Velvet passait de plus en plus de temps dans les bars, fait dont elle était pleinement conscience et qu’elle acceptait volontiers. Ici, elle s’était donnée un pseudo, avait changé son allure afin que l’on n’associe pas à son personnage public qui déchaînait les passions. Elle doutait avoir besoin d’autant d’effort car son nom n’était familier que dans le domaine de la justice, mais les langues se déliaient vite lorsqu’il s’agissait de traîner quelqu’un dans la boue et il fallait reconnaître était une ville dans lesquelles les nouvelles allaient vite. Nul doute qu’à son retour au bureau, une nouvelle étiquette lui serait collée sur le visage. Habituellement, elle n’y accordait que peu de crédit mais malgré sa réputation de cruelle mégère, elle n’en restait pas moins une femme, une femme qui venait d’être blessée de la plus violente façon. Le pire dans toute cette affaire c’était qu’elle ne pouvait même pas prendre le temps pour se morfondre comme il fallait, être l’être humain le plus malheureux au monde pendant quelques heures, voire quelques jours. Bon, le point positif étant que cette attention non désirée sur ses fléaux intimes, la motivait à se relever et à poursuivre sa marche, fière et indomptable. Elle n’était pas femme à abattre aussi aisément, elle reviendrait toujours, plus forte qu’auparavant.

Elle commençait à prendre ses aises dans ce bar, s’installant et observant les clients, essayant de deviner leur humeur à leur façon de boire ou à leurs expressions faciales puis leur inventer une vie de ce qu’elle aurait pu récolter durant ses observations. D’ailleurs, une nouvelle tête fit son entrée et verre en main, elle laissa ses prunelles s’attarder sur lui, l’analysant pour venir à la conclusion qu’il était loin d’être coutumier de l’alcool. Sans doute un besoin de noyer sa peine dans un ou plusieurs verres. Elle commanda un verre pour lui auprès du barman, optant pour quelque chose de plus doux. « Celui-ci est plus savoureux et plus accessible pour ceux qui n’ont pas l’habitude » dit-elle avec un léger sourire compréhensif. D’habitude, elle ne se serait pas formalisé à lancer la discussion avec quelqu’un qu’elle connaissait ni d’Eve, ni d’Adam mais paraissait-il que les bars changeaient les gens. « C’est ma tournée ! » ou était-ce la solitude qui avait raison de son élitisme social ?

A force de côtoyer les bars, Velvet avait fini par comprendre pour ces lieux étaient tant prisés ! Des personnes semblables qui se retrouvaient autour de verres ou de bouteilles, sans jugement ni commentaires, ni même comparaison. L’on pouvait se plaindre silencieusement à satiété, se considérer l’espace de quelques minutes ou heures comme la personne la plus malheureuse sur la planète et l’avocate devait avouer qu’elle commençait à y prendre goût. C’était reposant, elle n’avait nul besoin de jongler entre différents masques qu’elle plastronnait pour impressionner ses détracteurs, oui, ce divorce lui foutait le moral en l’air, oui, elle avait le cœur brisé et oui, elle semblait toucher le fond et merde, c’était agréable de se l’avouer une fois pour toute ! Cela ne signifiait pas que c’était un état d’esprit immuable ! S’apitoyer sur son sort un moment est bon pour se relever. « Ne vous fiez donc pas au premier goût que vous captez, ce cocktail est plein de surprises » elle dit cela avec un clin d’œil, oui, plein de surprises, en effet ! Elle était bien placée pour en parler, elle, si attachée à un bon whisky était plutôt satisfaite de cette nouvelle découverte pour…ne plus rien ressentir. « Si vous voulez parler, je peux vous écouter » déclara-t-elle par demander au bout d’un moment, chacun avait son histoire ici et à force de hanter les lieux, elle avait pris l’habitude d’écouter ceux qui ressentaient le besoin de parler. Et l’inconnu semblait en faire parti, ou peut-être pas. Elle fit servir deux autres verres. « Santé ! » et elle avala une nouvelle gorgée.

L’inconnu semblait véritablement mal en point et l’avocate ne pouvait que compatir, même si elle ne savait pas encore de quoi il en retournait. Elle n’était pas certaine qu’il veuille en parler, mais qu’importe, cela faisait du bien d’avoir des gens avec qui boire, que cela fut dans le silence ou dans une discussion. Ils étaient tous ici pour la même raison, plus ou moins. La plupart avait des peines à noyer dans l’alcool, ici, personne n’était jugé, ils étaient tous au même niveau qu’il fût avocat ou simple ouvrier, riche ou pauvre, noire comme blanc, les peines étaient humaines alors c’était faire preuve d’humanité que d’essayer d’accorder son soutien à celui qui nous était le plus proche physiquement. En réalité, Velvet avait l’impression de retrouver peu à peu de l’estime d’elle-même, ce qui était assez étrange quand on y pensait puisque c’était dans une ambiance telle que celle-ci qu’elle la retrouvait. Ce phénomène la laissait véritablement perplexe, mais elle avait décidé de ne pas s’en accommoder, elle avait même changé de style vestimentaire afin de passer aussi incognito que possible. Personne ne la connaissait ici et c’était très bien ainsi. « Oh, je vois » elle lui épargna volontiers que c’était le fantasme de tout homme de proposer à sa compagne un plan à trois avec une autre femme, néanmoins elle compatissait encore plus à son sort vu qu’elle passait également par là. « Je compatis, le mien m’a trompé avec un homme » elle dit cela avec un sourire, haussant nonchalamment les épaules. Ce n’était pas une façon de tirer la couverture à elle mais bel et bien de lui faire comprendre qu’elle savait ce que ça faisait, les ‘je comprends’ impersonnels étaient pires que tout. Elle en profita pour commander une bouteille « Je pense que vous avez besoin de boire, vous aurez l’impression que ça va mieux après »

« Non » répondit-elle, plus froidement qu’elle ne l’aurait voulu alors elle s’empressa de corriger ce point « ce serait de la folie » s’exclama-t-elle sur un ton qu’elle voulait plus léger avec un sourire. Velvet Grey ne faisait confiance qu’une seule fois et lorsqu’on avait un comportement proche de la trahison, il était impossible de faire demi-tour. L’on a coutume de dire qu’on pardonne mais qu’on n’oublie pas, sans doute en serait-elle capable mais elle savait pertinemment qu’elle ne serait jamais passée au-dessus, sa fierté avait été brutalement malmenée, si on ajoute à ce cocktail l’aspect tragique de ce bébé tant attendu, il était certain que rien n’aurait pu être arrangé. « Rien ne sert de s’embourber dans une situation comme ça, s’il y a eu tromperie une fois, il y en aura certainement d’autres » Les études le prouvaient et depuis, elle en avait fait sa philosophie, en outre, elle n’avait jamais été franchement fidèle dans sa jeune et ses petits-amis avaient beau lui accorder leurs pardons, elle se retrouvait constamment ou presque à recommencer. Elle se servit un autre verre, ainsi qu’à l’inconnu dont elle ne connaissait pas le prénom, dans le fond ce n’était pas si important, pas sûr qu’ils se revoient et en dehors de ce bar, elle peinait encore à assumer l’affront que Jeremy lui avait fiat vivre. « Vous voulez lui pardonner ? » Elle but une bonne gorgée de sa boisson.

Il était complètement désarçonné parce qu’il lui était tombé dessus, qui ne l’aurait pas été ? Elle se souvenait être passée par semblables étapes émotionnelles, sans parvenir à se raisonner. Elle était restée de longues heures dans la cuisine, son verre à la main, à fixer la bouteille de vin qui n’attendait que d’être empoignée. Les mots lui manquaient, sa raison refusait de répondre présente, pourtant, elle aurait dû s’en rendre compte. Il y avait des signes qui ne trompaient pas. La différence entre cet inconnu –dont elle se sentait pourtant très proche- et elle, était qu’elle n’avait pas été tellement surprise, Jeremy ne lui avait jamais cachée sa bisexualité, jouant dans le même camp, elle s’était dit qu’il n’y avait aucun problème à avoir une relation normale, bien au contraire, cela ne serait qu’hypocrisie que de le rejeter à cause vu qu’elle appréciait également beaucoup les femmes, sans doute plus que lui. Et puis, il y avait eu cette précipitation entre eux, ce besoin qu’elle avait eu de fuir sa précédente relation et elle s’était jetée à cœur perdu dans ses bras, oui, il y avait bien trop de parties sombres dans leur histoire, trop de non-dits qui n’auguraient rien de bon quant au dénouement. Elle trempa de nouveau ses lèvres dans son verre, le vidant tant qu’à faire. « Je comprends » et c’était vrai, il lui fallait d’abord digérer la nouvelle, l’assimiler, la rendre intelligible et…logique d’une certaine manière. « Il faut du temps » elle hocha la tête, oui, beaucoup de temps. Elle ne s’en était pas encore remise, quoique dans son cas, le problème résidait ailleurs, à des années lumières de l’aspect tromperie et trahison. « Rien ne sert de se précipiter, prenez tout le temps dont vous avez besoin pour faire le point et le vide, vous verrez ensuite ce qu’il en ressortira » elle n’était pas conseillère conjugale et voyait mal ce qu’elle pouvait dire d’autre, elle n’avait pas tous les tenants et aboutissants de l’histoire, en outre, qui était-elle pour juger s’il avait le désir de se rabibocher ?

Du temps. D’autres se plaisaient à dire qu’il fallait laisser le temps au temps, une drôle d’expression, pourtant c’était vrai, des années plus tard on se rendait compte qu’au final cela n’avait pas tellement d’importance. Ou que ça n’en avait plus, elle trouvait d’autres priorités et la vie poursuivait son cours, aussi simple que ça, pourtant, elle se gardait de lui dire ça. Ce n’était pas ce qu’il avait d’entendre dans l’immédiat, son couple était foutu en l’air et il avait déjà assez à prendre compte que de se prendre ce genre de commentaires insipides et ô combien inutiles dans la situation actuelle. Elle ne trouvait pas les mots et doutait qu’il y en ait alors, elle se contentait de manifester sa compréhension et de lui offrir une oreille attentive, il semblait en avoir bien besoin…quoi de plus normal dans le fond. « Vous êtes resté chez moi ? » une certaine surprise était perceptible dans ces paroles. Il ne semblait pas être le genre d’homme à virer sa femme, plutôt de ceux qui s’en vont. « Si vous ne savez pas où aller, j’ai de la place chez moi » sa proposition la surprit elle-même, venait-elle réellement de proposer à quelqu’un qu’elle connaissait à peine d’élire domicile chez elle ? Velvet Grey la méfiante qui autorisait peu de personnes à s’immiscer dans sa vie privé ? « Ok, ça, c’est bizarre, je suis bien d’accord » elle rit un peu d’elle-même et de l’étrangeté de la situation « inviter quelqu’un qu’on connait à peine, je dois avouer que je le fais pas souvent, jamais d’ailleurs » elle se voit forcée de se justifier parce que, merde, c’était tellement…elle ne trouvait pas les mots. « c’est juste que, vous voyez, on se retrouve dans la même situation et j’ai énormément d’espace qui ne me sert à rien et… » Elle se tut et partit dans un autre accès d’hilarité « là c’est sûr, vous devez définitivement me prendre pour une folle » à juste titre.

Elle continua de fustiger mentalement après cette proposition complètement inappropriée pour une première rencontre, elle ne savait rien de lui et prenait quand même le risque de l’inviter chez elle ? Et s’il était un psychopathe qui finirait par la tuer dans la nuit avant de la balancer dans la forêt non loin de chez elle ? Bon, elle était consciente qu’elle extrapolait, et après plus d’une décennie à travailler comme avocate, elle aimait à croire qu’elle était devenue excellente juge à se faire une idée sur les gens qui l’entouraient et chez son compagnon d’infortune, elle ne captait rien de dangereux. Bien au contraire, peut-être n’était-elle pas objective vu qu’ils traversaient la même chose…à condition que cela fût vrai. Elle n’avait aucune raison d’en douter et il y avait beau exister de bons comédiens dans ce pays, mais à ce point, à nouveau, elle refusait d’y croire. « Je comprends » dit-elle sincèrement, un petit sourire aux lèvres, au moins, il ne l’avait pas envoyé se faire voir en la traitant de qualificatifs peu glorieux pour sa personne. Néanmoins, va savoir pourquoi, elle réitéra sa proposition en sortant sa carte où figurait son numéro personnel avant de la glisser vers l’homme. « Tenez, si vous avez besoin, je suis joignable là, juste pour discuter ou quoique ce soit d’autre » elle se sentait étrangement proche de lui, les malheurs rapprochent plus que l’on ne voudrait bien le croire. « Par contre, moi je vais y aller» ses chiens l’attendaient depuis une bonne heure maintenant et elle avait beau péter les plombs, ce n’était pas une raison pour les abandonner. « Ravie de vous avoir rencontré dans tous les cas, malgré les circonstances »