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Leo & @Kayna Anderson ☆ crédit/livelovecaliforniadreams

J’ai encore le goût de ses lèvres sur les miennes, l’impression de ne pouvoir m’en délaisser, et pourtant il me semble amer depuis hier. Comme décoloré par le sentiment de trahison. Dans ma tête, les informations se bousculent, j’essaie de me convaincre que les comptes ne sont pas bons, que j’ai fait une boulette quelque part et qu’il suffira de quelques mots de sa part pour me rassurer. Mais je le sens dans mes tripes, au plus profond de moi. Je n’ai pas tort. Cette gamine de 22 ans me ressemble, je voudrais le nier, mais il m’a suffi de la voir à côté d’Archie pour qu’il n’y ait plus de doute. Toutefois, mon esprit refuse encore d’y croire totalement, comme s’il attendait la vérité, celle que Kay ne m’a jamais donnée, celle que j’ai laissé couler pour ne pas la brusquer. Parce que la retrouver était si doux que je me suis presque persuadé que je pourrais faire sans, que chaque parcelle de mon corps attiré par elle pourrait être suffisante à effacer le passé. Je me suis trompé, et l’arrière-goût que me procure cette révélation est dur à avaler. Mes messages pour elle ont été directs, sans fioriture, comme si je pouvais effacer notre dernière entrevue.

Quand j’entends ses pas dans l’allée de la maison, je me dirige vers la porte d’entrée. Lui ouvre avant même qu’elle ne sonne, ne lui laissant pas une seconde de répit. Elle me salue et mon regard se pose sur elle, plus dur et noir qu’il ne l’a jamais été. Je ne me souviens pas avoir déjà ressenti cette forme de colère envers elle. « Rentres. » La voix un peu sèche, j’essaie toutefois de me contrôler, comme si je pouvais encore lui laisser le bénéfice du doute. Elle ôte ses chaussures et je n’attends même pas qu’on soit passé dans le salon avant de lancer les hostilités.« Je t’en prie, Kayna… Dis-moi que tu ne m’as pas fait ça… » Mon regard se pose dans le sien, il me semble y lire une forme d’interrogation, mais aussi d’inquiétude, comme un animal pris au piège dans les feux d’une voiture. « J’ai rencontré ta fille, Jules. » Les mots se forment comme une sentence, comme s’il n’y avait pas grand-chose de plus à ajouter et qu’ils étaient suffisants pour tout expliquer. Dans son regard, je lis ce que je redoutais… J’aurais voulu voir de l’étonnement, être persuadé qu’elle ne voyait pas le problème, mais ce n’est pas le cas. « T’as pas pu faire ça… » Nous faire ça, me faire ça. Lui faire ça à elle, cette gamine qui n’a rien demandé, qu’est-ce qu'elle sait de moi ? De toute évidence rien, pas même qu’on s’est aimé avec sa mère, puisque c’est moi qui ai dû le lui apprendre lors de notre discussion. « Dis-moi que je me trompe ! » Je hausse un peu le ton, les émotions qui semblent devenir presque incontrôlables d’un coup. La nuit blanche que j’ai passée n’aidant pas, cette conversation qui tourne dans ma tête, ce visage qui revient sans cesse, et toutes ses questions sans réponses. Elle est là maintenant, et je veux des réponses.

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@Leonard Carlson & Kayna Anderson ☆ crédit/livelovecaliforniadreams

Troisième et dernière audience pour aujourd’hui, je me sens éreintée, surtout que les cas n’étaient pas les plus faciles que j’ai pu croiser. Depuis que j’officie au barreau d’Australie et que je suis juge à Brisbane, les choses ne sont pas les mêmes qu’en Nouvelle Zélande, les cas plus difficile, et je dois donner de ma personne d’une manière beaucoup plus intense. Une fois sortie du tribunal, je prends le temps de souffler un coup pour évacuer la pression, avant de retirer le mode avion de mon téléphone. Lorsque je vois apparaître le sms de Leo, mon coeur vacille. L’urgence de ses mots, l’absence de smileys, je m’inquiète immédiatement. Le rendez-vous est pris, il ne m’a pas dit pourquoi il avait besoin de me voir, et tous les scénarios sont maintenant possible.

Je prends le temps de retirer ma robe de juge que je remets soigneusement dans sa housse, pendue à l’appuie-tête du siège passager. Sur le chemin qui me mène jusqu’à la maison de Leo, mon esprit n’arrive pas à se calmer, et imagine tout un tas de choses plus horribles les unes que les autres. La voiture garée, je prends une seconde pour tenter de calmer mon coeur, en vain. Une fois dans l’allée, je n’ai même pas le temps d’atteindre la porte que celle-ci s’ouvre sans attendre, sur la silhouette de Leo, et son air plus grave que tous les gens que j’ai pu croiser aujourd’hui. Ma sentence est proche, et je n’ai plus vraiment d’espace pour imaginer que ce n’est pas de notre histoire qu’il s’agit. « Rentres. » C’est la première fois que je mets les pieds chez lui, et j’aurai aimé que les choses se passent autrement je dois dire. Je descends de mes escarpins et les laisse dans l’entrée, et voilà que Leo ouvre la bouche à nouveau. « Je t’en prie, Kayna… Dis-moi que tu ne m’as pas fait ça… » Mon regard agrippe le sien, comme si j’allais pouvoir deviner de quoi il veut parler, peut-être que je me fais des films, peut-être que ce n’est pas encore aujourd’hui que je lui dirai la vérité. « J’ai rencontré ta fille, Jules. » Merde. Je serre les mâchoires et souffle un peu, entre mes lèvres, en espérant pouvoir évacuer une pression qui n’est pourtant pas prête de me lâcher. Mon regard le quitte un instant, parce que voir la douleur dans son regard me brûle plus que de raison. « T’as pas pu faire ça… Dis-moi que je me trompe ! » Son ton est plus sec, sa foi plus élevée, si je ne dis rien il risque de monter en pression. Mais qu’es-ce que je peux bien lui dire. « Est-ce qu’on peut s’assoir et discuter calmement ? » presque une supplication, mais j’ai besoin de ne pas être là au milieu de son entrée, pour lui parler de ce qu’il se doute.

Nous passons donc au salon et je n’ai pas vraiment le temps ni l’envie de regarder ce qui m’entoure. Je déboutonne ma veste de tailleur, j’ai besoin d’air. « Je voulais t’en parler, j’ai toujours voulu t’en parler, mais j’ai jamais eu le courage. » Et je n’ai aujourd’hui même pas le courage de le regarder dans les yeux. « Quand mes parents ont appris que j’étais enceinte, ils m’ont demandé d’avorter, et j’ai refusé. Alors ils m’ont envoyée en Nouvelle Zélande parce qu’il n’était pas question que je salisse leur réputation. » Ça, c’est la première partie de l’histoire, pour qu’il voit un peu la magie du tableau. La boule dans ma gorge m’empêche de respirer correctement, ma respiration n’est pas assurée et ma voix rocailleuse. « On était si jeunes, j’étais complètement perdue, la seule chose que je savais c’est qu’il était impensable que je ne mette pas au monde cet enfant. » J’humecte mes lèvres, ma bouche est si sèche que je me demande comment je vais réussir à articuler la suite. « J’ai choisi de ne rien te dire parce que je… je voulais pas briser ta jeunesse comme la mienne allait être brisée. Avec les années je me suis rendu compte que c’était pas une bonne idée mais j’étais jeune, je savais pas bien ce que je faisais… » Les larmes me montent aux yeux, tout se bouscule dans ma tête, je sais qu’il ne comprendra jamais que j’ai fait ça pour lui, à l’époque, avant de me rendre compte de tout ce que ça impliquait. Je l’ai regretté tellement de fois. Et ensuite j’ai eu peur de lui dire, et j’ai été guidée par cette peur de foutre en l’air toute ma vie.

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Leo & @Kayna Anderson ☆ crédit/livelovecaliforniadreams

« Est-ce qu’on peut s’asseoir et discuter calmement ? » Je retiens un léger rire d’agacement à ces mots. Calmement… Elle veut discuter calmement, bien sûr. Contrarié, je l’escorte tout de même dans le salon, ne prenant pas la peine de lui offrir à boire, incapable de calmer mon esprit en ébullition. « Je voulais t’en parler, j’ai toujours voulu t’en parler, mais j’ai jamais eu le courage. » L’impression de prendre une douche froide, de sentir tous mes membres s’engourdir. « Non… c’est pas possible… » Ces mots comme l’esquisse d’une révélation que je redoutais, mais à laquelle il était impossible de me préparer. Ces mots continuent à défiler et je n’en comprends que la moitié. « … parents… enceinte… Nouvelle-Zélande.... si jeune. » À nouveau, je sens ma tête devenir lourde, les points noirs qui réapparaissent dans mon champ de vision comme lors de mon dernier échange avec Jules, avec… ma fille.

Mon corps entier est pris d’un tremblement alors que je tâtonne pour trouver l’accoudoir du canapé derrière moi et m’y appuyer pour ne pas vaciller. « Tu… tu me l’as caché pendant toutes ces années. » J'ai l’impression que c’est un pan entier de ma vie qui s’écroule avec cette révélation. Que la confiance en elle, en moi, en l’amour qu’on a partagé est salie, traînée dans la boue. « J’ai choisi de ne rien te dire parce que je… Je voulais pas briser ta jeunesse comme la mienne allait être brisée. Avec les années, je me suis rendu compte que ce n’était pas une bonne idée, mais j’étais jeune, je ne savais pas bien ce que je faisais… » Je vois les larmes dans ses yeux et c’est la colère qui monte en moi. « Non, Kay… ne t'avises pas de pleurer…. » C’est elle qui nous a mis dans cette situation, qui a laissé 22 ans de mensonge s’initier entre nous, entre ce qu’on aurait pu être. « Tu voulais pas briser ma jeunesse… » Un rire amer sort de mes lèvres, alors que mon cœur semble taper à toute allure dans ma poitrine. « T’entends ce que tu dis ? On parle d’un enfant de… notre enfant… » Est-ce que j’étais prêt à être père à cette époque ? Probablement pas, pas plus qu’elle sans doute. Elle a raison, on était des gamins. « C’était pas à toi de faire ce choix… » Pas à elle de prendre la décision du type de père ou d’homme que j’allais devenir. « Tu nous as privés tous les deux d’une relation… » Cette gamine qui est de mon sang, je ne sais rien d’elle, tout juste qu’elle est bonne babysitter. C’est la nausée qui me prend maintenant, à cette idée. « 22 ans… On pourra jamais rattraper ça… »Je sens que l’émotion me prend au cou, ma voix flanche elle aussi, alors que je viens masser mes tempes pour essayer de me redonner un peu de contenance. « Qu’est-ce que tu lui as dit, à elle ? » Mon ton est toujours aussi froid, je me refuse même à la regarder. Je pense à cette gamine qui a grandi sans père… À tout ce gâchis…. À la peine que son départ m’a causée…. Tout ça pour ça. Pour être ici des années plus tard.

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« Non… c’est pas possible… » Je comprends son indignation, c’est tout ce que j’ai toujours craint, et la raison première pour laquelle je n’ai rien dit après coup. Si j’avais - selon moi - une bonne raison de ne pas lui avouer ma grossesse quand nous étions jeunes, avec les années, j’aurai pu dépasser tout ça, ça aurait été dur, mais pas autant qu’aujourd’hui. Pourtant, rien que de m’imaginer vivre cette discussion, j’étais déjà paralysée par la peur. « Tu… tu me l’as caché pendant toutes ces années. » Leo est en train de se prendre une gifle en pleine gueule, je le vois sur son visage, et je sens déjà la colère qui monte. Une colère justifiée, mais je ne l’avais encore jamais vu dans cet état. Lui qui est de nature si gentille… Pourtant, je me dois d’apporter des précisions sur ce choix que j’ai fait il y a presque 23 ans lorsque le test de grossesse s’est avéré positif. A mesure que je parle, ma voix se brise, de lui faire ça, de nous faire ça. « Non, Kay… ne t'avises pas de pleurer…. » C’est plus fort que moi, le fait qu’il utilise encore mon surnom me rassure malgré moi. Au fond, j’aimerai croire qu’il y a une place pour le pardon quelque part, même si le temps sera long pour réussir à y avoir le droit. « Tu voulais pas briser ma jeunesse… T’entends ce que tu dis ? On parle d’un enfant de… notre enfant… » Tout mon corps se contracte à ses mots. Notre enfants. Nos enfants, même. Mais le sujet de Mae n’est pas encore posé sur la table, il le sera bien assez tôt. « C’était pas à toi de faire ce choix… » « Je sais.. » que je souffle sans oser le regarder, comme un enfant qu’on engueule parce qu’il vient de faire une très grosse bêtise. « Tu nous as privés tous les deux d’une relation… 22 ans… On pourra jamais rattraper ça… »

Je ne parviens pas à retenir mes larmes plus longtemps. Larmes qui coulent silencieusement sur mes joues, déclenchées par sa voix prise d’une émotion intense. « Qu’est-ce que tu lui as dit, à elle ? » Je ravale ma salive avec difficulté et renifle un peu, en cherchant à fuir son regard, encore et toujours. « Que tu n’étais pas prêt pour être père. » Et à l’époque, je le pensais vraiment. Egoïstement, je m’étais persuadée que s’il n’était pas foutu de me retrouver, où que j’aille, il n’avait pas les épaules pour supporter le poids d’une vie de famille. Encore une fois j’étais jeune et en détresse. « Arrête de me regarder comme si j’étais un monstre ! » Un regain d’énergie. Je sais, ce n’est pas à moi d’être en colère, et pourtant, la jeune femme de 18 ans en moi n’est pas guérie de cette foutue histoire d’amour. Mon ton grimpe de quelques décibels. « Tu crois qu’à 18 ans on a les ressources nécessaires pour assumer une chose pareille ? J’ai flippé putain ! » Je souffle en passant nerveusement mes mains dans mes cheveux, alors que je commence à tourner en rond pour tenter de canaliser toutes les émotions contradictoires qui se mêlent en moi. « Tu voulais savoir pourquoi je suis venue y’a 5 ans ? C’était pour ça. Pour te parler d’elle. Que tu saches, avant de t’engager avec quelqu’un devant l’autel. » Cette fois je m’arrête de tournoyer et plante mon regard sur lui. « Mais on n’est pas foutus de prendre des décisions correctes toi et moi quand on est ensemble ! » On s’en est bien rendus compte il y a quelques jours, quand on s’est retrouvés au centre d’accueil. « Ok j’ai merdé. Tu m’en voudras pour le restant de tes jours, et probablement qu’elle aussi. » En pensant à Jules à cet instant, en pensant à cette discussion que je vais devoir avoir avec elle, je sens mes jambes flancher, et me résous à m’asseoir sur le rebord du canapé.

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« Je sais… » Elle sait et pourtant, pourtant elle l’a fait, elle nous a mis dans cette position, m’a laissé dans l’ignorance pendant des années. C’est comme d’avoir une étrangère devant moi, qui est cette menteuse, cette femme qui a truandé, menti, caché. Jamais je n’ai imaginé. Des scénarios, il y en a eu dans ma tête, ils ont tourné pendant des années sans jamais trouver réponse, mais un enfant, ça n’a même pas atteint mon cerveau un peu trop lent, comme si l’idée qu’elle me cache une telle information était tout bonnement impossible. Elle pleure maintenant, les larmes sur son visage déformé par la tristesse et le remord, et moi, je suis vide. Vidé de tout sentiment pour elle, comme si toute cette alchimie dangereuse avait eu la capacité d’être effacée par quelques mots, par les révélations douloureuses qu’elle admet enfin. « Que tu n’étais pas prêt pour être père. » C’est comme une deuxième claque, l’impression qu’elle a sali mon image en plus de me priver de mes droits. À cet instant précis, je la déteste, si profondément que le sentiment me brûle les entrailles. Mon regard osant enfin croiser le sien, sans pouvoir l’empêcher d’y lire ces sentiments néfastes qui m’habitent. « T’as fait de moi le méchant… » Ma voix est dure, un rire jaune sort de ma bouche alors que l’envie de la foutre dehors me démange. La seule chose qui m’en empêche étant les questions qu’il me reste.

« Arrête de me regarder comme si j’étais un monstre ! » Elle hausse le ton, et ce regain d’énergie ne fait qu’attiser un peu plus ma colère. « Tu vas me donner des ordres maintenant ? » Elle n’en a pas assez fait, peut-être, a choisi pour moi la vie que je devais mener, et maintenant elle veut me dire comment je dois réagir à cette annonce ; je devrais sans doute être le doux agneau qu’elle a eu l’habitude de fréquenter, celui qui ne pose pas de question, qui l’a aimé et attendu toute sa vie tout en sachant qu’il ne pouvait rien attendre d’elle, qu’elle finirait toujours par le lâcher. « Tu crois qu’à 18 ans on a les ressources nécessaires pour assumer une chose pareille ? J’ai flippé, putain ! » Je me sens incapable pourtant de ressentir une once d’empathie à cet instant précis, mon corps tout entier dévoré par une sorte de hargne que moi-même, je ne me connais pas. « Et c’est quoi ton excuse pour les 22 années qui ont suivi ? » On ne parle pas de quelques mois, d’une année ou deux, mais de toute une vie, de 2 décennies de silence, de mensonge. « Ne me fais pas croire que c’était une erreur, c’est un choix. » Elle ne se fera pas passer pour la victime de cette histoire, parce que la vraie victime, c’est Jules, c’est notre fille. « Tu voulais savoir pourquoi je suis venue il y a 5 ans » C’était pour ça. Pour te parler d’elle. Que tu saches, avant de t’engager avec quelqu’un devant l’autel. » Et pourtant elle ne l’a pas fait, pas un mot sur son départ, sur cet enfant déjà presque adulte à l’époque. « Mais on n’est pas foutus de prendre des décisions correctes, toi et moi, quand on est ensemble ! » Les mots qui laissent un goût amer dans ma bouche une fois de plus. « Ça, c’est ton ressenti. » Parce que ce n’est pas le mien, parce que je n’ai jamais su regretter un de ses instants… « OK, j’ai merdé. Tu m’en voudras pour le restant de tes jours, et probablement qu’elle aussi. » C’est l’impression que j’ai, celle que cette histoire ne pourra jamais être pardonnée. « Quand est-ce que tu vas lui dire ? » Le sous-entendu est clair. Je ne mentirais pas pour Kayna, je ne prétendrais pas devant cette fille que je ne suis personne. Il est hors de question que je rentre dans son mensonge.

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« T’as fait de moi le méchant… » C’était pas ce qui était prévu, à la base. Je voulais juste me débrouiller toute seule, le laisser en dehors de ça pour ne pas lui faire porter un poids. Avec les années, je sais que je n’ai fait que repousser ce moment par peur, par honte aussi. Mais je me doutais bien que ce jour arriverait. La vie m’a menée à nouveau jusqu’à Brisbane, ce n’était pas le fruit du hasard, j’en ai aujourd’hui la certitude. Assumer mes erreurs, mes choix merdiques de gamine perdue. Il est temps. Trop tard, certes, j’en ai bien conscience.

Mais toute cette tension accumulée, mon corps, mon esprit, mon âme ne supporte plus et je sens que j’ai besoin d’évacuer. Ce n’est pas juste, pas juste pour lui d’endurer ça, de recevoir une nouvelle pareille, de comprends que je lui ai menti toutes ces années. Et pourtant je n’arrive pas à contenir cette colère, qui est rivée sur moi malgré tout. « Tu vas me donner des ordres maintenant ? » J’essaie de lui faire comprendre - en haussant un peu trop le ton - que j’ai les circonstances atténuantes d’avoir été une gamine qui n’a pas été foutue de faire des choix corrects à cette époque. « Et c’est quoi ton excuse pour les 22 années qui ont suivi ? Ne me fais pas croire que c’était une erreur, c’est un choix. » Je sais qu’il a raison, et la seule justification que j’aurai à lui donner c’est la peur. La peur de ce moment, de lire ce que je lis dans son regard. A partir du moment où mon choix idiot de ne pas lui en parler a été pris, il était trop tard pour faire machine arrière. Et quand, en grandissant, en murissant, j’aurai voulu lui en parler, j’ai été pétrifiée à l’idée de rompre l’équilibre que j’avais établi entre ma fille et moi. C’était égoïste, je les ai privés tous les deux d’une relation, je ne suis pas pardonnable. Je sais qu’il m’en voudra pour le restant de ses jours, et Jules aussi. C’est la vraie raison pour laquelle je n’ai rien dit toutes ces années. Pour grappiller du temps avant que tout ne s’écroule. Est-ce que les choses auraient été différentes si j’avais avoué tout ça il y a dix ans, quinze ans ? J’en doute.

«  Quand est-ce que tu vas lui dire ? » demande-t-il sèchement. Je soupire et tente de me calmer, posant mes fesses sur le rebord du canapé, fuyant son regard. « J’en sais rien. Bientôt. »[/color] Lorsque je relève les yeux sur lui, je sens tout le poids de sa colère. Mes mâchoires se serrent. « Cette semaine. Je ne tarderai pas. Laisse-moi le faire s’il te plait. » J’ai bien conscience que quoi que je lui dise à partir de maintenant sera soumis au doute, et pour cause. Je comprends tout à fait, je vais devoir faire avec. « Puisqu’on en est aux confidences… » Mon ton s’est calmé, bien que ma voix soit toujours étouffée dans ma gorge, à cause de l’émotion. « Mae est née le 18 mars. » je ne sais pas si je dois le laisser calculer tout seul ou si, actuellement, dans sa tempête d’émotion, il est incapable de faire les connexions. « Tu auras plus de temps, avec elle… » finis-je par dire presque dans un souffle.

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Quand ? La question persiste, cette question que je n’ose pas poser par peur qu’elle me serve un nouveau mensonge. Quand est-ce qu’elle me l’aurait dit ? Si je n’avais pas compris moi-même, je ne l’avais pas sommé de venir ici, pour la mettre face à la vérité. Est-ce qu’elle aurait éclaté un jour ? Ou est-ce qu’elle m’aurait laissé dans l’ignorance pour toujours à côtoyer Jules sans savoir qu’elle m’est intimement reliée, qu’en elle coulent mes gènes, ceux de ma famille ? Est-ce qu’elle aurait laissé sa fille continuer à baby-sitter mes enfants sans savoir qu’ils étaient ses frères ? Ça me semble ahurissant, incompréhensible. Jules, qui ne sait toujours rien, qui pense que je l’ai abandonné. L’idée même me blesse si profondément, elle a fait de moi le père que je n’ai jamais voulu être… J’ai fait des erreurs avec mes fils, mais l’absence n’en fait pas partie. L’absence destructrice qu’elle a forcée dans notre cas.«  J’en sais rien. Bientôt. » Bientôt, ce n’est pas suffisant. Et il me suffit d’un regard pour qu’elle le comprenne. « Cette semaine. Je ne tarderai pas. Laisse moi faire, s’il te plait. »Maintenant, elle a envie de prendre ses responsabilités, ça me donne presque envie de rire.« Si tu ne le fais pas cette semaine, je m’en chargerai. » Je n’ai pas envie de le faire, pas envie d’être celui qui va annoncer que sa vie est un mensonge, mais la mascarade a assez duré, je n’en serai pas complice.

« Puisqu’on en est aux confidences… »Je relève un regard suspicieux vers elle, me demandant ce qu’elle peut bien avoir de plus à m’annoncer. « Mae est née le 18 mars. » Un nouveau rire jaune. « Super, tant mieux pour… » La bouche a parlé trop vite, sans que mon cerveau ne comprenne ou n’accepte ce qui est en train de se dire. Le 18 septembre, c’est une date qui ne m’est pas totalement inconnue: Noah est né 2 jours plus tard, un peu plus qu’à terme…. Il était prévu pour le 19, conçu lors de la nuit de noces, un cadeau de mariage des plus doux… Même si le jour d’avant, j’étais avec Kay…. 9 mois avant le 18 septembre… « Non… Tu te fous de moi ? » C’est trop pour mon cerveau, trop pour une journée, peut-être même pour une vie. « Tu auras plus de temps, avec elle… » Je sens cette vague de colère et d’agressivité qui me prend. Des émotions qui ne me ressemblent pas, que j’ai peu souvent expérimentées. « Dégage…. » Je tempère le ton de ma voix comme je peux. Mes poings se serrent sur eux. « Dégage de chez moi. » La voix est plus agressive cette fois, plus représentative des émotions qui me rongent. « Je veux pas dire ou faire quelque chose que je pourrais regretter… Alors, va-t’en. » Je ne sais même pas où je trouve la force de formuler une phrase. De calmer ma colère, de prendre du recul. J’ai grandi, on l’a fait tous les deux, je pense à mes enfants, à mes fils et à ces deux filles qui viennent de se greffer sans que je sois capable de les assimiler totalement. Alors il faut qu’elle parte… Qu’elle me laisse du temps…

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« Si tu ne le fais pas cette semaine, je m’en chargerai. » J’avais bien saisi oui. Mais même s’il m’en veut, je crois qu’il a bien conscience de l’importance que ce soit moi qui annonce à Jules que Leo est son père. Il aurait pu vouloir se venger en allant immédiatement me couper l’herbe sous le pied, mais ça ne lui ressemble pas. Je ne peux plus faire machine arrière de toute façon, j’ai la sensation que ma propre existence est un coucou suisse, prêt à exploser à chaque instant.

Mais il faut encore que je prenne mon courage à deux mains, que je lui dise que ça n’est pas tout. C’est beaucoup. C’est trop. J’en ai conscience et pourtant, je comprends l’importance d’arrêter de lui cacher des choses, même si ça va le détruire un peu plus. Il est trop tard, le mal est fait de toute façon. Et prendre le risque d’attendre pour lui dire ce qu’il en est de Mae… il n’en est pas question. Je commence ma 2ème révélation, celle dont il ne s’attendait pas le moins du monde. Je le vois dans son regard. Si pour Jules il avait fini par faire les calculs, de toute évidence, ça n’est pas le cas pour Mae. « Non… Tu te fous de moi ? » Vraiment, il croit que j’ai que ça a faire de lui faire une blague dans un moment pareil ? « Dégage…. » « Ecoute Leo je.. » « Dégage de chez moi. » C’est la première fois que j’assiste à son corps épris d’une telle colère. Jamais je n’aurai imaginé qu’elle puisse être rivée sur moi. Lui qui est d’habitude si gentil, si doux. Tout est en train de s’effondrer. « S’il te plait.. » je le supplie, même si je sais que je ne peux rien lui demander après tout ça. Je le supplie de ne pas me détester, de ne pas me rayer de sa vie, alors que c’est exactement ce que j’ai fait, et tout se retourne aujourd’hui contre moi, comme pour me montrer à quel point je mérite ce qui est en train d’arriver. « Je veux pas dire ou faire quelque chose que je pourrais regretter… Alors, va-t’en. » Je me lève alors, hésitant une seconde, légèrement vacillante. « Je suis désolée… » je souffle finalement, même si je sais que ça ne suffira jamais, même si je doute qu’il pense que je suis sincère. Sans le regarder, la tête toujours baissée comme un prisonnier irait s’installer sur la chaise électrique, je prends le chemin de la sortie, sans attendre qu’il ne me raccompagne. J’enfile mes chaussures et quitte la maison sans me retourner.

Une fois dehors, je manque d’air. Je hâte le pas jusqu’à ma voiture dans laquelle je m’engouffre comme si elle pouvait me protéger de quoi que ce soit. Tous les sanglots retenus jusque là finissent par s’évacuer, toutes les larmes, telle une digue érigée pendant le temps où j’étais face à lui, finit par lâcher, dans un torrent qui emporte tout. La voiture hors de portée visuelle de la maison de Leo, je reste là pendant une bonne heure, à pleurer plus que jamais je n’avais pleuré avant aujourd’hui. Et je sais pourtant que le pire est à venir…