Février 2022. with @Joy Petterson
« Bien sûr. Pas de souci », qu’il avait répondu à un duo d’adolescentes, qui les mains tremblantes tenaient leur téléphone portable.

Il avait enroulé son bras de part et d’autre des adolescentes, avait affiché une grimace qui les avait fait glousser. Et voilà le résultat était dans la boite. Il avait noté au fil des années que personne osait vraiment entamer une conversation avec lui. Certains parlaient d’une chanson, d’un concert mais toujours rapidement comme s’il s’agissait d’un détail. La majorité des personnes se contentaient d’une photographie : invention du Diable. Est-ce-que vous vous êtes déjà pris un flash en pleine tête aux aurores ? Après un jogging dans un parc ? Avec une grippe ? Cela faisait partie de la partie invisible de l’iceberg mais il avait appris à s’y faire : pas le choix, en réalité. Un signe de main en guise de remerciements et elles disparaissaient de son champ de vision pour retrouver une réalité fondée dans les réseaux sociaux. Lui, il plongeait les mains dans les poches de sa veste en jean pour continuer son chemin et rejoindre celle qui était parvenue à le motiver à sortir de chez lui : Joy. Une rencontre fortuite ayant eu lieu au beau milieu de nulle part, dans un hôtel – refuge entre deux festivals.

« Hey ! Salut vous deux ! », lança-t-il en venant aussitôt s’accroupir pour accueillir une Hope surmotivée et enthousiaste.

Aussitôt un sourire était venu s’accrocher sur les lèvres du musicien qui caressait le chien avec le même enthousiasme. Relevant la tête vers Joy, il continuait à gratouiller Hope qui le remerciait par de grands coups de langue sur la main, qui ne pouvait pas contenir quelques éclats de rire de la part de Manny. « C’est dingue comme on se sent aimé d’un coup … » dit-il tout en finissant par se redresser, prenant appui sur ses genoux pour se relever. Ouais, les chiens donnaient cette impression d’être indispensable, d’être l’être le plus important de toute la galaxie. Peut-être qu’il devrait se trouver un animal de compagnie. A vrai dire, il y avait pensé mais avait rapidement laissé tomber l’idée. Son rythme de vie était bien trop fou et déjà que lui avait du mal à suivre le rythme, pourquoi devrait-il faire subir ca à un animal. Non, il ne pouvait pas mais il devait bien avouer que cela aiderait à remplir cette gargantuesque villa qu’il venait de s’acheter sur la côte. La différence entre sa maison et celle de son enfance pouvait donner le tournis, sans aucun doute. Il haussa les épaules, ouvra les bras pour finalement offrir une accolade à la jeune femme en guise de salutations. Joy, rencontre fortuite, était en réalité une bénédiction. Elle ne s’en rendait pas compte mais elle était une bouffée d’oxygène. Un retour à la normalité. Il n’était pas Roman Sterling. Il était simplement Manny, car c’était ainsi qu’il s’était présenté à elle. Manny, simplement Manny. Il était musicien ; c’était également ce qu’il lui avait dit sans pour autant préciser qu’il était plutôt connu … en fait. Il avait relativiser le tout, parler des festivals avec pas mal de retenue comme si cela ne valait pas la peine d’être détaillé. A la place, ils avaient échangé sur la vie de tous les jours, sur les roads trips, sur les remises en question, sur le cinéma. Parler de tout et de rien. Apprendre à se connaître, sans artifice, sans prise de tête. Il souriait toujours quand il recevait ces messages teintés de normalité alors qu’il se trouvait dans la loge d’un talkshow. Il appréciait les conversations échangées car à travers elle, il apercevait les réponses à ses questions : que serait-il devenu s’il n’avait pas participé à x factor ?

« Content de voir que tu ais finalement trouvé un peu de temps dans ton agenda blindé pour une petite balade. » Son sourire n’avait pas quitté ses lèvres alors qu’il la fixait tout en espérant ne croiser personne sur son chemin, qui mettrait sa couverture de Manny mec ordinaire en danger. « C’est donc ici que vous passez votre temps libre ? » et il balaya les environs d’un coup d’œil circulaire. « Pas mal. J’ai cru au début que tu m’avais donné un rendez-vous dans un endroit glauque, genre à la serial killer … mais ça va, je suis plutôt rassuré finalement. » Il lui avait déjà confié son intérêt pour les « true crime » podcasts qu’il écoutait pour s’endormir, un petit peu psychopathe, non ? « Je te suis. », qu’il finit par dire tout en lui faisant comprendre qu’ils pouvaient se mettre en route et apparemment Hope était la plus impatiente. Brisbane, il n’y connaissait pas encore grand chose alors disons que c’était gagnant-gagnant avec cette petite balade.

Février 2022. with  @Joy Petterson
« Dis donc, elle est chanceuse, quel accueil ! » « Comment résister à cette bouille ? », répondit-il avec une drôle de voix. Il avait, en effet, utilisé la voix qu’on utilise quand on s’adresse à un enfant, ou un chiot, ou un chaton, ou tout autre animal bien trop mignon. « Oui bon j’avoue que je ne t’aurais peut-être pas offert un accueil aussi chaleureux. » dit-elle en riant et il lui lançait un regard qui signifiait : « tu vois que j’ai raison » tout en continuant de câliner la Hope en question avant de finalement se concentrer sur la raison de ces retrouvailles : Joy.

« Ouais j’enchaîne tellement de garde à l’hôpital, j’ai pensé à toi aussitôt que j’avais assez de temps pour réellement profiter - je ne voulais pas qu’on se voit juste en coup de vent. » Il posa aussitôt les mains sous son menton, prenant un petit air attendri à la Disney qu’il appuya par un « awww » avant d’ajouter avec un peu plus de sérieux : « J’en suis honoré. Honoré et ravi. Je ne connais le monde médical qu’à travers les séries télévisées et je dois bien avouer qu’ils n’ont pas souvent de temps libre. Alors honoré fois deux, docteur. » Le monde médical était à mille lieux de son univers. Et, c’était sans doute la raison pour laquelle il avait autant de respect pour elle, et ce qu’elle représentait. Elle avait un métier essentiel, important, le genre de métier qui est en réalité une vocation. Alors, oui, malgré les concerts, les interviews, les rendez-vous à droite et à gauche, il avait le sentiment d’être un rien du tout à ses côtés.

« Hope adore se balader, j’en profite aussi pour faire mon footing en temps général, dans un parc, sur la plage, peu importe tan que je peux res-pi-rer. » « Footing ? », qu’il répéta comme si elle venait de prononcer des paroles complètement hors norme, sans sens. Si on pouvait croire que Manny était un homme sportif, il était bien loin du type qui fait un footing. Peut-être que le sport avait au début de sa vie fait partie de son quotidien, à cause ou grâce de son boulot au ranch. Maintenant, il faisait du sport … pour ne pas exploser. Dans une salle de sport un peu trop luxueuse. Un footing ? Il n’en avait pas fait depuis ses années lycée, quelque chose comme ca oui. « Et puis, j’te permets pas, au vue de nos nombreuses discussions, j’aurais cru que tu me ferais confiance ! » Il laissa échapper un rire franc quand elle le bouscula d’un coup d’épaule pour appuyer ses propos. Toujours les mains dans les poches, il lui emboita le pas. « Bien sûr que je te fais confiance. Je connais ton vin préféré, ton film préféré, le nom de ton chien, que tu vis à Brisbane et euh … attends, ah oui, tu es chirurgienne en pédiatrie. Comment ne pas donner aveuglement ma confiance à une personne telle que toi ? » dit-il sur un ton pensif avant d’ajouter : « et la petite taille joue un rôle aussi ; je me disais que si jamais tu étais dans le fond une serial killer, j’avais peut-être des chances d’avoir le dessus. » Il se tourna vers elle et fit un petit signe de la main comme pour indiquer la taille de la jeune femme, un sourire taquin et provocateur sur les lèvres. Évidemment, il exagérait mais il l’avait prévenu pour son humour un peu … à chier, disons à chier.

« Plus sérieusement, le retour à la réalité se passe bien ? », demanda-t-il plus sérieusement tout en continuant de marcher.

Février 2022. with  @Joy Petterson
« Toi ? Toi, tu regardes des séries médicales ? » Vu la tête qu’elle était en train d’afficher, il se demanda s’il n’aurait pas pu garder cette information pour lui. Il haussa les épaules. « Hm… », commenca-t-il par dire tout en se préparant à déballer une ribambelle d’excuses plus ou moins tordues. Il s’arrêta avant d’agiter les bras en signe de reddition. « OK. J’avoue. Je plaide coupable – il se peut que parfois, quand je trouve pas le sommeil et que la télé me regarde avec ses grands yeux mouillés … il est possible que je regarde quelques séries débiles. Je sais que c’est pas la réalité et que je ne passe pas dans l’audimat habituel … mais franchement, ca me sauve pas mal de soirées. », et il conclut sa phrase par un petit sourire enfantin. Est-ce qu’il avait envie de plaire à Joy ou pourquoi est-ce-que soudainement ce qu’elle pensait de lui avait de l’importance ?

« Mmh oui, quoi ? ça ne se voit pas? » Il écarquilla les yeux, soudainement gêné d’avoir créé ce malentendu. Et, c’était presque les joues rosies qu’il ajouta aussitôt : « oh non non --- c’est pas du tout ce que je voulais dire. Ca se voit que tu es sportive, enfin que tu prends soin de toi ou que tu fais du footing … ou … bon sang ! » et il arrêta aussitôt de s’enfoncer en voyant qu’elle s’amusait de le voir creuser sa propre tombe. Affichant une moue quelque peu boudeuse, il croisa les bras. « Quelle cruauté de me laisser creuser mon trou tout seul ! » ajouta-t-il sur un ton enfantin, préférant quitter le terrain glissant sur lequel il s’était lancé tout seul et sur lequel il semblait rester vu qu’il avait fini par plaisanter sur le fait qu’il la dépassait de quelques centimètres. Manny, l’homme qui savait parler aux femmes !? Le statut de dom juan que certains voulaient lui donner était plutôt loin de la réalité. « La petite taille ? Je fais 1m70, pour une femme, je ne trouve pas que c’est petit… » Il laissa échapper un éclat de rire, attendri par la réaction de la jeune femme. C’était la raison pour laquelle il l’avait tout de suite apprécié : elle avait du cran, elle savait ce qu’elle voulait et avait cette aura dès leur première rencontre : une femme forte et indépendante. A vrai dire, il l’avait rencontré à un moment charnière de sa vie et elle l’avait tout simplement bluffé. « Et j’ai plus de dix ans de boxe derrière moi, tu ne devrais pas me sous-estimer. » « Dix ans ?! », répéta-t-il honnêtement impressionné. « Ok ok. » finit-il par ajouter tout en dodelinant la tête, intérieurement encore plus bluffé par le petit bout de femme qui se trouvait à côté de lui. Manny cessa de raconter des conneries pour reprendre une conversation un peu plus sérieuse. Ca changerait.

Etant de retour à Brisbane, tout comme lui, elle retrouvait un semblant de normalité. Le retour au boulot ; il savait que pour elle, cela signifiait retour à l’hôpital. Lui, il avait simplement dit qu’il aurait moins à bouger et pourrait se concentrer sur la maison qu’il venait de s’acheter en ville : faire son petit nid. Il avait évité de parler de l’album qu’il devait pondre dans l’année pour ne pas se faire égorger par son label de musique. « Ça va plutôt bien. Je me suis replongée pleinement dans mon travail,  c’est pas plus mal. Et toi ? » « Moi ? Je me fais tout doucement à la vie de Brisbane. C’pas mal, j’avoue. », qu’il dit en hochant la tête. « Ca va faire un bail que j’avais pas eu l’occasion de me poser alors disons que je profite. »

Se poser ? Et, comme si la vie voulait se moquer de lui, elle plaçait sur son chemin quelques petits obstacles. Il s’en rendit compte quand les personnes qui s’approchaient d’eux pour arriver à leur rencontre sortirent leur téléphone et semblaient s’agiter. Il se pinça les lèvres en espérant être paranoïaque mais il connaissait très bien ce genre de regards furtifs, ce genre de sourire timide … qui finissait par devenir un rire nerveux. Le chien qui accompagnait le duo de femmes qui s’approchaient d’eux tira sur la laisse, plus intéressé par Hope que par Manny. Dieu soit loué !

« C’est pas vrai !? Je pensais que tu étais en tournée … j’avais vu que tu étais à Brisbane mais je pensais pas que j’aurais la chance de tomber sur toi. Les pieds sur terre, je le dis à chaque fois. Tu as su garder les pieds sur terre. » La rouquine qui ignorait son chien avait aussitôt posé la main sur le bras de Manny pour le stopper, capturer son regard et ne cessait pas de parler. « Je suis fan depuis 2016 – je comprends même pas pourquoi il n’y a pas de nouvelle saison … est-ce-que tu sais toi pourquoi ? Euh désolée … j’arrête pas de parler mais j’arrive pas à croire que je te vois en vrai. » Et le voilà le rire nerveux. Manny échangea un regard gêné avec Joy. « Je voudrais bien te répondre mais tu ne me laisse pas te dire bonjour. », qu’il répondit en souriant tout en lui adressant un clin d’œil complice. « Tout va bien, c’est bien moi. » ajouta-t-il pour essayer de détendre la jeune femme et il désigna d’un signe de tête son amie qui tenait un téléphone portable. « Tu veux qu’on prenne une photo ? » Soupir de soulagement de la part de la rouquine et le voilà qui prend la pose avec la demoiselle. Le même sourire habituel tout en passant le bras autour de la jeune femme. Comme d’habitude. « Ce serait chouette si tu évitais de tagger le lieu par contre … » dit-il finalement en reprenant place aux côtés de Joy. Elle acquiesca d’un signe de tête avant de lui faire un signe de main et de continuer son chemin, tout en se retournant à plusieurs reprises pour vérifier qu’elle ne venait pas de rêver.

Il se tourna alors vers Joy …  « Mmh – oui, j’aurais peut-être dû prévenir qu’il était possible qu’on se fasse parfois couper la parole en cours de route… Je suis vraiment désolé. »

Février 2022. with  @Joy Petterson
« Je t’aurais plus imaginé kiffant les séries criminelles ou bien les thrillers palpitants… » Il afficha une mine faussement choquée. Cela aurait été certainement plus viril mais au moins, devant des séries à la Grey’s anatomy, il pouvait désactiver son cerveau pour simplement regarder l’écran, et ne penser à rien du tout. Pourquoi essayait-il encore une fois de se justifier ?

Ils avaient continué leur petit balade dans le parc quand elle posa cette fameuse question que beaucoup lui posaient. « Ah oui c’est vrai, ta vie de nomade, hein ? Pourquoi te poser à Brisbane d’ailleurs ? » Pourquoi s’etre posé à Brisbane ? Pourquoi pas dans une autre ville ? Une autre grande ville ou alors au fin fond de la pampa pour ne pas être interpellé à tout bout de champ ? On lui avait posé la question plusieurs fois, et à chaque fois il utilisait les arguments habituels selon lesquels la ville est chouette, qu’il y connait quelques personnes (un mensonge!). A vrai dire, roman était en perpétuelle quête de sa personne. Il s’était perdu à force de se laisser emporter par le torrent des médias, des concerts, des festivals. Brisbane était une escale dans sa vie ; l’envie et le besoin d’avoir un endroit où se poser. Un endroit qu’il pourrait appeler chez lui. « L’envie et le besoin de retrouver un coté sédentaire. L’idée d’avoir un véritable chez soi, un endroit où on peut poser ses valises. Quelque chose qui semble vraiment sous-coté. » eut-il le temps de répondre avant de se faire interpellé par deux jeunes filles au beau milieu du parc.

Il avait survécu ce moment et remerciait le ciel de ne pas avoir eu affaire à des personnes un peu trop présentes, un peu trop … intrusives. Elles avaient fait partie du groupe de ceux qui veulent simplement avoir une photo, une petite anecdote à raconter et rien d’autre. L’avantage des réseaux sociaux ; les gens veulent simplement des souvenirs à partager avec d’autres : avoir des like, quelques commentaires jaloux et se donner l’impression d’avoir partagé un moment intime alors que l’échange n’a en soi pas duré plus de quelques minutes. Il ne comprendra jamais il avait appris à accepter le tout comme une partie de son boulot. Il se retourna finalement vers Joy. « Je ne savais pas que je marchais avec une rock star … apparemment … » Le ton de sa voix lui montrait qu’il avait sans doute fait un mauvais pas en lui cachant cette part de vérité. Il fit un pas dans sa direction, gêné que les choses se soient passées de la sorte. « Tss, rock star, je sais pas … mais disons que possible que je sois un tantinet connu. » qu’il ajouta aussitôt, en faisant une petite moue. « J’suis désolé, j’aurais sans doute te le dire. J’ai été égoïste. » admit-il en fronçant les sourcils, baissant son regard pour quelques secondes sur ses chaussures avant de reposer son attention sur la jeune femme. « Égoïste car je te trouve vraiment sympa et je voulais vraiment faire ta connaissance tout en étant moi-même, le vrai Roman. C’était sans doute débile. » et il ponctua sa phrase par un soupir désabusé.

« Roman Sterling, surement que si tu écoutes la radio, t’as du entendre deux ou trois chansons et j’espère que tu l’aies pas éteint en pestant en entendant ma voix. » ajouta-t-il avec un sourire taquin aux lèvres. « J’savais pas vraiment is je devais te le dire, ou comment te le dire … est-ce-que c’est un truc qu’on doit absolument dire quand on rencontre quelqu’un - j’en sais rien… voilà que tu me laisses une fois de plus tout seul en train de creuser… » finit-il par dire, cessant de parler en faisant mention à ses précédentes excuses.

Février 2022. with  @Joy Petterson
« Je t’avoue que je me sens un peu idiote… » et voilà de quoi le faire culpabiliser à juste titre. Il eut l’impression de fondre sur place, devenir liquide. Ouais, il avait agi comme le roi des égoïstes parce que, enfin, il avait pu avoir une conversation normale. Et sans doute aussi parce qu’il ne savait pas comment on se présentait de ce point de vue là ; on le reconnaissait d’habitude. La situation avait été nouvelle, bien trop nouvelle pour qu’il s’y connaisse et connaisse les règles du jeu. Le regard baissé, le dos presque un peu vouté, il aurait aimé pouvoir revenir en arrière et rattraper les choses, faire en sorte ue les choses se passent autrement … mais comment ?

Le silence s’installait et ce n’était pas le genre de silence qui fait qu’on se sent à son aise. Non, c’était plus le genre de silence qui vous donne des sueurs froides et surtout l’envie qu’il y ait une catastrophe pas loin pour avoir un sujet de conversation. Parce que là, il avait le sentiment de marcher sur oeufs. « J’t’avoue qu’avec mon taf je prends pas le temps de m’intéresser à tout ça, mes meilleures amies font du cinéma et elles se plaignent toujours que je ne suive rien à leurs actualités… » Elle brisait le silence et son coeur était soudainement délesté d’un lourd poids. Il releva la tête pour la tourner vers elle. « Y’a tellement d’autres trucs plus intéressants - tout à ton honneur. », qu’il répondit avec la plus grande sincérité. Car, c’était ce qu’il pensait. Il s’en rendait compte ; sa réalité n’était pas la vraie réalité. Elle n’était pas celle de sa famille, de ses amis d’enfance et ni même de la majeure partie des gens. Il vivait dans un autre monde et Joy était doucement mais surement en train de lui montrer qu’ils n’appartiendraient jamais au même monde. « Je suis désolée Roman, mais… » Elle accélérait le pas … pour le fuir ? L’idée eut l’effet d’un coup de marteau sur le haut du crâne.

Et, comme cela aurait pu être le cas dans un film, il la suivit pouf finalement poser la main sur son bras sans pour autant la brusque ou vouloir l’arrêter, juste l’interpeller. « Je sais qu’on se connait pas vraiment et depuis pas longtemps et t’as absolument le droit de m’envoyer bouler. Mais, je veux juste que tu saches que j’ai pas triché, Joy. Je suis toujours ce gars un peu niais dès qu’il y a un chien dans les parages, celui qui boit des soit disant girly cocktails mais qui dénonce politiquement le fait que ces cocktails sont tout simplement meilleurs que les autres … je suis le même et je suis prêt à jouer selon tes règles. » L’anecdote des cocktails remontait à leur rencontre où il avait commandé plusieurs boissons, qui selon le serveur était destiné à Joy et non au mâle de la table. A croire que dès qu’on a un pénis, on ne peut pas apprécier les boissons sucrées et colorées. Ils s’en étaient amusés. Il ouvrit les bras avant de les laisser tomber de part et d’autres de son corps, plantant son regard dans celui de la brune. « J’ai dit que t’avais le droit de m’envoyer bouler … mais pas que je te laisserais m’envoyer bouler sans essayer de te convaincre du contraire» finit-il par ajouter en arquant un sourcil, ayant désormais un air presque malicieux.

Février 2022. with  @Joy Petterson
« J’en ai assez des mensonges, Roman. » 
L’air grave de la jeune femme était bien différent du sourire qu’elle avait affiché auparavant. Il était clair que Roman ne faisait pas partie des personnes qu’elle appréciait. Elle avait cet air renfermé qui lui montrait qu’entre eux, il y avait un monde et elle n’avait pas envie de le découvrir, ni même de tenter l’aventure. La candeur du musicien était sans doute responsable de son comportement ; il était encore suffisamment con pour prétendre à une vie normale. Une bien belle erreur. Roman acquiesça d’un signe de tête en guise d’approbation. Cela tombait bien : mentir n’était pas vraiment son truc.
« Tu sais tout ce que j’ai enduré l’an dernier, et t’as quand même continué à me mentir… Enfin… par omission quoi… » Si elle lui avait dit quelques minutes plus tôt avoir pratiqué dix ans la boxe, elle lui offrait une jolie démonstration de boxe par les mots. Il avait omis de mentionner qu’il était connu. Mais est-ce-que ça changeait quoique ce soit en ce qu’il lui avait dit, confié et ce qu’ils avaient échangés? N’avait-il donc pas le droit d’être lui-même, le Roman d’Alice Springs? Apparemment non. Son regard accompagna celui de la jeune femme qui détourna le regard. « T’as l’air d’être un homme tout à fait charmant, Roman, mais j’ai pas de places pour le mensonge dans ma vie. J’ai plus l’âge de ces bêtises. »

Il releva la tête à cette remarque, glissa les mains dans les poches de sa veste. « J’ai jamais été doué pour les longs discours. Jamais. Alors, je ne sais pas vraiment quoi te dire, je pense même que je ne peux rien dire qui puisse te convaincre ou te faire changer d’avis. Tu sais ce que tu veux, tu y as suffisamment réfléchi. » dit-il en faisant naturellement allusion à son road trip, son introspection et sa remise en question. Faire table rase de ce et ceux qui troublaient son bien être. « Je respecterai ta décision — sans surprise. Parce que comme tu l’as dit, je suis un homme tout à fait charmant » et il ne put s’empêcher de dire cela avec un sourire, utilisant les memes propos que la jeune femme. « Tu n’as pas de place pour le mensonge dans ta vie, je le conçois et personne ne veut y laisser de la place. Perso, j’ai envie de laisser un peu de place à Roman dans ma vie … pour ça que je suis ici, à Brisbane, pour me poser, pour être moi. Je ne t’ai peut-être pas dit que je suis celui dont le single reste dans le top 10 de plusieurs radios internationales, parce que ce n’est pas ce qui fait ce que je suis… parce que je voulais que tu rencontres Roman. Juste Roman. » Il haussa les épaules. « Tu n’as connu et rencontré personne d’autre que moi. »

Son regard se baissa une seconde sur le sol pour finalement retrouver sa place et croiser celui de Joy. « Est-ce-que c’est le moment où je dois te laisser partir sans rien dire, ou est-ce-que c’est le moment où on se dit à la prochaine … et que tu me recontactes jamais ?»

Février 2022. with  @Joy Petterson
« Je ne sais pas quoi te dire Roman. »

Ce n’était pas vraiment les mots utilisés pour continuer une conversation saine et calme, n’est-ce pas ? Elle préparait le terrain pour mettre un point final au début d’une relation qui débutait tout doucement. Il s’en était rendue compte quand elle s’était mise sur la défensive avec ses gestes et désormais les mots ne faisaient que confirmer le tout.

« Je comprends que ça t’a peut-être fait du bien de voir que pour une fois, on te reconnaissait pas, et on ne te parlait pas parce que tu étais connu. » Elle comprenait. Du moins, c’était ce qu’il se disait mais il entendait au son de sa voix qu’une suite n’allait pas tarder à arriver, à lui annoncer un « mais » ou un mot qui détruirait la première partie de sa phrase. « Mais moi dans tout ça ? Je ne mérite pas d’avoir des gens honnêtes et authentiques envers moi ? » Les sourcils du musicien se froncèrent doucement alors qu’il acquiesçait d’un signe de tête pour confirmer le fait qu’elle méritait elle-aussi des gens honnêtes et authentiques. Tout le monde le méritait. Elle, comme lui d’ailleurs. « J’étais quoi pour toi Roman, du coup ? Un petit jeu sympa où tu pouvais jouer les anonymes incompris ? » Les sourcils demeurèrent froncer. Jouer les anonymes incompris, voilà qui rendait la chose mélo-dramatique et il détestait l’idée d’être perçu et vu de cette manière. S’était-il réellement comporté de la sorte ? « Non » fut le premier mot qui s’échappa de ses lèvres. Un cri du coeur en soi. Elle était bien loin d’être un simple jeu. Elle avait été une des rares relations honnêtes qu’il avait pu avoir ces dernières années. Elle avait été celle avec qui il avait pu échanger de longs discours, celle avec qui il avait le sentiment de pouvoir renouer avec son ancien Roman. Il accompagna son nom d’un geste ; un pas en direction de la jeune femme. « Évidemment non, tu n’as pas été un jeu, Joy. » dit-il sans même la quitter du regard. « Je suis idiot, j’ai été idiot et peut-être enthousiaste, trop enthousiaste. Je n’ai pas pensé aux prochains pas, au fait que ça fasse partie de moi et que je ne pourrais pas le nier. » Il avait été idiot et ce genre d’idiotie faisait simplement partie de sa vie à cause de sa foutue candeur.

« Rien de ce que j’ai pu te dire est un mensonge ou une connerie. Hélas. » ne peut-il s’empêcher de glisser, faisant référence aux quelques anecdotes ridicules qu’il a pu lui échanger. « Je suis vraiment désolé de t’avoir blessée. » finit-il par dire ou sans doute répéter après avoir marqué une brève pause. Le regard plongé dans le sien, il détourna néanmoins le regard une demi-seconde pour vérifier que personne d’autre ne viendrait troubler leur « bulle ». Il ne manquerait plus que cela pour mettre de nouveau un terme à leur explication. Il reposa son regard sur la jeune femme, attendant son sort.

Février 2022. with  @Joy Petterson
« Tu allais me le dire quand ?» Excellente question. Il n’y avait pas pensé. Il ne s’était même pas posé la question du moment opportun où il pourrait parler de sa vie sous les feux de la rampe. Il s’était concentré sur le présent, sur les moments partagés ensemble en toute bienveillance. Erreur fatale apparemment. « A moins que tu aies eu décidé de ne jamais rien me dire » souffla-t-elle tout en détournant son regard pour ne pas avoir à l’affronter. Lui et ce mensonge dans lequel il s’était laissé emporter et dont il avait tout simplement perdu le contrôle. « Je t’avais avoué avoir été trahie et déçue par pas mal de mon entourage, et t’as joué avec ma confiance, c’est pas cool. » Elle planta son regard dans le sien et il eut aussitôt le sentiment de se faire heurter par un camion poids lourd. Elle n’avait pas besoin d’ajouter quelques mots pour lui faire comprendre qu’elle allait mettre un paquet de distance entre eux et qu’il n’allait surtout plus entendre parler d’elle. Elle allait tirer un trait sur lui … et il aurait une fois qu’à s’en prendre à lui-même. Il allait falloir apprendre à être sociable, mon pote. Pas du tout doué pour les relations sociales l’ancien cow-boy.

« Je ne sais pas quand est-ce-que j’t’l’aurais dit. Je ne sais pas comment j’aurais pu te le dire, ni même quand … je pense qu’on cherche toujours le bon moment et qu’au final, il n’y jamais de vrai bon moment. » dit-il avec la plus grande honnêteté car c’était exactement ce qu’il pensait. Que ce soit judicieux ou non. « C’est nouveau pour moi tout ça… » murmura-t-il en prenant enfin conscience du fait qu’il vivait depuis bien trop longtemps dans un monde en parallèle. Qu’il le veuille ou non, il était déconnecté de la vie « normale ». De la vraie vie. La vie qui lui manquait, celle que son père ne cessait de lui rappeler essentielle … il vivait son rêve. Non, il vivait dans un rêve. Loin de la réalité. Douloureuse prise de conscience.

Son regard s’écrasa sur le sol, et ses mains vinrent se cacher dans les poches de sa veste. On aurait presque pu lui donner l’air d’un chien qui se tire avec la queue entre les jambes après avoir fait une connerie. Il en était pas loin. « Je suis désolé, Joy. Je comprends si tu préfères prendre tes distances. » Il leva les yeux vers elle. « Je comprends et respecterais. Après tout, tu me dois absolument rien. » En effet, elle avait tous les droits de lui brandir son majeur en tournant les talons. Il n’appartenait pas à ses amis proches. Il n’était qu’un rien, un personne dans sa vie. Elle pouvait très bien le balayer d’un revers de la main … « C'est à toi de voir ... je serais là, si jamais tu ne veux pas m'effacer complètement du paysage »