une blague n’est-ce pas ? Maman, dis-moi que c’est une blague. » Mes mâchoires se serrent, mes yeux s’embuent, et je secoue la tête, presque imperceptiblement. Non, ce n’est pas une blague. « T’es en train de me dire que le gars qui a failli me faire un malaise, le weirdo qui me regardait comme si j’avais une deuxième tête, le père d’Archie et Noah, c’est aussi mon père ? » Oh wow, je ne sais pas bien comment s’est passée leur rencontre, je dois dire que Leo n’a pas pris le temps de me parler de ça, il n’a mentionné que le fait d’avoir vu Jules sans entrer dans les détails. Mais la vision qu’elle a de lui ne peut-être que flouée par le peu d’informations que je lui ai donné tout au long de sa vie. De fausses informations, d’ailleurs. « Oui. » que je finis par dire, un simple mot étouffé dans ma gorge. « Mon coeur, il y a … il y a des choses que tu es en âge de savoir. » Elle est en âge depuis longtemps, c’est moi qui n’était pas prête, et je ne le suis toujours pas. Mais par la force des choses, me voilà obligée de lui dire la vérité. Je me lève du canapé, et viens m’asseoir sur la table basse pour être juste en face d’elle. Dans son regard, je ne lis que de la peur, de la colère. Je sais qu’elle va m’en vouloir et à raison. Mais je dois le faire, sinon c’est Leo qui s’en chargera, et il n’en est pas question. « Il n’a jamais été au courant de ton existence. » Je cherche à garder le contact avec son regard malgré la buée qui l’obstrue. « Je sais, je t’ai dit qu’il ne voulait pas être père, et en réalité je sais pas s’il était prêt ou pas. Mes parents m’ont envoyée en Nouvelle Zélande, j’étais jeune, j’avais peur, et j’ai préféré ne rien lui dire pour ne pas briser sa jeunesse. L’obliger à devenir père, à quitter le pays lui aussi… » Ma voix est chevrotante, j’essaie du mieux que je peux de tenir le cap. Je baisse finalement les yeux, le visage, passant mes mains nerveusement dans mes cheveux. « Je suis désolée de t’avoir menti, d’avoir menti à tout le monde… » J’ai beau être désolée, j’ai bien conscience que ça ne suffira probablement pas.

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Jules Anderson & @Kayna Anderson

Quand tu avais décidé de venir voir ta mère ce soir, tu étais loin de te douter des révélations qui t’attendaient. Les questions sur ton père s’étaient fanées avec les années alors que ta mère refusait encore et toujours de s’ouvrir sur le sujet. Tu t’étais fait une raison car après tout, s’il ne voulait pas de toi, il n’y avait aucune raison que tu l’aies dans ta vie. Cependant, il semblerait que la vie était en train de te jouer un mauvais tour. Tu suppliais ta mère de démentir, tu suppliais ta mère de te contredire car tu n’avais pas envie que ce soit vrai. Quand tu étais gamine, tu te souvenais des scénarios que tu t’imaginais pour quand tu rencontrerais ton père. Il n’y en avait aucun dans lequel tu le rencontrais sans savoir qui il était. Aucun. Un regard à ta mère suffit pour comprendre qu’elle ne le démentira pas. Mais elle finit par répondre affirmativement à ta question : « Oui. » Leonard Carlson est bel et bien ton père. Il est bel et bien l’homme qui a participé à ta création et qui n’a pas voulu de toi. Tu es énervée, tu es en colère, très en colère. C’est rare pourtant d’arriver à te mettre en colère, très rare, d’autant plus de la part de ta mère. Mais tu vois rouge dans cette histoire. Et quand elle reprend la parole, elle ne te rassure pas du tout : « Mon coeur, il y a … il y a des choses que tu es en âge de savoir. » Tu sens ta gorge se serrer encore plus. Parce qu’il y a autre chose, tu sens que ce n’est pas tout et vu l’expression sur le visage de ta mère, tu ne vas pas aimer la suite des révélations. Tes deux pieds bien plantés dans le sol, tu serres les points te préparant le mieux possible à ce qui t’attend. Pourtant, rien ne pouvait te préparer aux paroles qui sortirent de la bouche de ta mère : « Il n’a jamais été au courant de ton existence. Je sais, je t’ai dit qu’il ne voulait pas être père, et en réalité je sais pas s’il était prêt ou pas. Mes parents m’ont envoyée en Nouvelle Zélande, j’étais jeune, j’avais peur, et j’ai préféré ne rien lui dire pour ne pas briser sa jeunesse. L’obliger à devenir père, à quitter le pays lui aussi… » C’est comme si l’on vient de te donner un coup de pied dans le ventre. Le coup est aussi fort pour toi. Ta respiration se coupe, ta vision se brouille. Les vérités sur lesquelles tu t’étais construites viennent de s’effondrer, les unes après les autres. Tu ne savais pas grand chose de ton père, tu ne savais rien même mais le fait qu’il ne veuille pas de toi, qu’il t’ait rejeté dès ta conception, c’était le récit qui t’avait accompagné en grandissant. C’était aussi une des raisons pour lesquelles tu avais du mal à te faire une place à Brisbane. « Je suis désolée de t’avoir menti, d’avoir menti à tout le monde… » Les pièces du puzzle commencent à s’assembler. Tu repenses à ta conversation avec Leonard, à son regard inquisiteur et ses questions qui n’avaient pas de lien les unes avec les autres. Et puis son malaise soudainement quand tu lui as donné ton âge. Un haut le coeur s’empare de toi et tu mets une main sur ta bouche pour le retenir alors que ta tête te tourne. Ce n’est pas possible, c’est un cauchemar … Pourtant, quand tu pinces ton bras, la douleur est bel et bien vive. Alors que les yeux de ta mère son rivés sur le sol, tu ne peux t’empêcher de lui demander : « Comment t’as pu me faire ça ? » Qu’elle ne veuille pas que tu rencontres ton père, c’était une chose. Mais qu’elle te laisse te construire en te faisant croire que ton père ne voulait pas de toi, qu’elle te laisse gérer cet abandon c’était une toute autre histoire. « Tu crois que c’était agréable de grandir avec la croyance que tu n’es assez bien pour personne vu que l’un des êtres qui devrait t’aimer inconditionnellement n’a jamais voulu de toi ? » Oui, il sera peut-être important que tu dises un jour à ta mère que tu avais consulté un psychologue depuis son accident et son opération mais cela sera pour une autre fois. Le visage de Leonard se dessina de nouveau dans ton esprit et tu ajoutais : « Comment t’as pu lui faire ça à lui ? Nous faire ça à tous les deux en vérité. Il n’a jamais eu la chance de se prononcer. » Et cette rancoeur, cette colère sourde que tu avais pour ce père qui ne voulait pas de toi en plus de grands-parents aux pratiques très cautionnantes, tu les dirigeais désormais vers ta mère. Alors que des larmes coulent sur tes joues, tu les essuies violemment avant de remarquer un dessin sur la table basse du salon. Soudain, tu penses à Mae et tu serres les dents avant de rouvrir ta mâchoire crispée pour demander : « Dis-moi que t’as pas fait la même connerie avec Mae. » Tu avais dix-huit ans quand ta petite soeur était née. Encore une fois, la question de sa paternité était restée un mystère. Une chose était certaine, Mae n’était pas née d’une PMA ce qui aurait dû être le cas vu la relation de Lennon et ta mère à l’époque. Alors tu n’espérais qu’une chose, que Mae n’ait pas à subir le même sort que toi. Encore trop petite pour poser des questions trop embarrassantes, elle grandissait bien vite.

Je ne peux pas y couper. Je ne peux plus, je suis dans une impasse. Leo est au courant, et maintenant c’est à elle que je dois dire l’affreuse vérité sur sa mère. Parce que ce n’est pas - vraiment - de son père dont il s’agit en réalité, mais plutôt de ma propre capacité à éviter de faire face aux problèmes, en en créant de plus gros encore. Peut-être simplement que j’ai eu peur de dire à Leo que j’étais enceinte à l’époque, que j’ai eu peur qu’il me dise effectivement que tout ça c’était pas fait pour lui. Ça aurait sûrement été plus dur à encaisser que de faire le choix de le laisser derrière moi. « Comment t’as pu me faire ça ? » Mon coeur se découd à la vitesse de la lumière, comme s’il se décrochait de lui-même, qu’il se désolidarisait du reste de mon corps. Si la discussion avec Leo avait été difficile, je savais que cette avec Jules serait bien plus dure. Parce que c’est ma fille, que j’ai tout fait pour la protéger durant ses 22 années de vie, et ces quelques mois encore avant à caresser mon ventre en lui répétant que tout irait bien, et que ce serait elle et moi contre le monde entier. A ces instants, je ne pensais pas aux répercussions, à cette discussion qu’il faudrait bien avoir un jour, et à ces révolvers dans ses yeux pleins de larmes. « Tu crois que c’était agréable de grandir avec la croyance que tu n’es assez bien pour personne vu que l’un des êtres qui devrait t’aimer inconditionnellement n’a jamais voulu de toi ? » Je secoue la tête. Jamais, jamais je n’ai voulu qu’elle pense ça. Et pourtant, je suis bien obligée de me rendre compte que mes choix ont influé sur elle, que si celui de mes parents de me chasser du pays ont eu une influence sur sa façon de grandir, le choix que j’ai fait de la laisser dans l’ignorance de son père a été un poids plus que conséquent pour elle. Entendre de sa bouche qu’elle ne se sent pas assez bien me détruit plus que tout eau monde. Je sens que je manque d’air, mon coeur me fait atrocement mal et pourtant, je mérite tout ça. Je mérite de souffrir comme j’ai fait souffrir Leo et Jules. « Je ne t’ai jamais dit qu’il ne voulait pas de toi, j’ai dit qu’il n’était pas prêt à être père. » Pour moi, la nuance avait son importance, parce que ça ne dépendait pas d’elle, mais de lui, même si c’était un mensonge inventé de toute pièce. Pourtant, je dois me rendre à l’évidence que le choix de mes mots n’a pas été suffisant. Elle a quand même grandit en pensant que son père ne voulait pas d’elle. Elle s’est forgée sur un mensonge, et je suis la seule à blâmer.

« Comment t’as pu lui faire ça à lui ? Nous faire ça à tous les deux en vérité. Il n’a jamais eu la chance de se prononcer. » Elle a raison, et je n’ai rien à répondre à ça. Ils sont tout aussi victimes de mes choix merdiques, l’un comme l’autre. J’aimerai réussir à leur faire croire que cette Kayna d’il y a 23 ans n’est pas la même que celle d’aujourd’hui, qu’il ne s’agit là que d’une erreur de jeunesse, mais les répercussions sont telles que je serai un monstre d’imaginer minimiser leur peine et leur indignation. « Je suis désolée.. » que je souffle entre mes lèvres, la voix faible et le regard incapable de la regarder par peur que mon coeur ne me lâche à nouveau. Techniquement, celui-ci est solide, mais la sensation que j’ai portée jusqu’à mon opération est bel et bien restée. Pourtant, je ne compte pas utiliser cette douleur pour m’échapper d’une discussion aussi importante avec ma fille. Fini les conneries. « Dis-moi que t’as pas fait la même connerie avec Mae. » Je relève la tête vers elle, surprise de ce changement de sujet principal. Il n’est plus seulement question d’elle, mais sa petite soeur vient alors sur le tapis. N’a-t-elle pas vu leur ressemblance ? Les photos d’elle au même âge que celui de sa soeur, comme si elles étaient des jumelles avec 18 années qui les séparent ? Cette fois, mon regard jauge le sien, comme pour essayer de voir si elle prêche le faux pour savoir le vrai, ou si elle a compris. Je ne parviens pas à trouver la réponse à ma question, alors foutue pour foutue. « Il y a 5 ans je suis revenue à Brisbane pour dire la vérité à Leo, lui parler de toi. Et rien ne s’est passé comme prévu… » Je soupire cette fois avant de clarifier les choses. « Vous avez les mêmes gènes, toi et Mae. Maternels, et paternels. » Voilà qui est dit. Mae est entièrement sa soeur. « Et bien sûr que oui, j’ai fait la même connerie. Il venait de se marier, il avait déjà Archie, j’ai pas eu envie de briser sa vie. » Ma voix est toujours mal assurée, chevrotante, alors que je retiens à tout prix le torrent de larmes qui cherche à s’échapper.

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La soirée que tu attendais agréable et réconfortante était en train de tourner au pire de tes cauchemars. D’un côté, tu avais enfin les réponses aux questions que tu posais depuis des années. Mais de l’autre, ces réponses étaient en train de venir remettre en question tous les récits sur lesquels tu t’étais construite. A la place d’un père qui n’avait pas voulu de toi et qui t’avait tourné le dos, tu avais désormais un père qui n’avait jamais eu vent de ton existence. Un père qui avait vu ta mère disparaître du jour au lendemain très certainement et qui avait fait les connexions que tu étais incapable de faire quand vous vous étiez rencontrés et aviez échangé. Cette première rencontre prenait un tout autre sens désormais. Les réactions complètement bizarres de Leonard s’éclairaient désormais sous un jour nouveau. Loin du rejet, c’était plus la panique qui s’était emparée de lui et tu n’avais aucun mal à comprendre pourquoi. Alors que tu l’avais trouvé bizarre et à côté de ses baskets, ton empathie naturelle te faisait maintenant bien comprendre ce qu’il avait traversé en quelques minutes. Si l’empathie te prend pour ton père, c’est tout le contraire pour ta mère. Cela fait vingt-deux ans qu’elle est assise sur toutes ces informations. Même si elle n’avait pas voulu te donner le nom de ton père, rien que le fait de savoir que son absence dans ta vie ne venait pas d’un rejet aurait été un poids en moins à porter. Et elle ne pouvait pas utiliser ton âge comme excuse, cela faisait bien longtemps que tu étais en âge d’entendre la vérité. « Je ne t’ai jamais dit qu’il ne voulait pas de toi, j’ai dit qu’il n’était pas prêt à être père. » Un rire sec et ironique sortit de ta bouche alors que tu secouais la tête. Tu te demandais si ta mère s’entendait parler. Oui bien sûr, sémantiquement cela ne voulait pas dire la même chose mais elle pensait sérieusement qu’une enfant qui ne connaissait pas son père lirait derrière les lignes ? « Et tu penses qu’une gosse de dix ans est capable de faire la différence ? » Lui balanças-tu à la figure. Peut-être que pour elle la nuance était importante et justifiait certaines choses. Mais pas pour toi. Même pas une seule seconde. Tu étais une enfant intelligente mais tu n’en restais pas moins ça, une enfant.

En plus d’être offusquée pour toi, tu l’étais pour ton père qui n’avait même pas eu son mot à dire dans cette histoire. La possibilité que les choses se soient passées différemment, que tu aies pu grandir avec ton père à tes côtés te donnait le vertige. Tu posais ta main sur le dos du canapé pour ne pas vriller. A quoi aurait pu ressembler ta vie dans ces dispositions ? La vérité c’est que tu ne le sauras jamais. L’image d’Archie et Noah se présenta à ton esprit, ces deux garçons qui étaient tes demi-frères et que tu portais déjà un peu dans ton coeur. Ils n’auraient pas existé … Cette pensée te serra le coeur alors que ton cerveau ne put t’empêcher de remarquer que toi aussi tu aurais dû avoir droit à un père. En pensant à Noah, tu pensais à Mae et tu interrogeais ta mère à ce sujet. Qui était le père de Mae ? Il était hors de question que ta petite soeur grandisse en se sentant elle aussi rejetée. Si aujourd’hui tu devais te battre pour elle, tu le feras et tu ne laisseras pas ta mère se cacher derrière des fausses vérités. Mais rien ne t’avait préparé aux paroles qui allaient sortir de la bouche de ta mère : « Il y a 5 ans je suis revenue à Brisbane pour dire la vérité à Leo, lui parler de toi. Et rien ne s’est passé comme prévu… Vous avez les mêmes gènes, toi et Mae. Maternels, et paternels. Et bien sûr que oui, j’ai fait la même connerie. Il venait de se marier, il avait déjà Archie, j’ai pas eu envie de briser sa vie. » Cette fois, même le dos du canapé ne suffit pas à te permettre de tenir debout. Tu sentis tes jambes vriller sous le poids de la bombe que ta mère venait de lâcher. Tes oreilles bourdonnaient et ta vision se brouillait face aux implications de cette révélation. Tu réussis à tomber sur le canapé au lieu du sol alors que ta tête vint se poser dans tes mains. Non … Ce n’était pas possible … Leonard, le père de Mae … Il allait se marier, avait jugé bon de tromper sa femme apparemment, la mère d’Archie et Noah. Noah qui a le même âge que Mae … Et puis tes paupières s’ouvrent et tu vois un carnet de dessin de Lennon traîner sur la table. Lennon qui t’avait gardée pendant ce voyage, Lennon qui t’avait amenée au parc aquatique, Lennon qui était toujours là … Tu fus prise d’un haut le coeur et cette fois tu te précipitais aux toilettes où tu ne pus le retenir plus longtemps.

C’est les mains tremblantes que tu sortis quelques minutes plus tard, des larmes coulant encore sur tes joues. « Comment est-ce que tu arrives à te regarder dans la glace chaque matin ? » Finis-tu par lui demander d’une voix tremblante. Tremblante mais à la fois menée par une colère sourde. Qui est réellement ta mère ? Cette personne que tu aimes par dessus tout mais que tu n’arrives pourtant pas à reconnaître à cet instant précis. « Tu ne voulais pas briser sa vie mais ça ne t’a pas dérangé de coucher avec lui avant son mariage alors que Lennon s’occupait de moi et t’attendait patiemment à la maison. » Oui parce que Lennon était l’oubliée de cette histoire. Celle qui avait toujours été là mais à qui l’on ne donnait jamais le premier rôle. « Tu respectes vraiment rien ni personne en fait. » Parce que Lennon était elle aussi une victime de toute cette histoire … « Lennon elle sait ? » Demandas-tu en croisant le regard de ta mère. Tu pensais déjà connaître la réponse mais il fallait que tu l'entendes. Si elle était positive, c'était un miracle à tes yeux que Lennon soit toujours dans vos vies. Poussant un soupir, tu dis : « Au moins Mae aura une chance de connaître son père. Il avait l’air déjà perdu avec ses deux gosses, je sais même pas s’il aura de la place pour nous. » Tu soupirais, passant une main sur tes joues pour enlever les larmes qui ont finit de couler. Ça c’est une discussion qu’il faudra que tu aies avec lui. Mais tu ne laisseras pas tomber. Toi, c’est certainement trop tard mais pour Mae, tu déplaceras des montagnes.