A marcher sans fin, à marcher sans raison, on finit toujours par se heurter à des obstacles que l'on n'avait pas vu venir. Raffaele avait récemment revu celle qui hantait ses pires cauchemars ainsi que ses plus doux souvenirs. Le sourire blanc de cette poupée dorée le ramenait des années en arrière, à une époque où tout lui semblait si merveilleux. Le Don Juan s'était assagi, il était devenu un homme sage, un homme fidèle, un homme... amoureux. Mais l'amour est dangereux. Il vous marque à vie. Il vous impose sa force sans que vous ne vous en rendiez compte et lorsqu'il vous déserte, tout ce qu'il vous reste c'est une cicatrice amère qui jamais ne vous quittera. Pourtant Raffaele avait appris à passer outre sa douleur. Il avait appris à avancer avec. Il l'avait même partiellement oubliée. Seules ses nuits lui semblaient difficiles parfois. Mais il trouvait toujours un moyen d'écourter celles-ci en travaillant ou en passant ses soirées en galante compagnie. Cependant bien qu'i; ait cherché à protéger son coeur, le destin s'était joué de lui. Il avait revu son ange blond et depuis, il n'avait eu de cesse de penser à elle. Elena.

Marchant dans le supermarché sans trop de but, il avait décidé de s'acheter de quoi cuisiner à Serena mais ne savait pas encore quoi. Il voulait la surprendre et lui prouver qu'il pouvait faire plus que de la pâtisserie. Passant dans les rayons, il tomba nez à nez avec un paquet de pâtes de marque italienne et sourit. non, c'eut été trop facile et elle l'aurait nargué pour ce choix ridiculement prévisible. Il continua son chemin jusqu'à ce qu'il aperçoive celle qu'il pensait avoir été un mirage une dizaine de jours plus tôt. Son coeur fit un bond en reconnaissant son premier amour. Elle adoptait une position assez étrange et la voyait zigzagguer dans le magasin tout en restant penchée. Soudain, il comprit. C'était lui qu'elle fuyait ainsi. Bien qu'agacé de ce comportement puéril, il ne voulait pas fuir. Il voyait en la regardant à quel point cela pouvait être ridicule de ne pas faire face à ses démons. Il avait besoin de savoir ce qu'elle faisait là et pourquoi elle s'efforçait tant à l'éviter. Il marcha droit sur elle, oubliant complètement le motif de sa présence dans le supermarché et alors qu'elle reculait, la laissa lui rentrer dedans en marche arrière. Elle se retourna, visiblement gênée de ne pas avoir regardé où elle mettait les pieds et lorsque son regard se posa sur lui, il croisa les bras. "Tu fuis quelque chose? Ou quelqu'un peut-être?" Son italien n'avait rien perdu de sa force. Il était toujours aussi élégant malgré ses mois passés en zone étrangère. Ses "r" parfaitement roulés lui donnait un côté sauvage et agressif bien que séducteur à la fois. "Qu'est-ce que tu fais ici Elena?" Son ton parfaitement maîtrisait trahissait le manque de surprise quant à cette rencontre. Mais il se fichait des interprétations qu'elle pouvait en faire. Il voulait juste savoir. Il en avait marre de jouer au chat et à la souris. Bien que sa question semblait banale, il en demandait bien plus que ça. Il ne voulait pas savoir ce qu'elle faisait dans le magasin mais à Brisbane et prévoyant qu'elle allait tenter d'éviter de répondre droit au but, il précisa "A Brisbane, que fais-tu à Brisbane Elena." Ses traits étaient durs et il luttait pour ne pas regarder plus attentivement la créature qu'il avait sous les yeux. Tout en elle le ramenait au passé. Et il ne voulait se souvenir de rien. Il ne voulait pas perdre une once de sa détermination, bien que sa présence le déstabilisait bien plus qu'il ne le laissait paraître.

Alors que la femme réapparaissait dans sa vie, Raffaele ne pouvait aller moins bien. Il avait fui l'Italie dans l'espoir assez ridicule que la vie serait différente au loin. Mais rien ne se facilitait uniquement parce que l'on prenait ses valises et qu'on changeait de pays. Rien. Surtout pas les blessures de coeur. Il était venu jusqu'à Brisbane pour revoir le visage apaisant de Kaecy. Mais là où il pensait trouver du réconfort, il avait surtout trouvé une porte fermée. Et alors que celle qui lui avait claqué une énorme porte au nez, une porte à l'amour qu'il lui avait donné, alors que cette traîtresse était de retour dans un paysage voisin du sien... voilà qu'elle n'était pas là pour lui. Pire, elle l'évitait. Le regard d'Elena le rendait encore plus agressif. Elle fuyait. Dans tous les sens du terme. Alors qu'une petite part de lui pensait qu'elle était peut-être là pour lui, tout comme lui était ici pour Kaecy et pour elle, il réalisait que non. Il était venu régler ses problèmes avec deux femmes en même temps. Espérant qu'en retrouvant l'australienne, il pourrait passer à autre chose aussi en ce qui concernait l'italienne. Mais Elena n'était pas à Brisbane dans cet objectif là. Et bien qu'il pensait lui dire d'aller se faire voir, il réalisa qu'il était déçu qu'elle soit aussi... indifférente, aussi banale. Elle était ici pour le travail. "Quelle coïncidence." dit-il en grinçant des dents. Fallait-il qu'elle reçoive un emploi ici? Il ne prenait même pas le temps d'entendre qu'elle n'était plus sur la glace, qu'elle avait mis un terme à cette passion tout comme elle avait mis un terme à la leur.

Sans comprendre ce qu'elle faisait, il la vit reprendre contenance, récupérer son caddie et avancer nonchalamment dans les rayons en lui parlant comme si de rien n'était. Estomaqué par ce comportement dénué de toute raison, il la suivit sans savoir s'il le devait ou non mais écoutant juste sa rage qui lui indiquait de ne pas la laisser s'en sortir ainsi. Pas aussi facilement. Pas avec un sourire aussi ridicule et feint. Il "Tu dois bla..." Il s'interrompit en voyant qu'elle continuait d'avancer tranquillement et la retint par le bras pour la forcer à lui faire face. Ce bras qu'il tenait entre ses doigts lui rappelait tant de souvenirs. Des disputes ils en avaient eues. Et des moments de rage, ce n'était pas nouveau entre eux. Mais jamais rien d'aussi destructeur. Jamais rien qu'il n'ait pu pardonné. Jusqu'à ce que... Et maintenant, elle lui parlait comme s'ils étaient de vieux amis? "Tu crois que je vais tout simplement te parler? Comme ça? Là, dans un supermarché comme si on était de vieilles connaissances qui se rencontraient par hasard?!" Les clients qui passaient tout près d'eux regardaient en coin le couple se disputant en italien. Enfin pour le moment c'était surtout Raffaele qui parlait fort. Il n'avait pas encore eu l'occasion de lui dire tout ce qu'il avait dans le ventre et cela bouillonnait dans son ventre depuis si longtemps. Mais il ne savait pas si cela l'apaiserait ou si cela ne risquait que de rendre tout encore plus compliqué et plus douloureux. Ne pouvait-elle pas juste disparaître de sa vie? Ne le torturait-elle pas suffisamment dans ses souvenirs? "Je n'ai pas l'intention d'avoir cette discussion ici et maintenant Elena. Mais tu ne peux pas te pointer ici, me fuir, prétendre que tout va bien, faire semblant..." voilà ce qui faisait le plus mal, qu'elle fasse semblant. Qu'elle se comporte comme si rien ne les unissait. Comme s'il pouvait passer outre tout leur passé commun. "...faire semblant que tout ça n'a pas existé, faire semblant qu'on est amis." Il regardait autour de lui, saisissant une boîte de sardines sur l'étagère en passant près d'elle et la reposant quelques secondes plus tard. "Nous ne serons jamais amis Elena, jamais." Il semblait deviner qu'elle désirait peut-être cela, qu'elle voulait peut-être de meilleurs termes entre eux. Mais pas comme ça. Il ne savait même pas si il en était capable mais là, pour le moment présent, tout ce qu'il souhaitait c'était... il n'en savait rien. Mais il ne voulait pas céder quoique ce soit. Il lui en voulait encore tellement. Trop. Trop que pour prétendre qu'il avait oublié quoique ce soit.

En vérité, il ne savait pas trop ce qu'il attendait de cette actuelle conversation. Après tout, ils n'avaient rien à se dire à partir du moment où il refusait catégoriquement qu'ils soient amis. Mais il ne voulait pas partir, il ne voulait pas finir cela ainsi. Tout était tellement compliqué, si confus entre eux. Il aurait aimé soupiré bruyamment ou s'asseoir par terre et frapper des poings au sol comme un bébé mécontent. Mais c'était là le problème, il n'était plus en âge de faire des caprices. Et aucune mère ne viendrait le dorloter pour panser ses maux. Il était seul. Et celle qui avait été la seule à réussir à le consoler, c'était celle qui était aujourd'hui la source de ses plus grandes douleurs.
Elle tenait bon, elle était énervée. Et il se rappelait soudain de la délicieuse Elena en colère. Celle qu'il plaquait contre le mur une fois qu'ils étaient rentrés dans sa chambre alors que ses parents étaient absents. Celle qui s'emportait avec rage lui disant de la laisser alors qu'il souriait à s'en casser la mâchoire et qui cédait avec rage en l'embrassant passionnément. Troublé par ce souvenir revenu à lui alors qu'elle partait dans les aigus, il crachota. "J'essaie de comprendre. Tu préférerais que je me casse? Ca aussi je peux le faire. " Il cherchait à la menacer pour voir si elle réagirait. Mais son but était surtout de gagner du temps car il n'avait aucune réponse. "Je te reproche d'avoir couché avec cet enflure de connard de mes deux. Je te reproche de pas m'avoir fait confiance. Je te reproche d'être ici et de faire comme si c'était normal. Comme si je devais le prendre naturellement..." Le ton montait peu à peu. Un vigile les surveillait du coin de l'oeil et Raffaele sentait qu'ils risquaient d'être mis dehors très vite. En Australie les gens tenaient au bon ordre et ne souhaitaient pas avoir à assister aux scènes de ménage des autres. Tout le contraire de l'Italie où crier était plus courant que parler.

"Est-ce que c'est pour ça? Elena réponds moi, sois honnête. Tu me dois au moins ça! T'es venue pour me demander pardon? Serieusement? Tu veux que je gobe un truc pareil? Ou tu ne fais que me manipuler parce que tu ne supportes pas que quelqu'un sur cette planète puisse te détester. " N'avait-elle pas assez joué avec ses sentiments? Il bouillonnait et finit par faire tomber un paquet de farine au sol lorsqu'elle lui répondit de la laisser avec ces conneries. "T'es pas croyable. Est-ce que tu t'entends?! Mes conneries?" Le vigile, conscient du point d'explosion imminent se présenta à eux en deux temps trois mouvements et sans qu'ils n'aient rien pu dire ni l'un ni l'autre les poussa dehors. Une fois à l'extérieur, Raffaele haussa les épaules "Ca fait des mois que penser à toi me coupe la faim. Voilà que maintenant par ta faute, je ne pourrai vraiment pas manger. "

Elle semblait chercher à tout prix la dispute. Du moins c'était ainsi qu'il le vivait. Il essayait de se maîtriser mais c'était peine perdue. Lui et Elena ensemble, deux Italiens plein de ressentiments et le coeur lourd, ça ne pouvait que donner des étincelles. "Moi?C'est Moi qui fuis?! Je te rappelle que c'est toi qui a été te réfugier dans les bras d'un autre dès que tu as eu un doute. Toi qui a fuis plutôt que de venir me confronter." Il le pensait vraiment. Pour lui, c'était elle celle qui était vraiment partie. Celle qui avait tout abandonné sur un coup de tête, détruisant tout ce qu'ils avaient. Tout ce que lui aimait. La seule chose qu'il aimait: leur relation.

Une fois dehors, elle s'emportait enfin pour de bon. Les bras allaient dans tous les sens tout comme les regards des clients qui arrivaient ou sortaient du magasin. Mais Raffaele n'en avait que faire. Seul son coeur l'inquiétait. Parce que cette fille si tempéramentale lui rappelait son Elena d'antan. Parce que cette fille lui brisait le coeur avec une force insoutenable. "Qu'est-ce que tu ne veux pas?" Il avait baissé le ton de sa voix aussi. Il sentait qu'elle était dans une faille, qu'elle était à bout et ne voulait plus la violenter psychologiquement. Mais il voulait savoir. "Termine ta phrase Elena, que ne veux-tu pas?" Il secouait la tête, prêt à entendre des choses douloureuses, des choses qui risquaient de lui tordre les entrailles.

Elle changea de répertoire par la suite et entendre Elena parler de Serena le mit dans une rage folle. Car c'était ce genre de sous-entendus, ce genre de propos qui les avaient éloignés. Mais aujourd'hui il n'avait plus rien à se reprocher, plus aucun devoir envers elle. "Qu'est-ce ... Je n'ai aucun compte à te rendre Elena. Aucun! C'est ma vie privée et tu as perdu ton droit de regard dessus depuis bien longtemps." Enervé il marchait tout en tournant en rond. Etait-elle encore jalouse? Il aimait l'idée mais ne voulait se l'avouer. "Tu n'as plus le droit d'être jalouse Elena. Ni de me demander ce qu'il y a dans ma vie. Est-ce que tu m'entends te demander comment ça va avec ton fiancé? Non. C'est parce que c'est ta vie, tu la fous en l'air comme tu veux, ce sont pas mes affaires. D'ailleurs, il est où là maintenant? Ca le gêne pas que tu parles avec moi?" Tout d'un coup, malgré le ton haut de ses paroles et leur son virulent, il changea d'optique et se rapprocha d'elle. "Il te laisse te promener comme ça? Venir me voir sans aucun souci?" Il marchait droit sur elle et s'arrêta à quelques centimètres en baissant son regard sur celle qu'il avait tant aimée. "Moi ça me rendrait malade de savoir ma fiancée aussi près de son premier amant, aussi proche de..." il posa un index sur sa joue pour soulever une mèche de cheveux blonds qui lui cachait la vue. "...de tous ces souvenirs." Mais il voulait juste lui dire que son Daniele était un enfoiré, pas se rapprocher d'elle. Pourtant il venait de le faire sans s'en rendre compte. Bien trop heureux d'avoir trouvé un prétexte de la toucher. Il laissa retomber sa main le long de son corps tout en continuant à la toiser.

Il ne s'en rendait pas compte mais il jouait avec le feu. En vérité, il en était plus conscient qu'il ne voulait le reconnaître. Elena avait toujours été sa faiblesse. Celle à qui il suffisait d'un sourire pour qu'il tombe à ses pieds. Mais cette époque était révolue, il ne pouvait plus se laisser ainsi manipuler par ce qu'il ressentait, par ce qu'il avait ressenti autrefois pour elle. Seulement, dans son for intérieur, il sentait encore des flammes qui auraient dû être éteintes depuis longtemps. Il cherchait à les ignorer, à faire comme si elles étaient le fruit de son imagination mais malgré tout, il les laissait le guider inconsciemment. C'est ainsi qu'il s'était retrouvé tellement près de celle qu'il prétendait haïr.  "Et qu'est-ce que tu veux exactement?" Elle lui avait sans le vouloir tendu une perche. Il pouvait ainsi poser une question qui le taraudait et sans détour. Il voulait savoir ce que cherchait réellement l'italienne. Parce qu'elle ne pouvait pas tout esquiver. Certes, elle le faisait encore en argumentant que c'était lui qui était venu lui parler mais il se fichait de ses manoeuvres pour repousser les vrais points importants. Elle ne s'en sortirait pas ainsi. Parce qu'au final, elle finirait par se coincer elle-même. Et c'est ce qu'elle fit lorsqu'elle lui avoua sans prévenir que son fiancé n'était pas au courant de la présence de Raffaele au même endroit qu'Elena. Un éclair de sagesse traversa le blond qui ne savait par où commencer. Il avait mille questions en tête suite à cette révélation. "Et toi, toi tu savais que j'étais ici?" Bizarrement, il connaissait la réponse. Il n'avait pas besoin qu'elle le dise, il savait. A la manière dont elle n'avait pas sourcillé en le rencontrant dans le supermarché, à la manière dont elle semblait même chercher à l'éviter... Mais cela voulait-il dire qu'elle était venue pour lui ou au contraire, qu'elle était venue malgré lui?

Elle finit par lui dire qu'elle ne voulait pas qu'il la déteste et la pression qu'il avait sur les épaules, les tensions qui l'animaient se relâchèrent. Il soupira lestement avant de la regarder droit dans les yeux et de faire un pas en arrière afin de ne plus être si proche de cette source de tentation. "Per che?" Ce n'était pas ce qu'il avait voulu dire mais c'était le seul mot qui avait traversé la barrière de ses lèvres, pourquoi. Déprimé, il dit alors tout doucement. "Je ne te déteste pas. Mais à chaque fois que je te vois... eh bien, ce serait juste plus facile si je pouvais te détester, tu vois." C'était tellement dur à supporter. Il ne voulait pas céder, il ne voulait pas car il savait que ce qui l'attendait ce n'était que tourment et damnation. Une amitié avec elle le rendrait totalement vulnérable. Et ce n'était pas envisageable. Mais pouvait-il se permettre de ne plus la fustiger? Il se le demandait tout en regardant les yeux brillants de son ex amoureuse.