TW : alcool / vulgarité

Il a déjà beaucoup trop bu lorsqu'il quitte son appartement pour se rendre en centre-ville. Jackson ne sait plus quelle heure il est ni la date exacte. Approximative, sa poigne s'accroche à la poignée de la porte tandis qu'il tente de verrouiller derrière lui, tanguant à chaque effort qu'il fournit afin de trouver le trou de la serrure. « Fuck you ! » Marmonne-t-il au battant avant d'abandonner et de tourner les talons. S'il parvient à descendre les escaliers sans chavirer, c'est parce que ses pieds les connaissent par cœur depuis le temps. Une fois dans la rue, l'agent traîne sa peine sur plusieurs kilomètres. La chaleur de la nuit et l'état d'ébriété poussent son métabolisme :short et t-shirt lui collent à la peau mais il s'en fiche. Mills a sa black card avec lui et sait qu'aucun videur digne de ce nom ne refusera qu'il mec bourré vienne dépenser des centaines de dollars en bouteilles achetées pour se donner l'illusion d'être heureux, de faire la fête, de ne pas avoir de peine de cœur.

Il se trompe.

Lorsqu'il se présente à l'entrée du night club - le même que celui des trente ans de Marley - Jax se fait sévèrement refouler. Instinctivement, l'agent montre les dents, prêt à en découdre, mais c'est sans compter sur le fait qu'il voit double, qu'il peine à articuler convenablement et que ses réflexes sont anesthésiés par la quantité délirante de vodka ingurgitée au cours de la dernière heure. Les provocations qu'il crache à la gueule du vigile ne trouvent pour réponse qu'une violente bousculade l'obligeant à reculer. Son monde tangue, ses appuis sont mauvais, le boxeur perd l'équilibre et finit dans le caniveau. Il n'a pas le temps de faire appel à son orgueil pour le relever que son corps expulse le trop plein en un torrent de gerbe inarrêtable. Autour de lui, les badauds attendant de rentrer dans le club froncent le nez. Jackson vomit tout son saoul, au point de s'imaginer régurgiter son estomac avec le reste tant les spasmes secouant son corps intoxiqués sont douloureux. Quelqu'un parle d'appeler une ambulance.

Soudain, un phare s'allume dans l'esprit de l'agent. Non, pas l'hôpital ! Tout le staff le connait au St Vincent. Isaac, Yasmine, Isla ... Judy. Le visage de l'adolescente le sort de son agonie tandis qu'il se redresse, chancelant, prêt à repousser quiconque souhaiterait s'inquiéter de son état.  « JE VAIS BIEN ! » Hurle-t-il pour qu'on le laisse tranquille, avant de foutre le camp. Sur le chemin du retour, Jax croise des affiches promotionnelles de la fête foraine. Une impression d'étouffer le cloue sur place tandis que les muscles de sa cage thoracique se contractent, prenant en otage sa respiration déjà rendue courte par la souffrance qu'il tente vainement de noyer. Son regard fixe l'image de la grande roue sur laquelle il se trouvait un peu plus tôt dans la soirée. Il sent les fantômes des doigts de Lynch à nouveau caresser ses abdos, les échos de sa voix supplier qu'il ne l'abandonne pas. Une guerre éclate alors à l'intérieur de lui, opposant d'un côté sa raison, de l'autre ses sentiments. C'était la meilleure chose à faire ! affirme la maigre zone de son cerveau pas encore éteinte par la vodka. La pire de toutes ! Répliquent ses tripes rongées par le manque.

Une dose. Une seule et malheureuse petite dose d'elle pour qu'il replonge, comme le dernier des drogués, comme Mickey avec la coke. Jackson se prend la tête entre les mains, incapable de faire taire les voix repartant de plus belle. Ivres, ces dernières ne semblent pas aussi disposées que d'habitude à le rendre paranoïaque. Cette nuit, ses démons intérieurs préfèrent le torturer, le blâmer, lui mettre le doute et surtout, surtout, lui planter des affirmations détestables dans la tête :

Il finira seul.
Il ne sera jamais père.
Sa vie n'est vouée qu'à servir.

« TA GUEULE ! » S'ordonne-t-il tout en giflant sa propre joue avec la sauvagerie qu'il réserve d'ordinaire à ses adversaires sur le ring. Instinctivement, ses jambes commencent à courir. Jax a besoin d'endorphines. Si l'alcool ne suffit pas, il faut qu'il s'épuise ...




À 8 heures du matin, Mills retrouve son domicile les bras chargés de pots de peinture. Il était le premier client de la quincaillerie. Sa black card a fait de l'effet au tenancier, à moins que ça ne soit sa dégaine effrayante. Vomi et sueur séchés parsèment ses vêtements qu'il enlève aussitôt la porte refermée derrière lui. Déshydraté aussi bien par la course que par l'alcool, l'agent n'a plus les idées claires. À moitié nu, il commence à ouvrir les contenants, s'empare d'un rouleau et se met à badigeonner les murs sans autre forme de cérémonie. La peinture tombe en éclaboussures sur le plancher, les meubles et sur sa peau à vif de se savoir définitivement privée du toucher de Marley. Jax repeint tout. Tout ce qu'ils avaient changé de couleur, jusqu'au moindre recoin, jusqu'à la chambre à coucher dont il extrait le matelas qu'il balance dans la cage d'escalier. Exorciser le diable pour ne plus être sa victime. Brûler les reliques. Congédier les impressions de déjà-vu ...

Enfin, aux alentours de midi, Mills accepte de répondre au téléphone qui, pour la 3 ème fois de la matinée, affiche le numéro de Widow. « J'suis malade. » Répond-il pour justifier son absence. Est-ce vraiment un mensonge ? Assis au milieu du salon, les cheveux parsemés de peinture et les cernes tombant jusqu'au nombril, l'agent n'était de toute façon pas en état d'arrêter des terroristes aujourd'hui.

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TW : arme / meurtre

Il se l'est interdit pendant des jours. Ne pas y penser, ne pas ruminer, ne pas tourner les détails dans tous les sens, ne pas chercher à élaborer de plan d'action ... Jax a essayé de toute la force de sa volonté inexistante compte tenu du fait qu'il en crève d'envie et que cette décision de ne rien faire ne vient pas de lui.

Mitch Swenson est un citoyen à première vue sans histoires. 43 ans, divorcé, sans enfants, employé dans une entreprise de transport routier, amateur de pêche en mer, consommateur de porno traditionnel, payant ses taxes en temps et en heure, sans surplus de contraventions, fumeur régulier ... Le genre de dude à l'haleine de chiotte, portant une casquette à longueur d'année et dont un quart du salaire se dissout dans les fonds de pintes consommées tous les week-ends aux comptoirs de quelques-uns des bars craignos de la ville. C'est en découvrant qu'une plainte pour violence conjugale avait été déposée par son ex-femme en 2017 puis retirée seulement quelques jours plus tard que Mills avait arrêté sa décision.

Lorsqu'il arrive pour prendre possession du jet ski, le soleil vient à peine de se lever. L'agent présente la fausse carte d'identité avec laquelle a été faite la réservation en ligne. Caché derrière son casque, il fait preuve d'une discrétion irréprochable lui permettant de prendre le large sans attirer l'attention de quiconque. Pas de téléphone, pas de montre connectée, rien qui puisse retracer sa position géographique. Il a réservé la bécane pour la journée complète afin de brouiller les pistes mais sait très bien qu'il ne lui faudra pas plus d'une heure ou deux pour mettre un point final à toute cette histoire ...

Ce bon vieux Mitch est un homme prévisible qui ne sort que très rarement de sa zone de confort. Pourquoi changer de périmètre de pêche quand celui au sein duquel il lance sa ligne depuis des années ne l'a jamais déçu ? Posté en embuscade derrière deux gros rochers, Mills attend que lui passe sous le nez le bateau habituellement loué par le pêcheur lors de ses sorties en mer. Une vieille bicoque qui ferait probablement ricaner Anwar mais dont la ligne de flottaison semble tenir le coup puisque l'embarcation a déjà ramené au port des carnassiers plus gros que ses cuisses de sprinter, photos Facebook à l'appui ... À 10h, le bateau jette l'ancre. De ses jumelles, l'agent observe sa proie mettre en place son matériel. Voir sa sale gueule de charognard en chair et en os contracte les muscles de sa mâchoire. L'agent fait ce qu'il peut afin de ne pas imaginer la face de ce type respirant à quelques centimètres de celle de Marley mais c'est peine perdue. Tandis qu'il lui laisse le temps de se croire en sécurité et parfaitement callé pour une journée de pêche passée à écouter le match à la radio, Jax révise dans son esprit les différentes étapes de l'attaque qu'il s'apprête à mener.

D'abord utiliser le courant afin de se rapprocher sans éveiller les soupçons. Ensuite, amarrer le jet ski, grimper à l'échelle du bateau. Arriver dans le dos du coupable. Le maîtriser. Passer autour de ses poignets et de ses chevilles les colliers rilsan dormant dans le fond de sa poche. Lui fourrer dans la bouche de quoi le faire taire. Le regarder bien en face pendant qu'il se tortille tel un ver sur le sol de l'embarcation. Se retenir de lui défoncer la gueule. Sortir le couteau ...

Swenson gueule comme un putois derrière le bout de tissu visqueux qu'il utilise d'ordinaire pour dégorger la poiscaille. Visière relevée, le dominant de toute sa hauteur, Jax finit par s'accroupir, lame du couteau en évidence. Son regard est aussi noir que celui de sa victime n'est exorbité de terreur. « Fallait pas la toucher. » Prévient-il, sans autre explication qu'une photo de Marley brandie sous son nez, radieuse et souriante, prise quelques années plus tôt, lors d'une partie de beach volley en compagnie de leurs amis communs. Le teint du pêcheur change soudainement de couleur. Ça y est : Mitch vient de comprendre. Sans plus attendre, Jackson l'attrape par le col et mobilise sa force de bœuf afin de passer cette pourriture par-dessus le bastingage. Swenson secoue vivement la tête pour le dissuader de lâcher prise quand son corps presque aussi massif que celui de Mills ne tient en équilibre que par la poigne de l'agent autour de ses vêtements. Jax vient se poster derrière lui, l'obligeant à regarder les profondeurs au sein desquelles il s'apprête à le laisser couler de la même manière que ce connard a laissé Lynch pour morte dans la ruelle. Sa voix est plus mauvaise que le diable lorsqu'il murmure à son oreille : « J'sais que tu rêves de chopper un requin, fils de pute. On va voir s'ils seront plus rapides à te bouffer que le plancton. » Sa lame s'enfonce dans le dos du pêcheur qu'il lâche dans la foulée et regarde se faire happer par l'océan. Être croqué par l'un de ces prédateurs marins serait la meilleure option pour Mitch dont le bâillon n'empêchera pas l'eau salée de venir grignoter ses poumons.

À 11h, Jackson débarrassé de son arme, rejoint Kit et Stefan, les moniteurs de Jet avec lesquels il a sympathisé lors de l'enterrement de vie de jeune fille de Louisa. Ces derniers lui proposent de faire la course. L'agent accepte, évidemment. Quelques heures d'adrénaline et de cabrioles pour se monter un alibi, juste au cas où ...

Personne ne saura. Pas même Marley.

Jax avance dans l'allée centrale, son unique sac de voyage sur le dos. À travers les hublots se dessinent les contours de l'aéroport de Gaborone. L'hôtesse de l'air lui sourit et lui souhaite un bon séjour. Il est tellement déphasé par le décalage horaire qu'il ne sait plus l'heure qu'il est. Aux alentours de midi d'après le positionnement du soleil qu'il se prend en pleine face une fois la porte de l'appareil ouverte. À peine sorti de l'avion, l'agent s'arrête en haut de l'escalier menant au tarmac. Les autres passagers le doublent et le contournent, pressés de retrouver l'air climatisé du terminal. Il inspire à plein poumon. L'air ici n'est pas le même qu'à Brisbane, Sydney, New York ou toute autre ville occidentale. Ça sent l'Afrique. Loin d'être accablé par la chaleur, Mills s'élance, dévale les marches puis stoppe sa course sur la dernière. Pour la première fois de sa vie, son pied va toucher le sol de ses ancêtres. Il sacralise l'instant et pense à son père qui plusieurs dizaines d'années avant lui faisait le chemin dans l'autre sens ...

Premier repas au Botswana. La table déborde de tous les plats inconnus à la carte. Jax veut tout goûter. Assis seul sur une terrasse du centre ville, l'agent observe les passants. La diversité ethnique ainsi que la multitude de dialectes le surprennent. Le calme des gens également. Il écoute les conversations, détaille les styles vestimentaires, jette un œil aux nouvelles locales diffusées sur un écran de télé vissé au mur du restaurant. En silence, Mills savoure son repas. Il a pris des photos, mais préfère se charger d'envoyer tout cela plus tard, lorsqu'il sera à l'hôtel. Fatigué ou pas, il compte profiter de l'après-midi pour visiter la ville. Au moment de régler l'addition, il demande au serveur quelques conseils. Son tswana est teinté d'un accent australien qui fait rire l'employé. Ce dernier n'en reste pas moins sympathique et lui indique tout ce qu'il est intéressant de visiter dans la capitale. Jax le remercie puis s'en va.

L'agent se laisse quelques jours pour jouer les touristes. Ensuite, il partira dans le désert se confronter à lui-même, trouver des réponses à ses questions, découvrir ses racines, élever son esprit ...

TW : Racisme

Ils n'ont pas le droit de faire ça. S'ils se font prendre, c'est - au mieux - une balle bien logée - au pire - de la torture. Pourtant, aucun d'eux ne montre de signe de peur. Pas d'hésitation. De la vigilance, ça oui. Jax et son groupe sont organisés. On peut lire dans la géométrie de leur déploiement l'échange de connaissances opéré au cours de dernières semaines, la stratégie mise en place en amont. Ils lui ont appris la chasse. Il leur apprend à ne pas se mettre en position de proie facile, à effacer leurs traces. C'est à la tombée de la nuit que cela se passe, quand le vent souffle sur les dunes et noie dans ses complaintes sifflantes les coups de pelles qu'ils assènent à la terre ...

De l'eau. Voilà ce qu'ils cherchent. L'ancien est formel : c'est ici qu'elle se trouve. C'est donc ici que se creusera le puis illégal, celui que les gardiens de la réserve détruiront s'ils le trouvent. Cacher le fruit de leur travail et veiller jalousement à la protection des lieux : leur nouveau mantra.

Laisser crever toute une population de soif sous prétexte d'avoir pris le contrôle du territoire, Jax n'aurait jamais cru son pays d'origines capable de pareille infamie. Mais la politique corrompue et la guerre pour le monopole des ressources sont les mêmes partout. Mills déplore que ses frères se pillent entre eux quand s'allier contre les blancs suffirait à peine à protéger les girafes et les éléphants que les riches occidentaux viennent massacrer pour satisfaire leur égo. Il a vu les silhouettes des Jeep de Safari se découper sur l'horizon. Les fusils d'assaut dernier cri avec lesquels même un aveugle pourrait faire mouche. Aucun respect pour la vie. Aucune pudeur. Aucune gêne ...

Tant pis. Il ne pourra pas changer la façon dont tourne le monde à lui seul. En revanche, ses bras et son dos peuvent faire la différence. Alors il frappe et frappe encore, casse la pierre, casse la terre, remue la poussière qu'il respire en tâchant de ne pas tousser trop fort et recommence, nuit après nuit, jusqu'à perdre le compte des jours ...


Atteindre la nappe leur prend près d'un mois, mais lorsqu'il la trouve, c'est une joie incommensurable. Un festin est organisé, humble, primaire. Ils se réunissent autour du feu, mangent, chantent et dansent. Le corps de Jackson est peinturé et des rituels ancestraux sont pratiqués afin de faire de lui l'un des leurs. Hommes, femmes, enfants, ils le remercient pour son aide avant le grand départ, lui disent que sa différence est acceptée au sein de leur tribu et qu'il sera toujours le bienvenu. Mills n'est plus un Tswana à leurs yeux.