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 [reykjavik] transatlanticism (lola&grace)

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Message(#) Sujet: [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) EmptyMer 26 Fév 2020 - 20:43


Honnêtement, Grace n’était plus sûre de rien ni de personne et le sol qui tangue sous ses pieds ne l’aide certainement pas à relativiser le brouhaha de ses sentiments confus. Alors que s’enclenche l'atterrissage, se fraie dans son cerveau une information jusque-là restée discrète, confuse, du domaine de l'arrière-plan : c'est la première fois qu'elle prend l'avion depuis son accident. En fait, c'est la première fois qu'elle s'autorise à quitter son pays natal pour s’adonner à sa passion, tout court. Un pas énorme qu'elle ne pensait pas refaire de sitôt. Elle n'avait même pas fait les choses à moitié, au demeurant : elle qui s'était imaginée faire son retour à sa vie d'avant step by step, kilomètre par kilomètre, avait complètement abandonné tout bon sens pour se lancer dans une aventure de cinq jours au bout du monde, rien que ça. Et, bien sûr, elle avait demandé à Lola de franchir ce pas avec elle – elle n'aurait imaginé le faire avec personne d'autre. Et à la surprise du duo, les nerfs de l'aînée avaient tenu pendant plusieurs heures consécutives avant que les signes du stress ne commencent à monter en elle. Sueurs, regrets intenses, relativisation bancale avant de resombrer : elle les avait toutes faites et s’était étonnée de la patience dont Lola avait fait preuve sur les quasi trente heures qu’elles avaient passé en déplacement, transbahutées d’un avion à un autre, de Brisbane à Singapour puis de Singapour à Manchester. Bon, elle n’avouera pas s'être sentie obligée de serrer très fort la main de Lola pendant les turbulences, ni même s’être assise à sa gauche exprès - quand même, elle n’a plus l’âge.

Rien n’avait semblé trop réel, jusqu’à ce que les reliefs de l’île du grand Nord s’approchent de plus en plus de leurs pieds pourtant si à l’aise à l’intérieur du véhicule. Grace grimace rien qu’à penser devoir affronter le froid, dégourdir ses membres après autant d’immobilité ; et surtout, après plus de trente heures sans exercice. Le stress refait surface sans même lui demander son avis - bordel, mais où est passé son sens de l’aventure - et elle offre un sourire un peu crispé à Lola alors que l’appareil sort ses roues et entre en contact avec la terre ferme : “Prête ?” Parce qu’il en faut bien une des deux qui le soit.

Il est dix heures du matin à Reykjavik et le soleil resplendissant laisse à peine deviner qu’il fait -2°C. Le tout petit, tout gris aéroport de Keflavik accueille ses visiteurs avec la torpeur de mise lors de la saison creuse et on leur indique quel bus prendre pour rejoindre le centre ville avec un grand sourire de mise. Lorsqu’elles l’atteignent, ledit centre-ville est recouvert d’une fine pellicule de neige, qui drape les toits colorés et les murs recouverts de street art d’un léger voile. Aux arbres, on a laissé accrochées des ficelles de couleur, derniers relents des fêtes de fin d’année. L’air froid et salé à la fois rentre dans les poumons de Grace pour ce qu’il lui semble être la première fois ; et, pour la première fois, elle l’apprécie à sa juste valeur, comme un renouveau. “Bon, je t’avoue que j’ai prévu que pour le premier jour”, déclare-t-elle enfin, comme reprenant ses esprits après un semi-coma prolongé. “Notre Aibnb est sur Seltjar...Stel...Sel-tjar-nar-nes. Vers la mer, quoi. Du coup, j’ai pas prévu grand-chose pour aujourd’hui, avec le jetlag et tout, à part une baignade cet après-midi et une mini-escapade ce soir.” Elle reste volontairement vague, bien consciente d’attiser la curiosité de Lola.

T’as envie de faire quoi, toi ?

Parce que leur décision de partir était si soudaine, si rapide, qu’elle ignore même si Lola a eu le temps de se renseigner sur ce qu’il y avait à faire. Elle espère que non, histoire de l’épater au maximum. La marche jusqu’au Airbnb n’est pas aussi longue qu’elle se l’était imaginée (comme quoi, même la plus grande ville du Pays des Elfes n’est qu’une campagne australienne quelconque, toutes choses bien considérées et mises en échelle) et les clés sont, comme promises, dans le pot de fleur à l’entrée. “La maison collée à celle des proprios, on risque de les voir souvent”, prévient-elle au cas où, tirant de plus en plus péniblement sa valise derrière elle de son unique bras totalement valide. Tout avait dû être si rapide qu’elle se prépare mentalement au pire en ouvrant la porte - puis, non, l’espace est cozy, petit mais agréable, et comme chez elle, tout tient dans une pièce - la cuisine est acoquinée à une salle à manger sans télévision, de laquelle on aperçoit sans peine la porte de la salle de bains. La chambre est dans la même pièce, tout juste surélevée d’un petit mètre et sans barrière aucune avec le reste de l’appartement. Les deux lits simples ont été collés, et les fenêtres qui les bordent sont tellement petites que c’est dur d’apercevoir la mer derrière la rangée d’arbres. Sur la table de la cuisine, des instructions pour le Wifi, l’eau chaude (qui ont l’air incroyablement compliquées) et un plan froissé des transports en ville pour tout accueil.

C’est mieux que rien, pense-t-elle, surtout en si peu de temps. Mais c’est “ça fera l’affaire, pour quatre nuits”, c’est ce qui sort à la place, parce qu’elle ne veut surtout pas décevoir Lola. Pas maintenant, de l’autre côté du monde - pas alors qu’elle lui offre l’une de ses plus grandes aventures.

@Lola Wright
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Message(#) Sujet: Re: [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) EmptyJeu 27 Fév 2020 - 21:51


Lola n'était jamais sortie de l'Océanie.
Jamais.
JAMAIS.

Et là, en fait, Grace l'emmenait en Islande. Pas en Thaïlande. Pas aux Philippines. Pas sur une des îles à côté, là. Non. En Islande. Trente heures de voyage, c'était ça, le trajet. Pour un premier weekend entre amies (pourquoi ça sonnait bizarre de dire "entre amies" quand elle parlait de Grace ? elle ne savait pas, et elle préférait ne pas s'attarder sur la question), c'était une aventure. La plupart des gens commencent par aller à quelques heures de la ville, comme elle l'avait fait avec Jordan à quinze ans. Ou elles auraient pu aller au camping. Ou au spa - quoique, la perspective de passer la journée ensemble en peignoirs stressait intensément Lola. Sérieusement, elles auraient pu aller à trois séances de cinéma de suite, ç'aurait été dépaysant. Ou acheter plein de bonbons et en manger trop d'un coup et avoir un rush de sucre et passer la nuit à l'hôpital. Ou boire tellement d'alcool qu'elles en seraient tombées par terre. Ou prendre des champignons pour avoir des hallucinations qu'elles étaient en Islande. Okay, Lola n'aurait jamais pris de champignon, et elle n'aimait même plus être ivre, donc tout ça était assez improbable. Mais quand même. Elles auraient pu faire quoi que ce soit d'autre plutôt que de s'embarquer dans un voyage de trente heures. "C'est même pas ton anniversaire, si ?" demanda Lola, alors que l'avion atterrissait à l'autre bout de la planète. Si elle voulait rentrer chez elle, si elle sentait que le monde devenait trop, si elle voulait se cacher, ça n'allait pas être très pratique. Elle sentait qu'elle allait être angoissée, mais soudain, elle vit le visage de Grace, et elle comprit que ce n'était pas le moment.

"Tellement prête de la mort qui tue. Tu vas voir, ça va être incroyable." C'était elle, qui disait ça ? Elle qui n'avait pas foutu un pied en-dehors de son continent ? Qui adorait l'aventure dans les bouquins et dans les films ? Qui n'avait pas la moindre idée de ce qu'elles allaient faire pendant cinq jours et paniquait complètement à l'intérieur ? Tout à fait. Elle avait le masque de la confiance posé sur le visage, et elle allait mettre Grace à l'aise, parce que c'était son retour à l'aventure, et qu'elle voulait que ce soit magique et inoubliable et réconfortant et joyeux. "I'll be there every step of the way." Et son coeur rata un battement, car elle sentait que cette phrase pouvait dire beaucoup plus que voyager ensemble en Islande, et rien que d'y penser, elle détourna le regard vers l'hôtesse de l'air, genre : ah ça y est, on arrive ? intéressant, intéressant.

"Non, je n'ai pas trop regardé ce qu'on pouvait faire, je t'avoue. J'ai refait ma valise cinq fois. J'ai beaucoup, beaucoup dormi, au cas où on ne pourrait pas beaucoup dormir ici, for some reason." Ca n'avait aucun sens, elle s'était préparée comme pour une expédition, comme pour un examen de dix-huit heures d'affilée, comme pour un accouchement : elle avait mis des provisions de Tim Tam dans sa valise, et un nombre de pulls incalculable, tous ceux qu'elle possédait, et beaucoup trop de carnets, elle n'aurait clairement pas besoin d'autant de carnets. Elle s'imagina la tête que ferait Grace en découvrant le contenu de sa valise, genre : je suis partie avec une folle, très bien. "Mais je peux lire un guide de voyage très, très vite, s'il faut." Elle ne voulait pas que Grace sente qu'elle avait toute la responsabilité de l'organisation, après tout. Elles étaient co-équipières, partenaires d'aventure. Et certes, Lola était venue en toute ignorance, mais elle pouvait se parer de connaissances et d'initiatives en moins de deux, pour les beaux yeux de son amie (toujours aussi bizarre de formuler ça comme ça, il y avait un vrai problème quelque part, mais où ?).

"T'as dit baignade ? Et mini-escapade ?" C'était bien ça qu'elle avait dit, mais ça voulait dire quoi exactement ? Dans quoi l'embarquait-elle ? Lui donnerait-elle plus d'indices ? Ou est-ce qu'on y allait à la surprise ? Et si elle s'évanouissait ? Ou si elle était allergique à quelque chose ? Bon, elle n'avait aucune allergie, mais on ne sait jamais. Heureusement pour tout le monde, son flux de pensées fut stoppé net lorsque sa vision fit un focus sur la ville, et que soudain elle vit les bâtiments, la fine couche de neige, la fumée qui sortait de sa bouche lorsqu'elle respirait, la paix qui règnait dans ce lieu, le sentiment d'être si loin, ailleurs, l'odeur de la mer. Elle s'arrêta net en plein milieu du trottoir, ahurie d'être là. "Grace, Grace." Elle attendit que Grace se retourne et la regarde pour lui dire, comme un secret, en riant, comme une enfant qui aurait fait une bêtise : "On est en Islande." C'était incroyable, au sens littéral, impossible d'y croire, impossible de s'y faire, à cette idée. Elles étaient en Islande. Et déjà, Lola rattrapait Grace. Vite, vite, arriver dans leurs chambres, se séparer pour quelques courtes minutes, le temps de déposer les affaires, de se rincer le visage, et repartir à la découverte de... mais Grace aurait peut-être besoin d'une pause plus longue, elle était fatiguée parfois, et Lola se fit la promesse de s'adapter à son rythme, d'y faire attention, de s'en souvenir, de ne jamais la brusquer ou la presser.

Une maison, un pot de fleurs, des clés, l'ouverture de la porte, et deux lits simples collés. A partir de deux lits simples collés, il n'y eut plus personne dans le crâne de Lola. C'était un long silence teinté de vide. Un peu comme quelqu'un dans le coma, mais qui se tient debout et qui cligne des yeux et qui est capable de phrases cohérentes et de processer des choses mais pas là tout de suite tout de suite donc du coup se tient debout en entendant de loin le fait que ce soit pour quatre nuits et qu'il y a deux lits simples collés. Au moins, ce sont des lits simples. Lola finit par hocher de la tête avec un sourire, mais vraiment ça lui mit longtemps, et puis elle expira très, très, très longuement, et elle se tourna vers Grace : "C'est parfait. Merci beaucoup d'avoir tout organisé. De m'avoir invitée. J'ai encore du mal à y croire." Elle voulait expliquer à Grace la longue pause, pour qu'elle ne pense pas que c'était le lieu, que c'était de sa faute, qu'elle trouvait quelque chose de mal, alors que tout était tellement parfait. "Parfois, je bug. Mon cerveau bug. Quand je vois quelque chose qui me stresse. L'intimité me stresse. Je suis pas très forte pour l'intimité." Lola, dis une phrase entière ou tais-toi, on t'en supplie tous tout autour de la planète. "J'ai buggé à cause de la proximité entre les deux lits. Mais c'est cool, hein, je m'adapte, je m'y fais, je suis presque au bout du process là." Oui, amies, c'était plutôt bien comme mot, finalement, c'était rassurant, ça créait de la distance, c'était une bonne idée.

Et Lola se tourna vers Grace, toute gênée, pour voir sa réaction à ses révélations, et au lieu de regarder ses yeux, elle regarda ses lèvres, et son coeur fit une embardée, et son ventre se noua, et elle éclata de rire parce qu'elle n'avait aucune idée ce qui était en train de lui arriver. "Ca doit être le trajet, le jet-lag, je dois avoir besoin de manger quelque chose. T'as faim ?" Et elle se rua vers l'intérieur de la pièce avec sa valise, qu'elle ouvrit pour en sortir les Tim Tam. Elle ouvrit un paquet, croqua dans deux Tim Tam en même temps, et donna le reste à Grace. Avant de pointer le contenu de sa valise. "Tu peux te moquer si tu veux. J'ai pris grosso modo que des pulls et des carnets. Je ne suis pas très forte pour faire des valises. Tu penses qu'il y a des magasins en ville ?" Bien sûr qu'il y en avait, mais Lola avait horreur de faire du shopping, et elle ne voulait même pas y perdre une seconde avec Grace. Pourtant, elles y seraient bien obligées à un moment donné, parce qu'elle n'avait pas du tout pris le nécessaire. "Grace, merci encore." Elle sortit ses affaires de sa valise et les aligna toutes sur le lit. Son côté maniaque n'avait pas disparu avec les années, au contraire. Elle les amena par piles dans l'armoire qu'elle trouva, et se garda les deux tiroirs les plus bas, ceux pour lesquels il fallait se baisser, faire un effort, pour que Grace ait les plus accessibles, si tant est qu'elle voulait ranger ses affaires aussi. "Ready when you are", dit-elle tout en faisant les allers-retours entre le lit et l'armoire, signifiant qu'elle était prête pour l'aventure et qu'elle laissait Grace maîtresse de leur emploi du temps - pour le moment.

@Grace Coughlin
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Message(#) Sujet: Re: [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) EmptyVen 28 Fév 2020 - 11:52


Bien sûr, Lola n'a pas fait le rapprochement entre Saint-Valentin et soi-disant anniversaire, et comment lui en vouloir : on faisait difficilement moins cryptique et indécis que Grace dans sa proposition, toute candide, et surtout, par SMS. C'était à se demander à qui Grace avait vraiment voulu masquer ses intentions – la réponse, c'était que c'était sûrement à elle-même, et au reste du monde ; et au Diable toutes les révélations qu'elle avait pu avoir lors de ce foutu speed-dating qui l'avait plus mise dans la merde, fait rencontrer des fœtus de sexe mâle, et mise face à son incapacité la plus complète de compartimenter ses émotions en des jours et des moments bien distincts qu’autre chose d’un tant soit peu productif. Dans tous les cas, elles sont là, elles foulent avec plus ou moins d’aisance les terres islandaises, l’une pas très sûre d’elle, l’autre encore moins mais qui se donne un mal fou à le cacher - et Grace la connaît assez bien pour ne pas être dupe, mais elle fait semblant d’être rassurée en espérant rassurer Lola à son tour, et que ça fasse une espèce de cercle vertueux.

"Non, je n'ai pas trop regardé ce qu'on pouvait faire, je t'avoue. J'ai refait ma valise cinq fois. J'ai beaucoup, beaucoup dormi, au cas où on ne pourrait pas beaucoup dormir ici, for some reason."

Ca la fait sourire, cet aveu, parce qu’elle imagine parfaitement Lola s’angoisser pour le moindre détail, vouloir que tout soit parfait, sûrement encombrer son bagage de Tim Tams au cas où il n’y ait pas de denrées comestibles sur leur île perdue. Ca la fait sourire avec toute la moquerie et l’affection qu’elle peut invoquer à la fois sans que ça ne devienne trop incompatible. “Non, t’as de la chance, on tombe pile dans la saison où on a dix heures de soleil. A partir de Mai, par contre, il fait jour tout le temps, et c'est pas si cool qu'on imagine.” C’était pareil en Laponie, et Grace avait toujours eu un avis mitigé sur cette période de sa vie : elle avait certes pris parmi les plus beaux clichés de sa carrière, mais elle avait surtout connu une espèce de dépression saisonnière inversée qui ne lui avait jamais autant foutu les nerfs. “Pas besoin d’un guide. On regardera ensemble”, qu’elle déclare ensuite, parce qu’elle non plus, n’a pas trop fouillé, mais son cerveau regorge d’idées, de l’imaginaire islandais que tous ses voyages précédents lui ont fourni, et elle n’arrivera pas à se poser et à décider toute seule.

"T'as dit baignade ? Et mini-escapade ?"

Un grand sourire bêtement collé au visage, ses joues et son nez rougis par le froid, Grace hoche de la tête avec énergie, sans ralentir sa marche. Autour d’elles, Reykjavik s’active, étudiants se rendent à l’université d’un pas pressé et les coffee shops accueillent leur lot de travailleurs en pause café allongée. "Grace, Grace." Par instinct, la jeune femme se retourne vers son amie, soudain arrêtée en plein milieu de la rue : Lola aussi, a le nez tout rouge, mais plus important, elle n’a pas l’air en train de mourir, ni de paniquer. Au contraire, elle rit, comme on rit devant une découverte si banale mais qui semble si importante, sur le coup, et Grace sent son coeur lui mettre un petit coup de pression : elles sont là toutes les deux, au bout du monde, parce que Lola a bien voulu venir avec elle, pour elle. Elle se rend à peine compte que son sourire est tout aussi large, peut-être même un peu plus, lorsqu’elles reprennent leur chemin.

L’appartement qui les accueille est beaucoup moins flatteur que les photos qui le promeuvent, mais au moins, tous les meubles sont là, la porte est fonctionnelle, et il y a de quoi poser leurs valises sans qu’elle trébuchent dedans en passant du lit à la cuisine à la salle de bains. C’est le minimum fonctionnel et ça convient à Grace, qui se débarrasse maladroitement de son sac à dos sur la table avant de monter sa valise sur l’espèce d’estrade qui met les lits en valeur et qui semble retenir toute l’attention de Lola. "C'est parfait. Merci beaucoup d'avoir tout organisé. De m'avoir invitée. J'ai encore du mal à y croire." Grace est plongée dans son sac à dos quand Lola se retourne vers elle, et elle lui renvoie un rictus un peu figé : ce n’est pas ce que le long soupir indiquait, mais elle ferait comme si. Pas de problème. Jamais de problèmes. "Parfois, je bug. Mon cerveau bug. Quand je vois quelque chose qui me stresse. L'intimité me stresse. Je suis pas très forte pour l'intimité." Puis Lola continue et Grace saisit le problème un peu trop à retardement, elle qui n’y a prêté aucune forme d’attention.

Tu sais qu'on peut les écarter, les lits”, fait-elle, armée de son rire un peu nerveux, comme si elle n'y voyait aucun problème, comme si elle n'en était pas un tantinet blessée.

Parce qu’elle n’a pas de raisons de l’être, c’est juste des lits, et Lola n’a pas envie d’avoir le sien collé à celui de Grace, et c’est normal, elles n’ont jamais eu cette proximité, du moins pas sobres ; c’est un pas à faire, elle imagine, elle pourrait comprendre. Elle devrait comprendre mais rien à faire, elle ne comprend pas. Rien à faire, la déception s’accroche comme une tache de café sur un nouveau plaid blanc lavable uniquement à la main. Et elle se sent un peu comme ce plaid : rejetée d’un coup. Il lui en a toujours fallu peu pour se sentir rejetée ; mais elle a du mal à comprendre pourquoi ça ressort maintenant. Puis Lola lui tend des Tim Tams et elle retrouve un demi-sourire, réprime un j’étais sûre que t’avais des Tim Tams dans ta valise, et c’est reparti. "Tu peux te moquer si tu veux. J'ai pris grosso modo que des pulls et des carnets. Je ne suis pas très forte pour faire des valises. Tu penses qu'il y a des magasins en ville ?" Grace, elle, déballe soigneusement son strict minimum de voyage : ses mini-bouteilles de shampooing et gel douche, sa plus petite pochette de maquillage, ses quelques pulls et une paire de bottes plus épaisses qu’elle a dû récupérer de Gold Coast avant le voyage.

Oui, y a des magasins. C'est sûrement pas le même tarif qu'à Brisbane, mais ils prévoient sûrement pour les touristes australiennes qui savent pas trop faire une valise.

Elle garde la tête penchée dans la valise mais son ton trahit on ne peut mieux son sourire moqueur : pas besoin du visuel en plus. “T’auras qu’à prendre de mes pulls, ils sont plus épais.” Pour les carnets, par contre, pas sûr que ça serve comme chaussures effectives contre la neige en pleine nature. Son appareil photo à elle est soigneusement rangé dans son sac à dos, et elle le sort avec toutes les précautions du monde : inutile de s’encombrer pour le moment. La pression de groupe l’emporte sur elle et elle se sent, à son tour, obligée de ranger des affaires, empilant le maximum de pulls dans un seul bras, ce qui, évidemment, les déplie tous, et elle les fout en vrac dans l’armoire sans plus de pensée pour leur sort. “T’as bien pris ton maillot de bain, hein ?” Elle craint tout de suite le pire, et s’imagine devoir se ramener dans un magasin de maillots de bains, en Islande, avec la jeune femme déjà frigorifiée à ses côtés. “Okay, hey, you mind if I take a quick shower first? I feel all gross. I hate feeling gross.” Maillot de bain à la main, Grace fronce le nez. Elle se retient de dire qu'elles vont puer dès l'après-midi, aussi, c’est incontournable – ça gâcherait la surprise, et Grace est bien trop attachée à ses effets de surprise pour risquer ça. Et c'est vrai : elle se sent sale. Les trentes heures entre divers transports en commun l’ont salie, agitée, et qu'importe le transport de sa brosse à dents et de lingettes démaquillantes dans son sac à dos, elle se sent toujours incroyablement peu présentable. Elle se demande à quel point sa tête rappelle un film d'horreur, avant de se rappeler que Lola a sûrement la même tête, elle aussi. Alors elle la regarde, elle, mais non, c’est sans appel : Lola est toujours aussi belle et ça devient presque vexant. Elle s’en enferme dans la salle de bains, histoire de se laver rapidement et d’enfiler son maillot de bain sous plusieurs couches de vêtements bien superposées. Quand elle ressort, sentiment de propreté en plus et de fatigue en moins, son humeur est remontée en flèche.

You ready? Wanna go grab a bite first or we’re good?” Autant ne pas taper une hypoglycémie en plein lagon - pas avec l’odeur d’oeuf pourri en plus, en tout cas. Elle remet son sac à dos sur une épaule, demande à Lola de l’aider pour l’autre pour retrouver sa place chronique d’enfant de cinq ans dans leur duo de bras cassés, et elles quittent l’appartement aussi vite qu’elles l’ont trouvé. Marche en sens inverse, cette fois : vingt minutes en bus, dix minutes de marche, en théorie, et d’après le vieux plan froissé des proprios qu’elle a à peine consulté. Elle garde le silence un court instant. “You know, if it weren’t for you, I wouldn’t have come at all”, dit-elle enfin, parce que ça lui semble important de la remercier, elle, plutôt que l’inverse. L’idée, c’était le trop-plein de sentiments contradictoire, le speed dating où elle s’était trop fait la réflexion qu’elle aurait été mieux à regarder un film pourri avec Lola, mais que celle-ci était sûrement occupée avec quelqu’un, et qu’elle n’aimait pas l’idée, et en plus ça faisait longtemps qu’elles ne s’étaient pas vues. Et elle avait besoin, terriblement besoin, de la retrouver, de continuer de s’accrocher à l’idée que ce qu’elles avaient étaient spécial. “Also, no, not my birthday. Must be your third time falling for it and I still can’t fathom how you don’t see it c-” Ou peut-être qu’elle se trompe, en fait, et que Lola a joué le jeu à chaque fois, pour la contenter, et cette fois-ci peut-être même plus que les autres. C’est la seule option rassurante, alors c’est celle qu’elle choisit. “Thanks for playing along.” Sa voix est plus douce, cette fois. “OK. Alors, le plan.” La douceur est repartie, l’engouement est revenu.

Soit on va manger avant, mais il est encore tôt, et on vient de se gaver de Tim Tams, et d’ailleurs merci pour le stock ; soit on va se baigner. Le plan, c’est le Lagon Bleu, une source chaude au milieu des montagnes enneigées et des pierres de lave, et tout. Et promis, l’eau est vraiment chaude. Genre 40°C.” Elle joue des sourcils, parfaite vendeuse de son produit. “Your call.

@Lola Wright
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Message(#) Sujet: Re: [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) EmptyVen 28 Fév 2020 - 22:33


On regardera ensemble. Les mots de Grace résonnaient dans la tête de Lola tel un écho qui n'en finissait plus d'arriver à ses oreilles, à ses neurones. Ensemble. Elles regardaient ensemble. Pourtant, là, ce que venait de dire Grace, c'était "Tu sais qu'on peut les écarter, les lits", et soudain Lola éprouva la peur immense que Grace s'y mette tout de suite, le fasse là, comme ça, parce que ç'aurait été mal comprendre, ç'aurait été mal interpréter une angoisse qui n'excluait en rien son envie d'être près d'elle, de découvrir ce qu'était la confiance, l'intimité, d'une façon différente. Heureusement, Grace ne fit rien, et Lola fut rassurée. Elle pourrait se rattraper plus tard pour la maladresse de ses angoisses. Pour le moment, il s'agissait de se nourrir, voilà, de se goinfrer de Tim Tam pour être des clichés d'Australie. Ca ne la dérangeait pas, d'être une touriste clichée. Elle ne connaissait pas vraiment les codes du tourisme. Ni du voyage. Ni de l'aventure. Donc elle ferait comme tout le monde : elle apprendrait sur le tas.

"Tes pulls ont l'air plus chauds que les miens, c'est vrai, je ne comprends pas", s'étonna Lola, qui découvrait ainsi qu'il y avait des vêtements plus ou moins chauds pour les gens qui ne passaient pas leur temps dans un seul lieu. Ah, c'était donc ça. Elle jeta un regard envieux à la pile de Grace, qui devint montagne, qui devint tas confus, et ses yeux devinrent alors inquiets. Surmonterait-elle son envie de les ranger ? Il le faudrait. Lola, tiens-toi bien. Elle détourna le regard difficilement, et à temps pour entendre Grace parler de maillot de bain pour la trois-cent-quatrevingtième fois. "For the love of everything that's holy..." commença-t-elle, solennelle, "yes, I did bring my bathing suit." De fait, elle en avait pris trois, parce qu'elle voulait les essayer en étant sur place, et être bien sûre de celui qui la faisait paraître le moins pâle. Elle se faisait la réflexion, un peu tardivement, qu'en Islande tout le monde était pâle, donc que personne n'en aurait rien à faire. Grace annonça qu'elle allait prendre une douche, et Lola hocha de la tête distraitement, tout en s'allongeant sur le fameux lit trouble-fête. "Take your time", lâcha-t-elle tout en se laissant tomber sur le matelas. Il était confortable, doux, et Lola somnolait au bout de deux secondes.

Elle eut un rêve confus de Grace et elle sur un bateau, qui changeait de forme au fur et à mesure, d'abord paquebot, puis voilier, puis barque, et elles se retrouvaient de plus en plus près, et puis une vague venait remuer la barque, et Lola se trouvait propulsée à quelques millimètres de Grace, et - La porte de la salle de bains s'ouvrit sur une Grace propre et belle et joyeuse, et Lola sursauta, réveillée, confuse, rouge pivoine, bégayant, "Rea- rea- ready." Elle insulta mentalement son inconscient, qui lui jouait des tours, et se redressa sur ses jambes, un peu plus chancelantes que d'habitude. Aida Grace à enfiler son sac à dos. Puis éprouva une joie aigue qui la traversa de part en part lorsque Grace reconnut qu'elle ne serait pas venue sans elle. "I'm glad I could be of assistance", répondit-elle avec un sourire mutin. "It's true, though, what would you do without me? You would be like Batman without Robin." Elle réfléchit, une seconde, venant de réaliser qu'elle s'était auto-proclamée sidekick. "Wait a second, I meant Robin without Batman." Trop tard. Les dés étaient jetés. Elle éclata de rire. "Oh, whatever, you be the superhero, I'll be the girl in tights next to you."

"For playing along ?" répéta Lola confusément. Oui, bien sûr, c'était ça. Ce n'était pas du tout qu'elle croyait systématiquement ce que lui disaient les gens et d'autant plus Grace, même quand c'était une blague. Non, ce n'était pas sa naïveté qui lui jouait des tours encore et encore et encore. Et autant elle s'en serait voulu à d'autres moments, autant elle bénissait sa naïveté de l'avoir amenée au bout du monde avec la personne qui la rendait la plus heureuse et nerveuse de toutes. "Right, for playing along", confirma-t-elle avec un sourire, "like a good sidekick does", autant continuer avec la métaphore au stade où on en était, d'autant que certains fans prétendaient que Batman et Robin avaient une histoire d'amour sous-jacente et secrète et que - "Lagon Bleu ? Source chaude ? Montagnes ? Neige ? 40° ?" Perroquet, voilà à quoi Lola en était réduite tellement elle éprouvait de surprise et d'impatience. "Qui a besoin de manger ? Personne n'a besoin de manger", ajouta-t-elle en enfonçant un paquet de Tim Tam dans son sac à dos au cas où. "Ah, mais attends", et elle courut dans la salle de bains enfiler un maillot de bain en-dessous de ses vêtements. Elle essaya les trois. Le bleu, le noir, et l'orange. L'orange qui allait avec sa couleur rousse. C'était bien ça, c'était joli. Est-ce que c'était joli ? Grace attendait, come on. Okay, ça ferait l'affaire.

"Au Lagon Bleu", déclara-t-elle en ouvrant la porte de la salle de bains et en rejoignant Grace à grands pas vers la sortie. Et elles étaient dans la rue de nouveau, et puis dans un bus, et Lola était collée à la fenêtre, se prenant toutes les vibrations, frémissements, cahotements. Son front était rouge de froid ou de chaud, difficile à dire. Elle faisait des photos mentales à chaque seconde. C'était sublime. Tout était sublime. Elle se tourna vers Grace, qui était, ma foi, sublime. "Grace, est-ce qu'on est vraiment là ?" Il y avait très longtemps, elle avait posé la question à quelqu'un d'autre, qui n'avait pas vu ce qu'elle voulait dire. Elle communiqua télépathiquement à Grace de toutes ses forces que ce qu'elle demandait c'est si c'était un rêve ou la réalité, si c'était la barque ou si c'était l'Islande, si c'était un film ou si c'était elles, là, ensemble, au bout du monde. Le bus prenait son temps, tranquillement, tout semblait irréel, doux, tendre. Comme s'il n'y avait aucun problème, aucune douleur, comme si elles étaient dans un autre espace-temps. "J'ai l'impression de flotter. C'est le jet-lag ou c'est ça l'aventure ? Comme des papillons. Là." Elle prit la main de Grace et la mit sur son ventre, comme si elle allait sentir les ailes des papillons battre. Il fallait qu'elle réussisse à partager ses émotions avec elle, et elle n'était pas forte avec les mots, seulement avec les images. Elle lui ferait un dessin, un pastel - oui, elle avait apporté ses pastels ; quitte à prendre trois cent carnets, autant qu'ils soient utiles.

Le bus s'arrêta enfin là où elles devaient descendre, et Lola passa devant Grace pour atteindre les portes, et se tint debout, là, pour que Grace puisse prendre son temps pour descendre. Puis, elle lui prit le bras, "Ca te dérange pas ?", pour marcher les dix minutes de trajet. Elle n'avait aucune idée d'où elle allait, et la tête du plan que tenait Grace ne la rassurait pas particulièrement, mais la sensation que rien n'importait perdurait, donc elle était légère et confiante comme s'il n'y avait pas de lendemain. Tactile, même, ce qui était le plus inquiétant de tout, et qui reviendrait la hanter d'ici peu, sans aucun doute. Mais pour le moment, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, et ça, c'était tellement rare que j'ai juste envie qu'elle en profite, Lola, qu'elle continue à ne pas se poser de questions, pendant quelques secondes au moins, et que sa bulle islandaise soit multicolore et joyeuse à tel point qu'elle ne puisse s'empêcher de la raconter à des inconnus croisés dans la rue pendant les décennies à venir.

@Grace Coughlin
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Message(#) Sujet: Re: [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) EmptySam 29 Fév 2020 - 18:38


Grace, elle a toujours été douée pour laisser filer, pour ne pas relever, pour détourner l'attention des tensions plutôt que de les accroître. Distraire, c’est quelque chose qu'elle fait à la perfection, bien à l'aise dans son rôle de clown-née. Alors, quand elle se retrouve à bloquer sur cette histoire de lits simples, elle se sent un peu désemparée. Pour une fois, elle n’a aucune envie de faire diversion ; aucune motivation, non plus, de rassurer Lola, ou de lâcher une plaisanterie pour signifier que c'était complètement normal, que c'était rien, ou la taquiner sur le fait qu'elle était toujours trop intimidante pour que Lola n’arrive à dormir à moins de cinq mètres de distance. Elle ne comprend pas, parce qu’il y a à peine trois semaines, elles sont sorties boire et elles se sont retrouvées fronts posés l'un contre l'autre, et ça n'avait pas posé problème à ce moment-là. La régression la frustre sans qu'elle n'arrive à poser de mots sur le pourquoi. Elle a bien conscience de réagir comme une ado qu'on prive de son portable à vingt-trois heures parce qu'on se lève tôt demain, mais elle n'y peut rien, ça la froisse. Elle ignore encore qui blâmer de la fatigue, de l'anxiété qui continue de tourner malgré elle en arrière plan, ou de ses propres émotions qu'elle s'applique soigneusement à ignorer depuis quelques mois. Elle aurait pu continuer, si encore on ne les lui avait pas foutus sous le nez à ce speed dating, parce que, franchement, elle n'avait absolument pas besoin d'un têtard en surdose de confiance pour foutre un peu plus le bordel dans ses convictions. Voilà où nous en étions : un bambin barbu lui posait une question à la con, et la voilà embarquée dans une remise en question spirituelle, une espèce de quête centrale façon Sphinx, même niveau de facilité d'énigmes.

Mais comme toujours, Lola revient avec sa candeur, son "Tes pulls ont l'air plus chauds que les miens, c'est vrai, je ne comprends pas", et Grace se retrouve immédiatement amnésique des cinq dernières minutes (elle n’arrive jamais à en vouloir à Lola – pas plus de deux minutes, en tout cas, et ça, c’est un gros problème). Voilà le nerf de leur souci présent : Lola n’a pas assez de pulls, Grace peut lui en prêter, mais Lola a-t-elle un maillot de bains ? La fixette ne la quitte pas depuis le premier jour des réservations, parce que sans maillot de bains, tout tombait un peu à l'eau. Ou, justement, rien n'y tombait, et elle avait passé des siècles à vouloir tester ce lagon. Mais tout est net, carré, Grace ressort propre de la salle de bains et tombe sur une Lola à demi-endormie qui, elle, n'est toujours ni spécialement prête, ni spécialement mise au goût du jour. "It's true, though, what would you do without me? You would be like Batman without Robin." Sa voix est empreinte de fierté, et Grace n’ose pas lui dire, la laisse docilement l'aider à finir d'enfiler son sac. “You know there’s more than one famous duo, huh? There’s like… Han Solo and Chewbacca. Patrick and Spongebob. Oh! Romeo and Juliet. Wait, all of these are awful.” Elle est même presque sûre qu'un des deux meurt, systématiquement. Et les pensées autour de la mort, là tout de suite, ne la ravissent pas particulièrement. “Okay, let's stick with the girl in tights for now”, fait-elle, dos à Lola, levant la main en guise de reddition. “I mean it, though.” Et Grace d'enchaîner sur des remerciements envers Lola pour avoir joué le jeu sur son pseudo-anniversaire, jusqu'au bout. Il lui faut à peu près une demi-seconde pour déduire que Lola, au final, n'était pas au courant, et elle est longtemps partagée entre l'envie de faire comme si elle n'avait rien entendu et la pulsion de moquerie qui la tenaille. Évidemment, sa clémence l'emporte. “Wait, how old do you think I actually am? Cause I must be over 40 by now.” Comme toujours. Lola lui donne trop de matière pour qu'elle puisse s'en empêcher – et quand elle se rend compte que l'intéressée n’est toujours pas changée, elle n'hésite pas à en remettre une couche.

So you did bring bathing suits but you weren't even gonna wear one, huh”, lâche-t-elle d'un ton faussement exaspéré, moqueur surtout, un why am I not surprised en déguisement bien épais.

Et elles ressortent, et Grace ne ressent toujours aucun signe d'anxiété, de sentiment interne de mourir, alors elle s'autorise à son tour à profiter du paysage. De la mer, au loin, des vagues retenues par un bord épais de pierres de lave, blocs anciens sûrement placés par l'homme pour protéger les côtes. Et tandis qu'elles marchent, silencieuses et confortables, jusqu'à l'arrêt de bus entre leur logement et le centre-ville, la jeune femme se laisse distraire et charmer par tous les éléments qu'elle peut croiser ; les façades colorées, la langue aux accents musicaux qu'elle ne comprend en rien, la paix qui semblait transformer le visage des habitants en toute occasion. Même le bus est propre, même le chauffeur respire la joie de vivre, et Grace se demande si c’est donc à cette vie qu'il faut aspirer. Elles paient leurs tickets, la photographe sort un “takk” maladroit au chauffeur toujours aussi souriant, sandwich à la main, et elles s’installent, direction le Lagon. “Hey, look”, dit-elle en pointant le dessin au-dessus de l'entrée du bus, qui signifie sûrement qu'il ne faut pas parler au chauffeur pendant qu'il conduit. “Looks like Mark Twain scolding Hitler cause he drove over the speed limit.” L’heure est à la détente, Grace a envie de profiter, de découvrir ; de se reconnecter avec celle qu'elle était avant tout ça. Elle se demande si Lola peut ressentir sa hâte, mêlée à la joie, à l'appréhension, à ce soupir vital, ce enfin qui lui revient. Puis, "Grace, est-ce qu'on est vraiment là ?" lui demande Lola, tout bas, comme un secret entre elles, et Grace sait qu’elles comprennent. Qu’elles partagent ce même sentiment, discret, ténu, d’être exactement au bon endroit.

Tu sais quoi ? Même moi, je suis pas trop sûre.

Elle le souffle encore plus bas en réponse, pour que personne d’autre ne le sache. C'est surréaliste, d'être ici, avec Lola ; d'être ici, au bout du monde, et d'arriver à y respirer sans avoir peur de se casser la gueule et de sentir à nouveau son crâne se fendre en deux et l'univers autour d'elle s'arrêter de faire sens. Elle n'y aurait pas cru, il y a un an. Elle en aurait probablement ri rien qu'il y a six mois. Même son psy, son rééducateur et ses kinés se seraient foutus de sa gueule. Et elle aussi, les sent, les papillons ; pas de stress, ou de peur imminente de mourir, mais de hâte, d’une appréhension toute neuve dont elle avait totalement oublié la saveur. Elle a l'impression de retrouver sa peau d'avant alors qu'elle s'était persuadée condamnée à laisser cette mue derrière elle. Elle aimerait trouver un moyen de dire tout ça à Lola sans être dépassée par le brouillon notoire dans sa tête, mais c’est celle-ci, la même qui flippait de la proximité de leurs deux lits individuels collés, qui avait d'office pris sa main pour la poser sur son ventre. Alors Grace fait semblant, joue la connaisseuse, attend de sentir lesdits papillons. “Dang, I think my sweatshirts are too thick for me to feel anything – oh wait, yeaaaaah… no. No, that's a tapeworm, no butterflies here. I'm sincerely sorry, ma’am, but you're dying.” Grace a toujours été tellement spontanée, tellement imprévisible et expansive dans son affection qu'elle a eu du mal, pendant longtemps, à se tenir à cette distance pudique que Lola semblait vouloir préserver au mieux. Elle a encore du mal, à s'exprimer avec ses mots, les mêmes mots qui lui font si souvent défaut en cas de fatigue, de choc, d'énervement. Grace, elle n'a jamais été douée avec l’expression autre que physique, encore moins en ce qui concerne ses émotions – et elle se force, pour Lola. Elle veut parler sa langue, se rendre claire pour elle sans lui faire peur avec son propre dialecte, alors elle apprend du mieux qu'elle peut, parfois avec plus ou moins de confusion toujours une bonne dose de maladresse. Mais maintenant, Lola prend sa main, la pose sur son ventre, puis la reprend, juste comme ça, pour marcher. “Of course I don't.” Bien sûr, qu'elle ne va pas la rejeter, c’est la dernière chose qui lui viendrait en tête ; c’est juste qu'elle se retrouve dans les chaussures de sa vis-à-vis, confuse par le moindre signe physique d'affection, et qu'elle ne sait plus distinguer le haut du bas ou la gauche de la droite. Ce qui risque de rendre la lecture du plan tout froissé un peu compliquée. “Ay, fuck it”, murmure-t-elle pour elle-même, finissant de froisser le plan en le fourrant dans sa poche de sa seule main libre. Heureusement que ce n’était qu’une ligne à peu près droite et qu’aucun autre bâtiment ne pouvait vraiment occulter le seul qui ressemble à un spa. Puis Grace se force, s’oblige à quitter le bras de Lola, donnant un coup d’épaule dans son sac pour le retirer de son bras droit et y puiser son paquet de cigarettes. Par vieux réflexe, elle tend le paquet à Lola, sans même attendre de réaction, puis se sert, farfouille le sac à la recherche de son briquet, ralentissant inconsciemment son pas. Miracle : il est dans le seul compartiment qu’elle n’a pas fouillé.

Hey, is this really your first time away from Australia?

Elle glisse la cigarette entre ses lèvres, l’allume, tourne la tête pour ne pas déranger Lola, mais reprend son bras comme si elle ne l’avait jamais quitté. Tant pis pour le sac qu’elle n’arrive plus à enfiler correctement. Elle connaît déjà la réponse à sa question, pour l’avoir posée déjà plusieurs fois ; et c’est moins par moquerie que par flatterie - elle se sent spéciale, d’être celle qui a fait quitter son cocon à Lola. Surtout, elle meurt d’envie de voir certains de ses croquis, de ses peintures ; et elle espère, peut-être naïvement, que l’inspiration venue du bout du monde pourra débloquer ça, entre elles. Créer ce pont qui les reliera encore plus. Sûrement naïvement. “How’s it going so far?” Elle est curieuse, de ses premières impressions, de son avis sur les gens, leur langue, leur culture, leur paysage. Elle n’a jamais eu aucune patience, sur ça. Le wait and see ne fait pas partie de sa programmation.

Elles arrivent, enfin, à l’entrée d’un bâtiment où la file d’attente est moindre. Le monsieur a l’accueil finit son sandwich et leur débite la procédure de son parfait anglais, l’air rayonnant, et vraiment, Grace se demande ce qui pousse ces gens à autant utiliser leurs zygomatiques. Vestiaires, casiers, peignoir et chaussons offerts pour la marche qui mène au lac : rien qui ne semble très compliqué. Comme d’habitude, Grace prend quinze minutes à faire le tout au lieu de cinq, et comme très souvent, Lola doit l’attendre, à moins qu’elle ait pris le temps de faire un enfant, d’en accoucher et de lui avoir appris Hey Jude à la guitare : c’est comme ça que Grace voit le temps allongé qui les sépare, irrémédiablement, à chaque activité qui nécessite une coordination trop grande qu’elle n’a pas encore récupérée. “Okay, I’m done”, annonce-t-elle en sortant enfin de sa cabine, peignoir encore à la main. “You mind giving me a hand?” Sa voix est un peu plus retenue, cette fois, gorge serrée, quand elle montre du doigt son dos où les lacets du maillots pendouillent un peu. C’est qu’en deux ans et demi, elle n’a eu le temps ni de penser à des nouveaux maillots, ni à la baignade en général - il lui a fallu faire avec le dernier qu’il lui restait, un une pièce blanc aux motifs palmiers qui s’ouvrait jusqu’au ventre et qu’elle trouvait super flatteur à l’époque ; aujourd’hui, elle a peur que ce soit too much. Un peu trop estival, révélateur ; bref, pas très voyage entre potes en Islande.

Elles font le chemin jusqu’à l’eau sur un petit pont de bois bordé par des pierres recouvertes de mousse, puis par plus rien : l’eau les entoure, avec ses vapeurs chaudes qui remontent dans l’air et directement dans leurs poumons, avec cette légère odeur de soufre si particulière à l’endroit. L’heure du repas approche et la plupart des touristes et locaux ont déjà quitté les lieux. Sourire évidemment fier de la voyageuse : elle choisit vraiment bien ses surprises, quand même. “Ta-dam”, qu’elle lâche, alors qu’elles arrivent aux bifurcations du pont. “C’est absolument pas naturel, totalement fait par l’homme, mais on m’a dit trop de fois que le paysage était dingue et j’avais envie qu’on essaie.” Elle se demande si Lola va apprécier. Si elle sera sensible aux montagnes enneigées qui surmontent le paysage, aux pierres de lave qui bordent le lagon pour rappeler sans cesse que cette terre s’est construite sur ses éruptions consécutives et continues. Ca lui rappelle : “On se lève tôt demain ? J’ai envie de photographier une éruption.” Parce qu’ici, c’est possible, et globalement, maintenant, tout le semble. “Oups”, fait Grace un peu fort, l’air de rien, poussant Lola de son corps pour la faire tomber dans l’eau, peignoir compris, dans un splash qui brise le silence alentour. Quelques têtes se tournent vers elles : “Qu’il est étroit, ce pont, c’est dingue.” Elle-même prend tout son temps pour s’asseoir sur le bord, retirer son peignoir, habituer ses pieds à la chaleur et rentrer d’une traite, la main toujours accrochée au pont pour ne pas risquer la noyade si tôt pendant leur séjour.

@Lola Wright
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Message(#) Sujet: Re: [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) EmptyDim 1 Mar 2020 - 21:30


La peur qu'avait Lola du contact physique, de l'intimité, était venue à la puberté. Elle n'avait jamais été là avant, ça n'avait jamais été un problème. Enfant, elle multipliait les câlins, les bises, les baisers. Elle était corps. A l'adolescence, lors de la transformation, elle n'avait pas compris ce qui lui arrivait. Sa famille n'avait pas estimé intéressant de le lui expliquer, de la guider. Sa mère n'avait jamais eu une conversation sur le corps avec elle. Sa soeur Charlotte l'avait informée sur les pratiques basiques : la différence entre les serviettes et les tampons ; le repérage anatomique et théorique des parties génitales ; la nécessité de se protéger lors d'un acte sexuel. Elle avait fait de son mieux, et ce n'était pas de sa faute si Charlotte était si déconnectée de l'émotionnel, de l'humain, si elle était entièrement dans la logique et le factuel. Elle fonctionnait comme ça, à des années-lumières du comportement intuitif et spontané de Lola. Elles s'aimaient mais ne se comprenaient pas, ce qui résumait un peu le sentiment de Lola par rapport à sa famille en général. Au lycée, aussi, les contacts étaient devenus compliqués. Elle supportait de moins en moins qu'on la regarde, qu'on l'effleure dans les couloirs, qu'on lui fasse la bise pour dire bonjour. De toute façon, elle n'avait pas beaucoup d'amis, mais avec cette peur nouvelle, ce dégoût, cette honte d'elle-même, elle en avait eu encore moins.

Il était extrêmement difficile pour elle de surmonter les barrières physiques, la distance, de créer des ponts entre elle et d'autres sur autre chose que des plaisanteries et du jeu. Et pourtant, s'il y avait bien une occasion de le faire, c'était à l'autre bout du monde, avec la douceur et l'humour de Grace. Alors, oui, elle serait le sidekick, car pour une fois, elle serait n'importe quoi pour être avec elle, elle essaierait de se surmonter, d'aller au-delà de ses résistances premières. "So I'm also the Chewbacca to your Han, the Patrick to your Spongebob, and the Romeo to your Juliet, is what you're saying?" Lola souriait, car elle voyait tout cela en images, et elle les imaginait dans des costumes tous plus ridicules les uns que les autres. "That's a lot of Halloween ideas", ajouta-t-elle, comme si elle allait à des fêtes à thèmes, comme si elle avait des amis qui l'invitaient à de grandes soirées où on se déguisait et on buvait jusqu'au petit matin. Elle se demanda si ça dérangerait Grace de découvrir l'infinie solitude dans laquelle Lola s'était toujours plongée par choix. Elle se demanda si Grace l'apprécierait moins, si elle s'en détacherait, si ça lui ferait peur. Mais plutôt l'humour que l'anxiété, car le monde continuait de tourner, pour une raison inexplicable. "Wait, you're not forty? I feel totally betrayed." Et son éclat de rire qui résonnait déjà entre les quatre murs de leur hébergement, de leur foyer pour quelques jours, de leur lieu rien qu'à elles. Lola tira la langue à Grace à la suite de sa blague sur les maillots de bain, et se changea.

Pendant le trajet, tandis que le sentiment de plénitude et de détachement du monde grandissait en Lola, elle sentit ses peurs s'atténuer. Sa panique de la proximité s'adoucit, puis s'estompa jusqu'au point de n'être plus que l'envers d'un décor qui n'avait pas lieu d'être ici. Comment pouvait-il y avoir une telle tranquillité ? Etait-ce un effet d'optique, comme de voir le monde à travers un kaléidoscope ? Etait-ce un dérégelement ? Etait-ce le fait d'être avec Grace ? Etait-ce l'Islande ? Devrait-elle emménager ici pour ne jamais perdre ce sentiment ? Ou bien le sentiment venait-il justement du fait qu'elle n'était là que pour quelques jours ? Trop de nouveautés se bousculaient et les questions sans réponse s'enchaînaient. Peut-être que c'était pour cela que la main de Grace sur le ventre de Lola lui faisait du bien, la ramenait sur Terre, mais accélérait aussi le mouvement des papillons, dont les ailes battaient à tout rompre. "A tape-worm ? Oh, no. I've got to take out my bucket list and check all the items on it. Go to Iceland: check." Et un sourire mutin, joyeux, épanoui.

Et la marche, et l'oxygène qui rentrait dans les poumons, le froid, le sentiment d'être plus vivante que jamais, et le bras de Grace - qui rangeait furieusement son plan, ce qui n'était pas particulièrement rassurant, mais what the hell, tous les chemins mènent au Lagon Bleu. "No, thanks, I don't smoke." Un sourire gêné. Pas cool pour un sou, la fille. Not Australia, 'cause I've been to New Zealand, well my parents took us there, but it was mostly malls et restaurants, which was the most depressing thing I've ever been through, I think, it made travelling really horrible in my mind, like a series of things I didn't want to do, I guess? But it is my first time out of the continent. And my first time out in the world as a grown-up." Pourquoi soulignait-elle le fait qu'elle était une adulte ? Aucune idée. Mais elle aimait le sourire fier de Grace, qui éclairait son visage et la rendait plus jolie encore - elle n'aurait pas cru cela possible. Lola sentait son interlocutrice retrouver une confiance en elle, des compétences et des sentiments qu'elle croyait perdus, et cela la remplissait d'une émotion étrange, d'une gratitude presque religieuse. Si elle avait cru en Dieu, elle l'aurait remercié. A la place, elle serra juste un peu plus fort le bras de Grace. "So far, it's like being thrown into a dream. Or into a rabbit hole. It's weird. I'm having a hard time believing we're actually here. Everything is gorgeous. The air feels different, almost tastes different. The cold is out-of-this-world insane. I can't grasp the distance between here and home, it feels disorienting. You know I mean?" Est-ce qu'elle était en train de complètement se ridiculiser à raconter ainsi tous ses doutes, toutes ses sensations ? Sa curiosité l'emporta sur sa gêne, ceci dit, et elle demanda : "What about you? How does it feel to be back out there? In the wild?"

Grace et Lola arrivèrent à leur destination, et durent d'abord passer par les vestiaires. Lola prit tout son temps pour enlever ses multiples couches de vêtements, car elle savait que Grace en prendrait plus encore, quoi qu'elle fasse. Elle sortit effectivement en avance, et rangea les affaires dans un casier, puis compta le nombre de casiers, puis alla se laver les mains, puis entendit Grace demander : "You mind giving me a hand ?" Lola se retourna et ses mains se mirent immédiatement à trembler. Elle n'eut même pas le temps ou l'énergie de répondre quelque chose de cohérent, parce que son monde se décomposa en : la peau de Grace ; et à côté de ça, le néant. Faute de mots, elle s'approcha de Grace, et noua les lacets de son maillot de bain blanc, se retenant de caresser ne serait-ce que brièvement le dos face à elle. C'était comme savoir que si l'on appuie sur play, la plus belle chanson du monde se lancera, mais ne pas le faire. Elle s'éloigna d'un pas lorsqu'elle eut fini et ne réalisa qu'à ce moment-là qu'elle avait retenu sa respiration tout du long. Son regard ne passa qu'une seconde sur le corps de Grace lorsqu'elle se retourna - sérieusement, c'était ça le maillot de bain qu'elle avait choisi, bougre d'hydromel - puis se détourna sciemment et pour toujours.

Heureusement, dès qu'elle ressortirent des vestiaires, il y eut un paysage sublime pour la faire penser à autre chose, et elle se concentra sur les montagnes, la neige, la couleur de l'eau, la sensation de chaud et de froid, les rares visages de touristes et locaux, les bruits qu'elle entendait - tout sauf Grace. Ce qui marcha un temps, mais pas si longtemps que ça, parce que sa voix chantait de nouveau, et Lola ne put réprimer un sourire. "C'est sublime." Elle se rendit compte que sa voix était un peu cassée, que sa gorge était un peu nouée, que ses yeux étaient un peu embués. Méritait-elle toute cette beauté ? Comment était-elle arrivée jusqu'ici ? Distraitement, elle répondit : "Oui, on se lève à l'heure que tu veux." Si distraitement, de fait, qu'elle ne vit pas la main de Grace s'approcher, et qu'elle ne comprit ce qui lui arrivait que lorsqu'elle se sentit tomber au ralenti, puis le contact avec l'eau, et le peignoir qui flottait tout autour d'elle, et elle reprenait son souffle, et éclatait de rire, et toute l'anxiété repartait de nouveau, se diluant dans l'eau telle de la peinture. Lola retira son peignoir, révélant son une-pièce orange, beaucoup plus pudique que celui de Grace, et posa le peignoir trempé sur la terre ferme, avant de se tourner vers la coupable, qui prenait son temps pour la rejoindre. "Mais oui, mais je t'en prie, fais-toi à la température de l'eau, surtout, je ne voudrais pas te brusquer." Lola fit mine de lever les yeux au ciel, puis attendit Grace pour qu'elles parcourent l'eau l'une à côté de l'autre, en regardant le paysage.

"Attends, t'as dit une éruption ? Volcanique ?" Lola avait décidément le beau rôle du perroquet de la pirate pendant ce voyage. Tout lui semblait invraisemblable, incroyable, entre conte de fée et film épique d'aventure. Elle s'avança vers un coin déserté du lagon, très lentement, pour donner le temps à Grace, pour qu'elles aillent au même rythme. "Tu sais, Grace, ça me fait du bien de ralentir. Je me doute que ça doit être l'enfer pour toi de sentir que les autres s'adaptent à toi. Mais je n'éprouve aucun ennui, aucune frustration. Je me donne le temps de ressentir. Je vis beaucoup plus intensément, en fait, quand je me colle à ton rythme." Pourquoi rougisseait-elle ? Pourquoi sentait-elle qu'elle perdait ses moyens de nouveau ? Se concentrer sur l'eau, sa fluidité, ses jeux de couleur, de reflets. Elles avaient atteint cette zone de solitude, où elles étaient deux dans un lieu unique au monde, et Lola se demanda si elle allait défaillir tellement son coeur battait et ses mains tremblaient. Elle les plongea dans l'eau (cacher les preuves), se rapprocha du bord (repérer les issues de secours), et se concentra sur sa respiration pour tenter désespérément d'y mettre une régularité, une structure. Lola, what's happening? Slow down. Slow down, sweetheart. Why are you overwhelmed? Grace. Okay. What do you want? Grace. Okay. Oh, okay. Oh, damn. Lola secoua la tête, prête à tout pour prolonger le déni. Non, ce n'est pas ça qu'elle voulait. Non, ce n'est pas ça ce qui l'affectait. C'était la température de l'eau, ou de l'air, ou les couleurs, ou la lumière, ou le voyage, ou les gâteaux, c'était n'importe quoi d'autre que ça. Right?

"Grace, can I try something? For the sake of... of... of science." Pardon ? Qu'est-ce que venait faire la science là-dedans ? Si, ça lui revenait. Charlotte disait toujours qu'il fallait tester les théories, mettre en pratique les hypothèses, pour vérifier leur validité. C'était la seule façon. C'était la seule méthode. Et donc, et donc, pour détacher le vrai du faux, pour parvenir à une conclusion, Lola aurait besoin de tout simplement essayer. Elle regarda fixement vers la montagne, ne pouvant retenir le sourire le plus nerveux de sa vie. "But, like, very importantly, we don't have to. Like there's no..." Elle ne finit pas sa phrase tellement son cerveau était parti loin en avant, tellement ses mains sous l'eau avaient envie de toucher le visage de Grace et ses lèvres de l'embrasser, juste une fois, dans le Lagon Bleu, pour vérifier une hypothèse. Lola, she can't read your mind, you have to actually say the words. I know it's hard, but I need you to do this, come on, come on. Come - on. "I... Could I... Would it be okay if I..." Et elle tourna son visage vers Grace et ses yeux se plongèrent dans ses yeux, puis descendirent vers ses lèvres, et elle ne put pas ajouter un seul mot tellement l'évidence planait irrémédiablement entre elles. Elle ne fit pas un geste, ne bougea pas d'un cil. Dans l'attente. L'espoir. Et le vertige intersidéral que provoquait ce chaos en elle.

@Grace Coughlin
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Message(#) Sujet: Re: [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) EmptyLun 2 Mar 2020 - 17:30


Elles marchent, bras entremêlés et envahies par cette sensation de plénitude qu’elles n’avaient jamais vraiment connu - pas Grace, du moins. Il y a tant de choses auxquelles elle pourrait attribuer ce sentiment : le paysage paisible, la force tranquille de la terre volcanique, millénaire, qui les accueille, la perspective d’aller au spa, le jetlag et la fatigue… Grace aimerait se leurrer, avoir l’audace de dire qu’elle aurait pu venir toute seule, ou avec n’importe qui d’autre ; qui sait, même, amener Alfie, parce que c’était un de leurs buts comme une de leurs plus grandes peurs depuis leurs problèmes respectifs. Peut-être Lena, pour se retrouver entre soeurs, ou repartir seule, se faire des connaissances sur place, comme elle avait toujours eu coutume de le faire. Ce serait un affreux mensonge, pourtant, parce qu’elle ne serait jamais partie d’Australie sans Lola. Elle ignore même si elle aurait eu l’idée sans que le nom de Lola y soit incorporé ; si au fond tout le voyage n’était pas juste une excuse pour partir loin de ce quotidien qui l’étouffait, avec la seule personne dans celui-ci qui lui apportait une bouffée d’air.

Not Australia, 'cause I've been to New Zealand, well my parents took us there, but it was mostly malls et restaurants, which was the most depressing thing I've ever been through, I think, it made travelling really horrible in my mind, like a series of things I didn't want to do, I guess? But it is my first time out of the continent. And my first time out in the world as a grown-up.

Elle laisse Lola lui raconter ses premières expériences de voyage, le dégoût que ça a pu entraîner chez elle. Grace, a contrario, ne se rappelle pas d’expérience de voyage particulière avec sa famille, étant gamine. Peut-être parce que c’était exposer Jeremy à trop de risques, à trop de nouveautés qui sortaient de son seuil de confort, mais la famille Coughlin n’avait jamais tenté des voyages à plus de trois heures de chez eux. C’était sûrement ça, qui avait donné cette pulsion d’échappatoire à Grace, ce besoin de s’évader - la sensation de toujours voir les mêmes choses, mais jamais les plus essentielles. “Well shit, now I feel pressured to make this the best trip of your life.” finit-elle par répondre, mi-fière d’être celle qui avait fait sortir Lola de sa tanière, mi-intimidée par la taille du devoir. Pour elle, un voyage devait être parfait, rempli sans rassasier, plein sans se forcer à se hâter pour faire le maximum. C’était un nombre de paramètres très précis qu’elle calculait toujours à vue de nez, sur le coup ; mais pour elle-même, jamais pour les autres. “And it's the biggest responsibility I've ever had to take on, like ever. Like it's my duty to make you like the whole concept. So…” Elle prend une longue bouffée de sa cigarette, pour éviter de se pincer les lèvres, avant de soupirer d’une traite, comme pour se débarrasser : “Would you please tell me if there’s something you don’t want to do? Or if you feel tired and need to rest? Or if you just don’t like the country and wanna stay home and watch dumb shows?” Parce qu’elle ne lui en voudrait pas, avait-elle envie d’ajouter, elle visiterait plus tard, un jour, si elle avait le temps, l’envie, l’argent. Elle resterait avec Lola sans broncher, sans se vexer, promis juré craché, parce que sans elle, elle ne serait même pas là. Mais quand Lola lui demande, elle lui répond honnêtement, d’une traite :

Like we’re in another dimension? Yeah, I feel the same.” Elle ignore si c’est du court-terme, que ça va revenir la mordre quand elle s’y attendra le moins, mais l’anxiété n’est toujours pas là. Lola, par contre, si, et ça compte pour beaucoup dans son attitude assurée. “I used to always feel like this, you know, during my trips. I was never scared that things would turn to shit, or that I’d get lost, or murdered, or whatever. Because it wouldn’t matter, I wasn’t even really there. I was just some random tourist that no one knew. Everything was inconsequential.

Elle était jeune, à l’époque, désireuse de tester ses limites, de savoir exactement jusqu’où elle pouvait aller sans se faire peur et se bloquer. Ca en avait entraîné, des conneries, plus ou moins graves. Avec Jessian, d’abord, puis seule ou avec des rencontres courtes, quand il y en avait. C’était l’époque où elle n’avait pas peur de mourir de déshydratation post-cure d’ayahuasca avec Yohan, alors qu’aujourd’hui elle avait peur ne serait-ce que de prendre un joint et que ça ait la bonne idée, par un miracle quelconque, de rebloquer un caillot sanguin dans son cerveau et qu’elle n’ait plus jamais l’occasion de rien faire. “Hey, for real, do you have a bucket list? Of things you absolutely want to do before you, you know, die.” Parce que Grace, elle en avait pas. Elle n'avait pas eu cette pulsion de survie, cet instinct animal qui lui avait dit d'en faire une, de se presser tant qu'il était encore temps, parce qu'avoir un premier AVC augmentait significativement les risques de rechute, c’est ce qu'on lui avait toujours dit. Mais non – Grace s'était terrée dans sa peur, muselée dans un confort non-choisi, évitant toute tentation pour éviter par extension tout risque éventuel. Mieux valait prévenir que mourir. Eût-elle été mise devant l'obligation de faire une bucket list, là, aujourd'hui, elle aurait sûrement trouvé beaucoup d'éléments à mettre, comme visiter l’Afghanistan, ou avoir un chien. Mais ce qu'elle voulait vraiment, ce qui lui apporterait plénitude, elle l'avait enfoui si loin qu’elle ne saurait même pas si c'était vraiment son désir ou une simple pulsion de remplir cette foutue liste imaginaire. Grace n'avait plus de plans de vie – si elle avait appris une chose, c’est que ça ne servait plus à rien – et, donc, pas d'évolution possible en-dehors de l'enfermement auquel elle se restreignait de force. l'Islande était un tout premier pas hors de sa coquille sombre et froide, sur le papier ; en soi, Lola avait déjà été un timide regard vers l'extérieur, et après tant de temps, après quelque chose d'aussi éblouissant, c'était déjà énorme. Peut-être trop pour elle.

Le Blue Lagoon les accueille comme les seules survivantes après l’apocalypse - dans un calme rare, un calme qu’elles ne connaîtront jamais à Brisbane, même enfermées dans un appartement, elle en est sûre - et la marche de la sortie jusqu’au lagon, rendue possible par un petit pont en bois étroit, elles la parcourent sans piper mot, jusqu’à ce que Grace s'enquiert, absolument nerveuse, de ce que Lola pense du paysage, de ses ressentis jusqu’à présent, fidèle à sa tâche de faire découvrir le monde à Lola sans vouloir lui faillir ou la décevoir une seule seconde. Le peignoir suffit à peine à les couvrir et à les empêcher de ressentir la température négative, pourtant Grace a toujours les joues rosies, le milieu de son dos aussi brûlant qu’il est gelé. Ça la frustre, cette impression que Lola a laissé une marque sur son dos rien qu’en le regardant, sans rien faire d’autre que le frôler ; ce pouvoir que chaque action ou mot qui vient d’elle peut avoir sur sa personne en général. Et même alors qu’elle la pousse dans l’eau, descendant elle-même avec toute la placidité dont elle pouvait faire preuve, elle remarque les gouttes d’eau claire qui tombent des cheveux maintenant mouillés de Lola, perlent sur son visage, et elle la trouve si jolie qu’elle en oublie presque d’enlever son peignoir, elle aussi, et elle se dit que tout ça est d’une injustice flagrante.

"Attends, t'as dit une éruption ? Volcanique ?"

Mais Lola la recentre, encore une fois, et elle l’en remercierait presque, parce que ses pensées envahissantes l’empêchaient de coordonner ses membres pour nager sans trop couler. La mobilité, c’est plus pratique sous l’eau ; mais c’est surtout toujours aussi lent et compliqué pour elle, et elle est bien consciente que Lola se calque à elle, qu’elle la battrait certainement aux 100m en cinq minutes versus une demi-journée, mais cette fois-ci, elle ne s’en sent pas alourdie. Elles profitent, simplement. De la neige qui se partage le paysage avec la mousse, les rares arbres et la noirceur des pierres, le tout masqué par un voile fin de vapeur d’eau chaude. On ne leur a pas menti : ça sent un peu le soufre, l’oeuf pourri, ça ne redore pas franchement l’image magnifique qui s’offre à elles, mais Grace arrive à en faire suffisamment abstraction, malgré la proximité de son nez avec l’eau. “Ouais, il y a un peu plus de trente volcans en activité, ici, je crois”, qu’elle répond entre deux brassées qui lui prennent toute sa concentration. “Ou peut-être pas une éruption volcanique, peut-être que je dis des conneries, et que c’est juste des geysers. Mais c’est cool, non ?Non ? Elle espère que si.

Puis elles atteignent un coin un peu en retrait, enveloppé par les roches, protégé des derniers touristes qui sortent du bain et Grace se surprend à penser que tout pourrait arriver. Que, comme avant, rien n’avait de conséquences, du moins pas encore, pas tout de suite, on verrait plus tard. “Plus intensément ?” demande-t-elle distraitement, d’une voix qu’elle trouve un peu trop aiguë. D’un coup, le coin rejoint lui semble exigu, trop petit pour elles deux et pour l’évidence qui leur sert d’éléphant dans la pièce. "Grace, can I try something? For the sake of... of... of science." L’intéressée sent sa gorge se serrer, son coeur s’immobiliser, d’un coup ; et Lola aurait pu ne rien dire d’autre qu’elle aurait compris. Elle aurait dû le comprendre bien avant, une de toutes ces autres fois, au cours des dernières semaines, où leurs regards s’étaient accrochés et où elles n’avaient plus su quoi faire d’elles-mêmes, de leur gêne soudaine, des mots qu’elles posaient sur leur relation mais qui ne suffisaient plus à y donner sens. Lola continue de parler, mais Grace n’entend plus rien, derrière l’écho de l’eau remuée entre les rochers et de son propre coeur qui bat trop fort. Il lui semble que Lola lui demande la permission mais, déjà, sa main est sur sa joue, en chasse quelques gouttes d’eau, et ses yeux contemplent trop intensément ses lèvres pour y déchiffrer les mots qui en sortent. Oh thank God, I've been wanting to kiss you so badly. C’est tout ce qui lui vient en tête alors qu’elles échangent un dernier regard, isolées dans leur cachette du Lagon Bleu, et déjà ses lèvres trouvent les siennes, douces, hésitantes, un peu trop pressées.

Grace s’exhorte de se tempérer, de prendre son mal en patience, de profiter, parce que c’est la première fois, et peut-être aussi la dernière. La science ne prend pas toujours le temps de refaire toutes ses expériences. Alors elle s’oblige à rester douce, s’astreint à garder une distance raisonnable entre leurs corps. Elle profite de la joue de Lola dans sa main, de sa douceur ; de la chaleur à la naissance de son cou. Et, déjà leurs lèvres se séparent, et Grace veut bien se laisser engloutir par le monstre du lagon, s’il existe. Puis elles se retrouvent, un peu plus hâtives, un peu moins délicates, le coeur de la jeune femme bat à tout rompre et cette fois-ci, elle n’interdit pas à sa main droite d’essayer de prendre Lola par la taille, juste pour la sentir plus près d’elle, rien qu’un court instant. Elles se séparent enfin après ce qui lui semble avoir été tout autant une demi-seconde qu’une éternité. Grace ne bouge pas, laisse son front se poser contre celui de Lola, l’espace de quelques courtes secondes. D’un coup, l’eau est bien trop chaude pour être supportable par son corps, et elle a besoin de s’éloigner, fait un demi-pas en arrière pour se rendre compte que ses pieds sont dans le vide. Aucune main disponible pour la rattraper dans sa chute, et Grace finit tête sous l’eau, remontant à la surface tout aussi rapidement qu’elle l’avait quittée. “Sorry. I just...forgot I only had one hand for a minute.” Dieu devait sûrement enregistrer à ce moment même le nouveau rire le plus nerveux du monde pour son prochain Guinness. “Just lil’ cripple things”, qu’elle ajoute, comme si ça allait changer quoi que ce soit. Putain, Grace. Gênée par cette nouvelle proximité, désorientée par cette nouvelle barrière brisée, la photographe se laisse dériver, faisant la planche. La Grace toujours assurée, toujours un peu charmeuse, a perdu toute sa superbe et son audace, et se laisse maintenant mourir sur le dos, tout mot ou réaction sensée bloqués dans sa gorge.

So did the scientific community reach a verdict, your honour?

Elle tente l’humour, faute de mieux, parce qu’un wow ne lui paraît pas très approprié. Because I’d love to do this again sometime. Maybe right now. Maybe tonight. Maybe everyday, but you know, just a thought. Elle a besoin de s’astreindre à ne pas toucher ses lèvres, à ne pas retourner vers Lola, à ne pas repenser à son corps près du sien, parce qu’elle n’est pas sûre que son coeur ne finisse pas par lâcher, à ce rythme, et il est si peu entraîné que c’est déjà dangereux. Surtout avec cette chaleur, ohlàlà, invivable. Elle serait bien sortie de l’eau pour se rafraîchir les idées et s’enterrer dans la neige, potentiellement jusqu’au soir. A moins que Lola lui propose de revenir, de s’embrasser à nouveau, de ne faire que ça toute la journée, parce qu’elle ne se lasserait certainement pas. Tant pis pour les éruptions, les visites de grottes, les aurores boréales, on verrait tout ça plus tard, quand le réchauffement climatique finirait d’anéantir l’Australie et qu’on aurait le même environnement qu’ici.

“Est-ce que ça t’arrive, de perdre patience ?” Elle n’en a pas fini, elle a envie de remonter à quelques minutes dans le temps, retomber sur le sujet précédent. “Je veux dire : avec moi. Comme quand j’ai mis deux mois à lire le premier Harry Potter au lieu d’un, ou quand je suis en retard parce que j’ai réussi à enfiler mes fringues assez vite.” En fait, elle a surtout envie de lui faire dire pourquoi elle préfère se caler à son rythme, ce qui rend les choses plus intenses pour elle, parce que Grace, de son côté, a l’impression de vivre au ralenti, d’être en permanence frustrée par la différence entre l’avant et l’après-AVC, par la lenteur qu’elle met à se concentrer sur des tâches qui lui prenaient auparavant si peu de temps et d’attention. “J’ai toujours peur de te ralentir, de te faire perdre du temps que tu passerais bien plus efficacement ailleurs. Comment tu fais ?

@Lola Wright
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Message(#) Sujet: Re: [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) EmptyLun 2 Mar 2020 - 21:45


"You should feel pressured. This is a huge deal. Like FBI agents would be scared to take on this particular task." Lola avait dormi quinze heures par nuit avant de partir en Islande, pour être sûre d'avoir assez d'énergie. Elle puisa dans ces réserves-là pour maintenir un visage sérieux et menaçant tandis qu'elle proférait ces absurdités à Grace. "Cause it's so hard to make me, the wide-eyed penguin, like anything. Much less travelling to one of the most beautiful countries in the world. It's like: how will you succeed?" Zut. La technique du chameau sérieux n'avait pas duré longtemps. Lola arborait déjà un sourire de treize kilomètres de long et deux autoroutes de large. Elle trouvait ça fascinant que Grace pense devoir faire un effort pour lui faire apprécier ce qui était déjà une des plus belles expériences de sa vie. Elle avait encore en tête l'odeur de l'avion, le poids de la tête de Grace sur son épaule, le vin blanc australien gratuit qu'elle avait commandé avec son plateau repas, la photo qu'elle avait pris dans sa tête de leurs lits simples, le pot de fleur, les façades de la ville, les couleurs de l'autobus, le sandwich dans la main du chauffeur. L'album photo imaginaire grandissait à une telle vitesse que Lola en aurait perdu la faculté de respirer si elle y avait seulement pensé. Mais non. Elle maintenait le cap. Le Lagon Bleu.

"I don't want to be here. I don't want to be with you. I don't want to stand up. I don't want to breathe oxygen. I don't want to hold your arm. I don't want to wake up in Iceland next to you tomorrow." Lola souriait, cette fois, comme malgré elle, d'avoir trouvé une façon de dire à quel point elle avait envie d'être là, à quel point elle appréciait tout ce qui l'entourait en cet instant précis. "I will let you know if I keep on being unsatisfied. So that you know exactly where not to take me again, because I won't have liked it at all." Vous trouvez aussi que ça devenait cryptique ? Elle essayait simplement de dire qu'elle ferait remarquer à Grace quand il y aurait une activité qu'elle voudrait faire deux fois. Bien sûr, étant donné sa facilité à la vulnérabilité et l'intimité, ça devenait de la quadruple négation au carré. Bon, on ne se refait pas juste en trente heures de voyage vers l'Islande.

"You were never some random tourist, I'm sure." Lola s'imaginait les gens que Grace avait rencontrés, même l'espace d'une heure ou deux, et le bonheur qu'ils avaient dû ressentir à parler avec elle. Elle eut une bouffée de frustration de ne pas avoir pu être là, à chaque pas, de ne pas avoir parcouru le monde entier avec son interlocutrice, de l'avoir rencontrée si tard, en fait. Elle savait qu'elle aurait dû être juste reconnaissante, et que peut-être elle n'aurait pas été prête à sauter dans un avion pour quelqu'un avant, mais elle ne pouvait s'empêcher d'en vouloir un peu au temps perdu, au temps passé. "And don't you dare get murdered on our trip. Otherwise, I'll kill you again. Like Romeo and Juliet except that Juliet gets killed twice. Which is nothing like Romeo and Juliet. So. Don't." Lola eut un frisson rien qu'à la pensée d'une Grace blessée ou désorientée, et elle se tourna vers les arbres qui bordaient le chemin, le dessin des branches sur le ciel, la douceur de ce paysage, son exotisme aussi. "I do not have a bucket list, actually. Not yet, anyway. I've been planning to write it for some time." Depuis ses quinze ans, en fait. Depuis sa rencontre avec Jordan. Il avait la tête pleine de rêves, et elle avait la tête pleine d'ordres à suivre, de chemins qu'on lui demandait de prendre. Et elle voulait avoir ses propres objectifs, des phares qui la guideraient elle, une étoile, une raison d'être. Bien sûr, ça ne se définit pas en une liste, mais elle aurait adoré avoir cette liste, pour les moments d'obscurité, les instants de doute. "Should we both write one tomorrow? And share it. Or not share it. Whatever you feel like. I'm sure mine would be dumb." L'insécurité qui revenait au galop. Mais l'envie de découvrir celle de Grace dépassait largement la peur de montrer la sienne.

L'arrivée au Lagon Bleu, les vestiaires, le pont, le contact brutal et comique avec l'eau chaude, le peignoir dégoulinant, Grace qui la rejoignait dans l'eau, Grace qui nageait près d'elle, Grace qui parlait de volcans. "Très, très cool. Je n'ai jamais vu de volcan en activité. Ni de geyser. Ni de source d'eau chaude. Je n'ai pas vu grand-chose parmi ce qu'on va voir pendant le voyage." Il valait mieux résumer l'état des lieux comme ça plutôt que de continuer indéfiniment la liste de tout ce qu'elle n'avait pas vu dans le monde. Ce serait pour la bucket list, ça.

D'ailleurs, dans la bucket list, ce serait pas mal de rajouter embrasser Grace. Lola fit un arrêt sur pensée. Qu'est-ce qu'elle venait de dire, là, dans sa tête ? Que ce serait bien d'ajouter : embrasser Grace. Lola eut un moment d'absence. Il n'y avait personne près d'elles. Elles étaient dans l'un des lieux les plus beaux du monde. Il faisait chaud et froid en même temps. Rien n'avait de sens. Elles iraient voir un volcan le lendemain matin. Elles étaient en Islande. Et Lola se laissa convaincre, par elle-même, soit, qu'il fallait essayer. Elle le proposa à haute voix sous forme d'hypothèse scientifique, on en était donc là, la science, parce que tout valait mieux plutôt que de dire que Grace lui avait plu dès le jour où elle avait pris un verre ensemble pour la première fois, avant même qu'elles n'aient de conversation sérieuse, alors qu'elles sortaient tout juste de l'hôpital, lorsque le soleil était arrivé sur Grace et que Lola s'était fait la réflexion, elle s'en souvenait maintenant, qu'elle ressemblait un peu à un ange, et ça ne voulait probablement rien dire, mais là tout de suite, Lola ne voyait que ça, que l'évidence de Grace si proche d'elle, et cette envie qui la saisissait toute entière, qui la prenait en otage, cette envie de l'embrasser, juste pour voir, juste pour savoir.

Prise d'un courage miraculeux, Lola demanda la permission de Grace, et leurs yeux se rencontrèrent, et la main de Grace vint se loger sur sa joue, et Lola n'eut même pas le temps de compter jusqu'à quatre-vingt-dix-neuf que déjà leurs lèvres se rapprochaient, les visages entraient en contact, et c'était un atterrissage lunaire, le lancement d'un feu d'artifices, un petit pas pour l'humanité, les bulles dans une bouteille de Coca-Cola, le miel au fond de la tasse de thé, un pull doux si doux dont on retrousse les manches, le bruit de la pluie qui continue continue puis s'arrête et une éclaircie, et une évidence, et Lola reprenait son souffle tout doucement, après le premier baiser, où elle avait cessé d'exister comme être humain, où aucune pensée cohérente ne l'avait habitée, seulement des images, comme un voyage en accéléré. Lola ne laissa pas ses neurones revenir, pas tout de suite : elle passa sa main sur la nuque de Grace, se pencha vers elle de nouveau, et l'embrassa avec moins de retenue, avec toutes les heures qu'elle avait attendu, sans le savoir, pour faire ce geste, pour toucher son corps. Elle sentit la main de Grace autour de sa taille, elle sentit leurs corps se rapprocher, et il y eut une telle vague de sensations en elle qu'elle en oublia de respirer de nouveau. Lorsque Grace s'éloigna d'un pas, tout le corps de Lola eut envie de lui crier d'attendre, de ne pas bouger, de ne pas partir, parce qu'il y avait encore tellement de façons d'embrasser que Lola voulait essayer avec elle, parce qu'elle voulait déposer un baiser sur ses yeux, son nez, ses tempes, parce qu'elle voulait retrouver ses lèvres, qui lui manquaient déjà jusque dans son plexus solaire.

Lola regarda, ahurie, Grace sortir sa tête de l'eau, mais il y avait eu une erreur système, car elle ne se souvenait pas de Grace tombant dans l'eau, et elle écoutait son rire, et souriait béatement - et honnêtement, si un journaliste ou un photographe était arrivé à ce moment-là, rien qu'à l'expression record de la stupidité sur le visage de Lola, il aurait pu deviner ce qui venait de se passer. Grace faisait la planche. Lola posa ses coudes sur la rive, renversant sa tête en arrière, regardant fixement le ciel, et exigeant de son coeur qu'il ralentisse les battements, parce que ça tenait de la syncope, là. "A verdict ?" demanda-t-elle, ne comprenant sincèrement pas ce que Grace voulait dire. Son cerveau était en grève générale. "A verdict !" répéta-t-elle avec un rire gêné. "Wow, a verdict." Trois fois, et pas une seule réponse, pas un complément d'information... Elle se surpassait. "Yes, a verdict." Quatre fois. Où allait le monde ? "You know what, no, there hasn't been a verdict yet, because the scientific community just died. Oh god, not in a bad way. In a- in a- in a stunned way. Like- like- like- like- like-" Non, Houston, on vous a perdus, là. "I'll tell them to get back to you." Mais la métaphore ne marchait plus, puisqu'ils étaient morts selon elle. "As ghosts." Qui viendraient hanter Grace ? Lola éclata de rire tellement son discours était sans queue ni tête. "I have no idea what I'm saying, I'm so sorry. I need to process the- the-" Lola, tu es le pire être humain sur la planète et tu mérites de rejoindre tes copains scientifiques dans l'au-delà. On te demande de formuler une phrase qui dise que ça t'a plu, parce que tu sais que ça t'a plu, parce que ton corps te le dit, que ton coeur te le dit, et que tes neurones ne sont pas fichues d'articuler des mots.

Heureusement, Grace lui donnait l'opportunité de se rattraper sur un autre sujet, de lui dire honnêtement à quel point elle adorait passer avec elle chaque seconde des heures qu'elle se voyaient. Ce serait un début. "Je ne perds jamais patience avec toi. Je n'ai pas le temps. Tu me surprends sans arrêt. Tu es très... exigeante. Avec toi, mais aussi avec moi. Quand on est ensemble, je vis cinq cent fois plus d'émotions que quand je parle avec d'autres humains. Tu comprends ce que je veux dire ?" Peut-être que ce n'était pas clair. Peut-être que ce n'était même pas la question. Lola aurait tellement aimé soulager Grace de ses peurs et frustrations liées à sa lenteur. "J'ai toujours tout fait trop vite. Parlé trop vite. Emménagé trop vite. Marché trop vite. Les seuls moments où j'arrive à me retrouver, c'est à travers l'art. Et quand je suis avec toi." Lola, tu te perds, recule, recule, tu vas trop loin, sables mouvants, on s'arrête là, merci beaucoup, en arrière toute. "Tu penses que ta lenteur est un défaut parce qu'elle est différente du rythme social actuel. Mais le problème c'est justement la vitesse. Les gens mangent n'importe quoi parce qu'ils ne prennent pas le temps de savourer les ingrédients, ils ne savent plus ce qu'est la saveur, la texture, ils mangent pour passer à la prochaine activité, pour que ça aille vite, pour avoir de l'énergie. Les gens regardent trente-six textos en même temps, parce qu'ils ne prennent le temps de se poser sur aucune des relations qu'ils ont, ils les accumulent, ils prennent des verres, ils courent à travers tout, ils vivent sans se poser de questions et puis ils déblatèrent tout dans une séance de catching-up, mais en fait ils ne se sont pas posés les bonnes questions depuis tellement longtemps." Malgré elle, Lola était en train de lui révéler le pourquoi et le comment de sa solitude. "Je n'aime pas beaucoup les gens en général. Jordan est une exception. Les McGrath-Williams sont une exception. Tu es une exception. Ta lenteur ne fait pas de toi quelqu'un de frustrant qu'il faut attendre. Elle te permet de te reconnecter à ce qui est vrai, et ce qui est vrai prend du temps. Mais ça en vaut tellement la peine."

Lola sourit en se rendant compte que ce qui valait la peine, c'était d'avoir attendu des mois pour embrasser Grace, c'était d'avoir fait les choses lentement, c'était d'avoir senti que ce n'était plus possible de se retenir, qu'il fallait avancer, embrayer, passer à la deuxième, car sinon elle en mourrait. Elle se rendit compte que ça en avait valu la peine parce qu'elle savait désormais en toute certitude qu'elle faisait pleinement confiance à Grace et qu'elles éprouvaient l'une envers l'autre une bienveillance qui était rare dans ce monde de brutes. "Tu te souviens quand je t'ai dit que l'intimité c'était difficile pour moi ? T'embrasser c'est réveiller un milliard de sensations, émotions, réflexions, toutes en même temps. J'ai très, très, très envie de recommencer, mais il va falloir que tu me donnes juste le temps de me remettre." Elle fit une pause, atterrée par sa propre arrogance, "Mais attends, peut-être que toi t'as pas du tout envie de recommencer".

Lola se tourna vers l'autre côté du lagon, et plaisanta : "La dernière arrivée à l'autre rive". Puisqu'elles en parlaient de la lenteur, elles allaient tourner cela aussi en dérision, en humour, pour la normaliser, la conscientiser, l'accepter. Et Lola se mit à nager au ralenti, en faisant des gestes amples et larges, d'abord pour rire, puis y prenant goût, comme à chaque fois. Elle s'allongea sur le dos sur l'eau et bougea à peine ses jambes pour avancer. Elle fut prise d'un déjà-vu aussi soudain que furtif. "Grace, j'ai un déjà-vu, j'ai un déjà-vu ! T'en as, parfois ? T'aimes bien ?" Lola, elle, adorait ça, et ça se voyait à son sourire d'enfant ravie.


*


Lola avait mis deux heures et quarante minutes à s'endormir. Elle n'avait toujours pas embrassé Grace de nouveau. Pas pendant le dîner. Pas après s'être mise en pyjama. Pas avant d'éteindre la lumière. Pas après avoir éteint la lumière. Et puis Grace s'était endormie, et Lola avait regardé le plafond. Au bout de deux heures et trente-huit minutes, elle avait glissé sa main dans la main de Grace, juste la tenir, c'était tout ce qu'elle voulait, juste sentir sa peau sur la sienne. Et deux minutes après, elle dormait. Lorsqu'elle se réveilla, secouée par une Grace beaucoup trop matinale et énergique, Lola eut un moment de doute sur sa propre identité, celle de la folle furieuse qui lui servait d'alarme, le lieu où elle était, le jour et l'heure. Ses yeux se refermèrent immédiatement, mais Grace ne lâchait rien, et Lola eut un petit gémissement de plainte, avant de se rendre compte que Grace était habillée - qu'elle avait attendu la dernière minute pour la réveiller. Et Lola sentit son coeur se remettre à battre si vite qu'elle ne put se rendormir. Stupid feelings. "Okay, okay, I'm up." Lola s'étira et sortit du lit. Direction la salle de bain pour une douche où elle ferait le bilan. L'eau chaude lui rappela qu'elles allaient voir une éruption volcanique, et cela fit une telle décharge électrique dans son corps qu'en dix minutes, elle fut habillée, nourrie, brossée, les dents et les cheveux propres, sur le pas de la porte. Et elles repartaient déjà dans les rues islandaises, et Lola se tournait déjà vers Grace : "On arrive dans combien de temps ? On y va comment ? T'as déjà vu une éruption volcanique ? Tu veux que je tienne ton appareil ? Est-ce que la lave peut arriver sur nous ? C'est dangereux ? Tu vas prendre beaucoup de photos ? Est-ce que je pourrai en prendre une ?"

@Grace Coughlin
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Message(#) Sujet: Re: [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) EmptyMar 3 Mar 2020 - 0:45


Mais en quel monstre baveux Grace s’est-elle transformée, pour être ainsi soucieuse des ressentis et expériences de Lola au point d’être prête à volontairement balancer les siennes en l’air ? C’avait toujours été elle, la forte tête, la décideuse des groupes, que ça plaise à tous ou à aucun ; elle n’avait pas beaucoup de considération pour les refus ou les protestations. On lui avait souvent reproché, parce que sous les meilleures intentions se cachaient un ego bien épaissi par le temps qui considérait que ses idées seraient les plus inventives possibles. Elle aurait dû faire créatrice de voyages sur mesure, certainement, au moins aurait-elle eu sa marge de manoeuvre tant aimée ; ses stagiaires eux-mêmes lui reprochaient toujours de trop se fier à son propre angle et de les museler, ce qu’elle voyait juste comme des conseils avisés pour leur offrir le meilleur rendu possible. Elle avait encore du mal avec la possibilité d’avoir tort, certes - n’empêche que présentement, elle était tout à fait disposée à accepter l’idée, et même à déposer les armes si Lola estimait cela nécessaire. Et qu’importe toutes ses réassurances et combien elles lui réchauffaient le coeur, ça ne l’empêcherait pas de toujours chercher son approbation. Elle en était parfaitement consciente et ça ne la dérangeait même pas autant qu’elle l’aurait pensé.

"Should we both write one tomorrow? And share it. Or not share it. Whatever you feel like. I'm sure mine would be dumb."

Les mots de Lola restent imprimés dans son esprit, s’y infusent lentement alors qu’elles font le chemin, se changent, entrent dans l’eau, et le tout se déroule comme un rêve, mais le premier d’une longue liste, parce qu’elles vont écrire une bucket list chacune et la partager et que Grace n’a qu’une envie, et c’est voir si elles auront d’autres choses en commun à partager. D’autres aventures à vivre ensemble, au bout du monde ou en Australie, du complètement incongru aux choses les plus simples de la vie. Il y a quelque chose de réconfortant dans l’idée qu’elles ont encore autant à découvrir, l’une avec l’autre, et l’idée la laisse pensive.

Elle n’aurait pas tout de suite pensé qu’une de ces choses puisse être s’embrasser - et pourtant elles sont rendues là, seules dans le Lagon Bleu, leurs yeux qui ne se lâchent plus et l’appréhension au coeur, et enfin leurs lèvres qui se rencontrent, qui apprennent à se découvrir pour la première fois, et toutes les barrières qui s’achèvent de tomber autour d’elle pour la laisser complètement sans défense, vulnérable au possible, et toute tentative de sa part de se reprendre est rendue vaine. La main de Lola qui agrippe sa nuque avec une assurance nouvelle, qui la ramène près d’elle, puis la sienne qui rapproche leurs corps ; et soudain plus rien n’a de sens, mais rien n’en a jamais eu et elle se dit qu’elle peut se faire à ça, à ce manque d’ordre total, ce chaos confus, à la proximité de leurs corps qui n’a jamais eu lieu d’être mais qu’elle se retrouve à chercher comme si tout en dépendant, à leurs fronts collés avec cette affection débordante, pas tout à fait, mais presque rattrapée par le capharnaüm de ses émotions. Elle glisse de son rocher, et ça pourrait très bien être une métaphore pour tout, si ça n’avait pas été aussi ridicule et mal placé et que ça ne foutait pas en l’air tout le sex appeal qu’elle espérait avoir gagné. De honte, Grace se laisse flotter à la surface, oreilles dans l’eau, son brouillé, s’entend poser la question, mais de loin ; comme si cette petite voix n’allait jamais traverser la surface : est-ce que Lola avait regretté ? Est-ce qu’elle avait ressenti la même chose qu’elle, est-ce que les planètes avaient changé d’axe pendant les dix secondes où elles s’étaient embrassées, ou est-ce qu’elle frisait simplement l’anévrisme ?

"You know what, no, there hasn't been a verdict yet, because the scientific community just died. Oh god, not in a bad way. In a- in a- in a stunned way. Like- like- like- like- like-"

Enfin, la voix lui parvient depuis l’autre monde à l’extérieur de l’eau et Grace retient un sourire, pour elle-même, toujours sans bouger. “It’s okay”, qu’elle finit par répondre alors que Lola lutte avec ses mots, tente avec détresse de se faire comprendre, de ne pas la froisser. “It was quite a moment, I’m sure they need some experts to review the case before they come to a decision.” Mais Grace ferme les yeux, parce que même si le soleil ne semble jamais trop taper dans ce pays qui sent un peu l’oeuf pourri, elle a peur de les ouvrir et d’intercepter quelque chose qu’elle ne devrait pas voir - un regard de regret, de dégoût peut-être, de peur d’avoir foutu quelque chose en l’air ; quelque chose qui voudrait dire j’ai besoin qu’on discute, parce qu’elle n’a aucune envie, ni force, ni cellule grise en forme pour une discussion. Alors, comme toujours, elle change de sujet. "Je ne perds jamais patience avec toi. Je n'ai pas le temps. Tu me surprends sans arrêt. Tu es très... exigeante. Avec toi, mais aussi avec moi. Quand on est ensemble, je vis cinq cent fois plus d'émotions que quand je parle avec d'autres humains. Tu comprends ce que je veux dire ?" Et comme souvent, Grace ne comprend pas trop, et elle a peur que sa lenteur excède Lola, et le serpent se mord la queue, la boucle est bouclée : retour à l’angoisse.

"J'ai toujours tout fait trop vite. Parlé trop vite. Emménagé trop vite. Marché trop vite. Les seuls moments où j'arrive à me retrouver, c'est à travers l'art. Et quand je suis avec toi."

Derrière ses paupières, Grace se rappelle du souvenir que Lola lui avait raconté, celui où elle était seule avec son tout premier kit de peinture et où le monde s’était arrêté ; elle pense aux couleurs que ça lui avait inspiré, à la sérénité qu’avait dû ressentir Lola, découvrant pour la première fois la place que l’univers voulait lui donner et elle se sent flattée d’être comparée même un peu à cette histoire, à ce souvenir, même si c’est au travers de ce qu’elle estime être son plus gros défaut. Pourtant Lola poursuit, parce que peut-être qu’elle estime que cette comparaison, qui valait pour elle tous les compliments du monde, n’est pas assez juste, alors Grace redresse la tête, rejoint son monde, l’écoute pleinement, et pour la première fois depuis leur baiser, leurs regards se recroisent, brièvement. Et Grace la laisse lui raconter ses peurs, et elle se retrouve malgré elle dans ce que lui dit la jeune femme. Se seraient-elles entendues, si elles s’étaient rencontrées deux, trois ans plus tôt ? Elle arrive à peine à se rappeler de la première fois où elles se sont croisées, parce que la photographe regardait trop son grand-frère quitter le nid, était trop occupée par les histoires de déménagement, par sa relation qui battait de l’aile, par toutes ces histoires du quotidien qu’elle avait encore envie de gérer d’une seule main sans en être capable. C’avait peut-être été la pire époque de sa vie : essayer de maintenir le même rythme effréné, sans y arriver, en se sentant jour après jour un peu plus incapable, humiliée de ne pouvoir enfiler un t-shirt sans avoir besoin d’aide tout en devant continuer de gravir des montagnes qui aujourd’hui n’existaient plus : tout ça pour ça.

"Tu te souviens quand je t'ai dit que l'intimité c'était difficile pour moi ? T'embrasser c'est réveiller un milliard de sensations, émotions, réflexions, toutes en même temps. J'ai très, très, très envie de recommencer, mais il va falloir que tu me donnes juste le temps de me remettre."

Et aujourd’hui, ses taupinières n’existaient plus, parce qu’elle n’avait pas d’autre choix que de vivre à son propre rythme - qu’elle se batte pour prouver l’inverse au travail ou dans ses relations n’y changerait plus rien, le départ d’Alexandria en avait été la preuve et l’arrivée de Julia et Magnus comme ses remplaçants officieux avait scellé l’affaire. La patience de Lola, sa tolérance envers sa lenteur induite, malgré des progrès lents mais constants, contrastait radicalement avec la pitié de ses proches, le la pauvre, on la reconnaît plus qui en découlait inévitablement, l’agacement qui suivait parfois, et c’était son îlot de réconfort dans un océan de responsabilités qui l’auraient sinon engloutie. Et qu’encore une fois, que Lola la réconforte, lui assure que ça valait la peine d’attendre - le voyage, le baiser, tous ces partages, ça valait toutes les réassurances du monde. “J’ai très, très envie de recommencer aussi”, lui renvoie-t-elle, essayant vainement de vaincre son embarras. “Prends tout le temps dont tu auras besoin. Laisse le temps aux scientifiques de faire leur travail.

Elles repartent explorer le Lagon, avec la lenteur d’une troupe de paresseux, et Grace découvre qu’elle commence à se faire à l’odeur d’oeuf pourri au point qu’elle ne la remarque même plus. Elle remarque aussi, une fois tous ces traumatismes nouveaux à absorber, qu’elle commence à avoir faim. “T’as pris combien de Tim Tams dans le sac ?” Parce qu’elle est à peu près sûre qu’il en reste deux ou trois. Puis, sur cette phrase très éloquente, Lola lui lance qu’elle a eu un déjà vu, et elles laissent leurs secrets dans le coin reclus du Lagon, derrière leur épaule. “Ca m’arrive souvent. Paraît que c’est parce qu’il y a des bugs dans la simulation. Un peu comme dans les Sims. Je crois que c’est Elon Musk qui avait sorti ça.” Et juste comme ça, d’une théorie foireuse sur les Sims qu’elles sont peut-être, elles écartent une fois pour toutes le sujet du baiser : Grace attendrait. Elles n’avaient rien d’autre que tout le temps du monde.

***

Grace se réveille en position foetale, tournée face à Lola et Lola tournée face à elle, chacune au milieu de son lit mais la main de l’une dans celle de l’autre. La sonnerie de son alarme l’empêche de profiter de l’instant, de caresser la main de la jeune femme de son pouce autant qu’elle l’aurait voulu, et elle se défait avec difficultés des draps chauds pour se préparer. “Hey, ready to wake up?” qu’elle souffle à Lola, doucement, dans un soupir qui contraste avec le son tonitruant du réveil, et elle s’autorise à peine à écarter quelques mèches de cheveux du visage de la jeune femme - chaque chose en son temps, garder ses mains pour elle, ne rien brusquer. Ses tentatives se succèdent et échouent, et Grace se résout à la laisser dormir. Tant pis pour le potentiel retard, elles ont dit qu’elles avaient le temps. Alors elle se lave, se prépare, empaquette soigneusement son appareil photo et son aide, empoche quelques Tim Tams et, avec un oeil prudent à sa montre, elle retourne réveiller Lola, toujours aussi peu disposée à l’entendre. “Hey. Wake up, sleepyhead.” Vague grognement. “You can sleep on the bus, promise. But I need you to wake up.” Cinq heures trente vont taper et c’est injuste, pour leurs vacances, mais c’est pour le bien de tous ; et rapidement, Lola se réveille, file à la salle de bains, finit un des rouleaux à la cannelle qu’elles avaient acheté la veille avant de rentrer et elles sont aussitôt parties, le ciel encore sombre, entourées de rien d’autre que les arbres, la mer, et Google Maps pour les guider.

D’un coup, Lola semble se rappeler de leur programme et revient à elle-même dans un sursaut d’enthousiasme. “Attends. Question par question.” L’aînée la freine d’un rire franc - elle n’aurait jamais imaginé Lola comme étant du matin, encore moins avec cette dose d’énergie : même elle, ne la possédait pas. “On y va en bus. Ca prend une bonne heure, c’est pour ça que je t’ai dit que tu pourrais te rendormir.” Ses mots sortent en petites volutes de vapeur qui se diluent dans l’air matinal, rompt le silence alentour. “Petite déception : j’ai pas trouvé de volcans actifs à moins de six heures de route, donc on va devoir se contenter d’un geyser. Mais un geyser qui monte jusqu’à quarante mètres et qui est entouré de pleins de fumerolles, ça devrait être pas mal non plus.” Elle avait testé sa chance avec le Grand Geyser, qui montait jusqu’à cent soixante-dix mètres, mais il n’avait pas l’air d’être en éruption depuis quelques années - Strokkur et Litli Geysir n’avaient jamais cessé de bosser, en revanche, et les environs étaient tout aussi appétissants. “Du coup, non, c’est pas dangereux, ça pue juste un peu, comme le lagon hier. Et oui, tu pourras prendre des photos. T’as pris tes carnets ?” Elle n’a aucune foutre idée de si ça inspirera Lola, tout ça, l’ambiance gaz qui puent et sortent de la terre toutes les dix minutes au lever du jour, et au fond elle n’a aucune idée de si elle y trouvera son compte non plus.

Habitude matinale, elle sort une clope du paquet qu’elle a pris soin de stocker, cette fois, dans sa poche, alors qu’elles attendent le bus à l’arrêt qu’elle a trouvé la veille. Le chauffeur n’a pas encore ouvert les portes, et les passagers ne sont que très peu - le temps qu’elles montent, elles ont de quoi s’isoler vers l’arrière, à l’abri du reste du monde, du lever du jour qui est encore loin. Selon ses calculs, elles auront plus d’une heure sur place avant que le jour ne se lève ; deux heures avant qu’il ne cache complètement les lueurs matinales. “Did you sleep okay?” Grace se cale dos contre la fenêtre, lui adresse un sourire mutin pour lui laisser entendre qu’elle a senti sa main dans la sienne. “Sorry for waking you up so early. I hope you’ll at least enjoy the view.” Elle l’espère vraiment, parce que les cernes sous les yeux de l’artiste laissent entendre qu’elle n’a pas tant dormi que ça. “We can go back whenever you want. We’ll get some proper rest before we actually go take a tour of the town. Also, we need to go buy some groceries. We can’t survive on cinnamon rolls and one toilet paper roll forever.” Elles s’en débrouilleraient sûrement, mais elle n’avait pas plus envie de tester que ça. Le bus finit ses derniers arrêts en ville et sort de celle-ci, rejoint des routes plus étroites, encore invisibles dans la nuit.

How many sketchpads did you bring?

Elle se rappelle vaguement le volume impressionnant dans la valise de Lola, qui contenait à peine assez de pulls mais suffisamment de carnets pour dessiner le pays entier, maison par maison. “You also need to stop hoarding my sweaters. We’ll go buy you something later, yeah?” La jeune femme vérifie rapidement son portable, balaie sans trop d’attention les messages qu’elle a reçus pour en supprimer les notifications. “Are they comfy? The sweaters.” Un pli de concentration entre les sourcils, Grace parcourt rapidement les e-mails du boulot du regard. Puis, sur un soupir encore assoupi, elle se redresse et rend son attention complète et indéfectible à Lola, laisse son regard s’attarder sur son visage avec un de ses sourires espiègles, avant d’écarter les mains, comme pour présenter son corps, glorieusement engoncé dans un pull et une grosse veste de ski. “Wanna draw me like one of your French girls? Or would you rather sleep? It’s completely okay if you don’t feel like you could adequately capture my beauty.” Même fatiguée, c’est dur de l’arrêter.

@Lola Wright
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Message(#) Sujet: Re: [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) EmptyMer 4 Mar 2020 - 13:50


Submergée de sensations dans la source d'eau chaude, Lola laissait son corps, son coeur et son cerveau se calmer, s'apaiser. Heureusement, Grace était d'une patience douce, sincère. Elle ne cherchait pas à l'angoisser, à la presser, à lui demander des réponses exactes, pas tout de suite, en tout cas, peut-être que ça viendrait, mais pas tout de suite. Et Lola appréciait leur faculté à bondir d'un sujet à un autre pour se faire sentir qu'elles étaient libres, qu'elles étaient bien. "Je crois qu'il reste deux Tim Tams. Un pour toi, un pour moi." Et elle sourit rêveusement aux comparaisons que faisait Grace au sujet des déjà-vus. "J'aurais parlé de Matrix, mais tu connais mon obsession pour les Wachowskis", qui avaient écrit V pour Vendetta. Elon Musk et les Sims. Il n'y avait que Grace pour faire des parallèles comme ça, nouveaux, qui dansaient dans ses parcours de neurones.


*


Il faisait nuit, encore. Et Lola jeta à Grace un regard assassin. Pourquoi étaient-elles dans la rue alors que le soleil ne s'était pas levé ? Est-ce que ça faisait partie d'un plan complexe pour la rendre moins bavarde par effet d'endormissement ? Mais elle vit l'air inspiré de Grace, et elle sut immédiatement que ça n'avait rien à voir avec ça. Elle leur avait prévu une belle excursion, et apparemment qui dit excursion, dit certains horaires sont mieux que d'autres. Lola étouffa un baillement, et soudain, son système s'activa, de façon imprévisible et efficace. Et elle posait trente mille questions, et ça la réveillait. "Attends. Question par question." Lola éclata de rire, ça y est, l'humour était revenu, et elle bloquerait la fatigue aussi longtemps qu'elle le pouvait. Une heure en bus ? Dormir ? Elle regarda autour d'elle. Dormir était peu probable maintenant qu'elle sentait le goût de l'aventure remonter en flèche. Non, le coup de barre viendrait plus tard, sur le chemin du retour.

"Oh non, seulement un geyser ? Je m'appelle Paris Hilton, et j'exige de voir un volcan, là, tout de suite." Lola se fit la réflexion que ce n'était pas très gentil pour Paris Hilton, qui était peut-être un être humain adorable et mal représenté par les médias. "Je m'appelle Lola Wright, et je proteste. Je lance une grève générale. Une manifestation. Un-" Elle s'étira au milieu de sa phrase et sentit ses muscles apprécier le mouvement. "C'est comme les geysers du Roi Lion ? Si t'es juste au-dessus, est-ce que ça te catapulte ?" Vivre dans les dessins animés, ça avait du bon, parce que ça enlevait tout sens logique, et ça le remplaçait par une dose gigantesque d'émerveillement et de grand n'importe quoi.

"Je pourrai prendre des photos pour de vrai ?" Lola scrutait Grace, suspicieuse. "Genre tu vas me laisser toucher ton appareil photo ?" Au simple mot toucher, Lola piqua un fard. Ca faisait longtemps, tiens. "Je veux dire : utiliser ton appareil photo." Et elle avait son même sourire stupide de la veille qui s'installait sur son visage, s'allongeait sur un hamac et comptait bien rester là. "TU VOIS CE QUE JE VEUX DIRE", conclut-elle. Et le sujet changeait de nouveau, parce qu'elles étaient des girouettes. "Bien sûr que j'ai pris mes carnets !" s'enthousiasma-t-elle de nouveau, et c'était plus simple de parler d'art, et ça la soulageait complètement à chaque fois. Comme un interrupteur à l'entrée d'une pièce. On, off. On, off.

Elles arrivèrent devant le bus, et Lola examina la taille des pneus, les couleurs du bus, les dimensions des fenêtres. Elle voulait pouvoir le dessiner. Garder une trace de tout. Grace fumait et Lola rêvassait. Elle se souvenait de dessins qu'elle faisait pendant la fac de psycho. Autour de ses notes de cours, peu nombreuses, il y avait un million d'esquisses de ses camarades et des professeurs. Elle avait une mémoire auditive, de toute façon, donc ça ne servait à rien de retranscrire tout ce qu'elle entendait, elle devait juste faire confiance au processus, être là tout en dessinant, être ouverte à ce qui se disait. La méthode avait marché, puisqu'elle avait passé ses examens année après année, à la grande surprise du staff de l'université, qui la considérait comme une dilettante. Ils avaient néanmoins accepté de lui faire une lettre de recommandation pour l'hôpital, ce qui lui avait permis de créer l'atelier d'art thérapie. L'un dans l'autre, pas des gens si méchants que ça.

La porte du bus s'ouvrit, et Lola eut un sursaut. Retour au présent. Elle suivit Grace à l'intérieur, et sourit lorsqu'elle remarqua qu'elles allaient vers le fond. C'était la meilleure place, d'où elles voyaient tout sans être vues. Sauf par la tête étonnée d'un enfant qui semblait se demander qui pouvaient bien être ces deux femmes qui ne venaient clairement pas du coin. Lola lui tira la langue. L'enfant fit pareil, avant de s'enfoncer dans son siège. "Did you sleep okay?" Lola se figea, est-ce que Grace savait qu'elle lui avait pris la main, est-ce qu'elle avait pu connecter tous les dots et deviner qu'elle n'avait pas pu s'endormir sans ? Lola se tourna tout doucement vers Grace, et au sourire qu'elle arborait, eut la confirmation de ses craintes. "Great, I slept great. Yep. Nope. No, I didn't sleep that much." Elle pouffa de rire. A rien ne servait de vouloir faire la fière maintenant. "Wait, did you- When you woke up, was my hand-" Rien qu'au visage de Grace, elle sut que oui, et elle rougit et s'installa dans son siège très, très confortablement, parce que si elle avait pu s'enterrer, elle l'aurait fait.

"You are not forgiven for waking me up so early. Even though I can't wait to get there and mess with your camera settings." Large sourire provocateur. "Did you sleep well?" Et ça, c'était sincère. Lola aurait voulu ajouter : est-ce que tu as fait de beaux rêves ? est-ce que tu as bien mangé ? est-ce que tu te sens bien ? est-ce que tu as besoin de quelque chose ? Mais elle se tapa mentalement avec un poêle sur la tête pour se faire taire deux minutes. "Oh yes, a nap sounds really good. Gives me hope, gives me direction." Vous venez pour le séminaire ODE A LA SIESTE ? Tant mieux. Installez-vous. "You know there's nothing like naps ? It's like a childish pleasure. You get back in your bed, knowing fully that it's the middle of the day, and you rub the blanket on your face, and you're gone into dreamland. Like how wonderful is that?" Merci beaucoup d'être venus, nous espérons que vous avez apprécié le séminaire.

"Groceries. Yes. Good idea. What do you want to get? Should we get pasta? Hear me out: what if we want to drink some alcohol? Pasta is the best way not to get drunk or dizzy. Proven by the scientific community." Les yeux de Lola s'écarquillèrent. "I mean, the actual scientific community." Danse dans ton stress, Lola, vas-y joyeusement. "We should also get jam. Wait, what are the local thingies, here? Like do they have special food or products we should try? Oh, oh, we should also get face masks. Are you into face masks? Is it hard for you to put them on? I'll put yours on if need be." Les baroudeuses sous film plastifié pour un visage rayonnant. Lola n'aimait pas ça pour les résultats escomptés ; elle aimait le contact froid et gluant et étrange du masque sur sa peau, et le rituel de le mettre, le laisser, l'enlever. Ca participait des gestes lents, de prendre le temps.

"I brought five pads. One for color study. One for landscapes. One for portraits and all human-related sketches. One for written notes, ideas and such. And one for drawings that have literally nothing to do with what's around me. Just stuff from my imagination." Plus les pastels, plus les divers crayons à papier, plus les différentes gommes. Ses épaules ne la remerciaient pas d'une telle obsession avec le détail. "Please don't think I'm crazy", ajouta-t-elle : il vaut mieux prévenir que guérir. Lola se tourna vers l'avant du bus, où le chauffeur fermait les portes et lançait la machine. Elles étaient en chemin. Dans sa tête, le compte à rebours d'une heure commença. Elle jeta un oeil aux rues sombres autour d'elles, eut un frisson parce que ça foutait la frousse quand même, et se concentra plutôt sur Grace. Elle eut un afflux de pensées irrationnelles (elle est sur son portable, peut-être qu'elle attend un message, peut-être que c'est de quelqu'un dont elle est amoureuse, mais non Lola ça n'a aucun sens, mais on ne sait jamais, Lola seriously shut up). Et elle arborait un sourire à moitié tendu, à moitié sincère.

Et pendant ce temps, Grace parlait de pulls. "Hoarding your sweaters? Listen, you didn't give me any instructions for the suitcase. Except for the bathing suit." Parce que tu as trois ans et que tu ne sais pas faire une valise ? Mais quelle mauvaise foi. "I was flying out blind. BLIND. So, I mean, it's basically your mistake, which you are fixing by lending me, or giving me, because I really really really like the white on, anyway, lending me, or giving me, fine I'll shut up, lending me your sweaters." Lola souleva le pull noir puis le pull bleu pour que Grace puisse voir le pull blanc auquel elle faisait référence. Il était si doux. Elle le portait au plus près de sa peau. Car non, elle n'avait pas suivi les recommandations sur les deux couches de t-shirt. Elle aimait la douceur des textures, que voulez-vous. "We could buy one. Orrrrrr I could keep wearing your clothes." Si elles n'avaient pas été dans un bus, Lola se serait détournée en sifflotant, l'air de rien. Etant donné les circonstances, elle se contenta d'avoir l'air absorbée parce ce qu'il se passait de l'autre côté de la fenêtre, c'est-à-dire rien du tout.

Grace lui proposa de la dessiner, avec un geste qui selon elle faisait une plaisanterie sur sa tenue actuelle, mais qui réveilla en Lola quelque chose de complètement différent. "You had no intention of letting me sleep, did you?" demanda-t-elle avec un sourire, tandis qu'elle signalait à Grace de reculer, de s'installer confortablement, mi-assise, mi-allongée, sur ses deux sièges. Lola traversa le couloir de bus, se mit sur les sièges d'à côté, sortit son carnet à portraits-et-choses-humaines et remarqua (trop tard) que le dernier dessin en date était la main de Grace dans la sienne. Qu'elle avait dessinée en deux minutes dans la salle de bains avant de partir. Lola passa la page et releva les yeux en espérant que Grace n'avait rien remarqué, mais le regard de Grace était fixé sur le carnet. "That's- Oh, nevermind." Lola sortit sa trousse de crayons de papier, et laissa le vide se faire en elle. Elle prit quelques profondes respirations en regardant Grace. Ses yeux se dénuaient de toute émotion, à part une profonde curiosité. Il y avait des calculs, elle ne voyait plus que les lignes, les ombres, les volumes. Grace en tant qu'être humain se décomposait pour devenir une grille de traits à tracer.

Lola commença à dessiner, maintenant son carnet hors de vue de Grace, le dos contre la vitre du bus, la main qui bougeait tandis que ses yeux passaient de Grace au carnet, du carnet à Grace. Elle enchaînait les esquisses, et tournait la page chaque fois qu'elle était arrivée à un point qui bloquait, un endroit où elle n'était pas sûre. Le visage de Grace se reproduisait, encore et encore, à chaque fois un peu plus exact. Elle reviendrait sur tous les essais plus tard, avec gomme, couleurs, et émotion. Pour le moment, elle capturait. Elle eut l'impression que cela dura dix minutes, et quand le bus s'arrêta, elle demanda à Grace : "How many stops do we have left?" Avant de se retourner et de comprendre qu'une heure était passée et qu'elles étaient arrivées. "So much for sleeping", lâcha-t-elle, morte de rire, en rangeant en vitesse ses affaires de dessin. C'était l'heure de voir un geyser.

Elles descendirent du bus, et le geyser n'était pas encore en vue, mais le paysage était à couper le souffle. Littéralement. Lola se figea, un sourire émerveillé aux lèvres, sortant d'une transe d'une heure de portraits, complètement hébétée par la beauté du monde environnant. "This is giving me a whole new faith in the world", murmura-t-elle, à moitié pour elle-même, à moitié pour Grace. Elle ne parlait pas d'une foi attachée à une religion, à un dogme, mais du sentiment de foi, celui qui fait sentir qu'il y a plus que la routine, le quotidien, les tâches, les obligations, les responsabilités, l'honneur, le devoir - qu'il y avait, tout simplement, le spectaculaire d'être en vie et de voir une nature désarmante de charisme. "I- Can I hug you?" Et à l'acquiescement rapide de Grace, Lola ouvrit les bras et lui fit un câlin ému d'être là ensemble. Jamais elle ne pourrait suffisamment remercier Grace. Puis, en s'éloignant, de l'humour, vite, vite, "So where's this hot stream of stinking water I've heard so much about?"

@Grace Coughlin
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Message(#) Sujet: Re: [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) EmptyMer 4 Mar 2020 - 22:32


"Oh non, seulement un geyser ? Je m'appelle Paris Hilton, et j'exige de voir un volcan, là, tout de suite." Lola poursuit ses conneries et Grace doit réprimer un rire devant ses enfantillages, elle qui s’endormait deux secondes avant sur leur marche un peu longue dans le froid. “Oh, non. Qu’est-ce qu’on va faire ? J’appelle le manager de l’Islande, c’est inadmissible.” Et comme souvent, Lola semble changer complètement de perspective mi-bâillement, et c’en serait comique si ce n’était pas devenu si adorable à ses yeux ; “Je suppose, ouais. Je t’avoue que j’ai jamais essayé de me faire projeter à vingt mètres du sol par un mélange d’eau et de gaz, mais si ça te chauffe, suis tes rêves. Qui suis-je pour te retenir ?” Leurs chamailleries durent, s’étendent, elles n’offrent aucune pensée aux potentiels travailleurs islandais qui se lèveraient dans une heure et s’étaient couchés aussi tard qu’elles. Le bus les accueille dans un silence presque solennel, comme pour restaurer l’équilibre que leur énergie avait gravement menacé. Avec elles, un conducteur à l’épaisse moustache, un gamin qui observe les étrangères tout en serrant fort la main de sa mère, et un homme en costard froissé qui semble rentrer de soirée. Tout ce beau monde embarque dans un silence uniforme, apaisé, mais Grace ne tarde pas à le briser.

"Great, I slept great. Yep. Nope. No, I didn't sleep that much."

C’est incroyable, comme les petits plaisirs simples de la vie pouvaient se retrouver dans un après-midi posé sur un canapé, un ronronnement de chat, une journée au parc, un foutage de gueule de Lola. La jeune photographe prend un malin plaisir à la titiller, juste pour la voir rougir un peu, tenter de se justifier, laisser tomber complètement. "Wait, did you- When you woke up, was my hand-" “...in mine, yes. Yes it was.” Elle aimerait s’en moquer davantage, mais ça lui fait plus plaisir que ça ne l’amuse. Lentement, avec délicatesse et parfois quelques pas à reculons, Lola s’ouvrait à elle, acceptait sa proximité, ses démonstrations d’affection. Elle se demande si le baiser a débloqué quelque chose entre elles, ou si, à l’inverse, ça a fini de rendre un ensemble déjà confus encore plus chaotique. Ou si ce n’est pas elles qui surcompliquent quelque chose de, au fond, relativement simple - elles se plaisent et elles ne savent pas que faire de cette information. “Ha. Joke’s on you, my guy: there are practically no settings on this baby”, rétorque-t-elle avec une fierté déplacée, tapotant le haut du sac avec la plus grande des délicatesses. “I brought an old film camera. An AE1 Program. Thought it’d make the landscape prettier. And I like the idea that every photo needs to count ‘cause you only have one shot at each. It makes every moment a little more special.” Est-ce qu’elle prévoyait de prendre Lola en photo ? Evidemment que oui. “I did sleep pretty well, actually.” Sa réponse a pris quelques secondes à sortir cette fois, le temps de masquer ses joues possiblement rosies. Toute moquerie a déserté sa voix ; elle espère que Lola y sera sensible, qu’elle comprendra que l’attention l’a touchée, que, si possible, elle ne dit pas non pour une main dans la sienne la nuit à venir.

It is wonderful”, répond-elle au sujet des siestes, “until you realise you’ve lost all sense of reality. Like, it’s the most disorienting and daring thing a human being can do. Did you sleep half an hour? Three weeks? No one can really tell, because no one was there, and maybe people have started calling the cops because you were gone for so long that they thought you were dead.

Briser la magie d’un moment théoriquement merveilleux : done. La ramener à une considération du bas-peuple telle que les courses : also done. “You brought them back to life, huh?” qu’elle plaisante, savourant la gêne que Lola a créé pour elle-même, une toute petite seconde, avant de renchérir : “Pasta sounds good. As for local stuff, I hear they like dried fish and fermented shark a lot. And fish, in general. And schnapps, and yogurt. You know what? Pasta sounds really good.” Mais encore une fois, Grace a toujours été moins aventureuse sur la nourriture que ne l’était Lola, et peut-être que le requin fermenté aurait bon goût, au final. “Ooooh, I hear they make wasabi mojitos here. We need to try that out.” Côté alcool, elle est tout de suite moins peureuse. “Never really tried face masks. But sure, I’m open to it.” Elle n’était pas trop sûre de ce pourquoi ce serait difficile de les mettre, pour elle, d’ailleurs ; les crèmes s’appliquent généralement assez bien d’une seule main. L’idée qu’une simulation de visage en tissu trempé soit un cosmétique populaire ne lui était jamais passé à l’esprit.

Les arrêts se succèdent, le mec en costard sort encore titubant et ne restent qu’eux cinq ; le chauffeur et sa radio, la mère, son fils, et les deux amies en voyage. On risquait guère de se tromper en imaginant qu’il n’y aurait que peu de monde aux geysers à leur heure d’arrivée, mais il restait un peu plus de quarante minutes, et les quelques arrêts que le bus effectuait desservaient parfois des villages entiers. Lola lui décompte le nombre de carnets qu’elle a amenés avec elle alors que Grace classe distraitement ses mails. “Do you always take them with you? Or is it just on special occasions?” Elle finit par ranger son portable - se déconnecter du boulot, complètement, est plus dur qu’elle ne l’aurait pensé, surtout maintenant qu’elle se sent plus superflue que jamais et craint de recevoir une notification de mise à la porte d’un jour à l’autre. Ca lui rappelle, un peu distraitement, qu’au milieu de tous les carnets de Lola, jamais à court d’idées, ou de travail, il n’y avait pas beaucoup de place pour les fringues, et passé la première journée, elles avaient convenu que Lola se servirait des pulls de Grace pour pallier au manque de chaleur qu’apportaient les siens.

"Hoarding your sweaters? Listen, you didn't give me any instructions for the suitcase. Except for the bathing suit. I was flying out blind. BLIND. So, I mean, it's basically your mistake, which you are fixing by lending me, or giving me, because I really really really like the white on, anyway, lending me, or giving me, fine I'll shut up, lending me your sweaters."

Grace jette un regard nostalgique d’avance à son pull blanc, auquel elle est déjà prête à dire adieu. Elle aime bien l’idée que Lola porte ses fringues, bêtement, elle se demande si celle-ci aime bien l’odeur de sa lessive, la texture des matières, l’idée que ce soit ses affaires à elle. “I told you I was gonna take you to Iceland and you just thought, ‘hey, neat, I’ll spend the whole week wearing nothing but bikinis’? What did you think you were doing with three bathing suits, anyway?” Rapide coup d’oeil à sa montre enfilée à la va-vite : il leur reste une bonne demi-heure, et Grace n’a pas envie d’affronter la solitude, qu’importe l’égoïsme parfait dont avait émergé son idée. Elle la lance comme ça, le ton désinvolte, juste pour voir si Lola en est capable : bien sûr, la plus jeune mord à l’hameçon plus vite qu’il ne faut de temps à la photographe pour lui rappeler qu’elle plaisante ; bien évidemment, qu’elle peut dormir. Elle n’en sera qu’énormément, énormément attristée. “Rest was never an option”, fait-elle pour compenser, levant sa main pour faire le signe des cornes des fans de punk. Mais Lola la prend au sérieux, parce qu’il n’y a jamais d’idée trop folle ou ridicule pour elle, et Grace se laisse dessiner, prend cinq bonnes minutes à effacer le sourire goguenard qui perdure à ses commissures après avoir intercepté le dessin de leurs mains entrelacées sur le carnet.

Le terminus n’abandonne à son arrêt que deux passagères, une petite rousse ainsi qu’une brune, à peine plus grande, face à un paysage qui les dépassait de milliers d’années, d’une terre qui regorge de secrets dont elles n’auront jamais la moindre idée, et pourtant, elles se sentent parées, sac à dos bien assis sur leurs épaules, deux enfants face à l’éternité d’un monde qui ne dort jamais complètement mais qui n’a pas bougé depuis sa naissance. Grace ignore si c’est l’énergie qui se dégage de la terre ou la perspective d’être seule ici, si tôt dans la journée, comme une exploratrice, qui la remplit d’un humilité si nouvelle et profonde. A côté d’elle, Lola met les mots sur ce qu’elle n’arrive pas à formuler, trop absorbée par la tâche d’engranger tant d’émotions d’un coup sans qu’elles ne débordent de son corps. Elle en entend à peine la voix fluette de Lola et sa question à brûle-pourpoint, à laquelle elle répond d’un hochement de tête distrait, et soudain elle retrouve les bras de la jeune femme, l’odeur de ses cheveux, et elle a tant envie de retrouver ses lèvres aussi que son inspiration aiguë glace ses poumons, qu’elle a besoin de se rappeler qu’il faut attendre, prendre sur elle-même, et que c’est bien plus dur qu’elle ne l’aurait imaginé.

I guess we wait and see”, retourne-t-elle à la question de Lola, une fois que son corps se sent vide et que son coeur a suffisamment diminué de volume pour qu’elle puisse s’entendre parler. Il aurait été bien plus simple d’ouvrir Google Maps, de regarder la bonne direction, mais Grace n’a envie d’aucune technologie à proximité de ce lieu sacré. “It’s supposed to erupt every ten minutes, so just tell me if you see water coming out of nowhere.

A l’exception du duo, le paysage est plongé dans le calme le plus complet et dans l’obscurité la plus totale. Un peu comme une continuation de la nuit, et c’est peut-être pour ça que Grace se sent autorisée à demander à Lola, à côté d’elle, mais à l’aveugle : “Hey, did you ever draw me before?” La question laisse une brûlure sur ses lèvres, et qu’importe combien elle tente de paraître désinvolte et peu intéressée, sa respiration s’est bloquée après celle-ci. “I mean, except the hand drawing. Which was really pretty, by the way.” Elle se frotte le nez, par nervosité, évitant à tout prix que ses yeux se posent sur Lola, surtout maintenant que le jour se lève - ça lui donnait toutes les excuses du monde pour être malhonnête, pour tenir sa langue. Malgré elle, elle a besoin de le dire, de couper Lola, de lui avouer le larcin : “Wait, no. I have a confession. I did see a drawing of me once. You were just skipping through the pages, probably didn’t expect me to look, but I did. I’m sorry.” Son horloge interne approximative lui dit que ça fait bientôt sept minutes, et qu’une éruption ne tardera pas à venir la sauver, dans quelques secondes, n’importe quand, peut-être tout de suite. Trois...deux...un… Toujours rien. Trois… Deux… “HEY. HOT STREAM OF STINKING WATER. THREE O’CLOCK.” Elle s’y enfuit d’un pas résolu, parce qu’il ne faudrait quand même pas rater ça en se faisant tabasser sur place ou en surprenant un regard trahi et déçu sur le visage de Lola.

Une fois aux pieds de la source, Grace se tortille pour se débarrasser de son sac à dos et s’installe à terre, faisant signe à Lola de l’y rejoindre, parce qu’elles avaient du temps à passer, là, sur ce vieux sol un peu terreux qui tremblait encore de la dernière éruption. “Okay, wanna try and take a picture?” Elle extirpe son vieil engin de sa pochette. L’appareil argentique, acheté d’occasion, avait été armé à sa demande d’une aide pour prendre les photos de la main gauche, une espèce de poignée qui encadrait l’appareil et le rallongeait de cinq bons centimètres - l’extension miroitait les boutons et réglages. Elle le désigne d’un coup de menton, le tendant avec précautions à la jeune femme : “It took me hours to put it on so I’d rather you don’t destroy it, thank you very much.” Le soleil commence à sortir des bords de l’île, à caresser timidement les montagnes de roche et de mousse qui entourent un flanc entier près du geyser. Il est encore trop tôt, décide-t-elle tout de go, encore une petite quinzaine de minutes, peut-être vingt, pour que les clichés soient à leur meilleur.

I could teach you.

Grace ignore d’où ça sort. Une tentative désespérée de se faire pardonner, elle suppose, ou peut-être la simple idée de poser sa main sur celle de Lola, pour lui montrer quels boutons utiliser, ce que toute personne non-aveugle de plus de trois ans saurait faire instinctivement. Peut-être, aussi, pour qu’elles le créent ensemble, ce souvenir impérissable et impossible à consulter avant développement de la pellicule, qu’elles s’en souviennent, se rappellent exactement de ce qu’elles ont partagé, au cas où tout change à leur retour. “And you could teach me how to draw something. Disclaimer though, I can’t draw for shit. I can barely write my own name with my left hand. You’ve been warned.” Parce qu'elle en est persuadée, il n'y a rien de banal à se trouver ici, rien qu'elles deux, isolées du monde, avec un geyser entier pour elles deux. “Unless you wanna go all Lion King on me and disappear forever. I understand if you do.”

@Lola Wright
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Message(#) Sujet: Re: [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) EmptyJeu 5 Mar 2020 - 18:20


"Oui, appelle tout de suite le manager de l'Islande. Attends, le manager ? Ils n'ont pas de président ?" Ecoutez. Avant de juger, rappelez-vous que Lola s'est couchée tard, s'est levée tôt, qu'il fait encore nuit, qu'elle n'a pas bu de café pour une raison inexplicable, qu'elle a passé deux des quinze minutes d'éveil à dessiner des mains, bref, elle n'est pas au top. Après une seconde de réflexion, ceci dit, elle se prit la tête dans la main, accablée. "Je n'ai rien dit. Rembobinons. Faisons semblant que je n'ai jamais cru que l'Islande était gérée politiquement par un manager." Et elle riait déjà derrière sa main tellement c'était incongru. Grace embraya sur une blague sur les geysers, et Lola continua de rire, et ça commençait à lui faire mal au ventre, de ce mal tellement doux qui vient d'éclats de rire à répétition, de ce mal qui ressemble étrangement au bonheur. "Eh bien, c'est tout à fait ce que je vais faire, et tu vas voir, ce sera génial. Et si à la fin je ressemble à un poisson pané, eh bien, eh bien, ça te fera une bonne photo à prendre. Tu pourras la vendre à plein de magazines : une femme australienne se transforme en poisson pané à cause d'un geyser islandais. Ca claque comme titre."

Dans le bref silence qui suivit, Lola se fit la réflexion qu'elle adorait passer du temps avec Grace justement parce qu'elle se sentait assez en confiance pour lui montrer toutes ses facettes. Elles pouvaient rire et faire des plaisanteries nazes, puis parler très sérieusement du contexte socio-politique, puis échanger de façon vulnérable sur les émotions et les sensations, puis s'enseigner leur passion artistique commune. Grace ne lui demandait jamais de faire semblant. Il n'y avait qu'honnêteté entre elles, et ça faisait grimper le quotient de confort et de bonheur de douze mille points. Elle eut envie d'expliquer ça à Grace, mais l'analogie de la plus-value des douze mille points risquait d'être assez obscure. Elle se dit qu'elle attendrait d'avoir un peu mieux réfléchi à la question avant de déballer tout cela dans une tirade.

Le bus était confortable, et suffisamment vide pour être calme. Les sièges étaient rayés bleu et blanc, les vitres étaient teintées, et des petits rideaux bleus pouvaient être fermés (Lola n'avait jamais compris les gens qui fermaient les rideaux du bus : 90% du plaisir du voyage c'est de regarder par la fenêtre, les gens sont fous). Lola et Grace chuchotaient quand même, parce qu'elles ne souhaitaient nullement déranger la gueule de bois naissante d'un passager, ni la sieste de la mère et de l'enfant, qui ressemblaient à un tableau religieux. "Wait, did you- When you woke up, was my hand-" "...in mine, yes. Yes it was." Lola hocha de la tête frénétiquement. Oui, bien sûr. Tout à fait. C'était donc ça. Très bien. La, la, la. Le pire dans tout ça, c'était que cette conversation ne donnait qu'une envie à Lola : c'était de prendre la main de Grace et de s'endormir là, dans le bus. Elle se demanda si cette femme allait devenir son doudou attitré, sa peluche de la nuit. Elle réalisa avec un froncement de sourcils qu'elle n'avait pas fait de cauchemar ; ça ne l'étonnerait pas que Grace soit un dream-catcher humain.

Grace parlait de son appareil photo, et Lola n'y comprenait rien, à part un élément : on ne pouvait pas prendre 633 photos avec. Ce qui impliquait une responsabilité à chaque choix. Et rien que cette pensée angoissa Lola. Elle se dit qu'elle ne prendrait peut-être pas de photo finalement, elle ne voulait pas gâcher des clichés qui pourraient être mille fois mieux pris par Grace. Elle avait un grand respect pour le talent de son interlocutrice depuis qu'elle avait vu ses photos chez elle. Pour l'une comme pour l'autre, on parlait d'avoir un oeil, mais ça s'exprimait tellement différemment en fonction du médium choisi. Lola n'avait jamais rencontré de photographe avant Grace, et elle qui venait des arts plastiques purs et durs, elle découvrait cet art avec beaucoup d'humilité.

"I did sleep pretty well, actually." Le coeur de Lola rata un battement et elle bégaya des débuts de syllabes, "Oh- Ah- Umm- Yes", pour exorciser l'émotion que ça lui provoquait. Elle entendait bien l'invitation à recommencer cette nuit. Elle était fascinée par le fait que Grace n'en demande pas plus, la laisse avancer à son rythme. Et elle avait tellement, tellement hâte de l'heure de la sieste maintenant qu'elle avait reçu l'autorisation tacite de lui prendre la main pour dormir. Jusqu'à ce que Grace compare la sieste au fait de disparaître pendant des mois et d'avoir nos proches appeler la police, et Lola riait incontrôlablement de nouveau. "You are totally insane, you know that?" Elle se demanda qui appellerait la police pour elle. Ginny. Jordan. Peut-être éventuellement Auden. Itziar. Robin. Bon, ça allait, il y avait assez de personnes qu'elle voyait régulièrement pour ne pas que son cadavre empeste après une sieste de trois mois. Son enterrement serait à peu près décent. "Great, now I'm thinking about my funeral. What song would you like? You know, at the ceremony, how they play a song? I'd love to put on some metal track, to just take everyone by surprise. Oh, oh, or a song by Jordan." Lola releva les yeux vers Grace. Oups. "I guess we're gonna have to talk about Jordan at some point, right?" Le croisement des mondes : le pire cauchemar de Lola. Mais avec Grace, tout était possible.

"Oh no, the poor shark!" Lola était émue. Ce qui était incroyablement étrange, étant donné qu'elle n'était pas du tout végétarienne, mais admettons. Il se trouve qu'elle aimait bien les requins. Et les pieuvres. Et les baleines. Les animaux aquatiques, donc. "Yes, let's just eat pasta." Elle marmonnait dans sa tête contre les gens qui tuaient des requins. "They must have never seen a baby shark", dit-elle, sourcils froncés, plus pour elle-même que pour Grace. Mais l'alcool, ça avait l'air beaucoup plus sympa. "All in for wasabi mojitos. I love when you eat too much wasabi and you feel like a dragon, like there are flames coming out of your nose. It's so funny!" Grace, quant à elle, accepta l'idée qu'elles achètent des masques pour la peau. C'était toute une pyjama party qui s'improvisait entre elles, et Lola se réjouissait d'avance. "I always have at least three notebooks on me. The two extra ones are for special occasions." Notamment celui des paysages, dont elle avait rarement besoin à Brisbane. Elle avait déjà tellement dessiné les bâtiments de la ville qu'il ne restait pas grand-chose à explorer. Elle le prenait lorsqu'elle faisait une virée en bus quelque part. Ou quand elle allait seule dans la forêt de mangroves, où elle avait toujours envie d'emmener Grace. Un jour, peut-être, à leur retour. Le coeur de Lola se serra à l'idée du retour et elle se força à ne pas y penser.

Grace se moquait du contenu de sa valise, enfin, car il fallait bien que ça arrive à un moment donné, c'était une évidence, et Lola était morte de rire, tellement amusée par son incapacité infantile à mieux prévoir les nécessités, "Listen, I'm usually the best at organizing and planning and everything, but you invited me to leave the continent, and my mind went beserk. Although I don't regret bringing three bathing suits." Et elle sourit de son sourire stupide, parce qu'elle ne pouvait plus parler de maillot de bain sans penser au Lagon Bleu et ne pouvait pas penser au Lagon Bleu sans se rappeler leur baiser.

Le temps que Lola passa ensuite à dessiner la permit de complètement s'extraire de l'univers, du temps. Elle était avec ses deux canalisateurs préférés d'énergie : le dessin, et Grace. A chaque esquisse, à chaque croquis, elle était envahie d'un peu plus de paix, et d'une joie diffuse, qui courait dans ses veines, dansait parmi ses neurones, bondissait d'organe à organe. Elle ne s'en rendait pas compte mais son visage s'éclairait d'un sourire de plus en plus apaisé. Et lorsqu'elles arrivèrent, c'était dans cette plénitude qu'elle découvrit le paysage, et qu'elle prit Grace dans ses bras, et elle aurait aimé que ce câlin ne finisse jamais, elle aurait aimé pouvait passer ses mains dans son dos, sur son visage, dans ses cheveux, sous ses vingt-cinq pulls, et- OKAY. Lola s'éloigna et sortit la première blague qui lui passait à l'esprit. Heureusement, les plaisanteries fusaient toujours au bord de ses lèvres, donc elle n'eut qu'à se laisser aller et ça sortit tout seul. Grace prenait un peu de temps à répondre, et Lola tourna la tête pour cacher un sourire ravi de la savoir aussi déstabilisée qu'elle. They were in this together.

"Oh, we're winging this?" demanda Lola en riant déjà. "We're gonna stand in the middle of the nowhere, in complete darkness, until maybe a hot stream of water erupts?" Décidément, elle n'y pouvait rien, mais le fou rire revenait à une vitesse folle. L'idée était tellement improbable. Cette situation était quelque chose qu'elle n'aurait jamais cru pouvoir vivre pour de vrai. Elle s'était habituée à dire qu'elle aurait tellement aimé voyager et à ne rien faire pour aller vivre des aventures. Attendre dans le noir, au milieu de la nature, un geyser, était au-delà de toutes ses espérances. "Can you imagine a wedding planner being like: oh let's see when the bride gets here, just let me know if you see a white dress anywhere." Et Lola continuait de rire. Une image passa en une fraction de seconde par son cerveau, c'était une vision de Grace dans une magnifique robe blanche, qui marchait lentement le long de l'allée, entre les visages ravis de - et l'image était repartie. Laissant Lola perplexe: what the heaven was that?

"Hey, did you ever draw me before? I mean, except the hand drawing. Which was really pretty, by the way." Sourire gêné de Lola. "Wait, no. I have a confession. I did see a drawing of me once. You were just skipping through the pages, probably didn’t expect me to look, but I did. I’m sorry." Lola prit un air indigné, car elle se souvenait tout à fait de ce jour-là et du portrait en question, qui était le moins raté de toutes ses tentatives (raison pour laquelle il n'avait pas immédiatement fini à la poubelle), et Lola avait été presque sûre que Grace l'avait vu, et elle en recevait enfin la confirmation, et son indignation était complètement feinte, mais elle la joua quand même, "I cannot believe-", mais elle ne put jamais finir sa phrase, car le phénomène naturel le plus fou de sa vie commençait, et elle suivait Grace vers le geyser, fascinée, transportée.

Le reste lui sembla être une transe, un rêve. Le sol continuait de trembler légèrement, comme les mains de Lola, réalisa-t-elle en les relevant vers elle. Grace s'installait par terre, et Lola s'asseyait à côté d'elle, mais tout était flou, car elle avait les larmes aux yeux. Ses sautes d'humeur fameuses (et fumeuses) faisaient encore des leurs, et Lola voyait tout à travers un filtre de I cannot believe my luck. "Okay, wanna try and take a picture?" Lola entendait même la voix de Grace de loin, mais en revanche elle la voyait de plus en plus nettement, elle, et ce n'était pas à cause du jour qui se levait, c'était son foutu compas interne qui se débattait chaotiquement de l'est vers l'ouest en une fraction de seconde. Grace tenait l'appareil photo à la main, et ce fut la seule raison pour laquelle Lola ne se jeta pas sur elle pour un deuxième câlin. Protéger l'appareil photo. L'appareil photo était précieux. Et Grace parlait de ses talents (apparemment inexistants) en dessin, et Lola hochait de la tête, elle ne faisait que ça, hocher de la tête, les lèvres pincées, le souffle court. "Unless you wanna go all Lion King on me and disappear forever. I understand if you do." A l'intérieur, Lola souriait démesurément. Simba et Nala, un autre duo iconique. Et cette comparaison faisait d'elle Simba, ce qui n'était pas pour lui déplaire.

Sans un mot, Lola avança ses mains précautionneusement vers l'appareil de Grace, et lui fit signe de lui montrer comment ça marchait. Elle voulait prendre la photo à deux. Mais elle ne pouvait pas se contenter de cela, parce qu'elle continuait à trembler, et qu'elle avait besoin d'être contenue, et qu'elle voulait voir tout cela, le geyser, le lever de soleil, dans les bras de Grace, et que ce n'était pas négotiable. Elle se traîna entre les jambes de Grace, dos à elle, les bras de Grace autour d'elle. Elle sentait tout le corps de Grace autour d'elle et ça lui faisait du bien, ça la calmait, ça l'apaisait. Elle tentait de se concentrer sur l'appareil photo, et lorsque les mains de Grace vinrent se poser sur les siennes, certes ça accéléra les battements de son coeur, mais ça lui permit aussi de se focaliser sur cette zone précise, sur l'image, sur ce qu'il y avait face à elles.

Et Grace expliquait le fonctionnement de l'appareil, la fonctionnalité de chaque bouton, et Lola n'entendait rien, mais répétait "D'accord" d'une toute petite voix. Lorsque l'éruption eut lieu, Grace guida Lola et elles prirent une photo. Lola savait que Grace pouvait sentir le tremblement de ses mains, mais elle n'en était pas gênée du tout, pour une fois. Elle était bien exactement là où elle était. C'était inexplicable comme sentiment, pour quelqu'un qui se sent toujours un peu à côté de la plaque, toujours un peu de trop, toujours un peu marginale, de soudain éprouver qu'on est au bon endroit, au bon moment, avec la bonne personne. Lola retourna l'appareil photo vers elles pour signifier à Grace, sans mots, puisqu'elle semblait avoir perdu l'usage de la parole, qu'elle aimerait une photo d'elles aussi. Elle laissa Grace la guider à nouveau.

Le jour allait se lever d'ici peu, et Lola savait que Grace avait des photos à prendre, savait que c'était le moment ou jamais, savait que c'était important pour elle, qu'il fallait qu'elle bouge, qu'elle la laisse s'activer. A contrecoeur, elle se retira du cocon et sortit tous ses carnets. Pendant que Grace prenait des photos, elle dessinerait, par terre toujours. Elle ouvrit son carnet à paysage, sortit ses crayons et ses pastels, et commença furieusement à recouvrir des pages entières des environs étranges. Elle dessinait la ligne d'horizon, les éclats d'eau, le soleil naissant, la silhouette de Grace. Elle remplissait tout de l'atmosphère multicolore. Elle sentait ses émotions partir dans chaque dessin, et elle essuya deux larmes rebelles du revers de la main pendant qu'elle s'exécutait au plus vite. Bientôt, ce serait l'heure de repartir.

@Grace Coughlin
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Message(#) Sujet: Re: [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) EmptyJeu 5 Mar 2020 - 23:00


"Great, now I'm thinking about my funeral. What song would you like? You know, at the ceremony, how they play a song? I'd love to put on some metal track, to just take everyone by surprise. Oh, oh, or a song by Jordan."

Des choses en amènent d’autres et voilà que Grace se prend à penser sérieusement pour la première fois à son enterrement, à l’optique réaliste et irrémédiable de sa mort, plus ou moins prochaine, et ça lui fait froncer les sourcils. Même à son plus bas, même dans ses moments les plus anxieux, elle n’a rien envisagé de l’après - elle s’est, avec une facilité de mise, focalisée sur son ressenti, sur sa douleur, sur ses frayeurs, pas sur celles de ceux qui lui survivraient si quelque chose lui arrivait. Voilà qu’elle se retrouve à penser à quel genre d’endroit l’accueillerait, si elle se ferait incinérer ou enterrer avec les siens (incinérer, impossible qu’il en soit autrement), si elle voulait mettre de la musique. “Toxic by Britney Spears.” Elle lâche ça comme si c’était une évidence à laquelle elle n’avait pas eu à réfléchir plus de deux secondes. Puis, Lola lâche la J-bomb, et Grace perd toute aisance à nouveau. Comme si leur relation se résumait à un échange de ping-pong sur qui serait la plus gênée jusqu’au prochain set. “Oh, s-sure”, qu’elle répond, un peu surprise par la possibilité. Est-ce que Jordan lui avait dit quelque chose de leur dernière conversation ? Est-ce que Lola en savait plus que ce qu’elle n’était censée sur ce voyage, sur tout ce qu’il y avait autour ? “We actually talked about you. Very briefly, I mean. Like, nothing important. Just basic stuff. Like how beautiful you look and how good of a singer you are when you're drunk.” Dans quel contexte ? Quelles choses basiques ? Ca, elle n’en dirait rien, parce que la perspective d’apprendre à son amie qu’elle avait été à une soirée speed dating ne l’enchantait pas de base, et le fait qu’elle n’ait réussi à penser à rien d’autre qu’aux possibles plans de Lola pendant ladite soirée lui plaisait encore moins. Omerta totale, donc, pourvu que Jordan ne soit pas passé derrière avec ses gros sabots. Parce qu’après tout, elle lui faisait toute la confiance du monde, c’était son plus vieil ami, mais c’était aussi celui de Lola. Et elle n’avait pas franchement été parée à cette éventualité. Ni à la possibilité quasi-négative qu’elle puisse éprouver des sentiments pour une amie proche de Jordan qu’elle ne connaîtrait pas du tout via celui-ci.

Ca lui reste toujours un peu en tête quand elles sortent enfin du bus, parce qu'elle n’a jamais vraiment osé parler de Lola à Jordan. Ça l'avait handicapée, elle qui avait tant l'habitude de se confier à lui. Puis, avec le temps, elle avait pris l'habitude de considérer tout ce qui concernait Lola comme un secret entre elles deux, quelque chose d'un peu privé, jalousement gardé parce qu'en parler serait faire perdre de la valeur à ce qu'elles partageaient. Et ce serait officialiser quelque chose, aussi, concrétiser ce qu'elle ressentait en y posant des mots, et elle n'avait pas eu la force de faire ça non plus. “Come on! I’m the best at winging stuff, please have some faith in me. My...geyser detector is perfectly fine.” Elle rigole aussi, à travers l'air sérieux qu'elle essaie de se donner, elle, la grande aventurière qui doit garder sa street cred auprès de Lola. “I’m sure I'd be the best at planning weddings, too.” Mais les deux sont à des années lumières, et au moins Grace a ça pour elle : découvrir le geyser en l'entendant, en le voyant, plutôt que de suivre un plan sur portable, lui donne au moins dix fois plus un aspect mystique, en plus d'un aspect rédempteur dont elle a bien besoin : Grace file aussi vite que sa jambe droite veut bien la laisser filer, trottinant avec son sac à dos, loin de sa révélation et de sa trahison, courageuse comme jamais. Elle se retrouve rapidement assise sur la terre, à côté de Lola, à quelques mètres du geyser dont elle reçoit quelques gouttes sur le visage. Qu'importe l'odeur ou la proximité : ça vaut toutes les vues du monde, et c’est la seule chose qu'elle arrive à se dire alors qu'elles contemplent le phénomène d’à peine une demi-minute, silencieuses, côte à côte. Même quand Grace reprend la parole, le phénomène semble avoir laissé sa trace de magie, et Lola, comme muette, ne lui répond que par vagues hochements de tête. Elle se demande si c’est la nature, ou l'aveu sur le dessin, qui la rend si mutique, puis Lola se blottit dans ses bras pour venir apprendre à faire une photo et Grace interprète le geste comme une excuse tacite pour son geste horrible. “Ok. Alors, avec le dispositif, tous les boutons sont en miroir, mais le principe est le même : avec la molette, tu zoomes, et avec le gros bouton, tu prends la photo. Le reste, tu devrais pas en avoir besoin.” Et Grace sent la chaleur partir de son thorax pour s’étendre dans tous ses membres, parce que Lola est tout près d'elle et parce qu'elle veut apprendre de sa passion, avec elle, dans cet endroit improbable à une heure inimaginable, et que ça pourrait très bien être l'apocalypse partout ailleurs que ça ne troublerait pas l'instant. Elles prennent une photo d'elles, et Grace en prend discrètement une seconde, juste au cas où ; tant pis pour les limites, les pellicules précieuses paraissent infimes face à l'importance de l'instant. Grace en est toujours baignée quand elles se séparent, un peu à regret, pour reprendre chacune leur art face au soleil levant, alors qu'un deuxième jet d'eau se rapproche et que les premiers touristes ne vont pas tarder à arriver. La jeune femme patiente, appareil en main, retrouve le plaisir de l'attente, de ne pas mitrailler en boucle pour ensuite fouiner et dénicher la perle, parce que c’est bien plus dur de la trouver et de la prendre au moment précis où elle ressort le mieux.

This is indescribable.

L'appareil est immobile dans sa main gauche mais elle s'en fiche, le paysage l'absorbe entièrement, par-delà les photos – elle a le temps d'en faire, encore quatre jours, et vingt-quatre heures dans chaque. “You know how you eat too much of something you really like, and then you get grossed out and can't eat it ever again?” Elle se demande si elle dérange Lola, qui prépare ses affaires en attendant le lever du jour, elle aussi ; étale méticuleusement ses pastels devant elle, carnet ouvert sur ses jambes. “I don't think I could ever get tired of this. Of any of this.” Toi y comprise, qu'elle pense, mais ne le dit pas, peut-être parce que ça semble beaucoup, peut-être parce que la fatigue et l'émotion lui feraient en dire trop si elle se laissait faire.

My mum used to come home late from work, and she'd make us ravioli, all the time, and it was my favourite thing.”

Elle ne sait pas pourquoi elle continue de parler, elles vont peut-être rater le prochain geyser et Grace n’est toujours pas à l'affût, avec son appareil, alors que peut-être que l'inclinaison du soleil dans le ciel est parfaite. Par acquit de conscience, elle vérifie, puis poursuit sa phrase : “And at one point, I just couldn't eat it anymore. It felt gross, and disgusting, almost cold. It's been years since the last time I had some, but I'm sure I still wouldn't be able to eat any.” Elle parle rarement de sa famille, Grace, encore moins de sa mère, sauf pour dire qu'elles ont été au restaurant, que c'était chouette. Le divorce, les années où elle la voyait rentrer bourrée, les relations sans lendemain ou à peine plus longues, les maladresses répétées et jamais corrigées, c'était passé sous silence. Pourtant, là, précisément, elle a envie de partager ça, partager ces merdes de raviolis qui l'avaient dégoûtée et qui suffisaient à lui foutre la gerbe dès qu'elle y pensait, malgré toute l'affection maladroite qui se trouvait dans leur confection. Elle trouve l'atmosphère lourde, d'un coup, veut se reprendre, se recentre sur le paysage : le soleil éclaire timidement leurs visages et commence à réchauffer le vent frais qui mord son nez.

I feel like I'm reconnecting with my passion. Or myself. Maybe both. Like I somehow got lost and forgot why I was doing this in the first place and how much I liked doing it. You know?

Peut-être qu'elle ne sait pas. Peut-être que Lola ne s'est jamais perdue dans ses objectifs, dans ses rêves, parce qu'elle avait toujours eu l'air de les réaliser. Toujours eu l'air épanouie, dans son boulot, à l'hôpital, dans tout ce qu'elle entreprenait, comme si elle n'avait pas besoin de plus, que la moindre miette pouvait lui convenir. Grace ignore si c’est par idéalisme, par naïveté latente, mais des fois, elle se prend à éprouver une tristesse pour Lola qui semble accoutumée à prendre ce qu'on veut bien lui donner sans essayer d'obtenir plus. Elle se demande, souvent, si elle est vraiment épanouie dans son job, si elle n'aimerait pas exposer ses propres toiles, si le contact avec celles d'étrangers lui suffit vraiment ou si elle les envie puis s'en veut et se reprend… Elle ne lui demande pas, jamais. Ce n'est pas de ces choses qui se font. L’une est réfléchie, consciencieuse, l'autre est téméraire et vit dans l'impulsivité ; un monde les sépare et les décisions que chacune prend ne tiennent qu'à des raisons éminemment intimes que Grace ne voudrait remettre en question. Alors elle se tait encore, saisit une clope dans sa poche, l'allume et lève son appareil à hauteur de nez. Elle glisse son œil dans la fente pour se tourner complètement vers Lola. Une photo, puis une deuxième, avec un angle à peine différent, parce que ça ne semble pas de trop. Elle prend son temps sur les réglages, s'applique à la réalisation. Elle teste le zoom, puis aperçoit une goutte salir le dessin entrepris par son amie. Une, puis une autre, discrètes, chassées rapidement par une manche de veste trop rêche pour ses traits délicats.

You alright?

Elle pose son appareil photo, fronce les sourcils, écrase son mégot dans la terre parce que l'environnement lui paraît moins important que les larmes qui perlent au coin des yeux de Lola et s'échouent sur son dessin – dessin qui est sûrement en passe d'être ruiné. Puis elle reprend le mégot pour le fourrer dans sa poche, parce qu'on est en 2020 et que quand même, ça ne se fait pas. Retour à Lola, ses larmes qu'elle essuie discrètement mais que Grace est sûre de voir couler. "Is this about the drawing? Did I, did I say anything..." Elle s'interrompt, parce que peut-être que trente-six pages ont été tournées depuis, que ça n’a aucun rapport, que relier les deux est au mieux présomptueux de sa part, au pire totalement stupide. Puis s’installe dans son ventre un poids insidieux, qui commence petit pour prendre toute la place et remonter jusqu'à sa gorge : peut-être que c’est plus profond, que c’est de sa faute quand même et qu'elle a été trop absorbée pour le voir avant. Elle se repasse la veille en tête, analyse tout moment où Lola aurait pu être triste sans en trouver aucun – ça la frustre, parce que Lola est triste, et qu'il n'y a rien qu'elle ait pu faire pour le voir venir. Alors elle sent une voix étrangère, un peu fébrile, détachée d'elle-même sortir de son corps sans son avis, parce qu'il le faut, que peut-être que ça doit se finir comme ça, et qu’après ce moment ça ira mieux et les plaies seront cautérisées :  

Hey, I hate that I'm asking this, cause I promised myself I wouldn't– but do you...do you regret anything of what happened yesterday?

D'une fesse à l'autre, sac à dos et appareil posé en une figure risquée sur un genou, Grace arrive à se rapprocher de la jeune femme pour se pencher légèrement en avant, le tout dans un équilibre précaire, mais sans tomber (elle finit quand même par se retenir avec sa main, ce qu'elle se garde bien de souligner). Sa main gauche vire prestement son sac devant elle et elle se tourne légèrement vers Lola, soucieuse. Sa main gauche reste en suspens, longtemps, puis se repose sur sa propre jambe, puis se relève encore et fait un trajet risqué voire suicide jusqu'à celle de Lola, qu'elle caresse avec maladresse – c’est un geste amical, de réconfort, purement amical, elle pourra en attester si Lola lui demande. “Cause we don't have to mention it ever again. I'm not saying I like the idea, but if this was too much, or too confusing, or if you got something wrong and you want out – it's cool. You know that?

@Lola Wright
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Message(#) Sujet: Re: [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) EmptyMar 10 Mar 2020 - 16:45


Il y a quelques rares moments dans la vie dont on sait, pendant qu'ils ont lieu, qu'on ne les oubliera jamais. (Les autres, les instants gravés dans la mémoire, sont des bribes, des conversations, des moments de routine, et on n'aurait pas pu anticiper qu'ils resteraient là, accrochés à leur rocher, vestiges de décennies d'existence.) Ces instants de fulgurance ont lieu lorsqu'on renonce à ce qu'on connaît et qu'on affronte ce qui nous fait peur. On les choisit. On y est, et pourtant on a du mal à y croire. On est là sans être là. On respire et on regarde.

C'était cela, d'être face à un geyser et un soleil naissant dans une lande désertée d'Europe, avec Grace. C'était inouï, inédit, et inexplicable. Lola n'avait pas besoin de prendre des photos et vidéos dans sa tête, et encore moins sur son portable. Elle se souviendrait de tout, de l'odeur étrange, des jeux de couleurs et reflets, et de la voix de Grace, et de la chaleur de son corps, de sa main, de ses yeux. Peu importe ce qu'elles deviendraient, peu importe ce qu'elles étaient, à l'instant présent il y avait une perfection que Lola ne retrouverait peut-être jamais. Et elle en était bouleversée.

Elle enregistra ce que disait Grace sur les raviolis, sur sa mère, sur ces dîners, dont elle sentait l'atmosphère triste. Elle se jura de lui en parler plus tard, lorsqu'elle n'aurait pas autant de mal à respirer. Elle hocha simplement de la tête, et répondit "Yes". Oui, elle savait. La répétition des dîners en silence, des plats préparés par sa mère, des conversations dont elle ne savait pas comment faire partie sans être de trop, sans être de côté. Elle savait et elle s'en souvenait très précisément, et le contraste était tellement étrange qu'elle aurait pu en rire. Mais elle en pleurait.

"You alright?" Lola redressa le visage une fraction de seconde, elle vit Grace qui posait l'appareil, qui écrasait sa cigarette, Grace qui s'inquiétait, Grace qui allait s'approcher. Lola baissa la tête, vite, vers le dessin, dont le pastel devenait mouillé et inutilisable, fabuleux - mais est-ce que ça ne venait pas compléter, finalement, la représentation visuelle de leur moment ? Est-ce que cette irruption de la réalité dans le dessin ne venait pas le rendre que plus émouvant ? "Is this about the drawing? Did I, did I say anything..." "What? No", répondit immédiatement Lola, ne pouvait pas supporter une seule seconde que Grace se sente coupable, alors qu'elle n'avait rien fait de mal. C'était d'ailleurs quelque chose qui se produisait souvent, pensa-t-elle, Grace qui s'excusait alors que rien n'était de sa faute. Elle avait dû apprendre à se comporter comme ça. Est-ce que c'était lié à sa mère, qu'elle avait évoquée ? Est-ce que ça venait de son père, dont elle n'avait pas encore parlé ? Lola eut soudain envie de tout savoir de Grace, de tout comprendre, de pouvoir l'aider à ne pas se sentir honteuse, à ne pas se blâmer, elle eut envie de la rassurer et de lui dire qu'elle n'avait jamais rencontré quelqu'un comme elle, quelqu'un d'aussi merveilleux.

Les paroles de Grace ensuite ne firent que confirmer cette impression, car elle s'imaginait maintenant que c'était le baiser, leur rapprochement. Lola en fut tellement abasourdie qu'elle cherchait ses mots, qu'elle prenait du temps pour répondre, et Grace vint sa poser sa main sur la sienne, et ça fit comme un reset dans son système nerveux, et elle leva ses yeux pour enfin les plonger dans ceux de Grace, pour rétablir la connexion et la communication. Elle avait envie de dire bonjour d'une voix robotique, faire comme si tout cela n'avait été qu'une blague bien élaborée, mais pas à Grace, jamais à Grace : elle se sentait envers elle un devoir de vérité et de transparence. Et à force de s'ouvrir à elle, elle y trouvait un lieu, une paix, un endroit où elle n'était pas seule, une faille dans la cage où elle avait grandi, le droit d'être à deux, d'être vraie, d'être acceptée et vue. Lola retourna sa main doucement pour tenir en retour celle de Grace. Son autre bras était prête à la rattraper au cas où elle tombait, ce qui était, avouons-le, relativement probable.

"Assieds-toi", lui enjoigna-t-elle doucement, car elle sentait qu'elle allait mettre du temps à lui expliquer, et elle l'aida à se poser, tout en ne lâchant à aucun moment sa main - elle le lui avait prêtée de son plein gré, et Lola ne comptait y renoncer que si Grace le lui demandait. "Je ne suis pas triste au présent", commença-t-elle, avec une grimace car elle sentait que tout cela allait être très abstrait, et elle avait si peur que Grace ne puisse pas comprendre, "Je suis triste au passé, pour toute une vie où j'ai cru que je ne méritais pas d'aller voir un geyser en Islande", un sourire, très fin, en demi-teinte, entre l'enfance et l'âge adulte, un pied là-bas, un pied ici. "Je suis... bouleversée, émue, catastrophée... de n'avoir pas su m'autoriser quoi que ce soit, d'avoir toujours cru ce que me disait ma famille, d'avoir vécu dans une sorte de rêve-cauchemar. Je n'ai jamais été amoureuse. Je n'ai jamais montré mes tableaux à mes amis, mes collègues, des artistes. Je n'ai jamais envoyé une demande de résidence créative ou de lettre à des galeries. Je n'ai jamais pris le temps de me demander ce que je voulais."

Lola soutenait le regard de Grace et luttait furieusement contre l'envie de se remettre à pleurer. Il n'y aurait pas d'autres larmes. Elle se transformait, et ça l'affectait beaucoup trop, et elle ne savait pas ce qui allait se passer maintenant que des vérités lui tombaient dessus comme la grêle. "Je ne sais pas ce que je veux, Grace, je ne l'ai jamais su. J'essaye des choses, pour voir comment je me sens, et ensuite je continue, sans vraiment savoir, sans réussir à faire le point. J'ai tellement envie de plaire, pas dans un sens romantique, mais dans un sens affectif. J'ai envie qu'on m'aime et je suis prête à tout pour cela, alors que ce que j'aimerais vraiment, c'est tout recommencer, tout effacer, et tomber dans une famille où on m'aurait vue et comprise. Je me sens seule parce que je me maintiens seule. Je crée des barrières d'une épaisseur dont t'as pas idée." Elle fit une pause et eut un rire malgré elle, sincère, "Enfin, si, tu as idée, je pense". Elle secoua la tête et sentit un vertige. Elle aurait aimé rencontrer Grace un million d'années plus tôt. Etre mise face à ses contradictions. Devoir faire preuve de courage. La suivre dans son humour et son optimisme et ses doutes et sa lucidité.

"Je suis un point d'interrogation ambulant, un caméléon. Et là, il y a quelques minutes, face au geyser, face au paysage dépeuplé, face à toi, toutes mes barrières sont tombées, et je me suis vue, et ça m'a rendue triste." Lola haussa les épaules. Monologue fini. Elle était épuisée.


*


Lola se réveilla pendant quelques secondes. Elle était en pyjama, et la lueur du jour lui parvenait faiblement depuis la fenêtre. Grace dormait à côté d'elle. C'était l'heure de la sieste. Lola observa le visage de Grace et sentit les frontières se rétrécir jusqu'à devenir invisibles à l'oeil nu. Elle n'était pas prête pour une relation, pour un engagement, pour être deux puisqu'elle n'était même pas une, mais elle était prête à combler la distance qu'il y avait entre elles, un pas à la fois. Elle se décala sur le lit de Grace et la prit dans ses bras puis se rendormit.

Une heure plus tard, elles étaient toujours dans la même position, et Lola ouvrit les yeux avec un sourire reposé, rafraîchi. "T'as faim ?" demanda-t-elle à Grace, car elle avait envie d'aller en ville avec elle, d'aller découvrir le monde dans ce nouvel état d'esprit étrange qui s'était saisi d'elle. De vivre pour de vrai, ou du moins d'essayer. "Tu penses qu'il est trop tôt pour un cocktail au wasabi ?", ajouta-t-elle avec un rire enthousiaste. Elle laissa Grace reprendre ses esprits doucement, et se leva, fit un tour dans la salle de bains, en ressortit habillée. "Tu viens ?", lui demanda-t-elle en lui tendant une main.

Et c'est ainsi qu'elles se mirent à visiter la ville, main dans la main. Lola montrait du doigt tout ce qui l'intriguait, notamment les maisons colorées de la rue Laugavegur. Il y avait des magasins, des bars, des restaurants, et elles croisaient enfin du monde, d'autres êtres humains, qui voguaient avec joie à travers ce lieu magique - en tout cas, Lola voyait tout ainsi, à travers le prisme d'un espoir nouveau. Elle fut immédiatement attirée par l'air chaleureux et multicolore du Bravo, un café restaurant bar, et adora l'air un peu rock'n'roll déglingué de l'intérieur. "Ca ressemble un peu au bar où on est allées la première fois, tu ne trouves pas ?" Elle entraîna Grace vers une table d'où on pouvait voir le reste du bar, les autres gens, l'ambiance. Et demanda : "Ca te dit qu'on partage différents plats ? Numéro un, pour goûter. Numéro deux, parce que j'ai très faim."

Une fois qu'elles eurent passé la commande à un serveur d'une amabilité extraordinaire (encore une fois, c'était peut-être dans la tête de Lola et de son monde-licorne, peut-être que le serveur était tout à fait normal, difficile à dire), Lola se tourna vers Grace, hésita, puis : "Grace, est-ce que je peux te poser une question un peu personnelle ?" Elle fit une moue, car elle avait peur que ça ne passe pas, que ça passe mal, mais elle avait envie de savoir, et elle s'enjoignait à tenter d'être plus honnête, plus audacieuse. Ca commençait par les petites choses. "Pourquoi tu t'excuses tout le temps ? J'ai l'impression que tu ne fais jamais rien de mal mais que tu as toujours peur de blesser les gens, et je ne comprends pas pourquoi."

@Grace Coughlin
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Message(#) Sujet: Re: [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) EmptyJeu 12 Mar 2020 - 0:57


Généralement, les phrases, quand elles commencent comme ça, elles ne terminent guère mieux. Grace se sent comme un chiot pris en train de bouffer toutes les croquettes du sac alors qu’on le lui avait formellement interdit, d’outrepasser une limite implicite et elle n’aime pas le tournant que ça prend. Mais sous ses yeux, Lola pleure, sa main serrant la sienne, et elle ne peut se résoudre à mettre terme à la conversation - d’ailleurs, il n’y avait pas beaucoup d’endroits où se cacher, si ce n’est dans le trou du geyser, et elle ne donnait pas fort de sa tête au ressortir. Tout à fait à contrecoeur, Grace s’assied, sa main toujours dans celle de Lola, se jurant de l'écouter quoi qu'il arrive et quoi qu'elle lui dise. Elle craint le pire, et elle a conscience d'être un peu trop penchée vers cette tendance, mais c’est plus fort qu'elle – récemment, il semblerait qu'elle préfère s'attendre au pire plutôt que de ne s'attendre à rien du tout et tomber un peu plus bas. C’est terrible, de penser comme ça ; de restreindre ainsi ses horizons, de vivre sur un terrain si petit et prévisible, mais c’est son quotidien à présent. Elle ne l’a jamais vraiment si mal vécu que ça, jusqu’à aujourd’hui.

"Je ne suis pas triste au présent. Je suis triste au passé, pour toute une vie où j'ai cru que je ne méritais pas d'aller voir un geyser en Islande.

Ainsi débute la litanie de Lola, d’un “je n’ai jamais” tout sauf alcoolisé et rigolo. La voix de la rouquine transpire la détestation, la honte de soi, et Grace a envie de lui dire de se taire, de la protéger de ses bras plus ou moins cassés, d’effacer ses peurs et ses peines. Elle ne fait rien. Elle continue de l’écouter, la voix de Lola chargée de ce sanglot perpétuel qui y reste coincé parce qu’elle n’ose pas se laisser aller complètement, Lola, jamais. Toujours un peu plus, mais jamais entièrement - Grace le sait, a pris le pli, la laisse continuer, sa main fidèlement liée à la sienne en guise de maigre soutien. Elle parle de barrières, des sienne, des leurs, et elle rejette la résonance que trouvent les mots en elle parce que c’est injuste, ce n’est pas d’elle qu’on parle. Que Lola s’épanche, elle en a besoin ; elle ne l’emportera pas aux réflexions trop profondes qu’elle se refuse depuis déjà longtemps.

Je pense qu'on se blinde comme on peut, Lola, et tu as fait ce qu'il fallait pour te protéger.

C’est tout ce qu’elle trouve à lui répondre quand Lola retrouve le silence. C’est ce que lui avait dit une hypnothérapeute, en tout cas, lorsqu'elle avait été en voir une pour son anxiété, ses insomnies et ses pertes de mémoire après l'accident, alors qu'elle réapprenait à peine à parler correctement. Son inconscient l'avait privée de la parole pour la protéger avec l'accident. Bien sûr, Grace trouvait ça complètement débile ; elle avait juste perdu l'usage de la parole parce que celui-ci était contrôlé par le côté gauche de son cerveau, qui contrôlait le côté droit de son corps, et sa diction. Elle n'en avait jamais rien pensé de plus, d'ailleurs, mais elle avait gardé l'idée en tête, au cas où. Et là, sur ce point précis, ça lui semblait particulièrement approprié pour Lola. “C'est toi qui m’a dit que ralentir, parfois, c'était une bonne chose, pourtant j'ai l'impression que tu veux aller à cent à l'heure. Pour rattraper. Mais quand on va si vite, on ne profite de rien. Gâche pas plus que ce que tu penses avoir déjà perdu en allant trop vite pour toi-même.” Elle s’arrête là, parce que les touristes vont arriver et briser le moment, et qu’elle ne sait pas quoi dire d’autre. Elle n’a jamais été douée avec les mots, ou avec tout ce qui dépassait les tapes dans le dos et l’offre d’une bière entre potes, plus généralement. Alors, sous le geyser qui retentit une nouvelle fois, Grace se contente de serrer la main de la jeune femme qui s’est épanchée, sans savoir quoi lui dire de plus qu’un je suis là muet, avec ses yeux.

***

Elle se réveille le visage blotti contre le cou de Lola, dans une étreinte des moins confortables et avec quelques mèches rousses qui lui chatouillent le nez. "T'as faim ?" Grace retrouve ses sens, offre un sourire paresseux à sa voisine de lit, grogne parce qu’elle n’est toujours pas prête à se réveiller complètement. Un vague hochement de tête lui répond : se nourrir exclusivement de Tim Tams, ça commence à faire beaucoup, et peu à la fois. Mais à choisir entre un repas et se rendormir, malgré la crampe à la nuque, malgré les cheveux dans le nez, c’était vite vu. Elle se sent l’envie pressante de déposer ses lèvres dans le cou de la jeune femme, s’en retient de justesse et se dégage. “Il est jamais trop tôt pour de l’alcool”, déclare la photographe en s’étirant. Dans une mécanique bien huilée par les répétitions incessantes, elle commence à réchauffer et étirer ses muscles dormants, puis se change à son tour pendant que Lola disparaît dans la salle de bains. Cinq minutes d’exercices au lieu d’une demi-heure : son kiné serait vert. Elle le balaie d’un revers de main imaginaire.

Les rues de la capitale islandaise sont colorées, et une grosse partie de la neige de la veille a déjà fondu, ne laissant au sol qu’une très fine pellicule qui conserve pourtant le froid. Entre deux bicoques construites sur des exigences architecturales éclectiques, les façades sont recouvertes de street art et se partagent la scène avec des devantures de boutiques tantôt modernistes, tantôt tout néons dehors. Leurs mains restent entrelacées, toujours, et Grace se fait à la présence de la main de Lola dans la sienne comme de l’odeur légèrement aigre de l’île : celle d’une conscience aiguë que tout ça s’arrêterait peut-être dans l’avion du retour. "Ca ressemble un peu au bar où on est allées la première fois, tu ne trouves pas ?" Grace est toute occupée à regarder le Samoyède du trottoir d’en face pisser sur toutes les bouches d’égouts qu’il trouve quand Lola attire son attention : bien sûr, que ça ressemble au premier bar où elles sont allées. Bien sûr qu’elles y entrent et cherchent une table reculée pour observer le monde de leur perchoir exclusif et restreint.

Dingue, y a du ceviche !

Ca la fait marrer, cette propension internationale à proposer de la bouffe de tous les coins du monde, sauf la sienne : elle cherche immédiatement des plats avec des ð dedans pour être sûre que leurs choix seront locaux et originaux. “Oh, mojito au wasabi ou à l’hibiscus ? Le choix se corse”, déclame-t-elle comme une commentatrice de foot, fronçant légèrement le nez en imaginant le goût de chaque boisson. Elles commandent finalement un de chaque, et Grace se dévoue pour l’hibiscus, qui semble le plus mauvais du lot. Le tout est assorti de quelques plats, la plupart à la viande, parce que tout ici a l’air d’être à la viande. C’est donc pour ça que ces gens semblent si forts et grands, observe distraitement Grace en se perdant sur les muscles du dos du serveur, qui n’est pourtant ni si impressionnant, ni si musclé. "Grace, est-ce que je peux te poser une question un peu personnelle ?" “Mmmh ?” Grace hésite à peine avant de hocher la tête, regard encore distrait qui retrouve les yeux de Lola. La question la fait froncer les sourcils, d’abord parce qu’elle ne trouve aucune résonance.

Je sais pas. Tu trouves que je m’excuse tout le temps ?

Ca la fait rire, un peu par surprise, parce qu’elle n’a jamais vraiment remarqué. Elle se demande si c’est quelque chose qu’elle a toujours fait sans jamais s’en rendre compte, ou si c’est les circonstances qui font toujours que. Elle se demande si c’est parce que Lola lui semble si fragile qu’elle prend toujours le soin (peut-être trop) d’anticiper, juste pour amortir la chute, au cas où. “Je sais vraiment pas. J'ai jamais trop vu les choses comme ça.” Elle écarquille les yeux, cherche à comprendre, à se rappeler des fois où elle s’est excusée, et elle n’en voit toujours pas tant que ça. “Je fais pas ça d'habitude. Du moins j'en ai pas l'impression. C’est peut-être avec toi, parce que...” Comment dire ? Grace pince ses lèvres entre elles, son regard se perd dans la distance le temps d’un bref instant. “Parce que je sais pas”, conclut-elle. “J’ai peur de te blesser, ou de trop en faire. Comme tout à l’heure, par exemple.” Parce que, vraiment, malgré les fouilles, elle ne retrouve pas d’exemples concluants. Sauf si se taire et encaisser pendant quatre ans avant d’en avoir marre dans une relation compte. Ou porter son handicap comme une honte et un fardeau pour tout le monde, sauf pour elle, qui doit toujours bien le vivre.

Je sais pas. J’imagine que j’ai peur d’être un poids. Pas avec toi, je le sais, mais avec les autres.

On touche peut-être à quelque chose, finalement. Elle réfléchit encore quelques secondes avant de poursuivre : “Y a toujours ce regard de pitié et d’inquiétude, au début, quand je recroise des gens que j’ai pas vus depuis longtemps. Puis ça passe, et c’est l’agacement qui vient, parce qu’ils s’en fichent que moi, je sois plus lente, mais pas que ça les ralentisse eux. Je me presse parfois pour parler parce que je sens mes interlocuteurs s’impatienter. J’ai raté un nombre incalculable d’événements importants pour mon ex parce que je mettais des heures à me fringuer.” Et parce qu’elle n’avait aucune envie d’y aller, ce qui n’aidait pas spécialement non plus. “Les gens sont tout à fait OK avec la théorie du handicap. Mais quand tu leur montres vraiment ce que c’est, au quotidien, l'accommodation se change vite en hâte.” Elle se demande si ça ne répond, ne serait-ce qu’en partie, ou si Lola a touché à un point névralgique plus profond, qu’elle n’avait pas vu avant qu’elle le lui mette sous le nez. “Ou peut-être que c’est juste avec toi”, termine-t-elle à temps pour que les cocktails arrivent et qu’elle puisse changer de sujet. “Santé”, lâche-t-elle en soulevant son mojito à l’hibiscus, moue circonspecte mais toujours enjouée sur le visage. “Pas dégueu”, commente-t-elle avec une surprise évidente. Les plats arrivent ensuite, avec les couverts de mise.

Mais le sujet lui reste en tête, malgré tout. Elle a envie de dire à Lola qu’elle fait exactement la même chose ; pas verbalement, mais qu’elle semble toujours s’excuser d’être là, de respirer, de prendre un tant soit peu d’espace, où qu’elle aille. Mais celle-ci semble déjà en avoir une conscience aiguë, et Grace n’a pas envie de ramener la conversation à un sujet déplaisant. “Tu sais quoi ?” demande-t-elle plutôt. “J’arrête de m’excuser, et t’acceptes de montrer au moins une toile. Pas à moi, à tout le monde. En revenant d’ici.” Pour les souvenirs, pour le fun du challenge qui n’aboutira sûrement jamais. Mais sur le coup, ça lui semble une bonne idée.

Et moi je montrerai des photos. On sera deux à exposer, l’attention sur toi sera divisée par deux. Deal ?” Elle se pare de son plus large sourire, parce que l’idée lui semble franchement stupide, impossible sur la logistique, mais c’est aussi un bon moyen de se raccrocher à un souvenir du voyage, et c’est ce dont elle a besoin présentement. Elle s’empare sans outre questionnement du verre de Lola pour goûter à la fameuse boisson au wasabi. “Putain, ça arrache !” Changement express sur changement express : “Mais sérieusement. J’ai besoin d’exposer des photos comme celles que j’ai faites ici, avant de complètement vriller dans mon emploi actuel. S’il te plaît.” Elle assaisonne le tout d’un regard de chien battu, les yeux déjà rougis par le wasabi. Yeux qu’elle tourne vers les plats quand son estomac commence à gronder : elle a une fourchette, ne manque que le couteau. “Tu m’aides à couper ?” Travail de bûcheronnes. Ca en fout partout, et ça la fait rire, parce que c’est typiquement le genre de choses qu’elle évite absolument de faire, en public ou seule (Kim Possible est déjà un public bien suffisant pour lui rappeler sa honte). Elles viennent à bout du découpage et de la séparation en deux parties égales, non sans mal, mais le résultat du dur labeur est consommable.

J’ai le droit à une question personnelle, moi aussi ?

Ce n’est pas une vraie question - ce ne sont jamais de vraies questions, avec Grace. Ou très rarement. Celle qui va suivre en sera une, sûrement, et il faut qu’elle la choisisse avec justesse et tact. “Bon. Maintenant que t’as du recul, enfin un peu, pas beaucoup, mais un peu de recul sur l’Australie, qu’est-ce que tu trouves complètement aberrant comme coutumes ou comme habitudes ? Genre, si tu pouvais ramener des choses d’ici en Australie, ce serait quoi ?” Elle s’attend à des trucs tout cons, du style les aurores boréales, l’absence relative de pollution, les mecs tout blancs avec leurs grandes barbes de hipsters, mais elle aime être surprise. “En fait, si tu pouvais vivre quelque part sur Terre, n’importe où, t’irais où ?” Elle pourrait lui sortir n’importe quelle théorie plus ou moins fumeuse sur le PIB des Bhoutanais qui se mesure en bonheur des habitants ou sur l’ouverture sociale des Canadiens qu’ils n’ont pas encore en Australie qu’elle marcherait complètement. Elle voulait simplement voir ce que Lola cherchait dans son monde idéal, là où elle se sentirait le mieux. “Ca peut être une idée de prochain voyage”, conclut-elle en lâchant la proposition dans les airs pour flotter entre elles. Un jour, peut-être.

@Lola Wright
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