endings, beginnings

Elle a fait au mieux dans la précipitation. Elle sait que la date du jour est marquée par l’anniversaire de Matt, elle le sait très bien tout comme elle avait prévu une infinité de choses pour lui. Elle avait planifié chaque seconde dans les moindres détails mais le fait est que son frère a le don de revenir dans sa vie quand elle s’y attend le moins et elle reste incapable de lui refuser quoi que ce soit, peu importe à quel point chacune de leurs rencontres la détruit encore un peu plus. Trente ans plus tard, elle garde toujours espoir.

Son téléphone a sonné bien avant que le jour ne se lève, le numéro inconnu l’aurait généralement poussée à ne pas répondre mais au fond de son coeur elle savait qu’elle le devait, raison pour laquelle elle a décrochée en allant s’installer sur la balcon et en chuchotant pour ne pas réveiller Matt. Les chats l’ont rapidement rejointe alors que les nouvelles s’accumulaient et que la journée promettait déjà d’être aussi longue que difficile. Elle a demandé l’adresse, elle a demandé qui est ce qu’elle devait demander en arrivant. Elle a prévu les moindres détails de son trajet ; elle a tout prévu, en réalité, sauf ce qu’elle allait faire une fois là-bas.

Alors elle a finit par s’habiller rapidement et dans une discrétion qui ne lui ressemble absolument pas, finissant par embrasser son mari sur le front tout en lui promettant de revenir bientôt. Si elle avait pu lui expliquer les moindres détails elle l’aurait fait mais pour le moment encore elle cherche à le protéger de ce monde qu’est le sien, de peur qu’il s’attaque à lui aussi alors que c’est bien la dernière chose qu’il mérite.

* * *

Les heures se sont écoulées, son téléphone est resté chez eux comme seule et unique preuve que son plan n’était pas si parfait qu’il en avait l’air puisqu’elle n’a pu tenir Matt au courant de rien. Elle espère naïvement qu’il ne s’est rendu compte de rien, elle espère sincèrement qu’il s’est réveillé plus tard alors qu’il ne fait jamais ça. Week end oblige, le bar est fermé et tout ce qu’il a peut être pu faire pour s’occuper c’est de faire un inventaire qui n’a pas lieu d’être parce qu’ils s’en sont déjà chargés ensemble pendant le confinement. Pourtant elle espère du fond de son coeur qu’il n’a rien remarqué et qu’ils pourront continuer à vivre leur vie comme avant, comme si elle avait simplement occupé sa matinée à aller lui chercher à manger dans une boutique du quartier pour fêter en bonne et due forme son anniversaire comme ils l’ont fait pour elle.

« J’ai ramené des macarons au champagne. » La voix fluette et haut perchée lui sert à s’annoncer alors qu’elle vient à peine d’ouvrir la porte d’entrée, ses yeux vrillés sur le plateau qu’elle essaye de ne pas faire tomber en même temps qu’elle doit faire attention à n’écraser aucun des deux chats qui accourent entre ses jambes. « Je sais que c’est pas ton goût préféré mais ils m’ont eu à “champagne” et ça avait l’air bon. En plus pour un anniversaire ça donne quand même une super excuse. » Elle enchaîne les mots et les excuses, désormais capable de boire de l’alcool sans s’en vouloir depuis que le teste de grossesse est sorti négatif. « Matt, t’es là ? » Mais il la coupe toujours dans ses paroles, normalement. Il dit toujours un truc, il y ajoute une connerie, il fait ses remarques en même temps qu’elle conte son histoire. Il fait ça et même si elle râle toujours, elle adore qu’il prenne autant à coeur tout ce qu’elle dit. Pourtant aujourd’hui il ne dit rien et c’est stupide mais un rien suffit à le faire se sentir mal et à ce que le ton de sa voix change drastiquement en même temps qu’elle relève la tête pour le chercher dans l’appartement.

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« J’ai ramené des macarons au champagne. » et Deklan a ramené des bières et du gâteau. Il a ramené de quoi faire des pizzas maison y'a quelques heures de ça, le comptoir de la cuisine était rempli et c'était cool en vrai, c'était une idée sympa, c'était pas forcé et ça a fait du bien. Il a ramené son humour de merde, il a ramené ses blagues de con. Il a ramené son rire, celui qu'il additionne à des paumes qu'il claque sur la table basse du salon parce qu'il s'éclate trop le gars, et qu'il s'éclate au point où le portable de Lily qu'il a cru être le mien est tombé au sol entre temps.

« Je sais que c’est pas ton goût préféré mais ils m’ont eu à “champagne” et ça avait l’air bon. En plus pour un anniversaire ça donne quand même une super excuse. » ils l'ont eue à "champagne" et Deklan lui, il s'est fait avoir par le nombre d'appels manqués et de notifications de messages du même numéro, inconnu, qui étaient affichés sur l'écran. Il s'est moqué d'abord le gars, comme d'hab, il m'a pointé ça comme si j'étais le gars le plus populaire du monde, le proprio de bar qui se retrouve avec des DMs par centaine depuis que le premier épisode de Mariés au premier regard a commencé à être diffusé à la télé et qu'on en fait des visionnements au DBD. He was wrong.

« Matt, t’es là ? » j'suis là, ouais. Mais pas vraiment non plus. C'est con c'est sûrement rien, c'est pas mes affaires surtout, et j'suis qu'un con. J'suis qu'un idiot à qui on dit rien parce que ça vaut pas la peine de le lui dire. Je l'ai capté avec mes soeurs, je l'ai capté avec mon cousin, je l'ai capté avec tout le monde depuis des mois et je pensais vraiment que Lily pensait pas la même chose qu'eux. Je pensais et j'espérais si fort qu'elle pensait pas la même chose que les autres, parce qu'avec elle j'étais pas du tout comme je l'ai été avec les autres. J'essayais d'être bon en vrai, j'essayais d'être meilleur, au moins avec elle. Apparemment, c'était pas suffisant.

« Y'a de la pizza au frigo, on a fait une spéciale Lily aka mettre tous les fromages les uns sur les autres pour qu'elle soit aussi haute qu'une coupe de vin. » le balcon était cool pour être seul, pour prendre l'air, mais moins pour penser, et encore moins ressasser. Elle a l'air épuisée, elle aussi, quand je viens la rejoindre dans l'appartement une vie après. « Tu vas bien? » et on parie combien, que ça aussi, elle me dira pas? « Je peux faire du café si tu veux pas de vin. » ou je peux juste me taire aussi, apparemment, c'est plus simple comme ça.

Il parle de nourriture, il parle de fromage, il parle de vin et il parle de pizza alors tous les facteurs devraient être là pour enfin la rassurer et lui dire qu’elle s’est fait des films mais que tout va bien, finalement. Tout devrait le lui indiquer mais au fond elle sait que cela ne serait qu’un mensonge de plus, une simple vérité de surface qui n’a de véritable que le nom. « Y'a de la pizza au frigo, on a fait une spéciale Lily aka mettre tous les fromages les uns sur les autres pour qu'elle soit aussi haute qu'une coupe de vin. » Il revient du balcon avec une lenteur qui ne le caractérise pas, lui qui semble si sérieux et si ailleurs. Ce n’est pas le bon ailleurs, pas celui d’un rêveur, pas celui du Matt qui a mille idées à la seconde et voudrait toutes les réaliser. Il est dans un ailleurs auquel elle ne voudrait pour une fois jamais accéder, ses yeux vitreux en étant la confirmation dont elle n’avait pas besoin. « Il reste de cette coupe de vin ? » L’estomac est encore trop noué pour qu’elle puisse avaler quoique ce soit mais nul doute qu’elle n’aura aucun problème à boire quelques verres ce soir. Elle essaye de sourire à son tour bien que le succès reste largement mitigé.

« Tu vas bien? » Les traits de son visage se durcissent sans qu’elle ne le cherche, sa salive qu’elle ravale lentement en pensant naïvement gagner du temps avant de trouver les mots exactes pour lui répondre. Elle ne veut pas lui mentir ni même se faire le personnage central d’une journée qui devrait être la sienne. Elle ne peut même pas expliquer ce qu’il se passe au fond d’elle, encore trop enchaînée par les secrets qui l’emprisonnent depuis toujours. « Matt ... » Ce n’est pas le moment, ce n’est pas la priorité. Tout devrait simplement continuer à être parfait, comme au moment de son départ.

Elle cherche son regard et en lui elle cherche surtout un point d’ancrage, peu importe lequel, alors que son monde semble soudainement trembler sans aucune raison. « Je peux faire du café si tu veux pas de vin. » On s’en moque du café pour le moment, on s’en moque du vin aussi. On s’en moque même de Lily, on s’en moque de savoir où est ce qu’elle a passé la journée. Ce n’est pas ce qui importe et aux yeux de la brune, ce ne sera jamais ce qui importera alors qu’il reste la seule et unique priorité. Elle en vient à gommer l’espace entre eux, ses mains se posant aussi délicatement que amoureusement autour de sa nuque et ses pouces sur sa mâchoire pour finalement venir l’embrasser chastement. « Joyeux anniversaire. » Ses lèvres se détachent et un sourire aussi franc qu’optimiste naît peu à peu sur ses lèvres. C’est son jour à lui et tout aurait dû être parfait pour lui dans les moindres détails. Elle aurait dû le réveiller avec un petit déjeuner spécial même si en réalité elle l’aurait réveillé dès lors qu’elle serait sortie du lit en emportant malencontreusement avec elle la moitié des draps, une seconde à peine avant de faire tomber toutes les casseroles malhabilement empilées entre elles. La brune y aurait mis tout son coeur, pourtant, comme elle met toute son âme dans le baiser qu’elle échange avec lui, peu importe à quel point il puisse paraître enfantin. « Je voulais te prévenir mais j’ai oublié mon téléphone. Désolée. » Excuses qui sonnent creuses alors qu’elle en pense et en pèse chaque syllabe avec minutie et attention. « Tu as passé une bonne journée ? Dek était avec toi ? » Même si elle n’était pas à ses côtés elle tente quand même de rattraper les choses, aussi maladroitement qu’elle puisse le faire.

C'est con parce que je lui fais confiance, dans les faits. C'est con parce que ça pourrait se régler vite, une seule question et on passe à autre chose, on zappe, on gomme, on oublie. « Il reste de cette coupe de vin ? » mais elle parle d'abord, elle questionne et je sais même plus elle est où la coupe, j'sais pas si Deklan l'a bue ou si je l'ai bue ou si j'ai tiré la coupe sur le mur et qu'elle a éclaté au sol et qu'il a fallu sortir le balai avec la serpillère pour effacer les détails et les bribes et les preuves. Les preuves, comme celles qui illuminaient son téléphone quand Dek l'a posé sur la table basse du salon la dernière fois qu'un appel a illuminé l'écran.

« Matt ... » et elle s'approche, je bouge pas, c'est déjà ça. J'aurais voulu la regarder dans les yeux et avoir toutes les réponses du monde sans articuler le moindre mot et elle avec parce que j'ai pas envie de rien demander. J'ai pas envie d'en faire une conversation, j'ai pas envie qu'on en parle et pourtant je pense qu'à tout dire, je veux juste qu'elle dise tout aussi. « Je voulais te prévenir mais j’ai oublié mon téléphone. Désolée. Tu as passé une bonne journée ? Dek était avec toi ? » ça fait mal sûrement parce que tout était trop parfait et que jamais rien l'est d'habitude. Ça fait mal parce que ça servait à rien d'y croire parce que ça finit toujours par éclater, tout et tout le monde, et si y'a bien un truc que j'ai appris c'est ça, au fil des années. J'aimerais que ce soit juste du drame, j'aimerais exagérer comme une adolescente amourachée - mais y'a trop d'exemples de merde qui s'empilent dans mon entourage et dans ma vie à moi même pour que je pense pas que c'est juste le début de la fin. Tout va mal, tout finit toujours par aller mal, c'était juste une question de temps, et ce qui est con, c'est d'avoir pensé que l'exception confirmerait pas la règle. « Joyeux anniversaire. » y'a ses doigts sur mes joues, y'a ses paumes sur ma nuque et y'a ses lèvres sur les miennes.

Et on aurait dû rester comme ça, longtemps. On est bien comme ça, à se regarder à se sourire à demi-mot, à rien se dire. On est bien là mais on l'était encore plus avant qu'elle parte ce matin et que je me réveille comme un con dans un lit vide. À attendre comme un idiot pendant toute la journée. À lui chercher des excuses et à certainement pas vouloir tomber là-dedans à pieds joints. Elle fait bien ce qu'elle veut Lily, elle passe bien la journée avec qui elle a envie, elle peut se tirer là comme demain matin, elle est libre et ce qui blesse, ce qui fait pique, ce qui suffoque, c'est que c'est ce qu'elle voulait ce matin. Ce qu'elle voudra sûrement demain.  

C'est con parce que ça pourrait se régler vite, une seule question et on passe à autre chose, on zappe, on gomme, on oublie. « C'est qui, Joseph? »

« C'est qui, Joseph? »

Le monde entier se met sur pause alors que les yeux de la brune se bloquent nerveusement dans ceux de son mari et qu’elle fait un pas en arrière sans même s’en rendre compte, décollant ainsi ses doigts de lui. Sa langue passe frénétiquement sur ses lèvres alors que sa bouche toute entière semble désormais devenue sèche et son corps appartenir à un autre, lequel aurait apparemment décidé de le bloquer. Tout allait bien jusque là, tout allait parfaitement. Elle était heureuse avec Matt, du genre vraiment heureusement comme elle n’a jamais su l’être. C’était facile et c’était simple, malgré tout ce qu’ils ont pu rendre difficile ou précipité par le biais de leurs aventures. Hier encore, tout était parfait. Hier encore, elle pouvait parler enfants à son mari sans n’y voir aucune ombre au tableau, si ce n’est ne pas tomber d’accord sur la teinte exacte de blanc avec laquelle ils voudraient peindre les linteaux de bois de sa future chambre. Se disputer pour une teinte de blanc était acceptable. Se disputer à propos de Joseph l’est bien moins.

« T’en penses quoi ? »

Ce n’est pas le fait qu’il ait le moindre doute à son sujet qui lui fait le plus mal, finalement, alors qu’elle sait pertinemment être tout sauf l’épouse parfaite et que ses défauts elle pourrait les donner dans l’ordre alphabétique sans même sourciller - même si jamais ô grand jamais l’adultère ne pourrait en faire partie. Ce qui la blesse profondément, c’est simplement l’idée qu’il doute un seul instant ne pas être le centre de ses priorités alors qu’elle ne tourne qu’autour de lui depuis plusieurs mois déjà. Son équilibre tout entier repose exclusivement sur lui et même si elle tente de le préserver au mieux et de ne pas le lui rappeler à chaque minute qui passe, cela reste pourtant la vérité la plus pure et entière qui soit. Maintenant qu’il est apparu dans sa vie elle aurait bien du mal à imaginer un retour en arrière, cela ne l’empêche pas pour autant de jouer avec le feu à poser des questions qui jamais ne pourraient mener Matt vers la bonne réponse. Elle attend qu’il avoue avoir pensé qu’elle le trompe et ça serait finalement la réponse la plus logique à donner, celle là même vers tous les indices convergent, y compris l’attitude même de Lily en cet instant. Elle se sent piégée, prise sur le fait, enfant en tort, femme qui n’a aucune issue de secours.

« Donne moi mon téléphone. »

Ses yeux ne brillent plus et si jamais il pense observer le contraire, ce serait seulement causé par des larmes prêtes à voir le jour à tout moment à cause d’un trop plein d’émotions. Elle ne veut pas perdre Matt mais elle a encore et toujours bien trop peur de laisser Joseph entrer de nouveau dans sa vie. Elle en a tellement peur que le droit même d’exister lui a été retiré il y a des années de ça. Lily sait priver les gens de bien des choses, elle n’a cependant jamais appris à les redonner ensuite. « Laisse moi te montrer. » Elle aurait explosé avec n’importe qui d’autre et aurait tiré un trait sur l’existence de la personne face à elle à la seconde même où la question aurait été posée. Mais pas Matt. Elle ne veut pas y croire, elle ne veut pas laisser une telle chose se produire. « S’il te plaît. »

« T’en penses quoi ? » j'en pense absolument rien.

C'est ça que j'aurais dit si j'avais envie de dire quoi que ce soit après ça. Mais j'ai posé la question, et là, c'est à elle de répondre. C'est pas à moi de dire quelque chose, parce que je suis persuadé que peu importe le mot qui sortira de ma bouche je vais le regretter après. J'étais habitué, avant, à des scènes comme celles-là, Mais depuis Lily tut est tellement simple, tout est tellement facile, tout est tellement parfait que j'ai été con de m'adapter. J'en veux plus du tout, du compliqué et des silences et des secrets. On se gérait bien tous les deux là, on en était loin de l'historique d'histoires lourdes et chiantes et épuisantes et de drames à la clé. Alors j'en pense rien, absolument rien qu'elle me dise ou qu'elle me dise pas. Je pense plus, vaut mieux comme ça.

Mais elle me fixe Lily, elle parle pas encore, qu'elle prenne son temps, je bouge pas.

Je devrais pas lui faire confiance, pas croire qu'elle va parler, pas croire qu'elle va finir par me dire ce qu'elle garde visiblement pour elle. Ce que je sais pas et qui me tenaille, bien plus que l'information en elle-même. Ça peut être son pote comme son ex, ça peut être son collègue comme son ancien voisin j'en ai rien à battre de qui c'est, le gars. C'est pourquoi elle me l'a pas dit qui me démange, c'est pourquoi elle a jugé bon de me cacher un truc qui l'a gardée occupée toute la journée - rien à battre là également, que ça soit mon anniversaire ou pas - et qui l'a mise dans cet état-là à son retour. Encore heureux qu'elle soit revenue et qu'il y en ait eu un, un retour. « Donne moi mon téléphone. » j'avais pas l'intention ni tout à l'heure ni maintenant ni aujourd'hui ni demain de le garder en otage son téléphone, quand je lui pointe l'appareil encore fièrement posé sur la table basse du salon. J'y ai pas touché à son cellulaire, j'ai laissé Dek faire l'enquête quand moi mes doigts s'y sont même pas attardés., Mais apparemment, pour ça aussi elle se garde bien de parler, de demander.

« Laisse moi te montrer. » j'hoche de la tête, lentement, ma silhouette toujours ancrée au plancher et mes iris aux siens. « S’il te plaît. » elle a pas besoin de supplier, elle a pas besoin de négocier, elle a juste besoin de venir se poser à côté de moi sur le canapé. Ma respiration toujours en suspens mais sa proximité qui aide comme elle peut, un temps.

Le silence n’a jamais été associé à quoi que ce soit de positif dans sa vie, que ce soit à l’enfance ou aujourd’hui encore. Avant, la maison devenait silencieuse au moment où Joseph était pris à partie par leur père. Aujourd’hui, plus aucun des deux époux ne trouve quoi dire, l’abcès étant désormais loin d’être crevé. Il ne veut que des réponses à une question qui semble pourtant si simple et elle ne cherche qu’à le protéger en lui omettant des parts de vérité un peu plus longtemps encore. Ils n’ont que de bonnes intentions mais le mélange des deux ne donne finalement rien de bon pour aujourd’hui, seulement une masse indigeste qui lui comprime la gorge et lui bloque la respiration. Elle a l’impression de le perdre si elle ne dit rien, elle a l’impression qu’elle le perdra si elle lui dit tout. Dans un cas comme dans l’autre il perdra une part de la confiance qu’il lui accordait et elle s’en voudra longtemps encore. Elle l’a aimé trop vite et trop fort, elle ne peut pas non plus le perdre aussi rapidement.

Lily suit son regard pour s'emparer de son téléphone et ne s’autoriser à respirer que lorsqu’elle lui fait dos, la gamine prise sur le fait. Il s’assoit sur le canapé mais elle en est encore incapable, elle qui choisit plutôt d’ériger de fines barrières entre eux avant que son mari ne parle de nouveau pour énoncer le verdict final. Elle voudrait le prendre dans ses bras et le couvrir de baisers, elle voudrait lui répéter mille fois qu’elle est désolée et qu’elle l’aime et elle penserait chaque mot, chaque seconde. Elle le voudrait mais elle se protège à sa manière, restant stoïque face à lui, faussement concentrée sur l’écran de son téléphone alors qu’elle remonte les abysses de sa galerie photo. Joseph est absent dans ses paroles mais pas totalement dans sa vie et s’il n’est pas parmi les centaines de photos imprimées qu’elle garde toujours avec elle, n’en reste pas moi qu’il existe toujours sous forme de pixels avec vingt ans de moins.

Elle fait un pas en sa direction seulement pour lui faire glisser le téléphone entre ses mains, le moindre contact physique qu’elle annihile désormais. Son doigt glisse une fois sur l’écran, sans un mot, pour lui montrer qu’il n’existe pas une seule photo mais bien des dizaines, quand ils sont tantôt sur la plage à s’enterrer l’un l’autre, tantôt sur le dos d’une vache, tantôt elle sur le dos de Joseph, tantôt en train de rire/pleurer pour d’obscures raisons. Les situations sont innombrables et ils ont l’air heureux, le subterfuge fonctionnant à merveille. Elle lui laisse le téléphone et avec lui le loisir de tout découvrir, de tout feuilleter, de tout observer à la loupe s’il en a le coeur. C’est paradoxal que de se dire qu’ils en sont là pour une chose qu’elle lui cachait alors que finalement elle ne lui cache rien du tout, pas même ses blessures. Sa lippe qu’elle continue de mordre plus que de raison, Lily fait de nouveau quelques pas en arrière pour aller s’asseoir dans un fauteuil, les pieds ramenés devant ses cuisses, ses genoux remontés au niveau du torse et entourés de ses bras. “C’est mon frère.” Les gens normaux ne font pas toute cette mise en scène pour montrer une photo de leur fratrie à leur conjoint ; il serait temps qu’elle lui apprenne qu’elle n’a justement rien de normal. “Il est parti de la maison quand j’avais douze ans. Personne ne sait qu’il existe, c’est juste … plus simple comme ça.” Les personnes qui lui font du mal son évincés de sa vie et ce peu importe le lien qui les unissait à un moment donné. Le système de défense de Lily ne fait pas le tri et il fonctionne toujours au maximum de ses capacités. Le damnatio memoriae n’est que la routine pour elle. “Je ne l’avais pas vu depuis presque cinq ans mais il reste mon sang et il avait besoin de moi.” Et ça il comprend, ça elle sait qu’il comprend, elle sait qu’il a conscience des liens du sang bien mieux que quiconque dans cette pièce. Elle n’utilise pas cet argument contre lui, non, la brune tente seulement de faire au mieux alors que justement rien ne semble plus aller bien. Ses yeux sont perdus dans le vide, sa mâchoire crispée posée sur ses genoux osseux. Elle finit par souffler les derniers mots. “Je voulais nous protéger. C’est tout ce que je voulais.” Et ça n’a pas fonctionné.

Elles sont longues, trop longues les secondes qui passent, qui s'essouflent, qui s'égrainent quand chacun de ses gestes semblent prendre mille fois plus de temps qu'à l'habitude. Elle a deux vitesses Lily, soit elle est hyper douce soit elle est survoltée. Mais là, elle a juste l'air épuisée. Et ça m'enrage, ça m'enrage de pas savoir ce qui lui arrive, de pas pouvoir dire une énième connerie qui la fera sourire, de pas en avoir envie non plus. Les secondes qui continuent d'agoniser et je les vois ses gestes, je les vois tous les uns les autres mais je dis rien. Ça sert à rien de dire quoi que ce soit, quand c'est sa voix que j'attends et la mienne que je ravale durement.

Elle me tend l'appareil, j'ai un mouvement de recul. Ce sont ses affaires, et c'est d'elle dont je veux l'explication, pas de son maudit téléphone. J'en ai rien à faire du portable qui arrêtait pas de sonner, incessant bip de merde qui a tout cassé. J'en ai rien à faire de ce qui illuminait l'écran y'a une vie de ça et qui rend les choses vraiment plus compliquées entre nous maintenant qu'elles ne l'ont jamais été. Même quand on arrive pas à se mettre d'accord sur les items qui sont mis en priorité sur la liste d'épicerie. Mais elle se dégage Lily, elle file s'installer ailleurs, ses yeux qui brûlent ma peau et le cellulaire qui brûle ma paume. “C’est mon frère.”

Son quoi? Elle a un frère? Et là, elle fait mal la claque. Celle de réaliser qu'elle connaît part de drames de ma famille - pas tous, une chance, oh merde - mais que moi je sais presque rien, presqu'absolument rien de la sienne. Elle a abordé des détails, des bribes que j'ai toujours enregistrées tant ça se faire rare, n'en reste que c'est la première fois qu'elle met des mots, une phrase complète, un soupir avec sur un membre de sa famille. Qu'elle y dédide une conversation en entier. L'air qu'elle tire y est donc relié, et d'office le mien d'air, il change drastiquement. Mes sourcils se relâchent, ma mâchoire pareil. J'expire aussi, le plus silencieusement du monde, scotché à sa silhouette à distance qu'elle prend douloureusement le temps de recroqueviller. “Il est parti de la maison quand j’avais douze ans. Personne ne sait qu’il existe, c’est juste … plus simple comme ça.” elle en fait l'épilogue et je suis rien, je suis personne, je suis absolument pas qui que ce soit pouvant être en mesure de juger comment ils ont géré ça à l'époque, ni même aujourd'hui. Je suis bien loin d'être un exemple à suivre, et vous le savez aussi bien que moi. “Je ne l’avais pas vu depuis presque cinq ans mais il reste mon sang et il avait besoin de moi.”

Et sa voix, oh sa voix. Elle se casse et j'attends pas, ou du moins, j'attends plus. “Je voulais nous protéger. C’est tout ce que je voulais.” sa lèvre qu'elle triture et ses doigts que je fixe, avant de me lever pour réduire les quelques mètres qui nous séparent et venir me poser devant elle. Mes genoux sont au sol, mes paumes sur les bras du fauteuil, y'a aucun contact parce qu'elle a pas donné le signal et surtout parce que c'est à Lily que je veux parler là. Pas à ma femme, pas à personne d'autre qu'à la fille qui a juste voulu être là pour son frère et qui revient à la maison ainsi. « Est-ce qu'il est okay? » on parlera d'elle ensuite, on parlera d'à quel point elle a besoin d'un bain et de vin, pour vrai, de pizza aussi. On parlera de tout ça quand le voile d'inquiétude relié à la journée qu'elle a passée se levera de son regard. « Il est où là? Il est en sécurité? » parce qu'elle est ici, et que coûte que coûte, elle l'est, en sécurité.

« Est-ce qu'il est okay? » Elle l’entend sans l’écouter maintenant qu’elle a de nouveau posé ses yeux sur lui. Elle l’a épousé sans le connaître et elle considère ce choix comme l’un des meilleurs de son existence, elle ne voudrait pas le perdre maintenant à cause de secrets qu’elle gardait pour elle par simple automatisme. Elle aurait pu lui dire dès le début, elle aurait pu préciser qu’elle n’était plus en contact avec son frère et jamais ils n’en auraient reparlés. Ça aurait pu être simple, ça aurait pu être le début du long fleuve tranquille qu’a été leur mariage jusque là. Il aurait reconnu son prénom sur le téléphone et il aurait passé une bonne journée, une bien meilleure qu’elle ne peut la deviner sur les traits tirés de son visage et les cernes qu’elle discerne sous ses yeux qui n’ont rien de brillants. Il fête son anniversaire sans que cela ne ressemble en rien à une fête.

Maintenant qu’elle le connaît, elle ferait tout pour ne jamais avoir à le perdre. « Il est où là? Il est en sécurité? » Il s’inquiète pour Joseph alors qu’elle s’inquiète plutôt pour lui, l’inquiétude qui n’a rien de forcée ni dans sa voix ni dans son regard. Elle hoche enfin la tête à défaut de pouvoir répondre quoi que ce soit de plus, pas même certaine de savoir où peut bien se trouver son frère maintenant. Elle s’est occupée de lui toute la journée et désormais c’est au tour de Matt, la division du temps semble relativement bien proportionnée pour aujourd’hui au moins. Elle ne sait pas faire la part des choses, elle ne sait pas s’occuper de deux personnes à la fois, elle ne sait pas donner un autre de priorité aux choses alors elle est toujours au maximum pour tout le monde, tout le temps. “T’avais pas à craindre que j’aie peur de ta famille parce que à en juger par le nombre de McGrath contre celui de Keegan, je trouve que vous ne vous en sortez pas si mal.” Ses dents laissent la lèvre inférieur retrouver l’air libre, elle respire un peu mieux maintenant qu’il est près d’elle. Tout ne va pas parfaitement bien, tout ne va pas aussi bien qu’avant, mais au moins elle a finit par poser des mots sur ce secret qui la pesait tant. Joseph existe, c’est désormais à Matt de pleinement décider ce qu’il en fait et elle ne pourra pas lui en vouloir pour aucune des décisions qu’il prendra. “Tu sais que je te fais confiance et ça n’a pas changé … Y’a seulement des histoires que je répète depuis toujours et elles ont fini par devenir la vérité à mes yeux.” Joseph n’existe pas, elle était celle qui était battue, son ex petit-ami était parfait. Se le répéter assez souvent depuis des années a finalement suffi pour qu’elle le pense réellement. Quand elle doute il n’y a qu’à se rejouer ces scènes imaginaires dans son esprit et le tour est joué.

“On peut se promettre de ne plus rien se cacher ?” Plus de mensonges, plus d’omissions de quoi que ce soit. S’il choisit de rester alors elle sera une bien meilleure femme qu’elle n’a su l’être pour le moment. Elle lui en fera la promesse à lui tout comme elle se la fera à elle même. Elle sera parfaite pour Matt et elle sera présente pour Joseph. Le passé doit être réparé, pas à pas.

Le temps s'est arrêté et c'est une bonne chose en vrai parce que j'ai l'impression que la journée est passés aussi vite que lentement et en vrai si j'pouvais juste me poser un temps sans avoir l'impression que les minutes sont parfois des secondes et d'autres fois des heures ça serait nettement moins chiant.

La voix de Lily a encore et toujours son effet calmant, même dans une situation où y'a rien qui est calme sauf peut-être nous. Maintenant que je tourne plus dans l'appartement comme un lion en cage et qu'elle s'est posée dans un fauteuil à distance raisonnable, le temps qu'on parle, pour vrai. Parlons. “T’avais pas à craindre que j’aie peur de ta famille parce que à en juger par le nombre de McGrath contre celui de Keegan, je trouve que vous ne vous en sortez pas si mal.” Lily, si seulement tu savais. Ça me prend à la gorge parce que justement, je suis pas correct de lui demander des comptes sur ça quand elle m'en a jamais demandé à moi. Ça viendra.

“Tu sais que je te fais confiance et ça n’a pas changé … Y’a seulement des histoires que je répète depuis toujours et elles ont fini par devenir la vérité à mes yeux.” je la veux la liste. Je la veux complète et exhaustive, je veux savoir exactement chacun des éléments qu'elle y a mis et pourquoi. Je veux pouvoir lui prendre la main quand ça lui arrivera de la ressortir pour lui dire qu'elle a pas besoin de me raconter des histoires à moi, qu'elle peut me faire confiance pour ça et pour tout le reste. Mais elle veut pas, elle garde le tout généralement vague, ça lui appartient et pas à moi. J'accepte, j'accepte et ça me va, même si j'ai pas le choix.

“On peut se promettre de ne plus rien se cacher ?” « Si on fait ça, j'ai des choses à te dire moi aussi. Sur ma famille. » et sur moi.

Et si on fait ça, c'est elle qui risque de se mettre dans un tel état. Et si on fait ça, c'est elle qui risque de me regarder avec des yeux que j'oublierai jamais, qui risque de voir une part de moi qu'elle pourrait jamais accepter - qu'elle acceptera jamais Matt. Même toi tu l'acceptes pas. « Tu veux les entendre maintenant ou t'en as déjà eu assez pour aujourd'hui? »

C'est lâche de lui proposer un moment de pause pour souffler. C'est lâche et c'est autant égoïste pour moi qu'altruiste pour elle. « Je veux te dire et je vais te dire. Mais t'aimeras pas, t'aimeras vraiment pas. » mais si elle m'a tout dit, c'est mon tour à moi de le faire.

« Si on fait ça, j'ai des choses à te dire moi aussi. Sur ma famille. »
« Tu veux les entendre maintenant ou t'en as déjà eu assez pour aujourd'hui? »
« Je veux te dire et je vais te dire. Mais t'aimeras pas, t'aimeras vraiment pas. »

A chacune de ses propositions elle hoche silencieusement la tête, la lippe pincée. Elle a peur, bien sûr qu’elle a peur. Ils vivaient dans un parfait cocon depuis deux mois et dans ce dernier le temps s’écoulait à la vitesse de l’éclair, assez pour qu’ils aient eu le temps de se marier, d’emménager ensemble et de croire pendant quelques jours au moins qu’il allaient devenir parents. Les gens normaux ne font pas ça, les gens normaux ne vont pas aussi vite. Les gens normaux ne font pas table rase du passé et de toutes les blessures tant physiques que morales qu’il a pu laisser sur eux avant de simplement se lancer à corps et coeur perdu dans une nouvelle relation. Aujourd’hui est peut être le jour où elle comprend enfin pourquoi les gens normaux font ça. Ils se protègent d’une manière dont Lily n’a jamais su le faire, déjà préoccupée à savoir comment est ce qu’elle pourrait ramasser les morceaux de son coeur et panser ses plaies.

Pourtant elle reste une utopiste cachée, incapable de croire que peu importe ce qu’il s’apprête à lui avouer cela pourrait mettre fin à leur relation. Ils n’ont jamais pris le temps de parler de ce genre de choses et tout arrive d’une manière inattendue mais ils auraient dû avoir cette discussion un jour ou l’autre quoi qu’il en soit. Aujourd’hui ce sera, demain ils n’en seront que plus fort. Elle l’espère de tout son coeur, vraiment, autant qu’elle aime son mari. “Je veux les entendre.” Il sourit et il rigole tout le temps, Matt, mais il a aussi des sourires tristes. Elle ne les soulève jamais, elle ne le questionne jamais à ce sujet mais ce serait mentir que de dire qu’elle ne les a jamais vu. Ginny a donné des bribes de leur histoire commune mais c’est loin d’être suffisant pour qu’elle puisse réellement affirmer le connaître. Elle connaît le Matt à partir du quatorze février 2020, elle n’a aucune idée de la personne qu’il était avant cette date. “Je peux entendre.” Elle est bien plus forte qu’elle ne le montre au monde, elle le sait, elle s’en sait capable. Elle écoutera ce qu’il a à dire et elle espère vraiment, vraiment, que son histoire ne rejoindra pas les mêmes sentiers qu’a pu emprunter Joseph puisque ce serait bien la seule chose qu’elle n’arriverait pas à lui pardonner. Le reste, elle peut entendre. Elle peut comprendre. Elle peut encaisser.

Elle en vient à glisser de son fauteuil pour s’installer face à lui, à même le sol, son dos aussi confortablement que possible posé contre la tranche du meuble. Ils sont d’égal à égal maintenant et elle peut enfin prendre ses mains dans les siennes pour tenter de le rassurer au possible - et s’auto rassurer au passage. Elle ne veut rien avoir à lui cacher de plus et elle souhaite que l’inverse soit tout aussi vrai.

“Je veux les entendre. Je peux entendre.” okay alors, si elle le dit, j'ai envie de la croire.

« C'est ma faute si on est partis à Londres. » et si Ginny a failli mourir. Et si Jill a fait une dépression. Et si Noah a cru pendant 5 ans que Bailey était son véritable père. Ma faute, que ma faute à moi. « Quand Ginny... quand Ginny est tombée enceinte de Noah, c'est à cause de moi si on est partis. Les parents l'ont décidé mais j'ai tout fait pour que ça arrive. » et ça a pris du temps, à la petite marionnette stupide et si malléable que j'étais pour le comprendre. Et je dis "prendre du temps" mais entre vous et moi, probablement que je le savais bien avant d'avoir le cran, d'avoir le courage, d'avoir la décence de l'accepter.

Brisé, tout est brisé quand on y pense. Et je parle pas juste de la confiance, je parle pas juste de ces années perdues-là, je parle aussi de moi, d'elle, du gamin, de tout le monde. On est cassés depuis. « J'aurais jamais pensé que ça tournerait comme ça, je croyais vraiment que c'était pour son bien et pour celui du bébé. Je croyais qu'Ezra était pas prêt, qu'elle l'était pas elle aussi. Que de partir et de se retrouver en famille l'aiderait, la sauverait. » et évidemment, ça a été tout le contraire. Je sais pas pourquoi les mains de Lily sont encore dans les miennes, je sais même pas de où ni de comment elle arrive à trouver encore l'envie de garder mon regard en joue. Probablement qu'elle veut voir à quel point je me repends, qu'elle veut savourer à quel point la plaie ne se refermera jamais. Elle en aurait le droit. Avant de partir - elle en aurait tous les droits, pour ça aussi, surtout. Duquel moi, je lui demande des comptes sur sa famille, quand j'en ai bien plus qu'elle à me reprocher?

« J'ai eu tort sur toute la ligne t'as pas idée à quel point j'ai merdé, à quel point je regrette encore même si ça fait presque 5 ans qu'elle est revenue. » les gens disent que le temps arrange tout. Ils disent de laisser le temps au temps aussi. La poussière qui doit retomber. C'est des conneries. « Elle m'a pardonné mais moi je me pardonnerai jamais. » mais pour moi, le temps changera rien si ce n'est que de tout empirer. C'était cool, d'être heureux pour vrai avec elle, de penser à autre chose qu'à la traînée de regrets et de remords avec lesquels je deal à tous les jours depuis l'Angleterre. C'était cool, jusqu'à ce que ça me rattrape, et que ça rattrape Lily.

Et elle entend, et elle écoute. Et elle s’est imaginée quitter la pièce à chaque nouveau mot de sa part, Lily en puissance qui n’a jamais pu accepter l'imperfection chez les autres autant qu’elle ne l’accepte pas chez elle. « C'est ma faute si on est partis à Londres. » Londres, ce mot qui désigne bien plus qu’une simple ville pour toute la famille McGrath. Elle le sait sans pour autant réellement savoir pourquoi, elle qui n’a conscience que de la partie immergée de l’iceberg et qui n’a surtout jamais voulu tenter de voir plus loin. Tout comme aujourd’hui elle n’a pas envie de croire que la faute lui revient à lui qu’elle aime déjà tant sans aucune retenue. « Quand Ginny... quand Ginny est tombée enceinte de Noah, c'est à cause de moi si on est partis. Les parents l'ont décidé mais j'ai tout fait pour que ça arrive. » Ses mains sont moites pourtant elle ne veut pas le lâcher, elle ne veut pas quitter la pièce non plus. Elle a peur et elle est en colère, mais elle est aussi immensément triste pour lui parce qu’il ne feinte pas d’être aussi désolé. Leurs alliances teintent, la pierre de son autre bague s’enfonce dans la chair de la main de Matt sans qu’elle ne s’en rende compte. Elle veut bien faire, elle veut l’apaiser, elle veut lui dire qu’aussi égoïste cela puisse être son bonheur passe désormais avant celui des autres. Ses pouces glissent jusqu’à ses poignets, elle ne s’arrête même pas en chemin pour jouer de ses ongles qu’elle pourrait malencontreusement enfoncer dans sa chair.

Les parents voulaient une chose et lui s’est convaincu que finalement cela devait être le mieux à faire. Elle sait ce que cela signifie. Elle sait comment il se sent, comment il se sentait à ce moment là et comment il voit les choses aujourd’hui, enfant utilisé et adulte brisé. Les circonstances étaient différentes mais le résultat est le même aujourd’hui, ils portent des cicatrices qui ne devraient pas être les leurs. Elle partage avec lui une peine et une culpabilité qui n’auraient jamais dû exister. « J'aurais jamais pensé que ça tournerait comme ça, je croyais vraiment que c'était pour son bien et pour celui du bébé. Je croyais qu'Ezra était pas prêt, qu'elle l'était pas elle aussi. Que de partir et de se retrouver en famille l'aiderait, la sauverait. » Elle se racle la gorge, cherche ses yeux qu’elle ne trouve pas, n’entend qu’une voix tremblante qui n’a absolument rien de rassurante. Elle voudrait faire plus, Lily. Comme toujours elle voudrait avoir la solution miracle à tous ses problèmes, elle se voudrait détentrice des mots qui sauraient le sauver de ses propres démons. Il croyait bien faire parce qu’il est quelqu’un de bien et jamais elle ne pourrait en douter, encore moins avec les secrets qu’il distille un à un en sa présence. Elle le voyait comme un symbole de perfection sous tous les angles, elle l’a idolâtré sans doute un peu trop aussi et même s’il lui révèle enfin ses stigmates et sa vulnérabilité cela ne change rien aux sentiments qu’elle lui porte.

Sa voix s’emballe et ses mots avec. « J'ai eu tort sur toute la ligne t'as pas idée à quel point j'ai merdé, à quel point je regrette encore même si ça fait presque 5 ans qu'elle est revenue. » Si la brune avait encore résisté avant de venir le prendre dans ses bras, cette fois-ci ce serait bien trop lui demander. Elle a débuté une conversation difficile de la pire manière qui soit et désormais il agit comme s’il avait quelque chose à se faire pardonner alors que des deux elle est la seule à avoir caché l’existence de toute une partie de son histoire. Lui n’en a simplement pas donné les détails et c’est normal, aussi douloureux cela soit-il à accepter ils ont besoin de temps pour en arriver à ces confessions là. Elle ne lui en a pas donné, l’a pressé à tout avouer, n’avait jamais anticipé que tout puisse être aussi douloureux pour lui. Elle n’aurait rien demandé, sinon. Jamais elle n’aurait voulu avoir à forcer ses bras autour de ses épaules pour cache la tête de son mari ou la sienne on ne sait plus, tout comme on ne sait pas lequel des deux a la peau si brûlante. “Je sais.” Elle le voit tous les jours à quel point il aime sa soeur, à chaque fois qu’elle raconte une anecdote à son sujet sans jamais se douter que ce n’est qu’un coup de poignard supplémentaire dans son coeur à lui. Elle sait à quel point elle est importante, à quel point il serait à tout sacrifier pour elle, à quel point il a déjà sacrifié une vie parce qu’il a aussi abandonné la sienne, en repartant là bas. Parce que c’était ce qu’il y avait de mieux à faire, mélodie désagréable sonnant faux aux oreilles de l’adulte qu’il est aujourd’hui. « Elle m'a pardonné mais moi je me pardonnerai jamais. » L’inspiration se fait plus profonde encore alors qu’elle ferme les yeux près de sa nuque, avancée vers lui dans la position la plus inconfortable qui soit. Pour autant plus que jamais elle ne veut plus avoir à le lâcher. “Ca part jamais.” Et elle l’aime et elle est désolée, elle voudrait tant le lui répéter à l’infini pour ne plus jamais qu’il puisse la croire un seul instant capable de renoncer à tout ce qu’ils sont en train de construire. “Ce sentiment.” Même si Joseph lui pardonnerait un jour, elle en serait au même stade que Matt. Ce n’est pas quelque chose que les années peuvent faire oublier. “Je partirai jamais non plus.” Sa tête glisse sur son épaule, son nez trouve une place à la base de sa nuque et elle étouffe un simple rire. “C’est nul comme transition.” Elle sourit les yeux fermés et embrasse doucement son cou pour tenter d’apaiser les maux à sa manière. “Ça ne change pas la personne que t’es aujourd’hui.” Ses doigts caressent ses cheveux alors qu’elle continue de respirer contre sa peau et peu importe $ô combien l’air est difficile à trouver à cet endroit là, elle ne veut pas bouger. Il est là personne qu’elle a décidé de marier, aujourd’hui. Il était déjà celui qui l’avait intéressé à l’époque. Il est le seul avec qui elle s’autorise à rêver d’un demain. Il a fait des erreurs et elle aussi, pour autant cela ne les empêche pas d’essayer de se faire pardonner et de faire au mieux, encore et toujours. “J’aurais aimé te connaître plus tôt.” Pour ne pas qu’il ait à ressasser ça tout seul puisqu’il est évident qu’il n’en parle pas souvent, Matt. Il ne serait pas dans cet état si cela était le cas.

L'histoire ne dit pas à quel moment elle s'est rapprochée mais la seule chose que je sais là de suite, c'est que je la laisserai plus jamais s'en aller. C'est con et c'est possessif et c'est suffocant et dans les faits elle peut se tirer quand elle veut Lily, elle en aura toujours le droit. Mais là, rien que là, je m'accroche à elle probablement autant qu'elle s'accroche à moi. De où on est arrivés à ça? Tout ce que je voulais, c'était passer la journée avec elle. C'est pas compliqué, on aurait sûrement fini dans la même position, sauf que ça aurait été après qu'on ait mangé notre poids en pizza, qu'on ait écouté toutes les merdes de télé-réalité que Netflix a à nous proposer - les comédies romantiques avec. Le plan était chill et le plan était parfait, le plan sert plus à rien quand à sa voix cassée s'est jointe à la mienne. “Ca part jamais.” mes lèvres se serrent, je m'en veux qu'elle sente ma mâchoire se contracter quand elle tente autant avec ses paroles qu'avec ses gestes de tout calmer. J'ai perdu l'ordre de qui confesse quoi à qui, j'ai perdu l'ordre de si c'est à mon tour ou au sien d'égarer des baisers sur la peau de l'autre, du coup je rattrape le tout. Ses mains d'abord, sa joue ensuite. “Ce sentiment.”

Je sais, je sais foutument. Je sais et pourtant j'ai été con de croire que ça allait s'estomper. De l'espérer. Faut pas que ça parte parce que c'est comme ça que je me souviendrai chaque jour de plus jamais faire des horreurs. Faut pas que ça parte parce que ça voudrait dire que j'ai appris à accepter mes erreurs, à faire fi des remords et des regrets, à accepter mon sort et celui que j'ai imposé à ma soeur. Faut jamais que ça parte, faut que je reste marqué. Puis, ça fait mal, encore plus. Parce que ce qu'elle dit, c'est autant pour elle que pour moi. Le voile qui brouillait mon regard dérive vers ses prunelles à elle. Lily qui est autant blessée, Lily que j'ai oublié pendant une seconde de protéger. Mon bras la rapproche un peu plus, j'essaie de rendre le tout plus confortable en me décalant autant que possible contre les coussins, la lovant au mieux. “Je partirai jamais non plus.” dire que j'avais besoin d'entendre ça serait réducteur, lui mettre la pression sur les épaules en le statuant à voix haute serait bien loin de ce qu'elle mérite. Pourtant quand je soupire de soulagement contre sa nuque, quand mes paupières se ferment et que mon front se presse un peu plus sur sa joue, elle le sait, elle le sait parfaitement. “C’est nul comme transition.” « J'aurais sûrement fait pire. » j'étouffe un rire sur sa peau, inspire une dernière fois. Elle sent la vanille, et les gâteaux, elle sent Lily et ça, c'est rassurant. Bien plus que mon humour potentiellement merdique, bien plus que cette journée qui n'en finit plus de ne pas finir.

“Ça ne change pas la personne que t’es aujourd’hui.” j'aimerais tellement que ce soit si simple, je jure. J'aimerais que mon hochement de tête et que les baisers que je noie maintenant sur sa tempe soient autant de pas et de gestes et d'étapes pris dans la bonne direction. J'aimerais vraiment que ce soit facile ou au moins que ce soit possible. Mais ça serait de la triche en vrai. Parce que la personne que je suis là, c'est juste un ramassis d'erreurs et de ratés. Les morceaux ils sont cassés et y'a pas de nombre magique de sourires de con ou de blagues de merde qui les recolleront. Elle est parfaite d'essayer pourtant. Un jour, j'espère, je la croirai. “J’aurais aimé te connaître plus tôt.” j'aurais aimé être meilleur pour elle, plus tôt, et maintenant, surtout maintenant. J'aurais aimé qu'elle me dise tout ça y'a une décennie, j'aurais aimé pouvoir être là pour elle aussi. « Je t'aime. » pour l'instant je fais ce que je peux. Je fais au mieux, j'essaie, j'essaie aussi fort que ma paume qui la rapproche, qui la ramène, qui la couve.

J'ai arrêté de compter les minutes là, j'ai tout arrêté sauf de respirer. « On va dormir? » je sais même pas il est quelle heure, je sais juste que ce dont je rêve là, c'est qu'on devienne des larves, qu'on fusionne avec les oreillers et les draps, et qu'on oublie tout le reste, juste un peu. Demain on ira mieux.

Jamais elle ne chérira autant d’autres moments passés avec Matt que ceux comme celui-ci. Il s’autorise à être vulnérable alors qu’elle se fait oreille attentive et épaule solide, c’est juré et c’est promis que peu importe ce qu’il pourra encore bien lui avouer elle aura déjà vu pire, entendu pire encore. Son nez lui chatouille la base de la nuque, son front s’enfonce dans sa joue. Elle n’a jamais été aussi confortable que maintenant, pas même lors de toutes ces soirées passées sur le balcon avec bien plus de coussins et de couvertures que nécessaire. La brune sent son odeur, elle ressent sa présence et ses doigts remontent doucement derrière son crâne dans le but de le calmer et le rassurer. Son alliance ne s’accroche nulle part et ses ongles massent doucement son cuir chevelu maintenant qu’elle comprend peu à peu comment pardonner aux gens quand elle les aime trop pour risquer de les voir s’éloigner. Il a fait des erreurs. Elle aussi. C’est ce qui les rend humain, finalement. Humains et perfectibles, c’est ce que la Bible lui a appris. « J'aurais sûrement fait pire. » Il rigole alors elle en fait tristement de même, parfait pantin habituée à faire comme si tout allait bien quand justement plus rien ne va depuis longtemps.

Les mots de la brune s’élèvent pour tenter de le rassurer à son tour, ce à quoi il répond par un « Je t'aime. » qui la brise sûrement bien plus qu’il ne pourrait jamais l’imaginer. Ce n’est pas sa peau qu’elle cherche à sauver, pour une fois. Ce ne sont pas ses propres et seuls intérêts qu’elle fait passer en premier aujourd’hui. Il est l’astre autour duquel elle se contente naïvement d’orbiter comme s’il n’y avait rien de plus logique à cela, Matt qui est passé de simple inconnu au passé trouble à mari, un simple I do plus tard. Elle sait qu’il l’aime, il le lui répète même quand elle lui demande de lui passer le shampoing bleu non pas ce bleu là Matt voyons le bleu turquoise, on est lundi pas jeudi. Elle aurait simplement préféré qu’il soit moins dur avec lui même puisqu’à défaut de pouvoir appliquer ce conseil sur sa propre personne, elle déplace tous ses espoirs vers lui. Pour autant elle ne lui demandera aucun effort supplémentaire pour ce soir, finalement naïvement heureuse qu’il lui répète une fois de plus ces trois mots qu’elle a tant cherché toute sa vie. Ses lèvres finissent par dériver sur les siennes pour un baiser aussi chaste, triste et éphémère que se fasse.

Ils sont imbriqués dans un puzzle pour lequel on aurait forcé les pièces, ajustant les unes sur les autres alors que là n’était pas leur place. Tout est confus et artificiel et rien n’est à sa place, pourtant ils arrivent encore à s’y retrouver au milieu du désastre et du chaos ambiant. « On va dormir? » “Je t’aime.” Les mots se pressent dans sa gorge et Lily capte son regard pour l’assurer de sa véracité de ses propos, comme s’il pouvait encore réellement en douter. Rien n’était supposé se passer ainsi. Encore une fois, elle a tout gâché. Elle n’a pas réparé Joseph d’un claquement de doigts et elle vient de joyeusement gâcher le premier anniversaire passé avec Matt. Ils en viennent pourtant à la même conclusion, jugeant qu’une nuit de sommeil ne pourrait leur faire que du bien. Ses doigts s’enroulent donc autour de ceux de son mari alors qu’ils se relèvent ensemble, leurs pas les conduisant dans leur chambre. Là au moins ils retrouvent une position qui leur est bien plus naturelle, savant mélange de souffle se perdant sur la peau comme de doigts entremêlés et de mains protectrices posées tantôt sur les hanches et tantôt sur le ventre. Là au moins ils peuvent se protéger l’un l’autre des monstres de la nuit sans qu’aucun d’eux ne puisse leur faire du mal.