Neige et Flocon n’aiment pas habiter à Fortitude Valley. lls s’y ennuient, ils font leurs griffes sur les canapés au lieu de leurs arbres et jeux qu’elle a déménagé depuis Logan City. Ils tournent en rond et passent leur temps à miauler et peu importe tout le thon que Lily peut leur donner, cela ne change rien. Ils sont tout aussi malheureux qu’elle et pourtant ça ne fait qu’une semaine à peine. Une semaine et elle peine à retrouver les marques qui ont toujours été les siennes pendant plus de trente ans. Elle a toujours été célibataire, elle a toujours vécu avec d’autres, elle a toujours été habitué à déménager souvent. Elle aurait dû pouvoir retomber sur ses pattes mais tout est bien plus compliqué maintenant qu’elle a goûté à la vie en couple et au mariage et que pour rien au monde elle n’aurait voulu changer quoi que ce soit.

Pourtant elle le voit encore appuyer sur cette foutue poignée, elle le voit encore passer cette foutue porte, elle le voit et puis elle ne le voit plus, quand la porte claque et qu’elle fond en larmes la même seconde. Il a simplement pris sa planche de surf, elle a laissé la sienne et fait sa valise. Les chats ont suivi, Neige par habitude, Flocon par obligation. Flocon qui d’ailleurs a un mal fou à s’habituer à son nouvel environnement, Flocon à qui le vétérinaire a diagnostiqué une dépression sans qu’elle ne le lui susurre l’idée à l’oreille. Si ça ne tenait qu’à elle, elle n’aurait pas voulu que seul le chat soit une excuse suffisante pour ne serait-ce avoir le droit d’envoyer un sms à Matt.

Flocon a besoin qu’on lui tonde le poil.

Elle aurait voulu ne pas avoir à avouer avoir besoin d’aide, fierté oblige. Lily s’est pourtant rapidement rendue compte qu’elle n’arrive plus à rien gérer, ni même sa nouvelle vie à l’hôpital, encore moins la cohabitation avec ses parents et surtout pas Flocon qui n’en fait qu’à sa tête. Il passe sous la table et se coince entre les poils les chewing gums que son père y cache comme s’il avait 12 ans, elle tente au mieux de tondre son pelage sans y arriver. Il s'énerve et il griffe, il est incontrôlable et il s’enfuit, il se cache. Les griffures sur les mains et les bras de la brune s’ouvrent petit à petit et le sang en perle, elle s’exaspère de la situation et la seule chose qui l’empêche de fondre en larmes c’est qu’elle souffle bien trop.

Il refuse que je le fasse.

Les sms se résument au strict minimum parce qu’elle refuse toujours d’admettre qu’elle a besoin d’aide et surtout de lui. Elle s’est toujours débrouillée pour ne pas avoir à se reposer sur personne pour subsister mais Matt a pris une importance telle qu’elle ne peut pas faire autrement. Si en temps normal elle n’aurait pas vu le mal dans cette situation, aujourd’hui qu’elle ne sait même plus où il habite tout est bien plus difficile à gérer au quotidien.

Tu peux venir quand ? Il s’est caché quelque part.

C’est pas urgent, au pire, c’est pas grave.

Il se gratte une place hors du lit Matt, hors des draps. Y'a son portable qui vibrait sur la table de nuit, assez qu'il en est même presque tombé au sol entre temps, il l'a attrapé au vol avant que ça fasse un horrible boucan. Ses yeux sont collants, ses cheveux partent dans tous les sens. Il a la voix rauque et il le sait sans même avoir à parler. Ça pue la bière dans cette chambre-là, ça sent la clope aussi. Y'a des bouteilles qu'il ne reconnaît pas, certaines plus vides que d'autres, les rideaux sont ouverts par contre. Le soleil réchauffe son dos et lui suggère qu'il est tard, vraiment plus tard qu'à l'habitude pour se réveiller. Quand on est un McGrath et que la grasse matinée ne fait pas partie des pronostics logiques. Rien n'est logique de toute façon, maintenant.

Encore moins de voir son nom à elle sur son écran à lui. Il pensait que Pete avait fait le con et qu'il avait tout effacé, ce soir-là. Des messages aux mille milliers de lignes jusqu'aux photos mal cadrées, trop zoomées. Des gifs en boucle presque psychédéliques jusqu'aux memes qu'eux seuls comprennent, comprenaient. Il les comprendrait sûrement plus Matt, parce qu'il s’efforce toujours un peu plus de les oublier, noyés dans ses fichiers supprimés. Pourtant c'est bien Lily McGrath première du nom qui apparaît en toutes lettres, et il se pince les lèvres gercées, inspire à côté.

Sa main se loge derrière sa nuque, il essaie de masser ce qui bloque. Y'a un coup de soleil qui le brûle, c'est chiant, ça fait mal, au moins pour ça, il ressent.

Est-ce que tu peux me donner l'adresse où vous êtes stp?

Au milieu des SMS qu'elle lui a envoyés se loge le seul de sien, celui qui ressemble à peine à toutes les idioties que Matt peut bien envoyer en une journée, d'habitude. Son jeans est à l'autre bout de la pièce et il lui faudra une bonne poignée de minutes avec de trouver un t-shirt propre dans ce bordel sans nom qui n'est pas le sien mais qui l'accueille depuis une semaine déjà. Quand il déboule à la cuisine elle n'a toujours pas répondu, mais il se dit que ça viendra. Il sait pas s’il l’espère ou s’il l'anticipe, par contre. Le café qu'il se verse et le regard qu'il laisse glisser sur la pièce où il fait de plus en plus ses marques, où il tente du moins, l’occupent un temps.

Dans la pièce d'à-côté on entend des rires qui se mélangent et qui augmentent, le sol est collant aussi. S'il clignait des yeux lui aurait presque donné l'impression d'être revenu dans le passé, à l'époque de l'université. Sauf que ce serait pas des gens lambda qu'il connaît d'à peine deux jours qui viendraient le rejoindre à la cuisine la seconde d'après, ça serait Ezra. Elle est étrange, la vie, aujourd'hui.

Il répond par autant de mots que d’emoji peu importe la question, généralement. Son téléphone semble désormais bien vide maintenant qu’il vibre pour n’afficher que des caractères d’imprimerie, son triste fond d’écran montrant encore et toujours une photo prise sur la plage lors de leur lune de miel. Ses yeux restent cloués sur son téléphone pendant un long moment, elle qui n’a désormais plus rien à faire puisque assise sur le sol, elle a abandonné sa lutte contre Flocon.

301 Doggett Street, Fortitude Valley. 4378 le code de l’immeuble.

Quartier trop bruyant, appartement bien trop peu inadapté au lit médicalisé de sa mère et aux va et vients des médecins. Même le père Keegan se plaint de ne pas pouvoir mettre le son de la télévision aussi fort qu’il le voudrait pour écouter ses émissions de chasse et pêche. Personne n’est heureux, au 301 Doggett Street. Lily tape le message sans joie ni hâte. Même sa venue ne lui arrache aucun sourire puisqu’elle devine déjà à quel point ce ne sera qu’une épreuve de plus.

N’utilise pas la sonnette stp, maman dort.

Elle étale ses messages et les envoie les uns à la suite des autres sans ne jamais recevoir la réponse qu’elle espère au fond. Au moins il ne l’ignore pas et c’est sûrement une bonne chose, elle se dit que c’est grâce à Flocon parce que lui au moins n’a jamais déçu Matt. Peut être que s’il n’était pas entre eux alors il ne serait jamais venu mais aussi lâche cela puisse-t-il paraître, la brune ne s’osera jamais à poser la question ou tenter de vérifier sa théorie.

Il n’a pas dit quand est ce qu’il venait mais elle sait (pense ? espère ?) qu’il est déjà en route. Peut être qu’il va prendre un autre café avant de venir (un autre, parce qu’il est sûrement levé depuis l’aube, encore plus tôt de d’habitude maintenant qu’il habite plus loin de la côte), mais il va arriver l’instant d’après. Elle n’a besoin que de cligner des yeux et il toquera à la porte. En attendant de cligner assez de fois des paupières, elle s’active à nettoyer les plaies superficielles et à peine visibles sur ses mains. La brune porte des pulls malgré la chaleur étouffante de l’appartement surchauffé, elle qui ne sait que trop bien que ses parents n’accepteraient pas le tatouage qui colore désormais le côté de son poignée. Il ne sonne désormais plus que comme un coup de poignard dans le coeur, ce famille.

Ses mains n’ont jamais été aussi propres et ses cheveux aussi disciplinés. Elle se raccroche aujourd’hui aux apparences plus que jamais et il ne l’a jamais vu ainsi parce qu’elle ne s’est jamais posée aucune barrière en sa présence, pas même le premier soir. En retour elle non plus ne l’avait jamais vu ainsi, la trace de coussin imprimant ses clavicules, l’odeur de cigarette mêlée à l’alcool accompagnant son sillage. Pourtant il lui en faudrait bien plus pour ne pas lui ouvrir la porte et elle se fait parfait majordome, coincée dans un monde dans lequel elle ne s’autorise aucune réaction. Ses lèvres bougent à peine ; elles ont voulu lui sourire par habitude. Ses doigts serrent un peu plus la poignée de porte à défaut de son corps contre le sien. Les choses changent et sa mère s’y mêle, comme si tout n’était pas déjà assez douloureux. “Lily laisse entrer le médecin !” Ce n’est qu’à ce moment précis qu’elle ose poser son regard dans le sien, une seconde après avant de détourner la tête vers la pièce adjacente et d’hausser le ton. “C’est pas le médecin maman, il est déjà passé. C’est Matt. Je t’ai dit qu’il venait.” Elle n’a pas précisé les raisons de sa venue mais elle aurait de toute façon tout oublié alors Lily ponctue sa phrase d’un lent et douloureux souffle. “Entre. Flocon se cache quelque part, il … il passe son temps à faire ça.” Sauf chez eux. Il ne se cachait pas, chez eux. Jamais. “Lily ton chat essaye encore de me tuer !!” Ton chat, parce qu’elle aurait bien du mal à donner un prénom à un animal - déjà qu’elle ne le fait pas pour tous les êtres humains, imaginez.

“Ça veut dire qu’il est sur son lit.” La matriarche Keegan pense que si le chat ne cesse de se coucher au pied de son lit c’est parce qu’il souhaite l’étouffer dans son sommeil. Lily n’a pas le coeur à raconter cette anecdote, elle se contente donc d’un demi sourire désolé. “Il n’y a qu’avec toi qu’il se laisse porter dans les bras.” Elle n’aura qu’à occuper sa mère pour ne pas qu’elle puisse remuer aucun couteau dans la plaie et le tour sera joué. Il l’aide à s’occuper de Flocon et il repart. Après, elle ne l’embête plus jamais.

301 Doggett Street, Fortitude Valley. 4378 le code de l’immeuble.

Ce sont ses parents, qui habitent à Fortitude Valley. Il le sait parce qu'il a été y déplacer des meubles une fois. Il y a monté une table basse ou une bibliothèque ou une cargaison de mille briques et parpaings tellement les escaliers lui semblaient être l'Everest à gravir pour amener le dit truc qu'il a aujourd’hui oublié là-haut. Il fait un effort constant pour oublier Matt, y arrive des fois mieux que d'autres. Ça fait juste une semaine aussi, c'est normal que ça revienne par vague, c'est normal que ça fasse encore mal.

La vie est drôlement faite parce qu'autant il appréhende le fait de la revoir, autant le chemin se passe sans heurts. Aucun feu rouge croisé, pas même d'embouteillages. Il se gare en bas de l'immeuble sans avoir à chercher le moindre parking, n'a pas besoin d'attendre qu'une voiture ou une autre passe sur le chemin pour traverser la rue. Tout est trop fluide et tout jure aussi, quand il monte les escaliers deux par deux autant pour se presser à arriver qu'à probablement se presser à partir. Il est tout en paradoxes Matt et encore plus maintenant quand il retourne dans ses vieux travers de Londres à vitesse maximale.

Pourtant, il a pas le temps de ressasser ou de regretter quoi que ce soit qu'à peine arrivé la scène qui se joue entre la mère et la fille l'empêche d'en coller une.  

“Lily laisse entrer le médecin !”
“C’est pas le médecin maman, il est déjà passé. C’est Matt. Je t’ai dit qu’il venait.”

Il fait gaffe à pas prendre ses aises, s'assure d'un coup d'oeil qu'ils sont des gens qui retirent leurs souliers en arrivant chez eux. Sa casquette va sur la table de l'entrée aussi, il dégage ses mèches en bataille d’une paume rêche des conneries de la veille, ses tongs noyés de sable nocturne s'alignent sur le tapis d'entrée.

“Entre. Flocon se cache quelque part, il … il passe son temps à faire ça.”
“Lily ton chat essaye encore de me tuer !!”
“Ca veut dire qu’il est sur son lit.”

Pour seule réponse il hoche de la tête, la laissant lui montrer la dite pièce et le dit lit. “Il n’y a qu’avec toi qu’il se laisse porter dans les bras.” d'ordinaire il aurait dit que c'était faux, que c'était archi-faux même. Il aurait sorti des tas d'exemples tirés de films où y'a des chats en vedette pour la rendre reine d’anecdotes inventées où Flocon était tout à elle et rien à lui juste pour chasser l'air triste sur son visage. Celui qu'elle a quand elle dit que le chaton préfère Matt à elle. Mais l'air triste qu'elle a sur son visage en l'instant, il est pas à cause de ça. Bien sûr que non.

“C'est qui ça?!”
« Matt. »
“C'est pas le médecin? Où il est, le médecin?”

Elle s'agite dans son lit et ça lui serre le coeur au McGrath, de la voir gesticuler devant un pseudo-inconnu qu'elle a sûrement effacé de sa mémoire comme lui n'arrivera jamais à le faire avec sa fille. Elle se secoue et y'a des bruits métalliques de câbles et de tiges et de machines qui suivent, il déteste ça et il déteste en être la cause même s'il ne l'est qu'involontairement.

“Si c'est pas lui le médecin je ne veux pas qu'il entre !!”

Son regard s'accroche deux secondes à celui de Lily avant qu'il n'inspire doucement. Personne n'a envie de mentir mais personne n'a envie d'entendre la vérité non plus. « C'est moi le médecin. Je viens juste m'assurer que tout va bien. » qu'elle lui pose la moindre question, il saura répondre lui qui a révisé à travers Lily l'entièreté de ses cours pour passer son diplôme d'infirmière. « Hey Flaky boy, tu veux un examen toi aussi? » il prend Flocon dans l'instant, sa mission du moment. Son poil est dru, collant de boules de chewing gum qu'il voit cachées par ci par là. Les ronronnements qu'il lâche à la seconde où Matt lui gratte entre les oreilles confirment ce que la brune disait plus tôt, mais bien sûr qu'il n'en fera pas de cas.

“C'est qui ça?!”
« Matt. »
“C'est pas le médecin? Où il est, le médecin?”

L’échange est douloureux et la brune ne cesse de s’inquiéter tant pour sa mère que pour son mari, lui qui est fatigué, lui dont les traits sont tirés, lui qui a un coup de soleil dans la nuque, lui dont les mèches de cheveux défient la gravité. Une semaine plus tôt à peine, elle avait encore le droit de passer une main amoureuse dans sa tignasse pour tenter de limiter les dégâts. Aujourd’hui elle se contente de déglutir et de faire un pas en avant entre lui et sa mère pour ne pas qu’il devienne une attraction de foire. Elle n’a jamais été ami avec les personnes que Lily pouvait ramener à la maison, ni les filles et encore moins les garçons, aussi peu nombreux avaient-ils pu être. Ce n’est pas parce que sa fille est aujourd’hui devenue une femme que les choses ont changées. “Si c'est pas lui le médecin je ne veux pas qu'il entre !!” Elle ouvre la bouche pour attirer son attention ailleurs mais Matt a de bien plus beaux mensonges à lui raconter. Il apprend vite et elle n’a qu'à lui donner son aval en clignant des yeux pour que la magie opère. « C'est moi le médecin. Je viens juste m'assurer que tout va bien. » L’infirmière, la vraie, sourit enfin. “Il vérifie juste tes constantes maman. Tu te souviens ? Ça fait pas mal.” Sa main vient chercher celle de sa génitrice et elle l’entoure doucement alors que Matt continue à jouer la comédie, le meilleur faux médecin qui soit.

Elle sourit une seconde fois aujourd’hui, toujours grâce à lui, ses yeux rassurés posés sur la scène qu’il partage avec le petit animal. « Hey Flaky boy, tu veux un examen toi aussi? » “Il va bien ton chat Lily ? Il est malade ? Il va mourir ?” Elle a beau jouer le rôle de celle qui se moque de tout et de tout le monde, parfois elle oublie de porter son masque. “Le médecin va s’occuper de lui maman, t’en fais pas. Repose toi.” Elle a la même voix qu’elle utilise avec chacun de ses patients, la même patience aussi qu’elle traîne depuis plus de trente ans pour des raisons aussi diverses que variées. Ses doigts s’activent à lui remonter la couverture au niveau des épaules et à vérifier ses constantes - pour de vrai, cette fois - alors qu’elle ponctue son rituel d’au revoir par un baiser sur son front, Matt en profitant pour s’éloigner sans un bruit. “T’as toujours pas de mari Lily mais c’est un homme bien lui, tu devrais l’épouser.” Elle n’a jamais su reconnaître les hommes bons mais pour le McGrath elle sait que, pour une fois dans sa vie, sa mère a raison à ce sujet. Elle murmure un je sais à peine audible pour la rassurer, son alliance toujours vissée sur son annulaire.

En sortant, elle prend garde à refermer la porte de la chambre sans un bruit et reste un temps face à Matt, interdite. C’est comme s’il était un inconnu avec qui elle n’avait rien à dire ni à partager - si on part du principe qu’elle ne sait pas quoi dire aux inconnus, ce qui est totalement faux en sa qualité de reine du small talk. “Merci.” Ses paupières clignent lentement, presque religieusement. “Pour ma mère. Et le petit monstre.” Ses yeux dérivent sur le chat entre ses bras, il a déjà recommencé à faire ses griffes sur son tee-shirt comme si de rien n’était. Lui aussi, il est heureux de le revoir.

Un main hésitante se rapproche de la tête de l’animal pour venir le caresser, lui qui semble prêt à tout accepter maintenant qu’il est entre les bras du brun. Elle esquisse un nouveau sourire, rassurée de le voir ronronner pour la première fois depuis une semaine. “Il est content de te revoir.” Elle aussi, bien sûr. Surtout. Flocon est une bonne excuse pour faire passer ses propres sentiments, tout le monde le comprend mais personne ne l’expliquera à voix haute. “Neige se cache, il ne doit pas encore avoir compris que c’est toi.” Neige a surtout connu Lily bien avant Matt mais après avoir passé six mois à dormir entre ses bras sur le canapé, nul doute qu’il l’a tout autant adopté. “Tu penses que tu peux le tondre mieux que tu ne te rases la tête toi même ?” Elle ose, elle essaye, elle sourit en relevant ses yeux vers lui et cessant de caresser l’animal un temps. Pas la peine de préciser que ces derniers mois c’était elle qui s’occupait de ses cheveux pour ne plus avoir à observer tous les oublis dans sa tignasse lorsqu’il s’en occupait seul ; il le sait tout autant qu’elle. “Il est pas fan que je le lui fasse.” Elle relève ses mains comme si elle portait tous les stigmates du monde alors que les cicatrices se comptent sur les doigts … de deux mains. Son tatouage n’a pas été affecté et continue de cicatriser seul, c’est tout ce qui compte à ses yeux.

“Il va bien ton chat Lily ? Il est malade ? Il va mourir ?” le chat il a pas du tout l'air d'être mal en point. Pas quand il se blottit comme s'il était prêt pour la plus longue sieste de sa vie dans les bras d'un Matt qui reste le plus posé, le plus calme possible. Il affiche l'air du gars qui jauge de nouveaux clients au DBD avant de savoir quel est le niveau de conneries qu'il peut déblatérer avec eux sans avoir de soucis. L'air qu'il a presque jamais parce que la grande majorité des clients sont des habitués qu'il a vus des dizaines de fois déjà. L'air qu'il tient parce qu'il doit jouer au gars poli et surtout au faux médecin professionnel - et certainement pas là pour laver son linge sale en public. “Le médecin va s’occuper de lui maman, t’en fais pas. Repose toi.” les couvertures se replacent et les souffles se calment, la seconde d'après y'a Matt et Flocon qui font leur chemin de croix vers le couloir, ni vus ni connus ou presque.

“T’as toujours pas de mari Lily mais c’est un homme bien lui, tu devrais l’épouser.” je sais
Ça, il l'entend pas.
Ou du moins oui, il le capte, laissant les mots s'égrainer d'une oreille à l'autre sans que jamais ne reste la moindre miette.
Le conditionnel a la vie dure ces jours-ci.

“Merci.” hum? “Pour ma mère. Et le petit monstre.” oh. « C'est rien. » et il demandera pas pourquoi c'est lui qu'elle a appelé à l'aide parce que la raison se tient, parce qu'elle est évidente et parce qu'elle se résume en un chaton assagi, ronronnant contre son torse maintenant. Il n'a rien d'un petit monstre et il sait que ça enragerait Lily de voir à quel point il ne corrobore pas ses paroles maintenant. Ses paroles, justement. “Il est content de te revoir.” elles se multiplient, elles se diffusent. “Neige se cache, il ne doit pas encore avoir compris que c’est toi.” elles s'égarent, elles résument. “Tu penses que tu peux le tondre mieux que tu ne te rases la tête toi même ?” elle blague et elle essaie, faut lui donner. “Il est pas fan que je le lui fasse.” encore faudrait-il que lui aussi, veuille essayer.

« Le rasoir est dans la salle de bain? » sa voix est douce même si ses mots sont durs. Ils sont la piqûre de rappel du pourquoi il est ici, ils servent à clarifier ce qui n'est plus du tout clair entre eux. Il a vu qu'elle porte toujours son alliance, la sienne est passée à l'index depuis. Il la change chaque jour sans arriver à la remettre à sa place, quand justement, depuis, il sait toujours pas où elle est sa place. Pour la bague, et pour lui, elle. Eux.

Il initie le mouvement vers la salle de bain, maintenant. Elle a fait le premier pas vers Flocon, il le fera pour la prochaine action. Un équilibre d'atteint pour dix autres éteints. « Le truc c'est de lui dire des blagues dans l'oreille. Ça marche à chaque fois. » ce n'est que lorsqu'il est posé en tailleur au sol, le chat installé contre ses jambes croisées et prêt à être rasé qu'il passe ses trucs qui, à l'époque, étaient trésors gardés. Faut qu'il fasse le transfert au cas où la prochaine fois, il puisse pas être là. Où la prochaine fois, c'est encore un autre qu'elle choisira.

Elle a naïvement cru qu’il rigolerait avec lui ou, en tout cas, c’est la seule chose à laquelle elle voulait finalement continuer à croire. Mais Matt ne rigole plus quand elle est là et c’est à peine s’il sourit. Le parallèle est douloureux, encore plus maintenant alors qu’elle ne peut pas rejeter la faute sur qui que ce soit d’autre qu’elle même.« Le rasoir est dans la salle de bain? » Son mari s’en tient aux faits nécessaires pour qu’il puisse s’occuper du chat et sûrement repartir le plus vite possible ; elle n’arrive pas à lui en vouloir à ce propos là non plus. Flocon n’aime pas que personne le tonde ou ne l’approche de trop près, ils le savent tous les deux mais à en juger par son attitude, sage et lové entre les bras du barman, le reste du monde pourrait en douter.

La salle de bain, donc. Elle n’a qu’à hocher de la positive pour qu’il s’y aventure de lui même, préférant utiliser ses souvenirs de l’agencement des pièces de la maison plutôt que de faire face au lent débit de paroles de la brune. Tout semble tourner au ralenti, de toute façon. Ses pas silencieux se posent à l’exact même endroit où il y a laissé un peu de sable, un peu de lui. La pièce est trop petit pour deux mais ils se font chacun leur place sur le carrelage froid et inanimé, Flocon ayant décidé d’être le chat le plus cool de l’univers et d’enfin coopérer. Peut être que Matt va finir par croire que sur ça aussi, elle l’a trompé.n« Le truc c'est de lui dire des blagues dans l'oreille. Ça marche à chaque fois. » Ça marchait avec toi aussi. “Je peux pas faire ça sinon je vais te voler la place d’humain préféré.” Elle essaye, elle essaye vraiment. Elle sourit pour deux mais n’arrive déjà plus à en faire de même avec l’espace à occuper. Les secondes de silence s’étirent comme ça n’a jamais été le cas entre eux.

Tout ce qu’elle fait maintenant se résume à l’observer s’armer de la tondeuse avec toute la délicatesse du monde, celle là même qu’il a le don de cacher 99% du temps. Il est une boule d’énergie et de gaucherie la plupart du temps mais lorsqu’il le faut il devient le plus doux et le plus attentionné des hommes - et ça non plus, ce n’est pas le bon moment pour le lui dire. Son alliance scintille sur son index ; la bague de Lily supposée changer de couleur selon ses sentiments tourne maintenant au bleu triste. Bleu triste, tout est dit dans le nom. Elle peut encore observer la trace de bronzage de l’anneau sur l’annulaire de son mari. Mari terme auquel elle se retient autant qu’elle le peut, tant que personne ne lui fasse la demande contraire. “Tu vis où ?” Une seconde, deux, et ses yeux s’ouvrent un peu plus, paniqués. Lily corrige rapidement le tir. “Non, oublie, ça ne me regarde pas. Je demandais pour Flocon.” Elle se doute bien de où il vit mais n’a pas envie de le confirmer à haute et intelligible voix. Elle ne veut pas savoir que son mari vit dans un appartement typique d’adolescent, entre bières vides, clopes écrasées de partout et strings dont on ne retrouve même plus la propriétaire. “Il est pas heureux ici.” Si lui au moins a le droit de retourner auprès de Matt, ça apaiserait sa conscience.

“Je peux pas faire ça sinon je vais te voler la place d’humain préféré.” l’argument tient, tiendrait. L’argument ferait du sens et il le prendrait le sourire aux lèvres, la prochaine connerie qu’il avancerait serait probablement que même si elle essayait jamais elle arriverait à faire des pires blagues que les siennes - parce que peu importe les conneries qu’elle peut dire Lily, il la trouve adorable lorsqu’elle les dit. Trouvait. C’est lourd, l’impression d’être étranger à quelqu’un que tu connais par coeur. Ça pique, l’impression de te sentir trahi par celle à qui tu faisais plus confiance qu’à quiconque.

Il n’y a que le bruit du rasoir électrique qui comble les vides, les silences. Même Flocon ne grogne pas, lui qui déteste quand on passe une seconde de plus, de trop sur sa nuque. Y’a Matt qui tente de le faire réagir juste pour s’assurer qu’il est bien là, le félin, qu’il est bien plus présent qu’eux deux, mais pourtant pas un miaulement, pas un son, rien. L’écho de la salle de bain renchérit sur celui du téléviseur dans la pièce d’à-côté, les publicités toujours plus fortes que le programme principal. C’est un vieux jeu questionnaire qui passe, un truc de culture générale, une émission inutile à laquelle ils auraient accordée toute l’importance du monde avant. En organisant autour une cérémonie de visionnement juste parce que tout avait des cérémonies pour eux, avant.“Tu vis où ?” le rasoir ralentit sa course, McGrath en profite pour gratter les poils et secouer les restes de pelage au sol. “Non, oublie, ça ne me regarde pas. Je demandais pour Flocon.” il ramasse tout de ses doigts distraits, faisant le filtre entre les questions qui viennent titiller l’après et celles qui sont axées sur le présent. Il sait pas bien des choses en l’instant et il ne sait pas plus s’il veut lui faire savoir où il habite justement. C’est trop tôt pour ce genre d’échange, c’est trop tôt pour dire les choses qui fâchent. “Il est pas heureux ici.” c’est trop tôt pour les sous-entendus, aussi.

Il voulait pas aller par là, il voulait juste venir et aider là où il est encore utile, pour se tirer lorsque la bonne action de la journée était faite. Loin de lui l’idée de  récolter la moindre sensation de devoir accompli. Il voulait pas parce qu’il sait qu’elle aimera pas ce qu’il va avancer, que lui-même déteste mentionner. « Pas au-dessus du café. » il n’a pas remis les pieds dans l’appartement depuis le matin où il est allé chercher sa planche de surf et juste elle. Il est pas retourné pour prendre de nouvelles fringues ni même son chargeur à portable, il n’a pas monté les escaliers séparant le DBD du loft qu’il avait acheté et retapé un an après être revenu en Australie, parce qu’il sait très bien qu’il ne s’y sentira plus jamais chez lui. Pete a refusé de le laisser passer des nuits à l’hôtel, le plan initial, lui qui l’a ramassé à la petite cuillère sans dire un mot, en étant le parfait pote autant dans les pires que dans les meilleurs moments. Deklan et Jill se sont partagés les détails pour rapatrier ses affaires, tout prend sagement la poussière dans l’annexe du café en attendant qu’il ait statué où il vit, justement. La question de Lily ne lui sert que de piqûre de rappel supplémentaire ; il se trouvera un nouveau logement bien à lui d’ici la fin de la semaine.

« Tu veux que je le prenne? » le rasage terminé, l’essentiel de l’objectif du jour aussi, en somme. C’est la première fois, il le réalise, qu’il la regarde dans les yeux depuis qu’il est arrivé ici. C’est la première fois où il arrive à tenir une bonne seconde aussi, avant de détourner ses propres prunelles d’emblée.

Elle a dit ‘oublie’, elle voulait dire ‘s’il te plaît parle moi’. Il a choisi la première option, lui qui avait pleinement conscience du choix multiple qui s’offrait à lui. Il a raison, sûrement. A sa place elle aurait fait la même chose. Ou plutôt à sa place elle ne serait pas revenue, elle aurait bloqué les numéros, elle aurait envoyé les papiers du divorce. Dans un sens, elle n’a jamais été aussi heureuse que le reste du monde ne soit pas sa copie conforme, la Lily qui espère tant qu’un jour il sera capable d’au moins lui sourire sans qu’elle ne lise autant de tristesse dans ses yeux qui la fuient constamment.

Et malheureusement, il répond à sa question. « Pas au-dessus du café. » Ses dents se jouent de ses joues qu’elle lacère sans un commentaire de plus, ses yeux posés sur le chat alors qu’elle n’aide d’aucune manière. Si elle le tient, il ne va pas aimer et se remettre à bouger. Si elle le tient, sa main pourrait frôler celle de Matt. Ca aurait été touchant de se dire qu’elle craint une telle éventualité, si seulement elle avait 15 ans de nouveau et qu’elle n’était pas celle qui est allée voir ailleurs dans son mariage. A ces seules différences alors oui, ça aurait pu être une scène attendrissante. Au lieu de ça elle reste appuyée contre le rebord du meuble dont les poignées lui rentrent dans les côtes mais elle ne dit rien. Absolument rien. Bien sûr qu’il ne dort plus au dessus du café, chez eux. Les milliers de souvenirs qu’ils y ont partagés sont éclipsés de ceux qu’elle a connu un temps avec Ezra, ceux que Matt ne peut qu’imaginer pour le pire.

« Tu veux que je le prenne? » Elle ne peut faire qu’autre chose que de relever ses yeux dans les siens au moment où elle les sent réchauffer son visage. Le geste lui fait sûrement bien plus mal que de bien et le fait de savoir que le sentiment est réciproque chez Matt n’arrange absolument rien à la situation. Si elle voudrait profiter de ce regard pour prendre ses mains dans les siennes et les serrer aussi fort que possible tout le temps qu’il lui accordera, elle ne fait finalement que s’enfoncer encore un peu plus dans le meuble, la poignée déviant un peu plus sa colonne vertébrale de sa place initiale. Son regard dévie, celui de Lily en fait de même. Il y a tant de choses qu’elle aurait voulu lui dire.

Elle tend le bout de son index et ouvre sa paume en direction du chaton le temps de lui dérober quelques secondes d’attention mais l’instant d’après il se fixe déjà ailleurs, lui qui a autant d’attention que peut en avoir Matt. “Il sera mieux avec toi.” Neige se joint enfin à la discussion, lui qui prend d’abord le temps de se gratter contre le bois de la porte et traite les informations qui s’offrent à lui. Il se dirige vers le brun en premier, ronronnant contre son dos, quémandant autant d’attention que Flocon a bien pu en avoir à sa place. Lily sourit faiblement en face, elle profite de l’arrivée du chat pour ajouter quelques paroles seulement factuelles. C’est ce à quoi ils sont voués à rester pour le moment. “J’ai sa cage de transport et des croquettes d’avance. Et sa balle … je sais pas, je te l’enverrai quand je la retrouverai.” Parce qu’il n’y a pas besoin d’être devin pour savoir qu’il ne voudra pas s’amuser à la chercher avec elle.

Ça aurait été plus facile s’il l’avait détestée, s’il l’avait maudite. S’il avait adopté l’attitude de Jill ou Deklan face à Lily, celle de pourrir chaque souvenir, de critiquer chaque parole, même celles qu’ils n’ont jamais entendues. Ça aurait été facile de lui mettre la faute entière et complète sur les épaules, et ce serait mentir de dire qu’il avait pas prié tous les saints en lesquels il ne croyait même pas Matt, pour l’haïr autant qu’il le devrait. Elle, lui, eux, ce qu’ils ont fait sous son toit, comment ils l’ont trahi sans même y penser à deux fois. Peut-être qu’un jour quand les faits se seront tassés et quand le temps aura passé, que la blessure aura commencé à cicatriser et qu’il sera un peu plus possible pour lui d’être logique face à tout ça. Peut-être que ce sera là, le moment où il voudra défoncer la gueule d’Ezra, où il voudra divorcer d’un trait avec Lily. Peut-être ; il sait pas.

Pour l’instant, il ressent rien. Pas de colère, pas de haine, pas de hargne ; non, faux. Il ressent, il ressent une profonde fatigue. Il est exténué Matt, et pas juste parce qu’il se couche à pas d’heure, se lève aussi tard. Pas juste parce qu’il occupe chaque seconde de son réveil à son coucher à faire mille milliers de choses sauf penser à ça, sauf penser à elle, à lui, à eux. Pour l’instant, sa seule et unique priorité c’est d’arrêter de penser, d’arrêter de ressasser, de se laisser le temps de respirer. Mais elle lui rend pas la tâche facile, quand elle plonge ses yeux larmoyants dans les siens. “Il sera mieux avec toi.” sa voix se casse et il est las McGrath, il l’est tellement qu’il sent son regard qui pique, ses yeux qui chauffent dans leurs orbites. “J’ai sa cage de transport et des croquettes d’avance. Et sa balle … je sais pas, je te l’enverrai quand je la retrouverai.” elle étire ses phrases et il jurerait que dans une autre vie - y’a une semaine et un jour - de ça, il l’aurait prise dans ses bras. Il aurait tout fait pour la rassurer, pour chasser les démons logés dans ses iris voilés. Il aurait tout donné pour la protéger, aurait même été jusqu’à se sacrifier lui et rien que lui pour qu’elle puisse sourire à nouveau. Il aurait tout fait pour elle et aujourd’hui encore, il est le con de service qui vient la retrouver pour une poignée de minutes et une excuse de merde qu’il aurait effacée du revers si elle n’avait pas allongé le moment à ce point-là. Il n’a pas pitié d’elle Matt, il ne veut plus la réparer. L’état de la chose lui fait mal, probablement même plus que ça lui ferait du mal à elle, s’il le lui disait. Elle est triste et il ne s’en réjouira jamais, pourtant il statue aussi froid que possible, fermé et impassible, qu’elle n’a que ce qu’elle mérite, ; qu’elle assume ses gestes, au moins.

« Un jour je vais te demander pourquoi Lily. » ses paroles sèches contrastent avec les gestes qu’il veut doux, avenants, délicats contre le poil fraîchement rasé du chat éternellement blotti dans ses bras. « Pourquoi t’as fait ça, chez nous. » c’est là qu’il croit bon redresser le menton et reprendre son regard à  elle au vol ; qu’elle comprenne que la question viendra. Qu’un jour il les voudra les réponses. « Pas aujourd’hui. » étonnamment, il la respecte encore assez pour ne pas lui imposer la suite s’il lui posait la question aujourd’hui. Si elle lui répondait il partirait, il ne reviendrait plus, jamais. Pourtant il veut laisser la poussière retomber, pourtant il ne croit plus en eux mais il croit encore un peu en elle. Ou se retrouve stupidement à vouloir y croire plutôt. La ligne est mince.

La ligne qu’il dessine en se redressant, en gardant Flocon contre son torse, en concluant du mieux qu’il peut. « Je vais lui acheter une nouvelle balle. » elle a pas besoin de chercher l’ancienne, qu’elle la garde, qu’elle la donne à Neige, qu’il ait un jouet lui rappelant son frère tient, sa vie d’avant. C’est un luxe qui crèvera le coeur de Matt à chaque fois qu’il se rappellera de sa vie d’avant, celle où ils étaient deux, celle où elle a décidé un soir qu’ils seraient trois.

« Un jour je vais te demander pourquoi Lily. »
Pourquoi pas maintenant ?
Pourquoi ne pas poser la question une bonne fois pour toutes ?
Pourquoi ne pas mettre fin aux souffrances de tout le monde dès maintenant ?
Pourquoi tu fais ça, Matt ? Pourquoi t’attends, pourquoi tu rends tout encore plus compliqué que ça ne l’est déjà ?
Elle ne dit rien pourtant, la brune. Elle ravale ses sentiments et arbore son plus beau et neutre des faux visages. Elle relève la tête, défie ses yeux du bleu des siens. Se montrer faible face à lui lui demande bien plus d’efforts que d’ériger son armure de femme forte. Elle a essayé aussi fort qu’elle le pouvait, là, elle a vraiment essayé bien plus qu’avec quiconque auparavant. Ces efforts elle les a faits parce qu’elle tient à lui bien plus qu’elle n’a jamais tenue à qui que ce soit ; elle les a faits parce que toute la faute lui revient et qu’elle est incapable de le nier - elle ne le veut pas non plus. Elle a fait toutes ces choses qu’elle n’avait jamais fait avec personne d’autre (l’adultère y compris, ironiquement) et elle l’a fait le plus naturellement du monde sans même n’avoir à peser le pour et le contre et pourtant c’est aussi rapidement qu’elle retourne dans sa zone de sécurité.

« Pourquoi t’as fait ça, chez nous. »
Elle expire sans rouler des yeux et c’est ça qui lui demande le plus d’efforts. Bien sûr qu’il allait se sentir obligé de préciser ce dont il parlait, de préciser où la faute a été commise. Elle s’étonne presque qu’il n’ajoute pas une périphrase sur Ezra, sans doute qu’il la garde pour plus tard. Il la garde pour quand il parlera de nouveau de la chose sans réellement poser les mots dessus, se contentant d’enfoncer le couteau dans la plaie comme s’il n’aimait désormais plus que ça dans la vie. Ce n’est pas ce pour quoi elle a signé. Littéralement. Elle a signé pour un amour éternel, dans l’amour et dans la maladie, elle a signé pour de la confiance et elle a signé pour des pardons comme elle n’aurait jamais été capable d’en donner s’il ne lui avait pas montré la voie. Il ne montre aucune voie, là. Il est plus calme qu’elle ne l’aurait jamais été et pourtant elle aurait peut être préféré que ce ne soit pas le cas. Le problème dans tout ça c’est peu importe à quel point elle pourra se forger de nouveaux et magnifiques mensonges, aucun ne sera même à la hauteur des rêves qu’elle faisait avec lui. Aucun ne lui offrira le bonheur qu’il lui donnait au quotidien, aucun ne pourra créer avec elle un enfant et une famille allant avec. Son tatouage la démange mais pas autant que son envie de quitter la pièce et lui hurler de quitter sa maison.

« Pas aujourd’hui. »
On dit souvent que les couples qui se connaissent vraiment peuvent finir les phrases de l’autre. Elle aurait pu compléter celle-ci. Douloureusement, certes, mais là n’est pas le sujet. Ce qu’elle peut bien ressentir ne l’intéresse sûrement plus, elle tentera donc de se persuader que l’inverse est tout aussi vrai - sans jamais y arriver.

« Je vais lui acheter une nouvelle balle. » “Je t’emmène sa cage.”
Manège millimétré chronométré, chaque époux se relève en même temps et prennent une direction différente. Flocon avec Matt, Neige avec Lily. Les limitations des camps s’ancrent peu à peu là où jamais il n’y aurait même dû avoir aucune friction. Elle est la cause de tout ça et c’est ce qui rend le tout infiniment plus complexe encore.

“Tiens.” Les faits, donc. Tiens, la cage pour emporter ailleurs le chat qui aurait dû à jamais être nôtres mais pour lequel je n’ai aucune raison de t’en vouloir. Elle aussi aurait voulu se blottir dans les bras de Matt si elle l’avait pu. Au lieu de ça elle se contente de lui ouvrir la porte d’entrée, simplement en attendant qu’il s’en aille. Au moins, sa mère est réellement endormie maintenant.