« T'es pas obligée de fixer. » je les sens, les prunelles inconnues vissées sur ma peau. Je les sens et je regarde même pas, rien à foutre, quand mes iris à moi sont dédiés à mon reflet dans la glace. J'ai un trait d'eyeliner à refaire, j'ai une ligne de rouge à lèvres carmin à retoucher. De l'autre côté de la porte battante, on entend les dizaines de conversations enflammées des clients, et Matt qui gueule encore et toujours comme un écervelé. Autant le DBD est devenu limite une deuxième maison depuis des années, autant j'en viens toujours à rager quand j'y entends ses sons distincts.

Et pourtant, l'autre continue de fixer, ou du moins, j'en ai l'impression. Mes lèvres se pressent l'une sur l'autre, le baiser soufflé pour en retirer l'excédent en est presque un qui est agressif. Le tube que je referme et qui claque, ma silhouette que je tourne brusquement dans sa direction la seconde d'après. Et si je pensais tomber sur n'importe qu'elle nana qui veut me demander de l'herbe, qui veut me demander un briquet, qui veut me demander ce qu'on me demande dans les toilettes quand on sait un peu ce que je traîne dans mes affaires et ce que je vais fumer dans la ruelle derrière au moins une fois par soir, elle par contre, je m'attendais pas à la voir. « Oh. » il sort presque silencieusement le soupir, presque, j'ai fait des efforts, j'pense, je suis pas sûre, rien à chier là encore finalement. « Hm. » ça c'est mieux, plus véridique, le rictus qui va avec.

Lucia. Lucia qui bosse ici, Lucia qui est ambiante, Lucia pour qui Swann fait des yeux de merlan frit et Lucie qui m'énerve juste à respirer. Lucia, donc. « J't'avais pas reconnue. » bien sûr que je l'ai reconnue, bien sûr que je sais exactement qui elle est et que j'ai mémorisé tout ce que j'avais à mémoriser d'elle. Bien sûr aussi, que je préfère lui laisser la première manche, limite la mettre en confiance. La suite sera bien plus fun si elle croit m'avoir pendant une seconde apprivoisée. La blague.

@lucia whitemore

« C’est pas grave t’en fais pas. »
« J'ai l'air de m'en faire? »

Non, j'ai plutôt l'air de la fixer durement, prunelles aussi braquées que ma mine est fermée. L'autre qui pense me dédouaner alors que je me suis même pas excusée, elle est mignonne en vrai. Elle est mignonne de penser que son avis vaut quoi que ce soit dans une balance que je prendrais bien plaisir à lui lancer à la gueule si ça l'amenait à arrêter de braquer ses prunelles de Bambi et son sourire dégoulinant de paillettes sur ma personne. C'est dur à gérer, une poupée de porcelaine qu'un seul soupir exaspéré pourrait casser. Faudrait que j'essaie, d'ailleurs.

« Je te fixais pas tu sais, et j’écoutais pas du tout ta conversation. » mon sourcil se hausse, maintenant que je l'ignore ou tout du moins que j'en ai tout l'air. Mes prunelles retrouvent leurs homologues dans le miroir dès lors que je finalise le tout en ramenant mes mèches d'un côté d'un seul. Les pointes que j'humidifie de quelques gouttelettes d'eau le temps qu'elles en deviennent des vagues relâchées sur mon épaule dénudée. « Je suis désolée si t’as pensé que c’était le cas. » « Je le pensais pas y'a quelques secondes. Là, par contre, j'en doute. » le savon recouvre mes paumes, je lave le tout non sans piquer un peu, des soupçons que son discours larmoyants auraient supposément amenés. Dans les faits, elle peut bien avoir entendu toutes mes conversations depuis ma naissance que son avis m'importerait pas. Qu'elle aille tout bavasser à qui que ce soit me ferait ni chaud ni froid. Ça serait probablement par procuration qu'elle vivrait mes merdes et mes conneries, qu'elle s'imaginerait peut-être être assez cool pour faire partie de mon entourage au point de connaître mes histoires et d'y avoir pris part. C'est pas Swann qui est son freepass, et même s'ils le croient tous les deux la chute n'en sera que plus douloureuse.

« Pourquoi t'as tout le temps besoin de t'excuser? » que je finis par trancher. De nouveau mon attention qui se braque sur elle, petite chose fragile, minuscule oisillon qui cherche son chemin quand le mien m'encourage à m'installer sur le comptoir, jambes ballantes et dos appuyé sur le miroir. Allez Lucia, dis-moi ce qui te compresse la poitrine au point où tu veux que le monde entier ait pitié et t'excuse tous tes crimes, même les plus dérisoires. J'ai tout mon temps.

« Parce que… Parce que je veux faire les choses bien ? » mauvaise réponse, mauvaise question. C'est relatif faire les choses bien. Bundy voulait faire les choses bien et regardez le résultat. Elle me gagnera pas avec sa voix de gamine et avec son ton qui supplie, elle qui arrive même pas à avoir le moindrement d'assurance dans un principe fondamental qui devrait être là pour justifier ses actions à elle et à personne d'autre. Elle y croit pas elle-même, elle cherche le pourquoi du comment, elle aurait eu besoin d'un manuel d'instructions pour se comprendre avant de tenter de faire de même avec moi, c'est lassant.

« Parce que je trouve ça plus correct je sais pas. » plus correct de quoi? D'espérer que les gens t'aiment bien parce que tu les flattes dans le sens du poil? Plus correct comment? En pilant sur tes opinions et sur tes valeurs et sur ce que tu penses vraiment au profit de pas vouloir faire de vague? De céder tes convictions pour qu'une nana que t'as vue deux fois dans ta vie t'aimes bien et file une note positive à ton sujet à Matt et à Swann? Les gars peuvent très bien se faire une opinion d'elle et ils ont pas besoin de moi pour l'entacher ou pour la bénir, elle y arrive parfaitement toute seule, à mon sens.

« Tu m’apprécie pas énormément. » j'ai envie de soupirer là. J'ai vraiment envie de soupirer et contrairement à elle qui tente de lisser le moindre de ses faux pas de la plus petite à la plus immense des impolitesses, moi je me gère parfaitement. « Pourquoi ? » faut au moins lui donner qu'elle demande pourquoi. Même si la réponse lui plaira pas.

« Te jettes pas des fleurs, t'es pas spéciale, j'apprécie personne. » elle partait déjà avec des points en négatif, comme 99,9% des gens sur cette planète à mes yeux. Ils ont tous besoin de se prouver pour avoir mon respect et ma confiance, et le peu de gens qui y sont arrivés, je les protège comme si ma vie en dépendait. C'est aussi simple que ça, de faire plus correct, pour moi. « Ce que j'apprécie encore moins par contre, c'est que tu traînes autour de Swann. » au cas où elle est pas capable de faire l'addition toute seule, j'en profite pour clarifier tout de suite les variables qui lui échappe elle qui est si centrée sur son cas qu'elle en oublie qu'elle est totalement pas au centre de cette conversation-là. Que c'est le McGrath qui l'est et qui le restera.

« Personne aime avoir à gérer une brindille prête à casser au moindre coup de vent. » j'aurais pu dire que Swann n'a pas besoin d'une brindille de plus à gérer avec toutes les autres autour de lui. J'aurais pu dire qu'il mérite mieux, qu'il mérite quelqu'un de solide, d'aussi solide que lui. J'aurais pu dire qu'il passe sa vie à sauver tout le monde, et qu'à la voir trembler elle, elle va facilement s'ajouter à sa liste de ses rescapés au quotidien. Mais c'est hors limite, et ça je l'ai bien compris. Je doute qu'elle le comprenne aussi instinctivement, elle, par contre.

Ouais, j'avoue, c'est pas super poli de laisser mes jambes se balancer l'une l'autre pendant que poupée Barbie semble vivre le pire moment de sa vie, encore. Au moins je souris pas c'est déjà ça. Et elle pourra pas ajouter à la liste des raisons d'à quel point je suis machiavélique et pour lesquelles elle va courir dans les pattes de Swann à la seconde où elle sort des toilettes pour se plaindre d'oh combien sa soeur est méchante et d'oh combien Ariane lui fait peur et d'à quel point bouhouhouhouhouh don't care, die. Elle fait juste accumuler des munitions pour avoir encore le rôle de la victime, et c'est la même chose et le schéma identique se profile sans surprise et à nouveau quand elle ajoute un larmoyant « Et c’est ton doctorat en psychologie qui te fait dire ça ou c’est parce que t’as trouvé mes cachets en fouillant mon sac ? » à la scène. « Ta voix qui tremble et tes doigts que tu caches aident pas au portrait que tu fais toute seule de toi. » ma voix à moi est calme, ça sert à rien d'hausser le ton j'ai pas non plus envie qu'elle me fasse une attaque entre les mains. Ses cachets sont à la poubelle depuis longtemps et elle doit avoir ses prescriptions bien sagement rangées dans ses affaires pour en avoir d'autres. Elle me fera pas pleurer comme elle a dû aller lui pleurer dessus à Swann, au sujet de son sac à main aussi beige qu'elle. Passons.

« Swann me gère pas, et je lui ferais jamais de mal. »
« Faut jamais dire jamais. »

Je la crois pas. Je crois personne, et elle encore moins. Parce qu'il l'aime bien, ça crève les yeux, et parce qu'autant que je lui fais confiance à lui pour être en mesure de choisir les gens qu'il laisse entrer dans sa vie, autant que je lui fais pas confiance à elle sur le long terme. Si elle flippe quand y'a que moi, que je mords pas, que je gueule pas et que je fais que l'écouter déblatérer ses raisons de merde, elle est pas prête pour Jill. Elle est pas prête pour Matt le grand frère protecteur suffocant. Elle est prête pour personne sauf peut-être pour Ginny, et encore, on saura jamais laquelle des deux va nous claquer entre les doigts en premier. Pathétique.  « Et tu sais pas ce qui peut me faire casser ou pas. »

Elle veut parler? Qu'elle parle, alors.

« Oh, mais j't'en prie. Éclaire-moi. » pas que je sache pas quoi faire pour la casser en temps et lieu. Ça c'est facile, c'est déjà trouvé, enregistré, acté. Mais qu'elle dise, qu'elle relate, qu'elle explique, et on verra pour la suite.

« T’es sûre que t’es pas psy ? »
« Pourquoi, t'aurais besoin que je te recommande de bons anxiolytiques? »

Elle sait aussi bien que moi qu'on a tout vu, avec Jill. Tout vu, tout enregistré, tout gardé. En soit c'est pas méchant, une p'tite prescription pour poupée de porcelaine prête à craquer, on aurait pu la prévoir d'emblée. Reste que si elle tente de me tenir tête y'a absolument rien de crédible ni maintenant ni jamais. La vérité reste que si j'agis ainsi, c'est pas parce que je veux la casser comme une brindille - ça, je l'aurais fait rapidement si je l'avais vraiment voulu. Mais elle est pas assez solide pour ce qui suit, si elle s'attache trop. Si lui, il s'attache trop aussi. Si elle me survit pas à moi, le reste de la fratrie n'en fera qu'une bouchée. Swann a attendu toute sa vie pour en faire partie, elle va pas venir tout gâcher.  

« Moi je te dis jamais. »
« Ta parole vaut rien. »

La parole des gens, en général, vaut rien à mes yeux. Ce sont les actions qui comptent, et pour l'instant, pour une deuxième fois consécutive que je pourrais même dire, elle arrive pas du tout à m'épater. « J’aime beaucoup Swann. Si lui m’apprécie et me demande pas de bouger, j’irais nul part. » il lui demandera jamais, il est bien trop doux pour ça. Il va prendre ce qu'elle lui donne, même si c'est une épée de Damocles de merde. « Mais je lui ferais pas de mal. » « Je te laisserai pas lui faire de mal, nuance. » mes jambes battent la mesure, ma voix est douce mais mes mots sont durs. Si elle ose ne serait-ce que faire un pas dans une direction qui lui ferait du mal, elle est morte. Au sens propre comme au figuré.

« Pourquoi, pour que t’appuies là où ça fait mal ? »
« Appuies est un grand mot. J'appuie sur rien là, et tes yeux sont humides déjà. »

Elle fait ça toute seule, se monter des scénarios de panique à foison. J'ai rien fait d'autre que poser des questions, j'ai même pas haussé le ton. Mais encore une fois c'est moi la méchante. Rien à chier si l'autre rôle disponible sur lequel elle a sauté c'est celui de la Barbie qui larmoie jusqu'à ce qu'on daigne venir la consoler. Mes épaules sont pas faites pour accueillir qui que ce soit qui veut venir y pleurer.

« J’ai rien contre toi Ariane, j’ai vraiment rien contre toi. » do i look like i care? Elle pourrait vouloir me buter de mille façons différentes qu'elle serait qu'une miette de plus dans l'univers.
« Mais tu t’en fous de toute façon, alors je vais pas te faire perdre ton temps. » blablabla so much for the drama. Et elle s'attend pas à ce que je la retienne là, si? Cute.

« La prochaine fois si tu veux plus d'impact, tu agis au lieu de parler. » ça, ça vaut pour Swann. Ça vaut pour arrêter de dire à quel point elle veut son bien, et commencer à le prouver. Ça vaut aussi pour sa menace de bac à sable de se tirer. Si bien que je lui montre, ça en plus du reste, quand c'est moi qui passe la porte la première sans un regard par-dessus mon épaule à son intention. Le centre de la discussion prépare des cafés à la cannelle derrière le bar, il recevra un majeur de ma part doublé d'un baiser soufflé. La seconde d'après, je suis partie, envolée.