La radio est allumée depuis trop longtemps pour la patience des voisins mais aussi beaucoup trop forte pour que Daisy perçoive le moindre coup de balai. Cela finira en note scotchée sur la porte - ou plantée au couteau à la western western ou comme un des ex de sa daronne (entre Jack Daniel et William Peel) qui avait pour lui d'être plus riche que la moyenne des mecs qui voulaient bien trainer avec elle et de rendre l'argent liquide - et Daisy n'écrira pas d'autres petites lettres en retour parce qu'elle, elle a autre chose à faire qu'aller emmerder les gens qui veulent juste vivre. De toute façon, elle ne peut même pas toucher à la radio sous peine de la maculer de peinture bleue déclinée en quarante-six nuances. Cela commence à tendre vers le bleu klein mais elle trouve dans les reflets un violet malvenu et la texture n'est pas toute à fait la bonne. Le studio empeste les produits chimiques, à en faire tourner la tête mais Daisy ne semble même pas s'en rendre compte. Elle est focalisée sur ses dégradés de bleu qu'elle agite à la lumière avant de tenter un autre mélange. Elle a pris des notes sur son vieux carnet, avec les proportions dans des unités improbables (qui mesure en capsule de bière ?) accompagnées d'un trait du résultat. Puis encore des notes en dessous pas klein mais se rapproche du bleu des vêtements de De Vinci et autre même couleur que les emballages de durex quand ils sont pas entourés avec des cœurs.  

Au sol s'étalent une armée de petits contenants auparavant bien alignés, une pagaille de tubes de différentes marques et des bidons en plastique blanc où s'étalent des noms de molécules écrite au velleda. Trois dates à écouter parler de lui un étudiant en chimie pour obtenir le graal et dire momentanément adieu au white-spirit. Daisy est plutôt contente de l'échange de bons procédés. Avec ça elle va trouver la formule magique de n'importe quelle nuance et se refaire. Adieu les nuits dans sa bagnole ou sur le matelas rangé dans un coin de l'atelier, bonjour les palaces payés en tableaux originaux retrouvés par hasard en vidant l'appartement de ma pauvre grand-mère, elle aimait l'art vous savez. Les modèles sont punaisés aux murs, des œuvres mineures d'Artistes avec de grands A. Car même le dernier des imbéciles c'est ce qu'il y a au Louvre donc impossible de vendre une vraie Joconde (alors que les esquisses préparatoires...). Et Daisy les barre d'une croix - véritable tableau de chasse - quand elle a réussi à en vendre une copie. L'argent font alors entre ses doigts trop vite pour qu'elle ait le temps de dire adieu la vie de gangsta et il n'y a plus qu'à tout recommencer.

Elle est en retard pour aller à son taf - le vrai, le nul, celui qui demande à passer huit heures d'affilé parmi les odeurs de cuisson à l'huile - et elle s'en fiche. Elle n'entend même pas son téléphone sonner, la radio en est à Work de Rihanna et elle en gueule le refrain avant de se plonger de nouveau à ses mélanges, sur sa toile parée de mille nuances de bleu - au final, même ça n'est pas si mal, des silhouettes s'y dessinent, brillantes sur le mate d'autres solvants - sur les livres d'art empruntés et qu'elle a fini par recouvrir de couleurs. C'est le changement de lumière de la porte qui s'ouvre qui la sort de sa transe, elle en a presque sursauté. "Ah salut Ginny !" qu'elle crie pour couvrir la musique. Signe de main, style je te ferai bien un hug mais je suis crade, petite mine contrite de fille qui n'a pas vu passer le temps alors que le jeudi (on est jeudi ?) c'est à quinze heures qu'elle doit lâcher l'atelier (parce qu'elle est censée prendre son shift à MacDo et qu'elle va encore se faire virer). Son armée est repliée dans le coin sud (le sien) en trois quatre balayages avec les pieds. Qui ne s'étale pas sur la terre du voisin en plein processus créatif ? Puis enfin elle baisse le son et, d'une mine sérieuse tranchant avec les expressions habituelles, désigne à la brune UN trait de pinceau parmi les mille autres. "Klein ou pas ?" Attend la sentence.