Lizzie devrait avoir le réflexe de baisser les yeux. De couper ce contact visuel, ce fichu lien qui dit bien trop sans avoir à parler. Communiquer par les yeux pour laisser transparaitre sa colère, voilà ce que Wren est en train de faire. C’est une situation absolument grotesque car finalement, douze ans après, rien n’a vraiment changé. A part que l’autre prend le rôle de l’un d’une agilité déconcertante. A croire que le travail d’acteur est fait pour elle parce que Lizzie ne flanche pas malgré tout, elle ne cille pas et elle maintient le buste aussi droit qu’elle le peut. On pourrait y voir comme une vengeance de la brune à l’encontre du suédois, lui qui lui a pourri le cœur et toute capacité à aimer quelqu’un d’autre pendant des années - sur des mensonges qui ont été ses réalités pendant tout ce temps. Mais Elizabeth n’est pas comme ça. Elle n’a pas l’esprit de vengeance, elle n’a pas l’esprit calculateur et vile. Même si on pourrait croire le contraire en l’entendant déblatérer. Un voile de fumée, voilà ce que sont ses paroles. Rien de vrai, rien de réel mais si elle les dit, ça finira par les rend plus vrai. Peut-être. Ou pas.

Mais les propos de Wren, eux, tremblent de sincérité. « Je ne l’ai pas cherché, qu’est-ce que tu crois ? Que tout était planifié à l’avance ? Tu me penses aussi calculatrice ? Je t’ai pas choisi toi, tu étais juste là. » Il n’y a que ses mains en qui elle a confiance actuellement, que ses bras, que sa présence qui ne la foutent pas en boule avec le besoin d’aller se laver. La vérité est qu’elle avait besoin de ressentir quelque chose, de ne plus se sentir faible au moins pendant quelques heures, de prouver qu’elle a encore une place quelque part dans ce monde. Wren est le seul qui ce pouvoir, celui de la faire vibrer d’émotions, de la transcender comme personne n’a jamais pu. Mais lui dire ça reviendrait à prouver les propos du suédois et ça, Lizzie ne le veut pas. Elle ignore s’il la rejettera encore plus qu’elle le fait actuellement ou, pire, s’il insisterait pour rester. Pourtant ils pourraient être absolument parfaits ensembles, encore mieux que quand ils étaient adolescents. Mais ce n’est pas une option envisageable pour l’instant.
Lizzie ferme les yeux un moment alors que ses doigts se compressent autour du rebord. « Ne dis pas que je n’ai rien à faire de toi. C’est faux et tu le sais. » Elle lâche un soupir tout en reposant son regard sur lui. C’est au moins une des paroles les plus sincères qu’elle peut lui prononcer à ce moment-là. Elle se redresse en redressant le menton. « Tu penses vraiment qu’une nuit suffit pour oublier douze ans ? Tu crois qu’avec un simple sourire et des jolies excuses, je vais mettre au placard toutes ces années où je me suis enfermée de tout ça à cause de toi ? » “Tout ça” autrement dit tout idée à s’attacher à quelqu’un plus que de raison et à l’aimer jusqu’à en perdre la raison. « Je t’avais prévenu que t’allais être déçu. Je te l’avais dit mais tu n’as rien écouté. Assume aussi ta responsabilité d’avoir pris ce risque. » Wren a continué à s’accrocher alors que Lizzie sait qu’elle aurait fini par le faire dégringoler un moment où un autre. Elle lui en veut d’être une tête brûlée, de lui avoir trop ouvert les portes de son palpitant, de la mettre au pied du mur comme ça. Et elle s’en veut d’être aussi cruelle mais c’est bien mieux comme ça. Tout d’un coup, la décision qu’il a lui-même prise des années plus tôt lui semble tout d’un coup bien limpide. Une ironie bien trop amère à son goût. « La porte de sortie, tu l’as prise déjà y a douze ans. Je suis sûre que tu auras aucun mal à retrouver le chemin. »

Inutile de dire que Lizzie le regrette déjà.
Depuis le moment où elle s’est levée.

Ils en étaient là, à se toiser à nouveau, alors que l'envie de Wren était aux antipodes d'une telle situation. Tout ce qu'il avait toujours désiré, c'était prendre soin de Lizzie, avoir le droit de l'aimer mais ce n'était pas ce qu'il obtenait. Certes, il l'avait bien cherché en agissant comme le dernier des abrutis plus de dix ans auparavant mais il avait essayé d'expier ses fautes, de devenir meilleur. Pour quels résultats? Rien qui n'en vaille la peine apparemment puisque jamais Lizzie ne lui pardonnerait de lui avoir tourné le dos dans un moment de faiblesse. Maintenant, c'était au tour du suédois de la blâmer pour les sensations qu'elle lui procurait. Wren, peut être, ne lui offrirait pas le pardon, pas alors qu'il avait enfin accepté ce qu'il ressentait pour elle, prêt à lutter contre tous ses démons pour elle. Être digne d'elle. Maintenant, on pouvait supposer que cette lutte n'avait plus lieu d'être et vu le regard qu'il lançait à la jolie brune, il était plus qu'évident que sa pensée première n'était pas de se révolter contre le feu au fond de son âme. Il avait envie de se laisser consumer, de ne plus penser à rien, de ne plus être cet homme capable de ressentir et d'aimer. Il était mieux en monstre, voilà ce qu'il avait dans la tête à ce moment-là, un sourire narquois s'affichant sur ses lèvres parce que, forcément, Potter lui remettait dans les dents leur expérience passée, cette fuite qu'il avait opéré douze années auparavant et clairement, elle n'avait pas tourné la page. Wren aurait pensé que de l'eau avait coulé sous les ponts, surtout après tout ce qu'ils avaient vécu depuis leurs retrouvailles mais non, sa Lizzie avait bien changé. Elle n'était plus la même et lui n'avait plus envie d'être le même non plus. De retourner en arrière et se flageller pour des faits passés, il valait mieux que cela et quitte à souffrir, autant que ce fut pour des raisons essentielles. "OK, super, j'étais là. Ravi que tu te sois servie de moi à bon escient, que je t'ai été utile à te faire te sentir bien pour une nuit. Au moins, j'aurais pas été totalement inutile, hein?" Elle lui faisait du mal en utilisant ces termes parce que, oui, il avait été là mais ce n'était pas la réponse qu'il avait désiré entendre. Il aurait voulu être celui qu'elle voulait, pas parce qu'il était là mais parce qu'elle le cherchait, juste lui. C'était ridiculement égoïste certes, mais Wren n'avait jamais eu la prétention d'avoir des réactions d'adulte responsable. "Non, je le sais pas. Tout ce que je vois là, c'est que tu t'es servi de moi comme d'une vulgaire poupée de merde. Je croyais qu'on valait mieux que ça mais apparemment, je me suis trompé parce que tu me le mettras toujours dans la gueule, ça, l'événement d'il y a douze ans? Si tu me pardonnes pas ça, alors crois moi que je te pardonnerai pas ça non plus." Ils étaient dans un cul-de-sac désormais mais Wren avait le coeur qui ne battait plus parce qu'il avait perdu, qu'il savait déjà qu'il allait digérer cette défaite de la pire des manières, des éclairs au fond des yeux qu'il lança à Lizzie avant de se reculer parce que, oui, il savait où était la porte de sortie et plus jamais il na la passerait dans l'autre sens, lui non plus.

Des piques, il y a des aiguilles partout qui la lacèrent et qui la brûlent. Qui la piquent, qui l’abîment et qui lui donnent envie de pleurer. Elle se retient, aussi bien physiquement contre le meuble qu’émotionnellement derrière ses paupières. Ressasser le passé est une valeur sûre et forcer de constater que ça fonctionne de façon remarquable. Lizzie aurait encore une chance de le retenir, là, maintenant, tout de suite. La porte de sortie peut être transformée en porte d’entrée si seulement elle choisissait les bons mots, si les minutes qui s’étendent la réveillent et lui faire prendre conscience du mauvais choix qu’elle est en train d’effectuer à ce moment précis. Elle pourrait encore se faire pardonner, balayer cette mauvaise estime qu’il a toujours eu de lui-même, lui prouver que si, elle a commencé à lui pardonner et qu’elle le veut de nouveau dans sa vie, pleinement et complètement.
Mais Lizzie tient bon, elle n’a pas l’intention de changer de trajectoire et c’est bien là tout le problème.

« Ne me pardonne pas. On sera quitte, comme ça. » Comme si on peut résumer la situation comme ça. Une simple passation de fardeau et puis voilà, affaire suivante. Seulement, Wren sera l’affaire suivante et sûrement encore celle d’après. Il n’y a pas de juste milieu le concernant, c’est souvent comme ça les concernant. « Je pense que tu devrais partir. » Parce que les mots vont finir par la faire s’écrouler. Il est violent avec elle et la dernière fois qu’il l’a été, elle a eu des séquelles suivies d’une très longue absence. Là, elle est violente en première mais lui est honnête. Lizzie ne peut pas continuer à l’entendre parler comme ça. Elle peut craquer d’une minute à l’autre et ce n’est pas envisageable.

Elle n’aura qu’elle-même à maudire pour tout ce qu’elle ressent, pour le sourire mauvais de Wren, pour son regard tempêtueux qu’il lui lance. Lizzie ne dira rien, elle le regardera simplement lui tourner le dos, douloureusement, avant de finir avachie au sol. Ce n’est qu’une question de minutes - et sûrement de fierté - avant qu’elle ne s’écroule. Et cette fois, sans les bras puissants d’un suédois mais juste les siens, trop petits et pas suffisants. Planter la vis ultime du tombeau de leur relation avant même qu’elle ait pu avoir de nouveau recommencer. Souffrir et pleurer jusqu’à finir amorphe dans la cuisine, recherchant sûrement un autre cachet pour que la peine s’arrête. Quitte à stopper son cœur dans le processus.