Je me balade de nouveau dans les rues de Brisbane ce soir. En taxi, parce que je n’aime toujours pas marcher, et je commence à m’habituer à prendre des taxis même si je préfère les chauffeurs. Ca me manque un peu, mon duplexe que de Sydney me manque aussi beaucoup. Il était grand, beau, en plein centre ville. Il était vraiment parfait. Heureusement depuis quelques jours on a décidé de prendre une colocation avec Loris. J’ai cherché le meilleur appartement de fortitude valley, il est parfait, et il est bientôt à moi, quoi que Loris décide.

Je rentre au Canvas, j’y suis déjà venue quelques fois depuis que je suis là, leur coin VIP est plutôt bien. J’aime être entouré et dans ce bar on m’a déjà reconnu plusieurs fois, j’espère que ce sera le cas ce soir aussi. Je rentre et je m’offre un premier verre. Une vodka martini, comme toujours. Je préfère l’alcool fort au champagne. Je commande et je cherche tout autour de moi quelqu’un que je pourrais connaitre, ou un jeune qui aurait eu l’air de savoir qui j’étais grâce aux photos dans les magazines. Mon dos se pose contre le bar pendant que mes yeux analysent la totalité de la salle qui n’est pas encore vraiment pleine.

Mes yeux s’arrêtent sur un visage connu à l’autre bout du bar, un homme que je connais et que je n’ai pas vu depuis un bout de temps. Je me rapproche, pour être sûre de moi. “Jacob Copeland ici ?” On ne s’apprécie pas vraiment, et c’est bien pour ça que c’est d’autant plus amusant de me retrouver dans le même bar que lui par hasard. “Qu’est ce que tu fais là ?” Et mon verre est déjà presque fini, peut-être qu’il va m’en offrir un. Mon sourire s’agrandit quand mon sourcil se hausse et que je capte son regard. Il va peut-être rien répondre et partir en courant, il ne m’a jamais vraiment aimé, mais c’est pas quelque chose qui m’importe.  



@Jacob Copeland

Après la mort de sa fille, Jacob a appris qu’il y a toujours une bonne raison pour ne pas rester à la maison, le soir : fêter une nouvelle vente, fêter l’arrivée d’un nouvel employé, fêter le départ de l’un d’entre eux – la retraite, ça arrive vite, fêter, fêter et encore fêter. Parce que rester chez lui, boire une bière sans la moindre saveur et caresser le museau de son chien ne lui suffit plus. Attendre Olivia des heures durant non plus. Il ne sort pas tous les soirs, loin de là, mais c’est vrai que ça lui arrive de plus en plus souvent. Il passe de temps en temps au Canvas, d’autres fois il rend visite à des amis, d’autres encore il va dîner chez ses parents et quand vraiment rien ne l’intéresse, il reste au bureau et travaille jusqu’au lendemain matin. Ce n’est pas comme ça qu’il va devenir le grand habitué du bar du coin, ni qu’il sombrera dans l’alcoolisme : il a fait attention de rester éloigné de toutes ces choses-là, il s’est fait la promesse à lui-même et aux proches qui tiennent vraiment à lui. S’il avait voulu sombrer, il l’aurait fait il y a bien longtemps. Maintenant qu’il a décidé de s’accrocher, il n’a plus le droit de reculer et doit forcer sur ses bras, ses jambes et son être tout entier pour remonter à la surface. Peut-être que sortir l’y aidera, peut-être que ça le fera couler. Il n’en sait rien, mais ce soir, il a décidé de partir avec toute son équipe au Canvas. Il a dit qu’il payait la première tournée, c’est chose faite : ils sont tous allés dans un coin, le laissant seul, verre et regard vides. Ils savent qu’il n’est pas d’une compagnie incroyable depuis quelques mois – années, oui – donc ils acceptent ses requêtes mais s’envolent dès qu’ils en ont la possibilité. Et ça ne le gêne pas, Jacob. Il est content de savoir que ses employés vont s’amuser ce soir et qu’ils reviendront travailler demain matin avec une paire de lunettes, comme s’il ne s’était jamais rien passé.

Adossé au comptoir, il fait tournoyer le reste de liquide qu’il y a au fond de son verre en se demandant s’il a vraiment envie de s’en commander un autre, ou s’il ne ferait pas mieux de rentrer. Jacob Copeland ici ? Il connaît cette voix, mais il n’arrive pas à mettre un visage dessus. Pas directement, du moins. Il lève les yeux, regarde quelques longs instants la blonde qui vient de l’interpeller. Il ne tarde pas à se rappeler d’où est-ce qu’il la connaît, et ses ressentiments à son égard. La princesse, la fille à papa. Insupportable il y a quelques années, qu’en est-il aujourd’hui ? Ivy Watermuche ici ? Il fait exprès pour l’embêter. Évidemment qu’il se rappelle de son nom, son père était l’un de ses bons clients, et puis, elle est du genre inoubliable. Tellement embêtante, qu’elle restera à jamais ancrée dans sa mémoire. Qu’est-ce que tu fais là ? Il pourrait lui retourner la question, mais s’il s’amuse à répéter tout ce qu’elle dit, ils n’en finiront plus. Je passe du bon temps, et toi ? Il regarde le verre d’Ivy, dans le même état que le sien. Ils sont là tous les deux, ils ne s’aimaient pas à une époque pour des raisons peut-être futiles aujourd’hui : autant voir si ça a changé. Je te paie un verre ? Il boit la dernière gorgée qu’il restait dans le sien et le repose sur le comptoir, prêt à appeler le barman si la réponse de la gamine s’avère être positive.

@Ivy Waterhouse

Je cherchais des gens pour passer une bonne soirée. Des fans qui m’auraient fait des compliments toute la soirée. Compliment que j’ai déjà entendu mille fois mais que je pourrais écouter des millions de fois encore. Mais mon plan change quand j’aperçois une tête connue. Décidément, toutes mes vieilles connaissances ont décidé de se rassembler à Brisbane. J’aime cette idée, surtout quand c’est des gens avec qui je ne m’entendais pas très bien. J’aime l’idée de pouvoir leur pourrir la vie à Brisbane aussi. Alors je sors mon plus grand sourire, mon ton hautain aussi parce que je l’aime bien celui là, et que je l’ai souvent utilisé quand je parlais à Jacob. Il va me reconnaître, je le sais, il me déteste et ça aussi je le sais et j’en suis ravie.

Il écorche mon nom de famille et ça me fait rire. “Ecorche pas mon nom quand on sait tous les deux que tu connais mieux le mien que le tien.” Mes yeux papillonnent et mon sourire n’a pas bougé. Il le fait exprès, je les connais ses techniques. Je lui demande ce qu’il fait là même si ça ne m’intéresse pas vraiment, il faut bien faire la discussion. Et puis je ne suis pas hostile, pas pour l’instant du moins. Il a l’occasion d’être diplomate lui aussi, mais si il continue d’écorcher mon nom de famille je ne réponds plus de mes actes ni de mes paroles. “Tu passes du bon temps avec qui ?” Finalement, peut-être que cette rencontre peut m’être utile. Il a peut-être des collègues avec lesquels je pourrais m’amuser non ? J’ai besoin de m’occuper, et quoi de mieux qu’un mec pour ça ? “Je cherche de quoi m’occuper.” Et si je ne trouve pas d’autre cible il sera la mienne pour cette soirée. Mon verre est quasiment vide et il le regarde. Je le finis, comme lui. “Bien sûr.” Un clin d’oeil envoyé à ma vieille connaissance et je m’assoie à côté de lui en croisant les jambes. “T’es à Brisbane depuis longtemps ?” Et j’attrape le nouveau verre que le serveur me tend en lui faisant mon plus beau sourire.

Il aurait pu tomber sur n’importe qui, il a fallu que ce soit Ivy. Ivy et tout ce qu’elle représente, tout ce qu’elle représentait : tout ce qu’il n’aimait pas, tout ce qu’il n’est pas certain d’apprécier aujourd’hui. Pourtant, il se surprend à lui répondre, à la taquiner sur son nom de famille, qu’il connaît évidemment très bien. Écorche pas mon nom quand on sait tous les deux que tu connais mieux le mien que le tien. Ça, c’est dit. Ça, c’est envoyé. Mais Jacob n’est pas le genre d’homme à se laisser impressionner par une ou deux piques envoyées comme ça, juste pour voir. S’il a su se faire sa place dans ce milieu de requins, c’est bien parce que sa repartie ne laisse pas à désirer, c’est bien parce qu’il a toujours eu le répondant nécessaire. Et ce n’est certainement pas Ivy qui le fera taire, ça, jamais. T’as bien raison, je connais très bien ton nom de famille. J’aimais bien le relire sur les chèques que ton père me signait. Et ça, ça lui rappelle que même si madame a toujours tout eu, il était en position de force avec elle, avec son père, avec sa famille : c’est lui qui était payé, pas l’inverse. Les cartes étaient dans ses mains, pas dans les siennes, même si elle a l’impression d’avoir toujours tiré les ficelles. Il lui dit finalement ce qu’il fait ici, parce qu’il s’avère qu’elle est curieuse, qui plus est. Il se demande depuis quand une princesse comme elle s’intéresse au petit peuple comme lui – ce qu’il n’est pas, n’oublions pas qu’il est le roi de son empire, celui qu’il a construit de ses propres mains, à la sueur de son front. Mais il n’en dit rien, se contente de lui répondre. Tu passes du bon temps avec qui ? Je cherche de quoi m’occuper. Il fronce les sourcils, regarde autour de lui. Une bande de stagiaires, tous boutonneux. Tu n’es pas intéressée, crois-moi, ils ne gagnent pas suffisamment pour toi. Il est plein de préjugés avec elle, mais est-ce qu’il se trompe ? Qu’elle le pointe du doigt s’il est en tort, il l’admettra sans aucune hésitation : mais ça n’arrivera pas, non, il a raison. Il lui demande si elle veut qu’il lui paie un verre. Le bon temps, ils le passeront ensemble, ça vaut mieux avec lui qu’avec eux. Et c’est bizarre de penser à ça, c’est même bizarre de lui proposer une tournée, mais c’est fait, et il n’a pas l’intention de reculer maintenant. Bien sûr. Évidemment qu’elle accepte, elle accepterait n’importe quoi tant qu’il s’agit d’une offrande. Il prend le verre des mains d’Ivy et le fait glisser sur le comptoir en interpellant le barman. La même chose pour nous deux. Pas de « s’il vous plaît » encombrant, elle l’aurait trop remarqué pour lui laisser ce plaisir-là. T’es à Brisbane depuis longtemps ? Je te connaissais pas aussi curieuse. Il ne la connaissait pas. Tout court. Une haine mutuelle basée sur la perception qu’ils avaient de l’un et de l’autre, sans jamais creuser plus loin. Mais ça, il préfère ne pas le dire. Je suis à Brisbane depuis toujours, mais j’ai des agences un peu partout en Australie. Pour ton père, je savais faire le déplacement. Et pour toi, je rentrais très vite chez moi dans l’espoir de ne plus te recroiser. Il fait mine de lever ses yeux au ciel, ça, c’était pour la taquiner. Au fond, c’était peut-être un peu vrai.

@Ivy Waterhouse

Je joue avec mon verre, je bois et je capte le regard de Jacob plusieurs fois. Cette soirée s’annonce intéressante, j’ai trouvé mon occupation. Et, même si il ne m’aime pas, je risque de rester à côté de lui tout le temps de cette soirée. Il n’aurait pas dû me laisser m’approcher, il ne sait pas dans quoi il s’embarque et j’adore ça. Je reste assise sur le tabouret à côté de lui, et les piques fusent. Il a de la répartie et ça m’amuse plus qu’autre chose, moi aussi j’ai appris à survivre dans ce monde grâce à mes répliques acerbes et toujours bien trouvées. “Oh tu viens réclamer de l’argent ?” Ironie du sort quand c’est bientôt moi qui aurais des problèmes avec mes comptes en banque. “Tu m’excuseras j’ai ni mon chéquier, ni mon père sous la main.” Mon sourire condescendant se fait une place sur mon visage alors que je me tourne vers lui. Si il me demande, tout se passe bien avec ma famille. Il n’a pas besoin de savoir quoi que ce soit de ce qu’il s’est passé avec mon père.

Je regarde les gens qu’il pointe du menton, pas vraiment intéressant ces types. “Qu’est ce que tu connais de mes goûts ?” Mon sourcil se hausse quand je me concentre de nouveau sur lui en riant un peu. “Toi tu gagnes suffisamment pour moi ?” Il lance des sujets que j’aime détourner, à voir si il sera mal à l’aise ou si il va entrer dans mon jeu. Je préfèrerais la deuxième option. Il me propose un verre et je l’accepte volontier. Je ne dis jamais non à des verres gratuits, surtout quand ils sont offerts par de vieilles connaissances. Je ne sais pas ce qu’il commande mais ça ira sûrement. “Je te connaissais pas aussi mystérieux.” ca fait des années que je ne l’ai pas vu, et on ne peut pas dire qu’on ait déjà été proche un jour. Alors je ne sais même pas si il est du genre à être mystérieux. Mais moi je suis curieuse, je l’ai toujours été. Il râle mais il répond, et mon sourire malicieux continue de s’étirer alors que je ne lâche pas son regard. “T’as toujours aimé mon père c’est ça ? Je peux t’arranger un date avec lui si tu veux mais je pense pas qu’il soit branché mecs.” Je lève les yeux au ciel avant de revenir dans son regard. “Alors pourquoi t’es pas encore parti chez toi là ?” Mes lèvres trempent dans mon nouveau verre, et je ne sais pas vraiment ce que je bois, ça ne m’intéresse pas vraiment de toute manière. “Déçu d’être tombé sur moi dans ta ville ?” Je suis sûre que non, il n’a pas du tout l’air déçu, il a plutôt l’air joueur Jacob.

Jacob ne sait pas énormément de choses sur Ivy, il ne s’est jamais réellement intéressé à elle. Il n’en voyait pas l’intérêt, et ce soir encore, ça ne le concerne pas plus que ça. Il se surprend pourtant à lui répondre une première fois, à lui payer un nouveau verre et à se lancer dans une discussion qu’il regrettera forcément. Elle est jolie, elle est dangereuse. Un piège dans lequel beaucoup d’hommes doivent tomber, duquel aucun homme ne doit réellement se relever. Elle est une lionne, il est une proie. Une proie qui se veut facile, manipulable. Il le sait, lui. Elle l’ignore encore, elle. Ils ne se sont pas vus depuis beaucoup trop longtemps pour qu’elle sache son triste sort : elle ne devait même pas savoir qu’il avait une fille, pourquoi s’amuserait-il à lui annoncer son décès ? Elle le croit fort, en forme, vif : comme il l’était à l’époque. Et c’est tout ce qu’il a envie d’être, ce soir, il ne se laissera pas marcher dessus. C’est ainsi qu’il lui dit que, effectivement, il connaît bien son nom de famille. Oh tu viens me réclamer de l’argent ? Tu m’excuseras j’ai ni mon chéquier, ni mon père sous la main. Il ne peut s’empêcher de rigoler à la réplique d’Ivy. T’as encore besoin de papa pour venir à ta rescousse ? Il hausse ses épaules. T’en fais pas, je ne veux rien de toi. Le sujet dérive ensuite sur les personnes venues ici avec Jacob. Il est loin de faire l’éloge de ses stagiaires, mais ce qu’il connaît d’Ivy le suffit à les protéger d’elle, ou à la protéger d’eux. Il ne sait pas vraiment qui il préserve dans cette histoire, mais tant que les uns ne rencontre pas l’autre, ça lui va. Qu’est-ce que tu connais de mes goûts ? Il la regarde une seconde, il n’en sait rien. Mais il a l’air de savoir, pourtant. Toi tu gagnes suffisamment pour moi ? Il hésite à lui répondre que oui, qu’elle devrait se rappeler de ce qu’elle n’a plus sur ses comptes, de l’argent qui a été transféré sur les siens. Mais il ne lui fera pas ce plaisir de répondre par la positive, il lance un coup d’œil à son alliance. Tu devrais demander à ma femme. Il s’en veut immédiatement d’avoir dit ça : Olivia n’est pas une femme qui se laisse entretenir par son mari, loin de là. C’est pourtant l’impression qu’il donne à cette réplique, il voulait simplement lui rappeler qu’il est marié, qu’il était déjà avec Liv avant de la connaître et qu’ils le seront toujours dans quelques années. Il trouve qu’elle pose beaucoup de questions, sûrement trop. Elle a envie d’en savoir plus qu’elle ne le devrait, sur tout, sur tout le monde. Il ne peut s’empêcher de lui faire remarquer, bien que ça ne le dérange pas au point de ne pas répondre par la suite. Je ne te connaissais pas aussi mystérieux. Il ne l’est pas vraiment, mais si il peut lui faire croire le temps d’un soir, pourquoi pas. T’as toujours aimé mon père c’est ça ? Je peux t’arranger un date avec lui si tu veux mais je pense pas qu’il soit branché mecs. Il secoue son visage doucement. Quand un homme veut les faveurs d’un autre homme, c’est à sa fille qu’il s’attaque. Il lui lance un regard, avant de le détourner vers son verre. Garde-le en tête, histoire de ne pas te faire utiliser par qui que ce soit. Un conseil qui se veut amical, au fond, qui le protège surtout de la phrase qu’il vient de dire : lui, il ne s’attaquera pas à elle. Il n’en a pas le droit. Alors pourquoi t’es pas encore parti chez toi là ? Déçu d’être tombé sur moi dans ta ville ? Il regarde autour de lui une seconde, son alibi : ses stagiaires. Je suis ici pour eux. Il en a repéré un dans la foule, ça veut dire qu’il ne ment pas complètement. Il ne dira pas qu’il veille pour ne pas rentrer à la maison, pour ne pas se confronter à la solitude et à la tristesse qui transperce les murs de son domicile depuis un peu trop longtemps maintenant. Je ne suis pas déçu, seulement surpris. Qu’est-ce que tu fais dans le coin ? C’est à son tour de se montrer curieux.

@Ivy Waterhouse

Je taquine et il le fait aussi. C’est étonnant, il a toujours été du genre hostile avec moi. Je fronce un peu les sourcils. Allez savoir comment on finit par parler de mon père et de son argent. Argent qu’il ne me donne plus depuis quelques semaines. Mais ça, Jacob n’a pas besoin de le savoir. Alors je me tais, et mon sourire s’agrandit à peine. “J’ai l’air d’avoir besoin de quelqu’un pour venir à ma rescousse ?” Mon sourcil se hausse quand je capte son regard. Je suis toujours passée pour la fille indépendante, celle qui n’a jamais eu besoin d’homme dans sa vie, d’ami fiable. Je suis celle dont le coeur est inaccessible. Mais dont le compte en banque commence à se vider un peu trop rapidement à son goût depuis quelques jours. “Je comptais pas de donner quoi que ce soit.” Je hoche la tête et continue de boire dans mon verre.

Il envoie un regard sur son alliance, lui aussi a décidé de se caser dans la vie minable marié enfant travail. C’est épuisant de voir que tout le monde finit par se ranger. Quel est le plaisir dans tout ça ? Comment il peut bien s’amuser ? “Ca y est tu deviens ennuyeux.” Je suis sûre qu’il est du genre fidèle en plus, j’ai envie de bailler rien que d’y penser. Mais mon verre n’est pas fini, et il n’est toujours pas parti. Il aurait pu fuir, mais il continue de jouer avec le feu. Moi ça ne me dérange pas, je ne suis pas mariée. Alors je continue sur le ton du jeu, je parle et il me répond. Je ne m’intéresse pas au reste du groupe qui l'accompagne. Et je ne m’y intéresserais pas de sitôt. Il a raison, ils ne gagnent pas assez pour moi, mais je ne le dirai pas à voix haute. Je capte son regard à chaque fois qu’il le tourne vers moi. “Et tu t’attaques à moi là ?” Il n’aurait pas dû me laisser m’asseoir là. Il en a pour la soirée maintenant, et je vais chercher toutes les failles possibles et imaginables. “Merci pour l’information.” Je suis déjà au courant de ça, j’ai été élevé en sachant ce genre de choses. Personne ne me manipule. Jamais. C’est l’inverse qu’il se passe à chaque fois. “Donc tu sors uniquement quand t’as des stagiaires à babysitter ?” Mon regard se perd dans la foule avant de revenir dans celui de Jacob. Et c’est lui qui commence à poser les questions. Il n’a aucune raison d’être intéressé par ça, je n’ai aucune raison de donner une vraie réponse. “J’ai toujours aimé me balader à Brisbane.” C’est totalement faux, je ne venais dans cette ville que quand ma mère y venait pour la danse. Ou juste pour me balader et sortir avec de vieilles connaissances. “Je suis peut-être que de passage.” Le mystère plane, parce que même moi je ne connais pas la suite des événements.

J’ai l’air d’avoir besoin de quelqu’un pour venir à ma rescousse ? Le regard de Jacob répond à sa place : oui. Il reste pourtant silencieux le temps de quelques longues secondes, se contentant de réfléchir à ce dont il se souvient d’elle. Indépendante, c’est le mot qui la caractérisait le mieux, à l’époque. Chiante aussi, mais c’est dans un autre registre, ça. Elle avait l’air de n’avoir besoin de rien, de personne, de ne pouvoir compter que sur elle-même. Mais elle n’avait que l’air car, par derrière, il savait très bien qui remplissait son compte en banque et la traitait comme une princesse. Il avait de meilleurs liens avec le paternel qu’avec la gamine, et il s’en souvient aujourd’hui, même si elle semble presque l’avoir oublié. Peut-être, peut-être pas. Je comptais pas te donner quoi que ce soit, qu’elle lui dit enfin. Sa remarque le fait sourire, il n’en doutait pas. Ta famille m'a déjà assez donné pour des décennies, je te remercie. Il se contente de répondre, en haussant les épaules. Elle a remarqué le regard qu’il a porté à son alliance. Il était nécessaire, selon lui. Ça y est tu deviens ennuyeux. Nouveau sourire de l’agent immobilier, alors qu’il regarde autour de lui tous les hommes qui pourraient potentiellement l’intéresser. Il n’en voit aucun, parce qu’elle ne s’intéresse qu’à elle-même, au fond. Elle l’admet parfois, mais la plupart du temps elle laisse à penser qu’elle ne trouve simplement pas chaussure à son pied car personne ne la mérite. Elle ne cherche pas réellement, ça se voit, ça se sait. Il faut bien s’ennuyer un peu pour s’amuser encore plus après. Si tu ne vis que dans un fun constant, tu ne profites pas réellement. Il se perd dans des métaphores sur le mariage qui, au fond, n’ont pas réellement le sens qu’il espère. Mais peu importe. Et tu t’attaques à moi là ? Il la regarde à nouveau, puis fronce les sourcils. J’en ai l’air ? Il veut la laisser y répondre. Il ne dit pas non, il ne dit pas oui. Il dit un peut-être sans réellement le prononcer parce que au fond, non, ce n’est pas le cas. Mais ce serait plaisant qu’elle vienne à le penser, qu’elle vienne à imaginer qu’il puisse s’intéresser à elle, qu’elle puisse s’intéresser à lui. Plaire, ça plaît – toujours, même après quinze ans avec la même femme. Merci pour l’information. Elle ne le remercie pas réellement, mais il accepte. Donc tu sors uniquement quand t’as des stagiaires à babysitter ? Son regard s’accroche au sien, et il ne sait pas réellement quoi répondre. Non, pas vraiment. Mais ils sont mon prétexte ce soir, je vais devoir un trouver un autre pour demain. Ça laisse entendre qu’il sort tout le temps, sauf que ce n’est pas le cas ; c’était effectivement un peu plus récurrent ces deux dernières années, mais il est bien souvent à la maison, seul, à espérer le retour d’Olivia. Elle, elle sort. J’ai toujours aimé me balader à Brisbane. Je suis peut-être que de passage. Il ne sait pas pourquoi mais cette nouvelle lui déplaît un peu, de la savoir sur le départ. Donc on ne se recroisera pas de sitôt ? Il lui pose la question comme s’il était réellement intéressé par la réponse – il l’est, en fait.

@Ivy Waterhouse

Je reste assise à côté de Jacob un bon moment. J’ai bu un verre, ou peut-être deux, je ne les ai pas compté. Je sais juste que c’est lui qui paye les tournées les unes après les autres. Il n’a pas vraiment l’air pressé de partir d’ici, alors je vais peut-être rester plus longtemps que prévu. Il parle encore de ma famille qui a pu lui donner beaucoup d’argent et je hoche la tête. Si mes parents lui ont donné de l’argent ça ne sera pas mon cas. Je ne compte pas vider mes comptes en banque en lui demandant de bosser pour moi. Même si l’idée qu’il bosse pour moi pendant un temps même infime pourrait me plaire.

Il est marié, et il devient donc rapidement bien moins intéressant. Je lève les yeux au ciel, pourquoi ils se perdent tous dans le mariage. C’est une terrible perte de temps et d’énergie, la preuve, il n’a pas l’air au top de sa forme. “Et comment tu comptes t’amuser ?” Je cherche les parties de ses phrases qui m’intéressent vraiment. Et cette partie là, je la trouve fun. Il a l’air de dire que le mariage est ennuyeux, alors pourquoi il reste comme ça. “Et donc tu crois que je ne profite pas de la vie parce que je m’amuse trop ?” Pourtant, je n’échangerai ma vie contre rien ni personne. J’aime ce que je suis et ce que je vis, et il peut me juger tant qu’il le veut, je n’en ai rien à faire. Est ce qu’il a l’air de m’attaquer ? Je fronce les sourcils sans lâcher son regard. On peut rester les yeux dans les yeux un bon moment, je ne serai jamais la première à lâcher. “Peut-être bien.” Il a l’air bien plus ouvert qu’un homme marié devrait l’être.

Un prétexte pour sortir. Et il a l’air de dire qu’il sort tous les soirs, c’est étrange pour un homme marié. Je réfléchis, mais attends le bon moment pour poser les questions. Quand il sera un peu plus alcoolisé certainement. “Un prétexte pour demain ? T’as besoin d’excuses pour sortir ?” Comme s’il était un adolescent. Etonnant cette relation. Je ne comprendrai décidément jamais ce qui amène les gens à s’engager à ce point. Il a presque l’air déçu quand il croit que je vais rapidement partir. Qu’est ce qu’il cherche ? Est ce qu’il veut jouer avec le feu ? Parce qu’avec moi, il est sûr de se brûler les ailes. Il n’a pas les épaules pour ce genre de jeu Jacob, à moins qu’il ait vraiment changé après tant d’années. “Tu penses que tu vas te débarrasser de moi aussi facilement ?” Je hausse un sourcil. “J’ai pas encore de date de retour.” Et je n’ai pas prévu de partir de sitôt.

À ses côtés, le temps semble ralentir – il va bientôt s’arrêter, et Jacob aura tout le temps du monde pour réfléchir. Peser le contre et le pour. Se décider s’il veut réellement jouer avec le feu – quitte à se brûler – ou rester sur ses gardes, sur la défensive, comme à son habitude. Malheureusement, ce n’est qu’une impression : les secondes et les minutes s’écoulent, il ne se méfie pas, il rentre dans le jeu d’Ivy. Ce n’est peut-être pas trop tard pour faire marche arrière, mais cet instant restera à jamais gravé dans sa mémoire : il s’est senti attirant, attiré, et ça ne risque pas de quitter son esprit. Et comment tu comptes t’amuser ? En quelque sorte, il a dit que son mariage l’ennuyait. Car s’il l’agace, présentement, c’est parce qu’il a parlé d’Olivia. Il hausse ses épaules. Pas de la même manière que beaucoup d’autres. Il dit, finalement. Il ne trompera pas sa femme – contrairement à elle – car il n’est pas ce genre de type-là. Il aime l’idée d’être encore un bon atout sur le marché, de plaire aux femmes, d’être intéressant : mais il est pris et il le restera, jusqu’à la fin de ses jours. C’était une promesse à deux et bien qu’il n’y ait plus que lui pour la tenir, il ne se désengage pas. Pas alors qu’il pense encore pouvoir sauver les meubles. Et donc tu crois que je ne profite pas de la vie parce que je m’amuse trop ? Il ne veut pas devenir le vieux sage du coin, qui philosophe sur tout. Mais à ce sujet-là, il pense avoir raison. Imagine que ta vie est une courbe. Si elle reste constante dans ton amusement et qu’elle ne va jamais vers le haut, comment tu peux ne pas te lasser ? Tu peux en avoir marre d’une vie routinière que d’une vie pleine de soirées. Il faut savoir doser. Fais ce que je dis, pas ce que je fais : lui-même n’applique pas la leçon qu’il tente de lui donner. Il lui demande s’il a l’air de s’attaquer à elle. Peut-être bien. Un sourire se dessine sur son visage. Un peut-être ne serait pas envisageable si je le faisais réellement. Tout va bien. Il ne sait pas s’il se le dit à lui-même ou s’il l’affirme à Ivy mais, dans les deux cas, il le prononce à haute voix. Non, il ne fait pas ça. Un homme marié ne fait pas ça. Un prétexte pour demain ? T’as besoin d’excuses pour sortir ? Mmmh oui, et elle doit même me signer un mot quand je rentre en retard. Il lève les yeux au ciel avant de rire légèrement, son regard de nouveau posé sur elle. Je me trouve une excuse pour moi-même, pas pour elle. D’ailleurs, il n’est pas certain qu’Olivia se rende compte de ses absences : elle aussi, elle n’est pas à la maison. Tu penses que tu vas te débarrasser de moi aussi facilement ? J’ai pas encore de date de retour. Il prend cette réponse comme une bonne nouvelle, bien qu’il ne pense pas la revoir dans d’autres circonstances que celle-ci. Qui a dit que je voulais me débarrasser de toi ? Lui, il l’a dit, une centaine de fois quand il travaillait avec son père. Ce soir, par contre, il n’en a pas spécialement envie. Tu n'en as pas encore, ça veut dire que tu en auras une ou que tu poses tes valises pour un petit moment ? Il laisse volontairement un léger silence s’installer. Parce que je connais un très bon agent immobilier qui pourrait te trouver quelque chose… Il était obligé.

@Ivy Waterhouse

Je reste assise au bar, je ne pensais pas rencontrer une tête connue ce soir. Et certainement pas celle de Jacob. Je ne pensais pas le revoir un jour lui d’ailleurs. Et étonnement, ce soir, il n’est pas hostile. Je sais qu’il ne m’a jamais aimé, et je m’en fichais, mais ce soir, il a l’air de changer d’avis à mon sujet et ce n’est pas pour me déplaire. Pas de la même manière que beaucoup d’autres. Je hausse les épaules, il s’est fait avoir par le mariage et je suis désolée pour lui. “C’est dommage.” Parce que je n’aurais pas eu de scrupules à être la maîtresse le temps d’une nuit. Ca n’aurait pas été la première fois que j’assumais ce rôle. Il juge ma manière de vivre, et ça aussi je m’en fiche. Imagine que ta vie est une courbe. Si elle reste constante dans ton amusement et qu’elle ne va jamais vers le haut, comment tu peux ne pas te lasser ? Tu peux en avoir marre d’une vie routinière que d’une vie pleine de soirées. Il faut savoir doser. “Je te tiendrai au courant si jamais un jour je me lasse et que j’ai envie d’avoir une vie avec maison mari chien et enfant.” Ce n’est pas pour moi ce modèle de vie là, j’ai autre chose à faire que de m’occuper d’autres personnes que moi-même.

Il aime cette situation, je le sens. Il joue avec le feu et je me ferai un plaisir de le brûler s’il continue de laisser des ouvertures de ce genre.  Un peut-être ne serait pas envisageable si je le faisais réellement. Tout va bien. “C’est toi que t’essaies de rassurer en racontant des conneries pareilles ?” Mon sourcil se hausse à nouveau et je bois une gorgée de mon verre. Mmmh oui, et elle doit même me signer un mot quand je rentre en retard. je grimace, je déteste imaginer la vie de couple et tous ces interdits qui les empêchent d’être vraiment heureux. Je me trouve une excuse pour moi-même, pas pour elle. “Et t’aimes ta vie ?” La question à cent balles. Est ce que ça le rend heureux de faire tout ça ? Moi je suis sûre que non.

Qui a dit que je voulais me débarrasser de toi ? Je souris en captant son regard. “Faudrait savoir ce que tu veux.” Il commence à aimer le jeu, et il pourrait très bien s’y perdre s’ils se voient plus régulièrement. Tu n'en as pas encore, ça veut dire que tu en auras une ou que tu poses tes valises pour un petit moment ? Je hausse les épaules, je n’en sais rien donc je ne pourrais pas lui répondre. Parce que je connais un très bon agent immobilier qui pourrait te trouver quelque chose… “Très bon ?” Je grimace un peu. “C’est un rendez-vous que tu me proposes là ?” Ce que je sais c’est qu’on va se revoir et ça m’amuse énormément. “Prouve moi que t’es le meilleur agent de la ville et peut-être que je considérerais ta proposition !”

C’est dommage. Peut-être qu’elle a raison. Peut-être qu’il n’est finalement pas la voix de la raison, entre eux deux, et qu’elle a un mode de vie plus saint que le sien. Il a dit non à beaucoup d’opportunités pour se construire ce qu’il possède aujourd’hui, pour bâtir sa relation avec Olivia. Il a accepté de s’attacher et de compter sur quelqu’un d’autre que sur lui-même, il a accepté de fonder une famille et de mettre son cœur entre leurs mains. Et aujourd’hui, il se retrouve avec celui-ci en bouillie, bousillé par une multitude d’événements. Alors oui, peut-être qu’elle a raison. Mais évidemment, il ne prendra pas le risque de le lui dire. Il préfère défendre sa façon de voir les choses en lui demandant si, réellement, elle arrive à s’épanouir constamment dans sa manière de vivre. Il espère secrètement qu’elle lui réponde non, qu’elle lui dise qu’il a fait le meilleur choix et qu’il n’y a rien à regretter. Je te tiendrai au courant si un jour je me lasse et que j’ai envie d’avoir une vie avec maison mari chien et enfant. C’est ce qu’il a lui. C’est ce qu’il avait. Et ce qu’il tente d’oublier en se lançant sur un terrain très glissant, en se laissant tomber dans une pente qu’il n’est pas certain de pouvoir remonter ensuite. Les mots sont parfois plus douloureux que les gestes, il le sait et se le dit à lui-même : flirter n’a rien d’innocent, quand on est un homme marié. Et pourtant, il se laisse aller, il se laisse faire. C’est toi que t’essaies de rassurer en racontant des conneries pareilles ? Peut-être bien. Il reprend ses mots, il accepte de jouer le jeu. Il lui dépeint sa vie – faussement – et reste suspendu à ses lèvres pour découvrir sa réaction. Et t’aimes ta vie ? Il la déteste. Depuis deux ans, il la déteste de tout son être et serait capable de tout et n’importe quoi pour revenir en arrière. Est-ce qu’il le peut ? Non. Est-ce que le lui dire lui permettra de le faire ? Non plus. Pourquoi ne pas l’aimer ? Une question pour répondre à une autre question : il esquive, il ne donne aucune réponse, il ne ment pas. Faudrait savoir ce que tu veux. Non, il ne veut pas se débarrasser d’elle. Ce soir, elle n’a rien fait d’aussi agaçant que toutes les fois où ils se sont rencontrés par le passé. Ce soir, il la trouve divertissante, intéressante. Ce soir, il a l’impression de faire face à une autre personne. Me débarrasser de toi n’est pas dans la liste de ce que je veux, c’est tout ce que je dis. Il hausse ses épaules et boit une gorgée. Très bon ? Il hoche son visage pour confirmer. C’est un rendez-vous que tu me proposes là ? Oui, un rendez-vous. Il marque un temps d’arrêt, un silence volontaire. Professionnel. Prouve moi que t’es le meilleur agent de la ville et peut-être que je considérerais ta proposition ! Elle le met au défi et il aime ça. Nos rencontres avec ton père n’ont pas suffi à te convaincre que je suis le meilleur ? Ou toutes les agences que tu peux croiser d’un quartier à un autre ? Sa réputation n’est plus à faire, son nom est connu de toutes et tous. Il est le meilleur et il n’a plus rien à prouver à personne, pas même à Ivy. Encore moins à Ivy, ce serait rendre les armes trop tôt, la laisser gagner trop rapidement. Il suffit de me faire confiance. Sa confiance, elle semble ne l’accorder à personne – et surtout pas à lui. Autant que ça change.

@Ivy Waterhouse

Il n’est pas aussi ennuyant que dans mes souvenirs. Je pince les lèvres, je ris un peu, et je rentre dans le jeu autant que lui le fait. On a deux vies bien différentes. Et il a l’air bien plus malheureux que moi. Peut-être bien. Il reprend mes mots et je lève les yeux au ciel. il peut être agaçant quand il s’y met, je soupire, hésite à partir loin, mais je finis par rester pour continuer de voir jusqu’où il est capable d’aller. Pourquoi ne pas l’aimer ? “Si tu l’aimais tu serais pas dans un bar à tout faire pour éviter de parler de cette vie que tu es censé tant aimer.” Je suis douée pour lire les gens, mais ce n’est pas difficile de voir qu’il n’a aucune envie de rentrer chez lui. Je capte son regard à de nombreuses reprises, j’aime ce nouveau jeu, et je sens qu’il va occuper une bonne partie de ma soirée.

Me débarrasser de toi n’est pas dans la liste de ce que je veux, c’est tout ce que je dis. “Donc tu aimes que je sois là.” Je fais des raccourcis trop rapides qu’il va vouloir éviter. Je cherche chacune de ses réactions à travers son regard, jamais je ne baisse les yeux en première, ce sera donc à lui de le faire s’il est gêné par la situation. Oui, un rendez-vous. Mes sourcils se froncent. Professionnel. “Si tu savais tout ce qu’on peut inclure dans un rendez-vous professionnel !” Mes cils papillonnent et je bois une nouvelle gorgée d’alcool. Nos rencontres avec ton père n’ont pas suffi à te convaincre que je suis le meilleur ? Ou toutes les agences que tu peux croiser d’un quartier à un autre ? “Je préfère me référer à mon avis, et pas à celui de mon père.” Il peut avoir un mauvais avis, et j’ai bien envie qu’il se doive de faire ses preuves. Il suffit de me faire confiance. Ce mot me fait grincer des dents, je ne fais jamais confiance à personne, même pas aux membres de ma famille. “Comme si ça allait être aussi facile.”  

Si tu l’aimais tu serais pas dans un bar à tout faire pour éviter de parler de cette vie que tu es censé tant aimer. Touché. Le blond la regarde et se contente d’un haussement de sourcils : c’est suffisant pour lui indiquer qu’elle marque qu’un point, qu’elle a potentiellement raison. Lui accorder qu’elle détient la vérité sur ce qu’il ressent et ses intentions ici lui brûlerait la langue, sans aucun doute. Il n’en est pas à ce stade, il lui faudrait deux ou trois verres supplémentaires, mais tous deux savent déjà qu’il ne les commandera pas. Cette vie qu’il aime tant, qu’il est supposé aimer du moins, il va aller la rejoindre, sagement. Comme il le fait toujours, même si c’est on ne peut plus lassant quand, en face, il n’y a aucun retour satisfaisant. Il le fera, quand il en aura terminé de jouer avec elle. Il sait qu’il ne fait rien de mal, là, en sa compagnie, qu’il pourrait faire bien pire s’il était ce genre d’homme. Il ne l’est pas, heureusement pour son mariage. Donc tu aimes que je sois là. On va dire que je ne déteste pas. Il corrige. Il ne dira pas aimer ça, mais c’est vrai que ses dents ne grincent pas rien qu’à cette idée, comme ça aurait pu être le cas autrefois. Il confirme être en train de lui proposer un rendez-vous, professionnel, évidemment. Si tu savais tout ce qu’on peut inclure dans un rendez-vous professionnel ! Il en a une petite idée. Des clientes avec des propositions indécentes, il en a eu plus d’une. Mais il ne s’amusera pas à ce jeu-là avec Ivy et préfère faire comme s’il ignorait toutes ces choses-là. Oui, comme signer des papiers, d’autres papiers, et encore d’autres pour plus de fun. Il hausse ses épaules et termine son verre. Il s’étonne qu’elle ne croie pas en ses capacités après toutes ces années à travailler avec son père. Je préfère me référer à mon avis, et pas à celui de mon père. Et apparemment, il ne risque pas d’y arriver ce soir. Comme si ça allait être aussi facile. Un sourire se dessine sur les lèvres de Jacob, il est prêt à prendre ça comme un défi. Je pense que ça l’est, et j’y arriverai. On en reparlera. Il se décolle du comptoir, les yeux toujours sur la jeune femme. Je m’en vais rejoindre ma vie que j’aime tant. Je te souhaite de passer une bonne fin de soirée, Ivy. Ses yeux dans les siens, il les relâche finalement pour lui tourner le dos et s’en aller. Ils se reverront, il n’en doute absolument pas. Cette soirée lui aura au moins permis de se rappeler qu’il ne vaut mieux pas jouer avec le feu ; il était à deux doigts de se brûler.

FIN

@Ivy Waterhouse