Elle tente de se justifier comme elle peut, mais je qualifie pas ça de combat de boxe, et c’est certainement pas ce genre d’actions traîtres que je suis venu chercher en l’appelant sur le ring. “Un coup reste un coup, love.” Ouais, mais non. Et rien que pour la faire taire ne serait-ce que deux secondes, je vise sa mâchoire avec joie, et je me sens encore plus extatique en voyant quelques gouttes vermillon courir le long de ses lèvres. Il n’est plus temps d’être gentil, parce qu’elle m’a bien trop chauffé pour que je me contente de petits droits dans le ventre. “Arrête de te plaindre t'adorais ça fût un temps lointain.” Je ricane parce qu’elle a pas tord et elle le sait, d’autant plus que le temps est loin d’être aussi lointain. Pourtant, je vois la possibilité de terminer la soirée en sa (presque) charmante compagnie s’effriter peu à peu, tandis qu’elle essuie d’un geste maîtrisé les quelques gouttes vermillon qui coulent le long de sa bouche. A me regarder comme ça, d’un air ravageur, elle me ferait presque croire qu’elle a moins souffert que je l’aurais espéré. Il y a quelques instants, je regrettais presque d’y être allé un peu trop fort parce que je comptais pas la casser en arrivant, Ariane - mais maintenant, je regrette juste pas l’avoir poussée dans ses retranchements parce qu’elle commence à m’agacer avec ses remarques.

“T'es beau quand tu rages.” Elle réussit à me faire lever un sourcil, parce que ce soudain changement de comportement m’étonne. Elle vient de se prendre un poing dans la gueule et elle décide d’être gentille maintenant ? Ça m’étonne, et je comprends mieux maintenant que je la vois s’approcher vers moi d’un pas décidé et trop rapide. Trop rapide pour que je comprenne à temps, avant qu’elle me pousse hors du ring et que je passe à travers les cordes. Elle a joué sur ma surprise, cette conne. “Putain.” Je rage, je me traîne par terre deux secondes, le temps d’encaisser le choc et l’onde de douleur qui traverse mon dos - parce qu’elle a réussi son coup, là, si seulement c’était vraiment un coup. “J’ai l’impression que t’as pas compris le principe de la boxe.” Est-ce qu’elle serait prête à s’abaisser à n’importe quoi pour gagner ? J’aurais préféré la jouer fair-play, mais elle m’a poussé trop loin pour que j’arrive vraiment à me raisonner maintenant. Je repasse entre les cordes et réajuste mes gants, tandis que le sang explose contre mes tempes transpirantes. “Mais si tu préfères le catch, y avait qu’à demander.” Et je fonce vers elle, en la regardant, qu’elle croit que je vais peut-être encore la viser au visage - mais je me baisse au dernier moment, prêt à la cueillir à la taille pour la renverser et qu’elle s’étale enfin de tout son long. A la guerre comme à la guerre.

another one bites the dust:

“Putain.” de la musique à mes oreilles. Le son de son corps ankylosé qui s'éclate au sol vaut toutes les richesses du monde à mes yeux en l'instant, et faut savoir que parler de fric me donne envie de sourire à pleines dents. Il est beau quand il rage Clyde, mais il l'est encore plus quand sa silhouette s'affale lourdement au sol.

“J’ai l’impression que t’as pas compris le principe de la boxe.”
« J'ai l'impression que t'as pas compris le concept de perdre. »

Ma voix mime la sienne, les mêmes tons, les mêmes intonation, la pointe qui nargue un peu plus, juste assez. Mon menton s'ancre aux câbles, j'y prends appui comme une teigne, comme une connasse, comme une gagnante rien de moins, la pire d'entre toutes. Promis, je ferai presque comme si j'allais lui payer un verre pour essuyer sa défaite ce soir, promis je ferai même mine de sortir mon portefeuille de mon sac avant de juste voler une bouteille aléatoire et même encore là, la première gorgée lui ira. “Mais si tu préfères le catch, y avait qu’à demander.” oh come on, sérieux, crève already. Et le voilà qui s'élance vers moi, et le voilà qui s'écrase de tout son long, je sais même pas il sort d'où et je savais pas qu'il était suicidaire à ce point sérieusement c'est chiant.

Ce qui est chiant, encore plus, c'est le craquement que j'entends. « Connard il était cassé y'a six mois tu fais exprès ou tu fais exprès? » je sais pas si c'est mon bras, je sais pas si c'est mon poignet, je sais pas si c'est un preview du son que fera sa nuque sous mes doigts une fois que je me serai relevée, mais s'il m'a recassé le bras après que Jet s'en soit donné à coeur joie c'est sûr que je le noie dans l'une des cuvettes remplies de merde que personne nettoie jamais dans ce gym glauque de fond de ruelle. « Pour chaque millimètre touché j'te casse dix dents. » mes yeux scrutent mon bras quand ma main libre et pas touchée se charge de le repousser, le regard noir qui vient en addition à tout le reste. Ce soir, il aura clairement pas la première gorgée.

   
@clyde wakefield

another one bites the dust:

“J'ai l'impression que t'as pas compris le concept de perdre.” Oh si, j’ai parfaitement compris, et je compte sur le fait que ce soit elle qui se prenne ce concept en pleine tête. Visiblement je tombe pas trop loin du but espéré puisqu’elle se relève en grognant, un bras plus ballant que l’autre. “Connard il était cassé y'a six mois tu fais exprès ou tu fais exprès ?” Ah ouais, merde quand même, l’objectif c’était pas non plus de lui péter les os déjà cassés, mais malgré mon air gêné je peux pas m’empêcher de hausser les épaules comme si c’était pas grand chose. Après tout, elle l’a cherché - elle a eu tort de croire que m’envoyer hors du ring allait se solder par une insulte et un retour aux petits coups bien trop gentils pour ce qu’elle mérite. Je l’aiderais bien à se relever, qu’on fasse la paix, un peu, mais quelque chose me dit que malgré son air crispé de douleur la dernière chose qu’elle voudrait c’est mon aide, puisqu’elle assimilerait forcément ça à de la pitié. Elle est chiante quand même, Ariane, à toujours penser qu’elle se débrouille mieux toute seule et à pas accepter d’aide sous peine de passer pour la faible - alors qu’elle passerait juste pour une nana un peu plus fréquentable que ce qu’elle n’est vraiment. “Pour chaque millimètre touché j'te casse dix dents.” Clairement, je vais éviter de la toucher, parce qu’elle m’a l’air plus remontée que jamais et je compte pas sur la douleur pour l’empêcher de m’en mettre une alors que je suis pourtant en train de retirer mes gants et que je recule en signe de sédition.

Je m’en veux un peu quand même, j’essaie de me justifier comme je peux. “J’vais pas m’excuser d’avoir joué à ton niveau.” C’est pas vraiment une justification valable ça, non ? Autant dire que face à Ariane, on pourrait clairement pas me qualifier de panégyriste. Je la regarde se relever doucement, et je réalise qu’elle a plus mal qu’elle veut bien le montrer, et que son poignet n’a pas l’air d’avoir apprécié le voyage, vu la manière dont elle le tient. “On passe prendre un sac de haricots surgelés sur la route ? Je compte bien les goûter, ces verres gratuits” je lance d’un ton sarcastique, les sourcils arqués en pointant du menton son poignet. La meilleure manière de la convaincre de s’en occuper sans qu’elle préfère refuser et me sauter dessus à la place, c’est encore de lui faire croire que je cherche pas vraiment à l’aider. Alors qu’au fond, si ça tenait qu’à moi je l’emmènerai direct aux urgences, sait-on jamais - mais elle acceptera sûrement que si l’idée vient d’elle. Quelque chose me dit que les verres de la victoire ne seront pas pour ce soir.

Si mon regard pouvait le tuer, l'égorger ou au mieux, juste lui crever les yeux, ça serait déjà bien plus simple, bien moins chiant.

“J’vais pas m’excuser d’avoir joué à ton niveau.”
« J't'ai pas demandé de t'excuser. »

Là, il faut que je me redresse et il faut que je revienne sur mes pieds, faut que je garde mon poignet près de mon torse et faut que je fasse genre je l'ai pas buté mentalement cinquante fois et cinquante autres. entre vous et moi mon énergie et ma concentration, elles aimeraient mieux s'assurer que j'ai rien de cassé plutôt que de vouloir tout lui casser vous voyez.

“On passe prendre un sac de haricots surgelés sur la route ? Je compte bien les goûter, ces verres gratuits” il propose, il vivote, il a un ton qui est un octave plus bas mais y'a pas la moindre once de larmoyant dans son coup d'oeil et juste pour ça il remonte dans mon estime. Il est encore dans les négatifs Clyde, bien sûr qu'il y est et que c'est plus fun ainsi, mais là au moins la cible sur son front s'atténue, édulcorée. « Ouais, faisons ça. » les haricots surgelés, et le verre. Pas l'hôpital.

***

Mais ouais, bien sûr qu'on est à l'hôpital. Bien sûr qu'au moindre arrêt inopiné dans sa bagnole qu'il sait pas chauffer, j'avais le bras qui élançait au point où il a bien vu que je les mordais de toutes mes forces, mes joues, mes lèvres. Il a dévié vers les urgences quand bien même je l'ai insulté en français sur tout l'aller, n'empêche que lorsqu'ils ont vu l'immense bleu qu'il y avait sur ma peau, ils m'ont de suite posée sur un brancard. Les haricots surgelés achetés au supermarché siègent, délaissés et oubliés, sur le lit de fortune à côté du mien. Ils ont vite noyé le matelas.

« Encore heureux ils m'ont prise assez en pitié pour pas fouiller mon sac. » que ma voix raille, rauque, quand de ma main encore valide j'en extirpe deux bouteilles de bière, piquées à l'arrêt supérette pendant que tout le monde s'épanchait sur mon état en hurlant outrage au mec qui "venait de me battre". Le bouchon retiré l'alcool interdit ici trouve ma langue quand des mots qui m'étonnent moi-même complètent la scène la seconde d'après. « Y'a un type qui me l'a cassé, l'an dernier. » c'est pas des excuses pour la façon dont je l'ai traité, entre le coup et l'hôpital. C'est juste une explication comme une autre.


   
@clyde wakefield

“J't'ai pas demandé de t'excuser.” “Ok, ça m’arrange.” Très bien, tant mieux alors. Parce qu’en vérité je suis pas fier de l’air de douleur qu’elle se trimballe par ma faute, juste parce qu’elle m’a un peu trop motivé en me cherchant comme si elle sait si bien le faire. J’aurais pas dû oublier que sous ses airs de teigne, ça reste une nana dont les os mesurent à peu près 2 cm d’épaisseur et qui n’est pas bien plus épaisse qu’un coton-tige - au fond, c’était qu’une question de minutes avant que je lui pète un truc, et je m’en veux un peu de m’être laissé emporter par ses provocations. Elle l’a cherché, mais je ne pense pas que c’est ça qu’elle comptait trouver - un aller simple à l’hôpital, parce que c’est clairement comme ça que la soirée va se finir si je vois ses lèvres continuer à se pincer alors qu’elle se retient de montrer à quel point elle souffre vraiment. A défaut de lui ouvrir mon aide, je peux encore me permettre de lui acheter un sac de haricots surgélés. “Ouais, faisons ça.”

***

Emmener Ariane à l’hôpital avait été encore plus laborieux que prévu. Comme si la rousse ne constituait pas une difficulté à elle toute seule, les autres clients de la supérette dans laquelle j’avais généreusement lâché quelques dollars pour des haricots surgelés m’avaient regardé comme si j’avais quelque chose à me reprocher. Ah, la nana avec un coquard et un poignet en vrac ? Ouais, c’est moi, mais c’est pas ce que vous croyez. A l’hôpital, ils n’ont pas encore posé trop de questions, mais je sens bien que la soirée va valoir le détour et qu’Ariane va trouver un peu de réconfort à me voir me justifier - sans son aide, évidemment. “Encore heureux ils m'ont prise assez en pitié pour pas fouiller mon sac” qu’elle dit en sortant deux bouteilles de bière dans son sac - quand je dis qu’il vaut mieux ne pas savoir tout ce que contient le sac à main d’une femme. Reckless, la Parker. C’est pas que ça me dérange, mais j’ai une réputation à tenir en ville moi - mais l’hôpital peut pas vraiment foutre les malades dehors, même les plus irrespectueux, non ? J’attrape une bière en souriant, parce que si l’alcool peut lui faire passer la douleur ne serait-ce qu’un peu, je veux bien aider quand même. “C'est ton visage d'ange, qui se méfierait de ça ?” Et je souris en sifflant une première gorgée presque salvatrice après tous ces coups échangés. “Y'a un type qui me l'a cassé, l'an dernier.” Mais c’est qu’elle aurait presque prononcé une phrase qui ne contient ni insulte, ni reproche, ni provocation ? A croire que la douleur lui altère la raison à la rousse, mais je suis pas contre le fait qu’elle me parle parfois comme à un autre être humain et pas comme à un autre incapable en travers de son chemin. “Un type ?” Je l’imagine pas du genre à se faire vraiment battre, mais si j’ai bien appris un truc, c’est de jamais présager de ce qu’on ne connaît pas - et clairement, la vie d’Ariane ne pourrait pas être plus floue pour moi. “Tu l’as foutu par terre lui aussi ?” Et une deuxième gorgée - elle a bien choisi la rousse, bon goût. “Faut arrêter de donner envie aux mecs de te taper dessus.” Mieux vaut que personne n’ait entendu, parce que dis comme ça, j’aime pas comme ça sonne.

“C'est ton visage d'ange, qui se méfierait de ça ?” ce même visage d'ange qui se tourne vers lui, armé d'un sourire à un niveau encore rarement atteint de condescendance qui y brille d'aplomb. « Des années à peaufiner l'air de la parfaite petite ingénue, que veux-tu, ça paie. » l'ironie est là, elle est tapissée d'un côté à l'autre de mes mots, et il le sait aussi bien que moi que plus les gens s'y frottent plus ils s'y piquent. Leur faute, s'ils se fient aux apparences.

La bière aide à délier les langues, ou du moins, à délier la mienne. “Un type ?” « Un ex. » je fais certainement pas ça pour m'expliquer ni même me justifier, j'ajoute juste une pièce au puzzle qu'il n'arrivera jamais à maîtriser et qu'il ne veut pas connaître, non plus. Les dédales de ce qui se passe le regardent pas, je lui donne ce que je veux et c'est que ça qu'il prend, sur ça au moins, on s'entend. “Tu l’as foutu par terre lui aussi ?” cette fois-là, et les autres avants. « Bien sûr que oui, tu crois quoi. » Jet cognait mais je cognais à mon tour - la dernière et ultime fois aura été celle où il aura frappé plus fort que moi.

“Faut arrêter de donner envie aux mecs de te taper dessus.”
Et faut que t'arrêtes d'être cool deux secondes pour me donner envie de te buter la minute d'après.

« Mais Clyde tu comprends pas, c'est inné, c'est un don que j'ai. » je nargue, je raille, je pouffe de rire aussi, l'alcool aide. Ils passent par dizaine dans le couloir sans s'arrêter, probablement que les jurons que j'ai multipliés à leur intention quand ils m'ont examinée de tous bords et de tous côtés ont pas aidé ma cause. Mon potentiel de sympathie a depuis longtemps disparu ici. « Tu fais pas de boxe si tu veux pas te battre.» que je conclus, comme si ça allait suffire d'être catégorique. Alors je change mon fusil d'épaule, je change de tactique. « C'est quoi ta raison à toi, pour être en colère comme ça? »

   
@clyde wakefield

“Des années à peaufiner l'air de la parfaite petite ingénue, que veux-tu, ça paie.” J’imagine que beaucoup s’y sont frottés, à cet air ingénu, et que la plupart s’y sont surtout piqués. Dès l’instant où j’ai rencontré Ariane je n’avais déjà plus beaucoup d’illusion sur son sourire de façade que j’ai bien trop de fois offert moi-même aux inconnus, mais je peux croire qu’on se laisse facilement avoir pour peu qu’on veuille bien y voir ce que la rousse fait mine d’offrir. Malgré tout, et malgré les coups et les provocations, elle me fait bien rire et c’est sûrement pour ça que je suis encore là alors qu’elle a clairement essayé de me mettre par terre ce soir. Sous ses airs de démon qui n’aime rien ni personne, je retrouve un peu de ma colère dans la sienne, un peu de ma dureté dans ses mots, et rien que pour ça je l’appelle toujours une fois de plus alors que le contrat est plutôt clair entre nous : il n’y pas de contrat. Alors je reprends une gorgée après avoir lâché un rire sec devant son sourire ironique manié à la perfection. “Un ex.” Ça ne me regarde pas, et pourtant ça me fait moins rire tout d’un coup - il y a des choses avec lesquelles on ne plaisante pas, surtout que je doute qu’il lui ait cassé le poignet à la boxe, celui-là. Alors je la fixe sans rien dire et sans trop réagir, parce que j’ai l’impression qu’elle ne compte pas en livrer davantage. Au moins, elle l’a foutu à terre aussi, apparemment. “J’comprends mieux pourquoi tu verses plus trop dans le romantisme.” Et un air provocateur en prime, parce que j’ai du mal à imaginer Parker ne pas se lasser d’un mec au bout d’un mois, en réalité. “Mais Clyde tu comprends pas, c'est inné, c'est un don que j'ai.” “J’confirme.” Je lève la bière à cette affirmation on ne peut plus vrai, parce qu’il faut avouer qu’avec son air condescendant, elle chercherait presque à agacer en permanence, même si je sais que ça ne s’arrête pas là, heureusement. “Tu fais pas de boxe si tu veux pas te battre.” Est-ce qu’elle ne s’est vraiment pris des coups qu’en faisant de la boxe ? C’est la question à laquelle je n’aurai pas de réponse, et que je ne suis pas sûr de vouloir chercher - Ariane m’apparaît pas vraiment comme le genre de nana à se confier, même sur l’oreiller. “C'est quoi ta raison à toi, pour être en colère comme ça ?” Beaucoup de raisons, trop nombreuses pour les énumérer, et surtout trop confidentielles ou trop illégales pour mériter quelques mots qui seraient déjà de trop. “Chagrin d’amour.” Si peu, et pourtant, je dois avouer que voir un inconnu se faufiler hors de la chambre d’Halsey ce matin m’a donné l’envie de taper sur quelque chose. Et je raille en prenant une gorgée supplémentaire, quand je réalise qu’une bière ne sera pas suffisante pour les heures qui nous attendent dans ce couloir à se regarder dans le blanc des yeux et s’avouer tous nos malheurs. “Je suffis pas à une femme, t’y crois toi ?” Je souris et je taquine, parce que c’est encore suffisamment loin de la vérité pour ne pas m’atteindre, surtout que je suis le premier à ne pas vouloir m’emmerder d’attaches - mais au fond j’ai envie de tous les accrocher au mur un à un, ceux qui quittent la chambre de la brune au matin.

La bière fait du bien, mon bras fait encore un mal de chien mais l'alcool délie ce qu'il faut au passage. “J’comprends mieux pourquoi tu verses plus trop dans le romantisme.” « T'as qu'un mot à dire et je nous organise un dîner aux chandelles tu sais bien. » la pique est tellement forcée, ma voix est si fausse qu'il risque juste de s'en moquer. Tant mieux, on sera sur la même longueur d'ondes pour ça au moins.

“Chagrin d'amour.” oh, et pour ça aussi. Il parle pas de ses histoires et moi je parle pas des miennes, c'est l'entente, c'est l'accord depuis le premier jour, mais ce serait mentir de dire que la grande majorité des coups donnés sur son joli minois aujourd'hui n'ont pas été dédiés à toute la merde qui se passe avec Levi. « C'est toi le romantique finalement. » que je pouffe, une longue gorgée de bière plus tard. “Je suffis pas à une femme, t’y crois toi ?” « Me fais pas pleurer ; y'a une femme qui te suffit, à toi? » le retour de l'ascenseur sonne comme une douce mélodie à mon oreille, l'entraînant à réfléchir au fait que sûrement, la fille de l'autre côté, elle réagit pas comme il le sous-entend pour rien. « Ou alors c'est celle qui te suffit qui dit que tu lui suffis pas. » mon coup d'épaule sur son bras à portée sonne bien plus comme une manière de le rassurer que le font mes mots. Pour être compatissante, il a pas sonné à la bonne porte.

« Ils finiront jamais par venir, tu sais ça.» les infirmiers qui ont dit qu'ils reviendraient, le docteur qui met cent plombes à juste repasser devant la porte. On est des oubliés, on est dans les limbes, on est les rejetés de la société et putain que ça fait mal, mon poignet. « On commande quoi?» je lui ai proposé un rendez-vous galant à la blague, ça sera à savoir de pizza ou de chinois, c'est lui qui voit.


   
@clyde wakefield

“T'as qu'un mot à dire et je nous organise un dîner aux chandelles tu sais bien.” Elle me tire un nouveau rire, la rousse, mais elle n’aurait pas dû s’aventurer sur ce chemin-là parce que je l’attends au tournant. “Au prochain match perdu je compte sur toi alors.” Si match perdu il y a, et même, je ne serai pas là pour réclamer mon dû - les verres de ce soir, en revanche, j’espère les voir en peinture un jour, parce que ce n’est pas une bière qui fera l’affaire pour le deal conclu avant que toute cette histoire ne dérape. “C'est toi le romantique finalement.” “Aie pas l’air surprise, tu me fais du mal.” Personne n’est dupe, même pas elle, et je me doute bien que le sourire forcé et empreint d’ironie que j’affiche n’aide pas à vendre mon prétendu chagrin d’amour dans lequel personne ne me reconnaît, pas même moi. “Me fais pas pleurer ; y'a une femme qui te suffit, à toi ?” Elle vise juste, Parker, et ça je dois bien lui reconnaître. Sûrement qu’elle en sait autant parce qu’elle vit le même jeu qui consiste à ne jamais accorder trop d’importance à qui que ce soit, du moins c’est l’idée qu’elle m’en inspire. Rien que pour ça, je serais prêt à lui raconter la moitié de ma vie parce que je saurais qu’elle n’en a rien à faire et ne s’en rappellera pas deux jours plus tard. Je la regarde en coin, l’air faussement indigné. “Absolument.” Puis je lâche cette moue qui ne convainc personne. “Pendant quelques temps.” La voilà, la vérité, mais je sais bien s’il y a quelqu’un qui ne me jugera pas, c’est bien elle - et quand bien même, son jugement me passerait au-dessus de la tête. Lorsqu’elle s’ennuie, elle accepte de venir me voir alors même qu’elle n’a aucune illusion sur mon absence totale d’engagement, c’est dire à quel point elle doit bien s’en foutre elle aussi. “Ou alors c'est celle qui te suffit qui dit que tu lui suffit pas.” Et cette fois, sans le savoir, elle touche presque juste tandis qu’elle me balance un coup d’épaule qui me permet de lâcher un rire sec, à défaut de lui préciser qu’elle n’est pas si mauvaise pour lire les gens, parfois. Je préfère décocher un sourire éclatant et lui offrir une moue dubitative, l’air de dire, tu crois vraiment ce que tu dis, tu m’as vu ? “Ils finiront jamais par venir, tu sais ça.” C’est un peu toujours comme ça à l’hôpital, de toute façon. Tant que la rousse ne sera pas à l’article de la mort, elle devra se trimballer son poignet qu’elle soutient encore en serrant sûrement les dents - et la vision me plaît de moins en moins, au fur et à mesure que ma culpabilité grimpe. “Au moins t'as l’honneur d’être mon premier rendez-vous à l’hôpital, j’espère que t’es flattée.” Sûrement pas, surtout qu’il n’y a pas assez d’alcool pour nous convaincre qu’on peut suffisamment bien s’entendre pour ne pas essayer de se descendre l’un l’autre en permanence. “On commande quoi ?” Je pose la bière presque terminée par terre, et je lève un sourcil. Elle s’est crue à l’hôtel, Parker ? “Tu penses vraiment qu’ils vont laisser un livreur faire tous les couloirs de l’hosto pour nous trouver ?” Il ne manquerait plus que la perspective de la bouffe nous titille les papilles, pour qu’elle n’arrive jamais à nous. “Après j'ai rien contre les pizzas de contrebande, paraît que c'est encore meilleur qu'un dîner aux chandelles.” Elle a intérêt à aimer les pizzas, ou alors, qu’elle se taise à jamais. “La hawaïenne, on la sent comment ?” Quitte à se lancer dans les sujets de société brûlants. Il paraît que c’est une abomination mais c’est pas les conventions qui m’étouffent - tant que ça goûte, ça me convient, surtout vu le manque de charme de l’endroit qui détonnerait clairement avec des mets trop élaborés.

“Absolument. Pendant quelques temps.” il est un livre aussi mystérieux pendant un temps qu'ouvert la seconde d'après. J'ai pas envie de m'attarder à ses états d'âme pour la seule et unique raison qu'ils sont probablement très proches des miens, n'en reste que son discours résonne.

Fort, mal, trop, mais assez pour qu'il me donne presque l'impression d'être devenu un ami avec le temps. Étrangement on en convient, mais quand même. C'est presque comme si j'y tenais, à lui, à ce qu'ensemble on bâtit. “Au moins t'as l’honneur d’être mon premier rendez-vous à l’hôpital, j’espère que t’es flattée.” « T'offusques pas si je te dis que moi j'en ai l'habitude. » si lui a coupé court à la conversation plus tôt, c'est à mon tour de faire pareil lorsqu'il pointe là où il ignore être allé. L'hôpital, je le connais par coeur pour y avoir passé ma vie pendant des mois durant. Au chevet d'un gars qui n'en a plus rien eu à faire de moi en un claquement de doigt l'instant d'après. On passe, on passe vraiment, parce que sinon on s'en sortira jamais.

La bouffe reste toujours l'option la plus sécuritaire, pour lui comme pour moi. “Tu penses vraiment qu’ils vont laisser un livreur faire tous les couloirs de l’hosto pour nous trouver ?” d'un soupir aussi las qu'exagéré, je laisse mes jambes battre la mesure dans le vide quand mes paupières elles, battent la cadence l'une au diapason de l'autre. « Je ferai une crise en disant qu'ils me laissent crever dans mon sang depuis des heures et ils nous céderont ce qu'on veut t'inquiètes. » comme si c'était le plan nécessitant le plus d'effort, comme si j'étais pas née pour faire chier le monde en entier en râlant le temps qu'eux ragent amplement. “Après j'ai rien contre les pizzas de contrebande, paraît que c'est encore meilleur qu'un dîner aux chandelles.” « Là tu parles mon langage. La fenêtre, elle donne sur où? » qu'on le fasse grimper ou qu'un de nous deux saute pour aller chercher la pizza en bas, l'une ou l'autre des options me semblent totalement faisable en l'instant.

“La hawaïenne, on la sent comment ?” « Comme une crime contre l'humanité. » je souffle, je pouffe, lui ébouriffe les cheveux de ma main libre rien que parce que je peux. « Prends des frites avec. »


   
@clyde wakefield

“T'offusques pas si je te dis que moi j'en ai l'habitude.” J’en rirais presque et je lui demanderais combien de mecs elle a énervé pour en arriver là, si seulement elle venait pas de laisser échapper l’idée que son ex lui tapait sur la gueule comme passe-temps. Elle m’apparaît pas comme le genre de filles à se laisser faire, mais la vérité c’est qu’Ariane je la comprends presque autant que je ne la connais pas, et c’est sûrement la dernière nana dont j’oserais présager de la vie tant la rousse est imprévisible et du genre un peu rancunière - manquerait plus qu’elle vienne fouiller du côté de la mienne pour m’emmerder. C’est plutôt le moment de prendre une dernière gorgée de bière et de profiter qu’elle mentionne la bouffe pour sauter sur l’occasion - parce que boxer et casser des poignets ça creuse l’appétit. “Je ferai une crise en disant qu'ils me laissent crever dans mon sang depuis des heures et ils nous céderont ce qu'on veut t'inquiètes.” Pas de doute, n’importe qui céderait devant ce genre de crise auquel même moi je ne suis pas certain de vouloir assister - je préfère encore servir de punching-ball sur commande, c’est davantage dans mes cordes. “Ou tu les regardera comme si t'allais les étriper, ça peut marcher aussi.” Et j'en sais quelque chose. Alors c’est parti, dans le doute, l’appel de la pizza est bien trop fort pour y résister. “Là tu parles mon langage. La fenêtre, elle donne sur où ?” Comme si j’en savais quelque chose. Je m’approche, et un coup d’oeil suffit à faire apparaître un sourire gagnant jusqu’à mes oreilles. “Le parking.” Pas besoin de bien longtemps pour sortir le téléphone et commencer à scroller à la recherche des meilleures options pour fêter ce rendez-vous en grande pompe - à coup d’hawaïenne, pourquoi pas ? “Comme une crime contre l'humanité.” Plutôt pas, alors. “T’es difficile Parker.” Ou juste normale, peut-être, j’ai juste pas vraiment grandi en considérant qu’on pouvait refuser de manger un truc salé parce que c’était mélangé à du sucré, mais je peux me plier au goût général. “Prends des frites avec.” Et je fais mine de l’éloigner en riant, la rousse pense qu’elle avait le droit de tenter un rapprochement tout sauf subtil en me décoiffant - pas la meilleure manière de séduire, faudrait peut-être l’en informer.

Même pas une trentaine de minutes plus tard, les phares du livreur illuminent la fenêtre de la chambre qui se révèle d’une facilité déconcertante à escalader dans un sens comme dans l’autre. “Votre commande est avancée, Madame.” Et ça ne rigole pas, elle fait au moins 40x40, de quoi nourrir la rousse pendant trois jours sans aucun doute, vu l’épaisseur de ses bras. “Crois-pas que j'oublie mes verres de victoire, par contre.” Ce n'est que partie remise. Et je lâche un sourire tout ce qu’il y a de plus emmerdant avant de croquer dans la première part.