(aéroport, février) Il doute du bien fondé de son idée, désormais. ll doute qu’avoir proposé de venir la chercher à l’aéroport dès son retour au pays puisse avoir quoi que ce soit d’une bonne idée, même. La seule bonne chose dans tout ça, c’est qu’il a l’argent nécessaire pour payer le taxi à l’aller autant qu’au retour ; mais puisque cet argent provient de la mort de son père d’adoption, tout est à relativiser, n’est-ce pas ? Elle était à Los Angeles, entourée de stars et de paillettes, et l’idée qu’elle retrouve son quotidien morne lui tord le cœur, parce qu’il va simplement aider à rendre les choses plus grises, tristes et sans saveur encore. Peut-être même qu’elle finira par regretter de ne pas être repartie avec toute sa famille après les fêtes. Eux, aussi énergivores puissent-ils être, ne lui mentaient pas.

Après avoir vérifié son terminal et son heure d’arrivée, il a décidé d’aller la chercher dès la sortie de la sécurité de l’aéroport plutôt que de simplement le faire en dehors du taxi. Il est toujours aussi pressé, il court toujours autant à droite et à gauche et il aurait bien d’autres choses à faire, oui, mais il refuse de la traiter comme un vulgaire objet dont il pourrait disposer à sa convenance. S’il s’arrête à tout arrêter, en réalité, cela n’a rien d’une véritable envie de sa part et bien au contraire: Ambrose pense qu’il s’agit de la meilleure chose à faire, pour lui autant que pour elle. Cela traduit le simple fait qu’il aurait dû y réfléchir davantage avant de foncer tête baissée dans leurs pseudo-fiançailles, mais cela traduit aussi le fait que sa vie a bien trop changée depuis le début de la nouvelle année pour qu’il puisse continuer avec les mêmes acquis de l’année précédente. Il a perdu et retrouvé Ruben ; il a perdu et jamais retrouvé Norman. Ca l’a travaillé, ça l’a fait réfléchir, ça lui a donné l’envie de retourner le monde. Et ça a des conséquences sur Cassandra, sans qu’il n’ait la moindre envie de lui faire des reproches quant à leur accord. Elle a tenu son rôle, elle l’a toujours fait.

Quand il reconnaît sa chevelure blonde, il esquisse un sourire sincère. Il n’est pas amoureux, non, mais ça ne l’empêche pas le moins du monde d’être simplement heureux de la retrouver, surtout alors qu’il anticipe déjà l’idée que c’est peut-être la dernière fois qu’ils se voient. « Hey. » Le brun souffle, simple et sobre, avant d’embrasser sa tempe. Il aurait pu avoir ce geste à son égard sans que ce soit réfléchi, stratégique, ou Dieu sait quoi d’autre encore. Néanmoins, il ne peut s’empêcher de penser que les bruits de couloir peuvent naître de n’importe où et il est hors de question de donner à manger aux coloporteurs. Ils en auront bien assez d’ici peu de temps. « Tout s’est bien passé ? » Pour les Grammy, il se doute que oui, mais il parle bel et bien de Cassie et pour elle seulement, pas l’artiste qu’elle représente et dont les récompenses ne seront jamais siennes. Pour l’avion, aussi, il demande, il cherche à savoir. « Je me disais que tu voudrais peut-être rentrer à la maison le plus vite. » Elle doit être extenuée par le voyage autant que le décalage horaire, et sur ce simple point, il ne ment pas non plus. Simplement, il ne précise pas qu’il attend surtout qu’ils soient dans la voiture pour entamer leur véritable discussion, laquelle ne peut pas avoir lieu entourée du moindre inconnu. « Je nous ai commandé àmanger. » Et surtout, surtout, il la caresse dans le sens du poil pour qu’elle ne fasse pas d’esclandre le moment venu. L’attitude d’un homme qui sait que la faute repose sur lui.

Le retour à la réalité est presque trop brutal pour être vraiment bien intégré. L’effervescence du séjour bourdonne encore dans ton crâne -à moins que ça ne soit l’excès de champagne ou peut-être le décalage horaire- et il faut désormais se préparer à la suite des événements. Si tu n’es pas directement concernée par l’obtention des récompenses, il n’en reste pas moins que tu as été en première ligne pendant tout le process qui a mené au moment où Midas est monté sur scène pour les récupérer. Presque aussi fière que si c’était toi qui avait tenu le trophée bien haut sous l’oeil attentif des caméras et des spectateurs. La consécration d’années de travail acharné, la gratitude dans ses mots, tout ça, ça marque un nouveau tournant dans sa carrière. T’es heureuse pour lui et même les stinky eyes balancés en coin par Jo n’auront pas eu raison de l’ambiance.
Sur le moment, tout le monde a eu du mal à y croire -bien que ça n’a rien de surprenant-, dans l’avion, tout le monde avait encore du mal à y croire, et en arrivant à l’aéroport, pareil. Il faut désormais redescendre de son petit nuage et commencer à préparer la suite. Bien évidemment, tu as déjà un coup d’avance mais tu as promis de laisser une à deux semaines de battement histoire que lui et la Carter puissent se reposer. De ton côté, ça te laisse amplement le temps de peaufiner les détails de tout ce qu’il y aura à faire ensuite mais surtout de préparer la transition à venir.
Ambrose, en parfait fiancé qu’il est, a proposé de venir te récupérer à ton arrivée à Brisbane ; “parfait”, as-tu répondu, peu friande à l’idée de devoir faire appel à un Uber avec plus de douze heures de vol et le jetlag qui va avec. Là, tu vas pouvoir rentrer directement, prendre un bain d’environ une heure et aller te coucher directement si tu ne t’endors pas dans la baignoire avant.
L’équipe se dit au revoir, félicite encore les artistes et se sépare finalement, tous très désireux d’enfin pouvoir rentrer chez eux. Toi non plus, tu ne traînes pas. Pas d’effusions, pas de sentiments qui débordent, tout a déjà été dit et redit. Ta valise récupérée, tu t’éclipses à ton tour pour être accueillie par le brun qui vient t’accueillir comme il faut pour maintenir l’illusion et tu ne lui offres qu’un sourire fatigué, visiblement épuisée par le voyage et le surplus d’émotions qu’il a procuré. « Tout était parfait, oui. » L’accueil sur place, la réactivité des organisateurs et des équipes, aucun accroc à signaler et c’est tout ce que tu pouvais attendre. « Tout était fou, franchement t’aurais dû venir, » c’est même pas un reproche, loin de là, juste un constat. Ayant passé du temps au sein d’un groupe dont la renommée n’est plus à faire, il aurait largement été dans son élément. « Et toi ? Ça s'est bien passé avec Beyoncé ? » Le sourire est taquin, qu’il s’occupe d’elle pendant ton absence a été ta seule requête. D’ordinaire tu t’arranges autrement, mais puisqu’il avait les clés, t’en as un peu profité. « T’as pas idée, j’ai juste hâte d’aller m’allonger, là. » C’est pas tant que t’as mal dormi, dans l’avion, après tout il y avait tout le luxe et le confort nécessaire, mais y a clairement rien qui compare avec un retour au bercail. « Oh… J’ai mangé dans l’avion, déjà. » Sur un vol longue durée comme ça, forcément. « Mais si toi non, te prives pas pour moi, vraiment. » Premier réflexe une fois installée dans la voiture, reculer le siège à fond et étendre tes jambes au maximum. Pour le coup, tu vas bien profiter d’être une passenger princess, pas de doute là-dessus. « Midas a demandé à te rencontrer. » C’était qu’une question de temps, après tout.

« Tout était fou, franchement t’aurais dû venir. » Et avec le recul, il regrette de ne pas l’avoir fait. C’est un monde qu’il connaît à son niveau, c’est à dire pas grand chose, mais qu’il aurait sans doute adoré découvrir de l’intérieur. Il sait que ses accès auraient été plutôt limités parce que Cassie n’est pas directement dans l’industrie elle-même, mais justement il aurait pu profiter d’un certain anonymat et ne pas voir son étiquette politique tachée par ce genre de soirées extravagantes. Au final, il n’en a rien été, et il sait qu’il va devoir se contenter du récit qu’elle en fait, elle qui se montre toujours aussi extatique malgré les nombreuses heure d’avion et presque autant de décalage horaire. Il se garde de lui répondre qu’il viendra la prochaine fois, déjà certain qu’il n’y aura justement aucune prochaine fois. Pendant un instant, il remet tout en question et se demande si justement il n’est pas celui qui s’apprête à faire une erreur, alors qu’en réalité il continue de penser que la seule erreur date de près d’un an, quand il a décidé de se prendre pour un putain d’acteur.

« Et toi ? Ça s'est bien passé avec Beyoncé ? » - « On est devenus intimes, elle et moi. » En d’autres mots, s’il y a bien au moins une chose dont elle n’a pas à s’inquiéter, c’est la façon dont il s’est occupé de son chat, laquelle se porte à merveille et a sûrement à peine pris en compte l’absence de Cassie. « Oh… J’ai mangé dans l’avion, déjà. » Il se mord l’intérieur de la joue, un brin mis à mal que son seul bon élan de volonté coule aussi rapidement à pic. « J’avais pas vraiment faim. On le gardera au frais. » Elle le gardera au frais, du moins, parce qu’il ne sera pas davantage présent dans son appartement à l’avenir. Il anticipe déjà qu’elle n’acceptera plus de l’héberger à titre gracieux si elle n’a plus rien à y gagner de son côté, et il le comprend d’autant plus qu’il en aurait fait de même à son tour. « Midas a demandé à te rencontrer. » Il prend le temps s’attacher sa ceinture avant de répondre, comme s’il avait besoin d’une quelconque protection de la sorte face au futur courroux de Cassie. « Je suis pas certain que ce soit une bonne idée. » Il veut le rencontrer parce qu’il gravite autour de Cassie ; à la seconde où elle ne sera plus dans l’équation, il n’aura plus aucune raison de vouloir le rencontrer et Ambrose le premier acceptera l’idée sans chercher à négocier. Ils ne se doivent rien, ils ne se connaissent pas, et ce n’est pas au niveau où Ambrose chante qu’il risque d’exister dans le quotidien d’une star mondial telle que Sterling. « Je voulais te parler d’un truc en fait, justement. » Un truc qui ne pouvait pas attendre qu’elle ait le temps de s’installer après son voyage, ce qui laisse entendre que cela représente un certain empressement pour Ambrose malgré tout. « J’ai bien réfléchi pour le mariage, tout ça… et je suis pas certain que ce soit viable sur la durée, au final. » Leur mensonge, leur bonheur. Les attentes. Tout, absolument tout. Sa vie a été largement bousculée en début d’année et il a revu l’ordre de ses priorités, un ordre dont Cassie ne fait pas partie malgré l’affection sincère qu’il a appris à cultiver au sujet de la jeune femme. Ce n’est pas de l’amour et cela ne le sera jamais, parce qu’il sait ce que c’est que d’aimer quelqu’un plus que soi et il sent que ce ne sera jamais le cas envers elle. Tout comme elle n’en ressentira jamais autant envers lui, et ce n’est pas ce qu’il lui demande. Simplement, cela rend leur mensonge d’autant plus difficile à tenir, pour ne pas dire impossible Inhumain.