(dovercourt center) Il s’est inscrit pour plusieurs raisons, malgré tout. Il s’est inscrit parce qu’il a encore besoin de trouver n’importe quelle raison pour sortir de chez lui plutôt que de rester tourner en rond à se remémorer à quel point chaque minuscule interaction avec son père d’adoption lui manque depuis sa disparition, il s’est inscrit parce que la cause lui tient à coeur, il s’est inscrit parce qu’il a besoin de créer du contenu, il s’est inscrit parce que la Pride de Brisbane approche à grand pas et qu’il ne voulait pas arriver au dernier moment. Tout est stratégique, il est le premier à le reconnaître en son for intérieur ; mais tout est stratégique à des niveaux et pour des raisons différentes. Venir à l’association lui fait penser à Ruben, et il s’agit de la raison première pour laquelle il ne s’y est pas déjà donné corps et âme maintenant qu’il a un peu plus le temps de s’y adonner puisqu’il n’est plus en train de chanter pour les Sand Witches et qu’il se concentre sur son seul travail auprès de Camil. Mais là encore, ça ne suffit pas pour l’occuper assez, véritable petit hyperactif qui ne jouirait d’aucun diagnostic.

Son téléphone jusque-là rangé dans la poche de son pantalon, il a arpenté les quelques mètres constituant les locaux de l’association pour écouter un brin des différents ateliers proposés. La majorité d’entre eux n’attirent son attention que par politesse alors que seul celui tenu par un certain Jesse (aka “sympa mais prends pas mal ce qu’il pourrait te dire”) attire sincèrement son regard. Après tout, puisque cela se rapporte au chant, cela touche son propre domaine d’expertise ou, à défaut, sa propre passion. Depuis qu’il ne chante plus pour les Sand Witches, il se contente de rêver en silence de la vie d’artiste qu’il ne connaîtra jamais, ayant lui-même choisi de vouer son avenir à une cause bien différente, bien plus impactante aussi. Plus importante. Il profite néanmoins qu’une salle ait été allouée à l’atelier pour se placer dans le fond de cette dernière, tentant de se faire aussi petit que possible pour ne pas déranger les personnes présentes. Il devine déjà que pour certains d’entre eux, avoir osé faire le déplacement jusqu’au Dovercourt Center et surtout pour Manzili relève du miracle. Il a toujours su qu’il avait été chanceux de naître dans une famille tolérante où son orientation sexuelle n’avait pas fait l’objet du moindre débat ou propos déplacé. Après tout, il a aussi eu la chance de passer après James, qui avait annoncé sa propre bisexualité. C’est avec curiosité autant qu’avec empathie qu’il observe les différents profils présents dans la salle, étonné dans l’aspect particulièrement hétéroclite de la foule. Malgré tout, il en profite d’être dos à eux pour prendre quelques photos et vidéos de l’instant, conscient qu’il prendra le temps de les trier une fois chez lui, le soir venu.

Il attend que la pause soit annoncée pour gommer la distance le séparant dudit Jesse, chef d’orchestre temporaire de cette foule débutante. Sa curiosité est piquée depuis longtemps alors qu’il se demande ce qu’une personne telle que lui peut bien exercer comme travail au quotidien, quand elle ne travaille pas les vocalises d’inconnus. « Ils sont toujours aussi nombreux ? Ce sont les mêmes qui reviennent ? » Il questionne sans y mettre davantage les formes, partant ainsi du postulat qu’ils sont quelque chose comme des collègues s’ils sont bénévoles dans la même structure - et estimant ainsi que des courbettes ne sont pas nécessaires avant de s’adresser à l’un l’autre, surtout. « Ils avaient l’air très intéressés en tout cas. C’est pas donné à tout le monde de captiver un public. » Il ajoute finalement dans un sourire simple, sans doute dans une tentative un brin maladroite de se faire sa place dans l’association à son tour.

« Quand vous chantez, ne vous tenez pas comme si vous étiez affalé.e dans votre canapé. Est-ce que vous avez déjà vu Beyoncé chanter affalée ? Je ne crois pas. »

« Ne respirez pas avec vos poumons. »

« Répétez. L’abeille coule. L’abeille coule. L’abeille coule. ….. Vous voyez, la prononciation, c’est important. »

Si Jesse avait gagné un dollar à chaque fois qu’il avait répété ces conseils vraiment basiques, il aurait sans doute pu acheter un joli petit studio en centre-ville depuis le temps qu’il animait ces ateliers. Chaque atelier débutait par un un échauffement vocal et se poursuivait par des jeux et exercices variés, collectifs ou par petits groupes. L’accent n’était pas tant mis sur la technicité - d'où les conseils très basiques pour la plupart. Jesse se concentrait en priorité sur un aspect loisir et communautaire de la musique. Ce n'était pas un cours. C'était un atelier pendant lequel on pouvait apprendre deux ou trois trucs en chemin. Mais si des jeunes demandaient des conseils plus spécifiques ou des avis, Jesse les leur donnait. De toute façon, il aurait sans doute fait un piètre professeur. Il n'était pas très patient, et s'il se mettait en tête de faire des ces jeunes de très bons chanteurs, l'atelier aurait sans doute été moins appréciable.

Cette fois-ci, un étranger avait discrètement fait irruption au fond de la salle. Enfin, pas tout à fait étranger. Ambrose Constantine s’était joint à eux. Jesse le connaissait comme un gars qui essayait de s’insérer en politique. Il avait été prévenu de sa venue à Manzili, et n’avait rien prévu de spécial à cette occasion, et avait fait comme s’il n’était pas là.
Ce ne fut que quand il eut annoncé la pause, et que les jeunes se dispersèrent, que le Constantine se détacha du fond de la salle pour venir lui parler. Pas le saluer, cela étant. Jesse ne s’en formalisa pas : il s’en fichait.
« Aujourd’hui, ça allait je dirais. Des fois il y en a plus, des fois moins. J’ai un noyau solide de quelques jeunes qui viennent à chaque fois, le reste va et vient au gré des choses. » répondit-il en se laissant reposer sur une table à proximité, les bras croisés.
Tous ces jeunes n’avaient pas eu une vie très facile jusqu’à présent. Certains avaient beaucoup de problèmes qui les empêchaient de venir chaque semaine. Constantine louait la capacité à captiver un public, Jesse lui coupa presque la parole.
« Dis-moi, qu’est-ce que tu fais ici ? Est-ce que tu viens pour captiver l’attention de tes potentiels électeurs, ou est-ce que tu es vraiment intéressé par ce qu’on fait à Manzili ? »
Ça sonnait beaucoup plus sassy que ça ne l’était vraiment. Jesse se posait véritablement la question et ne cherchait pas à bloquer Constantine dans un coin. Mais les élections approchaient, et il ne lui semblait pas que Constantine se soit énormément penché sur les problématiques de la communauté LGBTQIA+ jusqu'alors. Pas suffisamment pour qu'il ne trouve pas sa venue à Manzili curieuse.

Il dodeline de la tête au gré de la réponse de Jesse, signe qu’il l’écoute même s’il ne trouve pas grand chose d’intéressant à ajouter. Il comprend l’idée que seule une minorité des personnes puisse être totalement fidèle au programme et que les autres se contentent de venir selon de nombreux facteurs qu’il ne peut sûrement même pas connaître lui-même. Il se demande s’il aurait pu lui-même faire partie d’un tel groupe, dans une autre vie. La vie qu’il mène actuellement ne l’a pas laissé se poser la question un seul instant, et il se dit que parfois elle est conditionnée à très peu de choses. « Dis-moi, qu’est-ce que tu fais ici ? Est-ce que tu viens pour captiver l’attention de tes potentiels électeurs, ou est-ce que tu es vraiment intéressé par ce qu’on fait à Manzili ? » Le regard du plus jeune cesse de se positionner sur la salle toute entière pour désormais prioriser Jesse. La question pourrait paraître surprenante mais il est préparé à toutes sortes d’attaques et questions difficiles. Celle-ci n’est qu’un exemple parmi beaucoup d’autres possibles. « Je trouve que c’est intéressant de mettre en avant ce genre d’association. » Il s’est toujours promis de ne pas expliquer ses actions politiques par sa propre orientation sexuelle parce qu’il refuse qu’il existe un lien entre l’un et l’autre. Sa carrière politique est motivée par ses aspirations et sa morale, mais il refuse que sa sexualité s’ajoute à ce mélange. Elle ne change pas sa façon de penser, elle n’a pas à le définir non plus.

« Je te laisse toute l’attention, si c’est ta question. » Il esquisse un sourire qui pourrait aisément être qualifié comme hautain, quand bien même il n’en pense pas de même. Il est sérieux, Rose: il ne compte pas se faire passer pour un professeur à son tour, même alors qu’il pourrait se targuer de s’y connaître en musique. Ce n’est pas ce qui l’intéresse, sinon il aurait simplement préféré cette voie à la politique. « J’aurais sûrement pas la patience nécessaire. Ni la pédagogie nécessaire, en réalité. » Il rend aisément à Cesar ce qui est à Cesar, loin de vouloir empiéter sur les plates bandes du jeune homme face à lui. Si c’est une chose qui l’inquiète, alors Ambrose s’assure que cela ne l’inquiétera pas davantage. « Mais dis moi, qu’est-ce que vous faites vraiment à Manzili ? » Il est là par vocation, mais il est aussi là parce que cela représente un véritable intérêt pour sa carrière - et il n’a pas cherché à le nier face à Jesse, il en a simplement profité pour ne pas souligner, ni revenir sur le sujet. Ce n’est que de la rhétorique, après tout, et jamais il ne pourrait ressentir de la honte à s’en servir. Puisque l'homme face à lui semble vouloir défendre l'association bec et ongle, il devient de fait la personne idéale à questionner. Ambrose se servira desdites réponses dans un second temps. Pour l'heure, il apprend encore à connaître la personne face à lui, tout en tentant sans doute de la rassurer un brin sur ses propres intentions ; le tout sans jamais trop en dire.

Réponse de politicien.
Jesse n’était pas très satisfait de cette réponse car elle ne répondait pas vraiment à sa question. Il ne fit aucun commentaire oral, mais son expression non-impressionnée devait parler à sa place. Constantine ne se mouillait pas trop. Bien sûr qu’il n’allait pas dire qu’il s’en fichait. Ni même qu’il faisait ça que pour sa réputation. Jesse espérait juste un peu plus.
« Je te laisse toute l’attention, si c’est ta question. »
Il le prenait de haut là, non ? Jesse n’était pas très sûr. Ça ne l’empêcha pas de répondre du tac-au-tac, avec un petit sourire presque confus aux lèvres.
« Ce n’était pas ma question mais ok. »
Constantine s’arrangea rapidement pour réorienter le sujet vers l’association. Jesse appréciait moyennement la formulation tirée de sa propre question. Ca lui évoquait beaucoup une construction en miroir pour souligner une opposition dans les fictions. Sous-entendant qu’ils n’étaient pas du même côté, indirectement. Ou il avait peut-être vu trop de films et comédies musicales.

Ceci dit, le changement de sujet en lui-même n’était pas une si mauvaise chose.
« On donne à ces jeunes une communauté à laquelle se rattacher. Ils ont été lâchés par leur propre famille. L’école n’est souvent pas beaucoup mieux. Certains ne parviennent pas à s’ouvrir, à se faire des amis parce qu’ils ne se sentent à leur place nulle part ailleurs. » répondit alors Jesse en regardant autour de lui distraitement, commençant déjà à avoir un peu la bougeotte.
Il avait un jour réalisé à quel point il avait eu une expérience privilégiée à côté d’autres personnes. Ses parents ne l’avaient pas jeté dehors parce qu’il était gay. Son père n’était pas emballé par l’idée et ça se ressentait, mais il l’avait accepté et continué à aimer sans chercher à le faire devenir hétéro. Sa mère avait été d’un soutien inconditionnel. Jesse était convaincu qu’en fait, elle adorait avoir un fils gay. Après avoir fait cette réalisation, il avait voulu s'impliquer.
« Je pense que ça leur fait aussi du bien d’être en contact avec des adultes qui sont comme eux, qui sont capables de les comprendre au moins un peu. Et voir qu’on peut s’en sortir malgré tout. »
Avoir une famille qui le soutenait ne préservait Jesse des discriminations du monde extérieur. Il redirigea son regard vers Constantine.
« Je ne connais pas tous les bénévoles ici, mais il ne me semble n’en avoir vu aucun qui soit cis-hétéro. »
Non, ce n’était pas visé du tout. Il ne faisait que constater, énoncer un fait.

« Ce n’était pas ma question mais ok. » Il sait bien que ce n’était pas sa question ; Ambrose lit parfois en travers mais dans le cas présent, il ne faisait face à aucune nuance. Simplement, il sait que tout le monde aime retrouver son ego flatté de temps à autre, surtout les hommes, et il lui offre cette idée sur un plateau d’argent sans même qu’il ait eu à la demander: cela ne peut que ravir la personne concernée, pas vrai ? Il ne dit pas avoir gagné son coeur, loin de là, mais tout n’est pas si pire dans cette conversation. En réalité, il préfère surtout s’intéresser à Manzili plutôt que de déjà créer une guéguerre avec un des intervenants de l’association. Il connaît sa propre difficulté à la résilience et l’objectif n’est pas de se brûler les ailes avant même d’avoir appris à voler, raison pour laquelle il s’en remet à ses mots lorsqu’il présente davantage l’objectif de l’association. Il a beau dépeindre des cas de figure qui n’ont jamais été un problème pour Ambrose, n’en reste pas moins que le garçon acquiesce avec souci: il imagine très bien à quoi peut ressembler une telle vie et ne le souhaite évidemment à personne.

« Je ne connais pas tous les bénévoles ici, mais il ne me semble n’en avoir vu aucun qui soit cis-hétéro. » La remarque manque sans doute de finesse, mais il apprécie malgré lui l’audace de l’inconnu à qui il décoche un sourire particulièrement amusé. « Tu penses qu’il faut être concerné par les problèmes de discrimination pour pouvoir en parler ? » Il ne répond pas à la question implicite de Jesse mais en pose une autre à la place, pour laquelle la réponse l’intéresse sincèrement. Il ne sera pas le premier cis-hétéro bénévole à l’association, non, mais il veut croire qu’il aurait malgré tout été touché par une telle cause même si elle ne le concernait pas personnellement. Après tout, il n’a jamais souffert de son orientation sexuelle. « Je suis compté dans cette affirmation, d’ailleurs ? » Il traîne derrière lui tout le scandale médiatique autour de Saül Williams, ce qui l’a amputé de toute capacité à parler librement de sa sexualité et d’en donner à quiconque l’exclusivité. L’histoire a de nombreuses couches et de nombreux problèmes mais Ambrose n’en restait pas moins consentant, tout comme Saül n’a pas été son coup d’essai en matière d’hommes. Simplement, cela relève du privé que personne n’a besoin de connaître avant de voter pour lui. C’est encore la raison pour laquelle il tente de préserver les maigres parties de sa vie qui peuvent encore l’être après une telle histoire, raison pour laquelle aussi il se montre curieux de connaître l’avis que des inconnus peuvent se faire de lui, même alors qu’il met désormais les pieds dans une association à l’objectif marqué. « Simple question de curiosité. » Il finit par ajouter, soucieux de lui faire comprendre que son attitude ne risque pas de changer, peu importe l’étiquette que Jesse pourrait lui poser sur le front. « Je trouverais ça dommage que la question de l’inclusivité ne semble concerner que ceux qui sont directement touchés. » Et en réalité, oui, il trouve effectivement ce point particulièrement dommageable.

Pour Jesse, Constantine c’était un type qui s’était fait connaître grâce à un scandale politico-sexuel impliquant un ex. S’il ne doutait pas de la véracité des accusations portées, il ne pouvait s’empêcher d’y voir la volonté cachée de se lancer dans la sphère publique. Et dans la foulée de ces révélations, il avait annoncé ses fiançailles avec une femme. Pourquoi avait-il fait ça ? Pour draguer l’opinion un peu plus conservatrice ? Il fallait bien au moins ça pour mieux faire passer la pilule à certains. Mais le timing avait été si mal choisi. Jesse en gardait un arrière-goût amer car il craignait que ça n'avait fait que renforcer certaines croyances nauséabondes.
La vérité, c’était qu'il avait beaucoup appréhendé la venue de Constantine à Manzili. On lui en avait parlé en amont, et il ne s’était pas montré très enthousiaste pour cette raison. Il avait consenti à faire des efforts seulement pour les retombées positives pour l’association. Mais il ne savait pas où tout ça allait mener exactement.

Constantine arborait un large sourire en lui demandant son opinion sur la légitimité des personnes non-concernées par les discriminations à parler de celle-ci. Encore une fois, il posait plus de question qu’il ne répondait aux siennes. Jesse redirigea son regard vers Constantine, avec un sourire interrogateur.
« Bien sûr que non. C’est important que tout le monde puisse parler contre n’importe quelle discrimination. Les gens sont capables de les voir, de ressentir de l’empathie et de comprendre – l’humanité quoi. Mais c’est encore différent de comprendre parce qu’on le vit. » répondit-il alors en montant sur la table derrière lui pour s'y asseoir en tailleur, comme si cette réponse était évidente.
Dans cette même continuité, Constantine lui posa une autre question, qui le concernait lui. Jesse n’y réfléchit pas beaucoup avant de répondre avec toute la franchise du monde.
« Oui, je pense. »
Constantine avait entretenu une relation avec un homme. Même s’il faisait dans la politique, Jesse partait du principe qu’il n’avait pas menti sur ça. Jusqu’à l’annonce du contraire, ça signifiait que Constantine était inclus dans son affirmation.

Celui-ci émit une petite opinion pour la première fois depuis le début de la conversation. Et il semblait que leurs opinions divergeaient quelque peu. Ça suffisait pour interpeler Jesse qui, cette fois-ci, prit un peu plus de temps pour réfléchir à sa réponse, son regard se perdant dans le décor car regarder directement Constantine le déconcentrait.
« Ce n’est pas qu’on exclue les cis-hétéros. En devenant bénévole, on ne remplit pas de formulaire nous demandant quelle(s) lettre(s) du LGBTQIA+ nous sommes, encore moins des preuves. C’est qu’ils ne viennent pas (ou je ne leur ai juste jamais parlé). Je ne pense pas que ça soit une particulièrement bonne chose, mais c’est loin d’en être une mauvaise. Je pense qu’on a besoin d’espaces pour n’être qu’entre nous. Et si Manzili devait être cet espace aux yeux des jeunes, ça ne me dérangerait pas. »

Il sait qu’il le coince avec ses questions et c’est exactement ce qu’il cherche à faire, la réponse de Jesse étant assurée par avance dans ses grandes lignes: évidemment qu’il ne faut pas être d’une orientation sexuelle particulière pour défendre la cause ; et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Évidemment aussi que recentrer leur discussion sur un sujet plus global évite à Ambrose d’avoir à répondre pour lui-même et surtout pour sa propre orientation sexuelle qui, loin d’être un secret ou même une source de honte, n’est pas ce à quoi il souhaite être résumé. Il a trop d’ambition pour cela. « [...] Mais c’est encore différent de comprendre parce qu’on le vit. » Mais sur ce point, il ne s’aligne pas avec la majorité des personnes qui fréquentent Manzili: il n’a jamais expérimenté le rejet à cause de son orientation sexuelle, que ce soit de la part de sa famille qui l’accepte pleinement que de ses proches dans la confidence qui, à leur tour, n’ont rien exprimé de négatif sur le sujet. « Sans doute, oui. » Il rétorque, un brin songeur. « Oui, je pense. » Il répond sans sembler y réfléchir davantage, incluant de ce fait Ambrose dans le spectre des personnes dont l’orientation sexuelle peut porter n’importe quel nom autre qu’hétérosexuelle. Sans répondre quoi que ce soit à cette idée, Constantine se contente d’étirer un sourire amusé. Il devrait sans doute se demander ce qui le pousse à penser une telle chose, mais en réalité il s’en moque passablement.

« Ce n’est pas qu’on exclue les cis-hétéros. En devenant bénévole, on ne remplit pas de formulaire nous demandant quelle(s) lettre(s) du LGBTQIA+ nous sommes, encore moins des preuves. C’est qu’ils ne viennent pas. Je ne pense pas que ça soit une particulièrement bonne chose, mais c’est loin d’en être une mauvaise. Je pense qu’on a besoin d’espaces pour n’être qu’entre nous. Et si Manzili devait être cet espace aux yeux des jeunes, ça ne me dérangerait pas. » De son côté, Ambrose ne sait quoi penser d’une telle analyse. Il y voit du juste et il est le premier désolé de ne pas pouvoir complètement lui donner tort lorsqu’il avance que les personnes concernées par la cause sont en immense majorité celles qui passent les portes de l’endroit ; mais ce n’est pas pour autant qu’il accepte la conclusion selon laquelle cela représente une bonne chose. Que les personnes peu ouvertes d’esprit soient exclues est une bonne chose, ça oui, mais l’immense majorité de la population ? Sans doute pas. « Peut-être que je devrais vous laisser cet espace, alors. » Il rétorque sans haine, sans reprocher quoi que ce soit à Jesse non plus. Après tout, il n’est pas venu mener un interrogatoire et il n’a sûrement rien à y gagner à ainsi étancher la soif de curiosité de l’homme face à lui. Il reviendra, pour sûr, mais il a bien le temps de le faire à d’autres occasions. « S’il y a besoin d’un co-animateur pour le chant, j’ai les bases. » Et ce n’est pas parce qu’il a enregistré un album avec les Sand Witches qu’il se considère comme une star ou Dieu sait quoi: il a toujours préféré l’écriture et ne l’a jamais caché. Simplement, l’un est venu avec l’autre et aujourd’hui il a quelques connaissances qu’il aimerait partager de temps à autres, surtout dans une telle organisation, surtout s’il peut en parler autour de lui et que des témoins peuvent le confirmer. En d’autres termes, cela représente sans doute l’endroit rêvé pour Ambrose. « Et un numéro. » Qu’il gribouille en attrapant stylo et papier sur la table face à lui, sans demander son reste. « Je suis plus loquace sur le sujet musical. » en comparaison au sujet propre à son orientation sexuelle, notamment. Il espère simplement que Jesse ne se réfugiera pas dans sa bulle en décrétant vouloir être entre eux. Ambrose n'est pas différent, pas le moins du monde, et peut-être qu'il cherche à son tour un minimum à appartenir à une communauté.

Jesse exprimait une opinion qu’il savait ne pas faire consensus. La question de l’exclusivité dans les espaces militants était un long et riche débat. Et encore, il ne pensait pas avoir une opinion très extrême. Il croyait en la force du compromis, dans ce cas-là. La cause avait besoin de la majorité non-concernée pour avancer pour, qu’à terme, l’exclusivité ne soit plus un besoin ou une nécessité pour certains. Il trouvait Constantine particulièrement mutique sur ce sujet. En tout cas, sa réaction était un peu différente par rapport à ses autres réponses. Jesse en concluait qu’il n’était pas d’accord avec lui, ce qui ne le dérangeait pas.
Avec une certaine élégance, Constantine mit fin à ce débat qui aurait pu facilement devenir houleux s’il avait renchéri sur une autre question. Il nota son numéro de téléphone sur un morceau de papier qui traînait là, l’invitant à l’appeler s’il avait besoin de quelqu’un pour co-animer l’atelier.
« Je suis plus loquace sur le sujet musical. »
Jesse voulait bien le croire.
« Et quelles sont ces bases ? Tu sais un peu chanter, ou tu sais chanter ? » demanda-t-il alors en prenant le morceau de papier.
Il jeta un coup d’œil aux chiffres écrits juste pour le geste – aucune chance pour qu’il mémorise le numéro, avant de le glisser dans sa coque de téléphone avec tout un autre pense-bête oublié et un billet de dix dollars. A vrai dire, il était assez surpris d’apprendre que Constantine avait peut-être un talent particulier pour la musique. La politique et le scandale étaient les seuls angles sous lesquels il le connaissait.
« Si tu proposes, c’est que tu penses assez bien te débrouiller, et je ne suis pas fermé à ton offre. Qu’est-ce que tu chantes ? »
Ce n’était pas absurde de supposer que Constantine était un assez bon chanteur. Ou qu’il s’estimait assez bon pour proposer son aide pour un atelier de chant. Les jeunes n’avaient pas du tout besoin de bien chanter pour être accepter, mais Jesse exigeait que de potentiels co-animateurs soient capables de chanter au moins trois notes justes.