another day in paradise
Megan Williams & @Anouch Whistler

Pour être tout à fait honnête, je n’ai pas choisi le lieu mais, Skylar, jeune femme d’affaire choisie pour faire partie de la sélection des cinquantes jeunes entrepreneurs à suivre du magazine Business Australia a insisté, trouvant la batisse qui ouvre exceptionnellement ses portes parfaitement adaptée à l’occasion. Business Asutralia a approuvé le choix fait par la jeune femme et moi, mesurant ma chance d’avoir été sélectionnée par cette vieille connaissance, je n’ai pas fait la difficile. Ce genre d’exposition, bien loin des clichés de mannequins squelettiques pour la couverture de journaux de modes ou encore des clichés volés de starlettes australiennes, ne peut que me donner un coup de pouce. Je devais de toute façon un service à la brune et il y a des services qui ne se refusent pas, surtout lorsqu’ils sont bons pour votre carrière.

Après deux heures de poses et de clichés sous différents angles, j’estime avoir ce dont j’ai besoin. « Celle-là est superbe. Celle là aussi, je suis sûre que le magazine aura tout ce qu’il lui faut. » Skylar jette un coup d'œil à mes clichés, commente ceux qu’elle préfère et nous tombons d’accord : j’ai tout ce qu’il faut à ma disposition. Je vais retravailler les photos et j’enverrai la sélection des meilleures au prestigieux journal en croisant les doigts pour avoir compris la direction dans laquelle ils souhaitent aller. « Tu veux aller boire un verre ? » Je secoue la tête, avant de déposer une bise sur la joue de la brune. « Une prochaine fois. Je vais profiter d’être là pour prendre quelques photos, on sait jamais. » Les curieux se sont pressés au portillons de la Maison du Gouvernement et peut-être pourrais-je saisir sur le vif quelques clichés naturels et avec du cachet.

La brune s’éloigne et je quitte à mon tour le bâtiment pour ses jardins fleuris. Je préfère l’ambiance qu’ils dégagent à l’austérité du bâtiment qu’ils habitent et, au fil de ma balade, je m’arrête parfois pour capturer un couple, un grand-père qui tient un bambin dans ses bras et, plus largement, chaque scène qui m’inspire une émotion particulière. Ce que je ne réalise pas alors que je me perds entre les haies taillées et les colonnes d’inspiration grecque, c’est que je suis suivie.

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Megan Williams & @Anouch Whistler

Lorsque je prends des photos, le reste du monde disparaît. Le monde autour de moi devient un sujet d’étude, une fresque mobile que j’observe pour en capturer les émotions les plus authentiques. A la façon d’un chirurgien qui passe de nombreuses heures debout au bloc opératoire, je me moque de savoir si j’ai faim, un besoin présent où si j’ai mal aux pieds ou au dos de rester si longtemps debout ou à force de me contorsionner pour obtenir le meilleur angle de prise de vue. Tout n’est plus qu’exposition, taille de l’objectif, et être prête pour prendre la photo au bon moment. Il est unique et, une fois passé, il ne revient plus. C’est pour toutes ces raisons que je n’ai pas remarqué la présence de la brune à quelques mètres de mon dos, que je n’ai pas senti que j’étais observée et suivie. C’est également pour ça qu’elle a besoin de se racler la gorge à plusieurs reprises avant que je prenne conscience de la présence et que je décolle l'œil de mon appareil. Et, le moins que l’on puisse dire, c’est que je suis troublée. Un hoquet de surprise m’échappe et je me redresse en lâchant mon appareil pour qu’il retombe autour de mon cou.

Elle n’a pas besoin de se présenter : je suis qui est Anouch Whistler même si, jusque-là, je pensais la réciproque impossible. Est-elle là pour camper le rôle de la femme bafouée qui vient demander des comptes. Avons-nous été imprudents, Scott et moi, lors de notre dernière rencontre ? A-t-il laissé échapper quelque chose ? A-t-elle fouillé son téléphone jusqu’à tomber sur des messages et des photos suggestives ? Je reste bouche bée, sans oser dire quoi que ce soit au cas où je me tromperais. Elle tend une main dans ma direction, que j’observe avec des yeux ronds. « Vous êtes Megan, n’est-ce pas ? Megan Williams ? J’étais à votre vernissage. J’ai trouvé votre travail intéressant. Je suis contente de vous trouver ici… dans un joli cadre et en plein travail… C’est toujours plus agréable que prendre un rendez-vous dans un bureau, vous ne pensez pas ? » Que mes réflexes soient loués, j’attrape sa main pour la serrer dans la mienne. Se pourrait-il que tout ça ne soit qu’une coïncidence ? Que la femme de mon amant soit devant moi sans avoir la moindre idée de qui je suis ? Je n’ai pas souvenir de l’avoir vue au vernissage, mais je n’ai pas eu le temps d’échanger avec tous les curieux. J’ai même dû m’absenter à plusieurs reprises pour prendre des appels au sujet de la lune de miel et de son décalage. « Anouch Whistler. Je suis agent pour la société du même nom. Je présume que vous connaissez… » - « Je connais, oui. » Elle ne croit pas si bien dire et moi, je regrette d’avoir été presque sèche. Pour ne pas éveiller ses soupçons, il va falloir que je m'échappe sans que ma réaction ne lui semble étrange. « Je suis désolée je… Je ne vous ai pas vue au vernissage. » Venait-elle déjà pour voir qui j’étais ? M’avait-elle repérée pour mon art, et pas pour mes activités horizontales avec son époux ? « Vous faites ça depuis longtemps ? De la photo, je veux dire. » - « Depuis toujours. » Je me secoue les puces pour rendre à mon sourire un peu plus d’authenticité. « Depuis que je suis adolescente. J’ai reçu mon premier appareil photo pour mes seize ans. » Je tais l’identité de la personne qui m’a offert le cadeau en question. Ma mère est un sujet tabou. « Vous avez dit que vous me cherchiez ? » Je fronce les sourcils, sans trop savoir dans quelle direction je vais. « Pourquoi faire ? »

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Megan Williams & @Anouch Whistler

« Ne soyez pas désolée. C’est normal que vous ne m’avez pas vue. J’étais là en repérage. J’avais d’abord besoin de savoir à qui j’avais à faire. » Ce dont elle ne se doute pas, c’est que je suis angoissée à l’idée de la savoir capable de se faufiler dans une pièce que j’occupe sans que je la remarque. Peut-être ne se doute-t-elle pas de l’infidélité de son époux, mais elle le fera peut-être un jour. Dans ce cas, le suivra-t-elle de loin, dans le but de le prendre en flagrant délit ? Nous observera-t-elle au restaurant, depuis une table voisine ? Est-ce déjà de ça qu’il est question ? Est-elle là pour jauger la concurrence ou sincère ? Est-ce possible qu’il s’agisse d’une coïncidence ? « Vous avec un book, donc… Est-ce que vous pensez que je pourrais le voir ? Que je puisse avoir une idée de l’étendue de vos projets, de ce qui vous anime. Ce sera plus facile d’un point de vue marketing. » D’un point de vue marketing ? Je fronce les sourcils, brusquée par la jeune femme qui parle affaires comme si nous étions déjà reliées par un contrat. Cela n’arrivera jamais : je ne suis pas malsaine au point de tenter de me lier à la femme de mon amant.

« Je suis désolée. Je manque à tous mes devoirs, mais je suis très enthousiasmée par votre travail. C’est frais, c’est lumineux… et je suis certaine que vous avez d’autres pièces qui le sont beaucoup moins. J’aimerais travailler avec vous. Vous proposez un contrat, devenir votre agent…Je ne suis pas à mon coup d’essai et j’ai du flair. Je peux vous faire allez loin. Mais, que diriez-vous que nous en discutions pendant un déjeuner ? Ce serait un rien plus formel et beaucoup moins étrange. ça vous tenterait ? » C’est douloureux de devoir refuser ce genre d’offre. Ça l’est parce que, plus elle parle, plus je crois à la thèse de la parfaite coïncidence. Elle m’a réellement repérée et s’intéresse vraiment à mon travail et elle est la première à le faire ou, en tout cas, à prendre contact avec moi pour me représenter. Je ne suis pas à plaindre : depuis mon mariage, j’ai une situation confortable et, si je le voulais, je pourrais tout simplement arrêter de travailler. Sauf que j’ai envie de devenir quelqu’un, j’ai envie de briller grâce à moi et uniquement moi et ce qu’elle me propose serait la première pierre sur cette voie. Sauf que je ne l’envisage pas un instant : dans une autre vie, peut-être que cette rencontre aurait été un moment crucial. « Vous seriez libre quand ? A moins que vous préfériez directement au bureau, vous pourrez voir l’agence et serez ainsi certaine que je ne suis pas en train de vous menez en bateau. Que préférez-vous ? » - « Je suis désolée, je ne suis pas intéressée. » Je fais la grimace et, instinctivement, je recule d’un pas. « Je le suis déjà, certaine que vous ne me menez pas en bateau. Et je vous remercie pour l’intérêt que vous portez à mon travail. Mais je n’ai pas besoin d’un agent. » Comment refuser ce genre d’offre - c’est du pain béni pour tout jeune artiste - sans éveiller des soupçons chez la brune ? « Je sais tout ce qu’être représentée pourrait m’apporter. Vous n’avez pas besoin de m’en convaincre. Mais je me suis toujours promis que, si je devais percer, je le ferais seule. Je ne veux rien devoir à personne. » Nerveuse, j’attrape mon appareil photo entre mes doigts pour les occuper. « Encore merci. » Et c’est sincère, étrangement. Je lui suis reconnaissante de m’avoir prouvé que j’ai ce qu’il faut pour attirer l’attention, et que je n’ai pas rêvé mon talent.

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Megan Williams & @Anouch Whistler

« Pardon ? » La jeune femme semble estomaquée et comment lui en vouloir ? Son offre doit être du pain béni pour la plupart des jeunes artistes. Trouver quelqu’un pour vous représenter est le graal de chaque starlette aspirante et, pour ceux d’entre nous qui ne cherchent pas à percer dans le cinéma, c’est presque impossible. Elle imaginait certainement que me décrocher ne serait qu’une formalité et je ne peux pas la blâmer : dans n’importe quel autre contexte, elle aurait eu raison. J’aurais eu les yeux qui brillent et ma reconnaissance aurait transpiré par tous mes pores. J’ai peur que refuser attire sa méfiance et donc, ne mette en danger ma liaison, mais de quel autre choix est-ce que je dispose ? Aucun, aucun qui ne soit stupide, dangereux et humiliant pour tout le monde. « Je ne saisis pas. Si vous savez que c’est pas une offre bidon, comment… Enfin pourquoi dire non ? Un déjeuner, ça n’engage à rien. » Je lui offre un sourire que je veux serein et ferme à la fois. « Je n’ai pas envie de vous faire perdre votre temps. Je sais ce que c’est que le temps, dans votre métier. » J’ai trop assisté à des coups de téléphone de Scott à ses poulains. Il joue pour eux le rôle de père, de mère, de modèle et parfois même de conseiller. C’est parfois épuisant rien que de l’observer faire. « Je pense que… Vous vous méprenez sur le rôle de l’agent. Mon rôle, c’est de pas vous vendre comme si vous aviez du talent et donc, considérer que vous m’êtes redevable. Mon rôle, c’est d’ouvrir les yeux du monde sur tout ce que vous en avez justement. » - « Et donc de considérer que j’ai besoin d’un coup de pouce pour que l’on me remarque. Encore une fois, je suis désolée, mais cela ne m’intéresse pas. » Par politesse, je lui adresse un signe de la tête et, avant de prendre congé, je lui adresse toutefois une question purement rhétorique, aussi bien parce que je connais la réponse que parce que je n’en attends de toute façon pas. « Vous savez ce que c’est que de se construire seule, madame Whistler ? » L’emploi du madame et de son nom d’épouser n’est pas anodin. Mesquin, peut-être, mais pas anodin puisqu’il sous-entend à lui seul une réponse négative à cette question. « Moi oui. Et je vais continuer à tenter ma chance comme ça. »

Cette fois-ci, je tourne les talons mais la brune est déterminée, elle me rattrape en quelques foulée sans me toucher, mais se place en face de moi en me tendant sa carte de visite. « Prenez au moins ma carte et du temps pour y réfléchir. J’attends de vos nouvelles, d’accord ? Que ce soit positif ou non. » J’attrape la carte du bout des doigts, tout en secouant la tête de gauche à droite. « Je suis certaine que Brisbane regorge de jeunes photographes talentueuses qui ont besoin de vous. Ce n’est pas mon cas mais je saurai au moins vers qui les adresser. » Je désigne la carte avant de la glisser dans la poche de mon jean. Avant de m’éloigner définitivement, je me retourne toutefois pour lui adresser une dernière question. « Mon travail, il vous a réellement sauté aux yeux ou c’est juste parce que vous trouvez que je suis facile à vendre ? » Je suis d’une beauté qui sort de l’ordinaire : je ne possède aucune fausse modestie qui me pousserait à prétendre l’ignorer. Je sais aussi que, souvent, c’est ce qui captive chez moi, bien plus que la moindre trace de talent.