Blue flame

@Jasper Wickham (@Quinn Callahan)

You're so eager to do good, you have a big blue flame shooting out of your asshole.

L’annonce de la blonde avait été une piqure douloureuse pour Caelan et elle laissait un poison s’immiscer jusqu’à son coeur par le biais de ses veines. Il soupçonnait ladite piqûre d’être la cause de son palpitant qui s’était emballé et de la chaleur qui avait irradiée son corps tout entier. Caelan n’est pas un habitué des ragots, des on dit, des messes basses et de tous les synonymes associés. Il est encore moins habitué au mensonge bien que ces derniers temps il s’adonne à la dissimulation avec brio. Le résultat est que, même après trente cinq années de vie, il est toujours un bien piètre menteur et qu’il a eu bien du mal à cacher son malaise lorsque son ancienne tutrice lui a annoncé la nouvelle mission dont on l’avait affûblée. Une contre expertise. Une putain de contre expertise. Et elle de le rassurer sur les tests réalisés par son équipe, de lui dire que tout est de la faute des lobbies mais qu’elle est certaine de leur sérieux et de leur intégrité. L’intégrité ; tout ce dont ils avaient manqué. Ils avaient menti à tout le monde en pensant réellement bien faire. Le roux aurait aimé pouvoir dire tout ce qu’il avait sur le coeur à l’océanographe mais l’air lui manquait, alors il s’est contenté de quelques réponses toutes faites et d’un de ces sourires gênés dont il a le secret. Il lui a dit qu’elle allait avoir une mission facile, qu’elle aurait vite fait de confirmer tous les résultats de son équipe et celle de Jasper. En somme, il lui a menti droit dans les yeux pour le bien être de tous. Heureusement pourtant que son amitié avec son âinée l’a amenée à se confier à lui avant que l’information ne soit rendue publique. L’équipe n’avait pas encore commencé à se former, aucun test n’avait été sorti de son éprouvette et personne, en dehors des entreprises, des lobbies, des employés et d’un millier d’autres personnes, n’avait remis en cause leurs recherches. Le temps est donc compté, c’est pour cette raison que Leckie ne perd pas une seconde de plus et prévient aussitôt son ami et collègue par sms pour le sommer de le retrouver dans le parc de l’université. Pendant un instant il a réellement pensé qu’un coin lugubre et sombre serait assez discret pour parler de ce genre de secrets d’états et ensuite seulement il s’est souvenu de tous ces films qu’il déteste. Non, un endroit lugubre et sombre n’était assurément pas le meilleur choix de lieu pour rencontrer Jasper. Au contre, le plus simple pour cacher la vérité reste de l’exposer au yeux de tous. Ca, il l’a appris dans le film Paul. L’alien ressemble réellement à un cliché de film de série z et c’est pour cette même raison que personne ne pense qu’il en est réellement un ; alors que la vérité était sous les yeux de l’Humanité toute entière depuis le début. Il ne criera pas à tout le campus qu’il a falsifié des résultats mais au moins leur rencontre pourra avoir l’air tout ce qu’il y a de plus normal, de deux collègues qui se rejoignent après une longue journée de travail. De toutes ces choses absolument fausses vu qu’ils ne sont pas à ça près.

Le sms était vague, peut être trop vague même. Oui, il était définitivement trop vague. Caelan s’en veut déjà, parce qu’il a dit à Jasper de venir au plus vite tout en rajoutant “mais ne t’inquiète pas”. Il a laissé plané le doute alors que oui, bien sûr qu’il va s’inquiéter. Il le connaît depuis bien assez longtemps pour anticiper ses réactions mais la panique a sans doute pris possession de son corps et de ses moindres réactions. Il passe donc son temps à s’asseoir et se lever de la table en bois, de poser ses fesses tantôt sur le banc et tantôt sur la table, de consulter son téléphone comme s’il attendait un sms de son amoureuse. Enfin seulement, le brun aux sourcils droits (chose enviée par le roux depuis le premier jour) le rejoint et il ne tarde pas à être assaillit de paroles avant même qu’un bonjour ne se fasse entendre. Ils n’avaient définitivement pas le temps pour les bonjour et même si Caelan avait stoppé tous ses tics pouvant trahir sa panique, il n’en pensait pas moins. « Wickham on a un problème, du genre Houston mayday sos. » Cette habitude d’appeler les gens par leur nom de famille n’est pas prête de s’évanouir. Il le fait sans aucune raison particulière et avec toutes les personnes qu’il est susceptible de croiser. Seule sa jumelle et ses frères semblent en être exemptés, la faute au patronyme qu’ils sont voués à partager jusqu’à la fin de leurs jours. Il retourne se poser sur le banc, ses doigts tapotant sur le bois à intervalle réguliers. « Ils ont engagé une contre-expertise. » L’annonce tombe sans plus de cérémonies, il ne lâche pas son ancien beau frère des yeux. Ils ne sont plus des enfants, le temps où il souhaitait sa mort est révolu et celui où il voulait le protéger n’est jamais arrivé. Ils sont deux scientifiques qui ont fait des choix aux lourdes conséquences après y avoir mûrement réfléchi et voilà que leur château de carte va devoir faire face à une tornade. « Quinn Callahan. C’est elle qui dirige l’équipe … je la connais. » Une putain de tornade. « Connaissais. » Il précise, toujours, tentant d’éviter au maximum les confusions. « Enfin, si, je la connais toujours. Il faut qu’on lui en parle avant qu’elle ne découvre tout. » Il se perd lui même dans ses explications mais arrive miraculeusement à en venir aux faits. Son instinct lui crie qu’ils doivent tout raconter à leur aînée pourtant il sait que son collègue ne sera pas du même avis ; il le sait et ça lui pince déjà le cœur de savoir qu’ils vont avoir un argument houleux qui décidera du reste de leur vie. Du reste de leur carrière en tout cas ; ce qui se résume à leur vie entière pour les deux passionnés. Mais pas de pression, non, bien sûr. Aucune. « L’information n’est pas encore officielle. » Il parle avec une froideur qui ne lui ressemble pas et a passé plus d’une minute sans tenter une blague, ce qui est signe qu’il ne va vraiment pas bien. A ce moment précis pourtant il n’a plus vraiment l’envie de rire ni même le temps de paniquer. Il donne le peur d’informations en sa possession, prie pour que Jasper les analyse toutes rapidement.

Ce qui aurait dû être une journée d’hiver des plus communes s’était transformé en un véritable brouillard en moins de temps qu’il n’en avait fallu aux rayons du soleil pour percer, et bien qu’ils soient peu nombreux ce jour, croyez bien qu’il ne s’agissait pas d’une éternité. Ce lundi avait débuté de la façon la plus normale qui soit pourtant. Jasper avait passé la majeure partie de sa matinée à trier des données, à préparer son prochain cours ô combien réjouissant avec les premières années, et tandis qu’il en était rendu à son troisième gobelet de café depuis que ses pieds avaient foulé le sol ce matin, le blond avait reçu un message qui avait réveillé chez lui un sixième sens d’ordinaire profondément enfoui. Caelan lui demandait s’ils pouvaient se retrouver au parc de l’université, et à la façon que ce dernier avait eu de lui écrire, Jasper comprenait qu’il ne s’agissait pas là d’une quelconque volonté de bavarder et de renflouer son stock de vitamine D en se posant sur l’un des bancs. Il semblait au contraire y avoir bel et bien un problème à résoudre, et sans demander plus d’informations (car bien que le « mais ne t’inquiète pas » qu’avait utilisé son ami pour clore son sms avait suscité chez lui une profonde inquiétude, il n’en était pas encore au stade d’interrompre toute sa journée pour venir lui rendre visite en urgence et laisser tomber ses travaux dirigés) Jasper avait pris son mal en patience en se faisant des dizaines de scénarios catastrophe dans lesquels Gia venait de réaliser un énième coup d’éclat et d’autres où  le Leckie venait lui annoncer qu’il se retrouvait embarqué dans une histoire avec une femme mariée ; aucune de ces hypothèses ne tenant la route évidemment. Finalement, après lui avoir confirmé sa présence, Jasper avait tâché de faire taire ses méninges, ne serait-ce que pour rester un minimum focus le restant de la journée, et si les premières minutes de son dernier cours lui étaient apparues comme autant d’éternités, sitôt le dernier élève disparu il avait rapidement empaqueté ses affaires dans son sac pour rejoindre au plus vite le parc et en informer par la même Caelan qu’il activait ses jambes pour arriver au plus vite ; pour une personne courant régulièrement des marathons, dix minutes avaient été suffisantes. « Wickham on a un problème, du genre Houston mayday sos. » Jasper n’avait pas mis bien longtemps à trouver son ami. Le grand hyperactif dont la nervosité était palpable à des kilomètres et qui n’avait de cesse de s’asseoir et de se relever depuis qu’il était entré dans son champ de vision. Quelque chose devait véritablement clocher, et c’était une impression qui n’avait de cesse de se renforcer puisque ni bonjour ni sourire n’étaient venus se greffer aux usages habituels d’un début de conversation entre deux collègues. Se posant à ses côtés sur ce banc qui avait trouvé grâce aux yeux du Leckie pour y rester plus de trente-six secondes, Jasper fronçait les sourcils, se gardant bien de prononcer le moindre mot sans savoir ce qu’il en était du dit problème. Les bras croisés contre son torse, il attendait que la sentence ne tombe, et si jusqu’à présent il envisageait ne pas être concerné, ce : « Ils ont engagé une contre-expertise. »  lâché sans la moindre cérémonie l’avait glacé des pieds à la tête. Une contre-expertise ? C’était une blague ? Caelan n’avait pas vraiment besoin de préciser de quoi il en retournait pour qu’il ne comprenne immédiatement dans quel immense bourbier ils étaient, et ce fait rendait les choses d’autant plus dramatiques. « Tu déconnes ? » furent à peu près les deux seuls mots que l’océanographe avait été en mesure de prononcer, et encore. Dans un souffle, ces derniers ne ressemblaient pas vraiment à grand-chose, si bien qu’il les avait rapidement remplacés par un juron en se passant une main sur le visage. Foutue contre-expertise. Ils étaient censés être les derniers à être mandatés sur ce projet, alors soutenant le regard de son collègue/ami/compagnon d’infortune et futur binôme au pôle emploi local, Jasper lui laissait le temps de fournir d’autres informations qu’il lui livrait avec une nervosité somme toute assez semblable à la sienne. « Quinn Callahan. C’est elle qui dirige l’équipe … je la connais. » Callahan ? Pour de vrai ? Si Jasper n’avait pas eu de nouvelles de cette fille depuis un moment, il pouvait se targuer de la connaître elle aussi -comme c’était souvent le cas avec leurs relations de travail communes de toute façon- pourtant il semblait déceler un passif entre elle et Leckie, et la précision de ce dernier ne faisait qu’attirer son attention là-dessus. « Connaissais. » D’accord ? Là c’est peut-être le moment pour en dire un peu plus ? « Enfin, si, je la connais toujours. Il faut qu’on lui en parle avant qu’elle ne découvre tout. » teuteuteu. Minute papillon. D’un geste de la main Jasper essayait de temporiser la situation tant pour lui « en parler » équivalait à signer leur arrêt de mort. Du moins celle de leur réputation de scientifiques, ce qui était la même chose. « Attends. Tu la connais ou tu la connaissais ? » Parce qu’il avait besoin de savoir, d’avoir toutes les cartes en main avant de consentir à envisager de potentiellement divulguer quelque chose d’aussi touchy. « L’information n’est pas encore officielle. » Le ton froid, détaché, inhabituel, Caelan semblait être à pas grand-chose du craquage nerveux, et sans doute était ce son cas à lui aussi. A nouveau sa main venait s’échouer contre ses traits, et alors qu’il eut besoin de quelques secondes supplémentaires pour trouver ses mots, il brisait le silence d’un « Ok. » qui signifiait qu’il était arrivé à une réflexion plus ou moins satisfaisante. « Déjà faut que tu me dises comment tu sais ça. Et si tu sais quand la contre-expertise sera officiellement lancée. Je la connais pas hyper bien Callahan, mais du peu que j’en sache … elle a l’air du même côté que nous. » Ce qui ne signifiait pas pour autant qu’il était prêt à lui divulguer quelque chose qui pourrait briser sa carrière mais … dos au mur peut être qu’ils n’auraient pas le choix.  

En arrière plan, le monde s’effondre.
Les signes de stress sont évidents pour les deux hommes, Jasper rattrape prodigieusement son retard sur son collègue maintenant qu’il est au courant de l’histoire. Il savait déjà que quelque chose de mauvais était en train de se passer avant même que l’annonce ne tombe, lui qui avait gardé des sourcils froncés et des bras croisés même en étant assis. Caelan l’a remercié mille fois d’avoir posé ses fesses sans qu’il n’ait à le lui ordonner. Il vaut mieux être assis avant d’entendre ce genre de nouvelles, parce que la chute peut être difficile dans tous les sens du terme. “Tu déconnes ?” Il finit par articuler, omettant quelques voyelles. En réalité cela ressemblait davantage à “tdcnnnn”, c’est à dire un charabia auquel Caelan n’a rien compris. Il sait, pourtant. Il sait ce qu’a dit son ami parce que sa tête lui hurlait la même chose lorsque les mêmes mots étaient sortis de la bouche de Quinn. Il a dit ça, et, comme Jasper, il a peut être insulté une ou deux personnes ou la Terre entière juste après. Tout se fait rapidement, dans un souffle, en une fraction de seconde et les informations sont à peine arrivées au cerveau qu’il peut renvoyer tous les signes de panique qu’il a en stock. Il en a beaucoup, mais le brun (/ couleur de cheveux non reconnu chromatiquement parlant par un Leckie en panique) se contente de passer une main sur son visage. Une main crispée, certes, mais il en reste là. Ils ont peut être changé depuis ces deux adolescents incapables de se supporter sur les bancs de l’école. Ils peuvent désormais soutenir le regard l’un de l’autre, l’air sérieux et chaque sens en alerte. Tout ceci n’a plus rien d’un jeu, si jamais ça en avait été un à un moment donné. « Attends. Tu la connais ou tu la connaissais ? » L’océanologue s’en veut d’être aussi confus mais si son domaine d’étude est uniquement scientifique c’est bien parce qu’il ne se savait pas vraiment doué avec les mots de la langue de Shakespeare. Il entraîne avec lui son ami dans sa folie douce et est incapable de l’en préserver d’une quelconque manière. Ils sont là dedans ensemble, jusqu’au cou et jusqu’à la fin.
Le roux tente de rassembler ses esprits et se force à laisser poser ses mains à plat sur la table pour ne pas avoir à trahir une quelconque panique. Après tout, ils ont déjà fait face à de gros problèmes et s’en sont toujours sortis. Ils peuvent encore le faire aujourd’hui. Il a confiance en Jasper, une confiance aveugle qui saura les sortir de là d’une manière ou d’une autre parce qu’ils sont les gentils de l’histoire et que Disney a intérêt d’enjoliver leur histoire. “Les deux. Elle était ma tutrice, on continue de se croiser. Ca date d’il y a quelques années, on a gardé le contact mais peut être pas au point de ...” De mettre leur vie entre ses mains. Parce que c’est bien de leur vie dont il s’agit maintenant. Leur boulot est leur vie, leur vie est leur boulot. Ils peuvent se voiler la face mais aujourd’hui c’est bien ce de quoi leur vie est faite. “Ok.” Il a eu le résumé complet et n’est toujours pas tombé dans les pommes alors d’une manière ou d’une autre cela doit être une bonne nouvelle. Ou quelque chose comme ça. Ou une nouvelle pas trop mauvaise. “Ok.” Il répète par automatisme, ne sachant pas réellement quoi faire maintenant qu’il a distillé les points les plus importants de toute cette histoire à dormir debout. “Déjà faut que tu me dises comment tu sais ça. Et si tu sais quand la contre-expertise sera officiellement lancée. Je la connais pas hyper bien Callahan, mais du peu que j’en sache … elle a l’air du même côté que nous.” Voilà ce que le roux attendait, toutes ces questions qui peuvent lui donner une ligne conductrice ainsi que la marche à suivre. Loin d’être totalement rassuré non plus, il arrive cependant à rassembler ses esprits et former des phrases plus ou moins cohérentes dans sa tête, ce qui semble être un très bon début. “Elle me l’a dit elle même. Elle est certaine qu’on n’aurait jamais pu se tromper sur de tels calculs et que toute cette nouvelle expertise ne sera qu’un exercice de routine.” A defaut de faire tapoter en rythme ses ongles sur le bois (et de risquer par la même occasion de se planter une écharde parce qu’il a le pire karma de l’univers), il enveloppe sa main droite par sa gauche et referme les deux en un poing serré. Ses phalanges craquent les unes à la suite des autres et il ose redevenir lui même pour un instant, souriant comme si de rien n’était à son aîné de quelques mois. “Ceci dit elle a pas tort, on ne s’est pas trompés.” C’était important à notifier, quand même. Les véritables résultats sont dans une partie de leur cerveau parce qu’il aurait été bien trop dangereux que de garder une trace écrite, mais ils existent bien quelque part. Dans leur palais mental, bien rangés dans une boîte au fond de l’allée dans laquelle il est écrit en lettres de sang “DO NOT OPEN” et qu’ils n’ouvriront effectivement sous aucun prétexte. “J’ai pas vraiment pris le temps de lui poser des questions, tu vois.” Il répond sans animosité à propos du lancement de la contre expertise, effectuant un simple constat. Le fait est que Caelan s’est éclipsée dès qu’elle a parlé de la contre expertise après avoir eu quelques minutes d’une incroyable discussion basée sur du small talk comme il les aime. Tout s’est compliqué quand elle a pris cet air si sérieux et qu’elle s’est penchée vers lui comme si elle allait lui dire un secret. Ce secret là, il aurait bien aimé ne jamais l’apprendre ou encore mieux ; qu’il n’ait jamais existé. “Ils apprendront la vérité de toute façon. On doit lui dire avant, elle est notre seule chance.” Le sujet épineux du jour. Parce que le roux a bien vu les signes évidents démontrant que son ami n’était pas tout à fait d’accord avec lui. Par “pas tout à fait d’accord avec lui”, entendons nous bien, cela signifie que Jasper n’était pas du tout d’accord et qu’il est sûrement en train de repérer quel couteau il va utiliser pour poignarder Caelan dans sa propre cuisine. Quelque chose comme ça. “Si jamais son équipe l’apprend avant elle on est fichus Jasper. Si on lui en parle avant, on a peut être une chance.” Ca semble pourtant tellement logique, dit comme ça, avec cet air presque insouciant sur le visage. Ils sont deux bons gars qui se retrouvent mêlés à des choses qui les dépassent totalement. Ils supporteraient peut être un procès, mais jamais ô grand jamais d’être viré de leur boulot. Leur vie deviendrait un enfer si tout était rendu public et ils s’en sortaient déjà très bien seuls en rivalisant de nouvelles idées pour leur déco du purgatoire, pas besoin que le monde entier s’y mêle. “Elle est du même côté que nous.” S’il le dit assez fort alors peut être que cela deviendra réalité.

Jasper avait beau tenter de conserver les apparences, dès lors qu'il comprenait que Caelan ne plaisantait pas, c'était comme si le monde s'était écroulé, dans une tornade de poussière qui lui obscurcissait le regard. Le sang avait quitté les vaisseaux de son visage, les battements de son cœur s'étaient accélérés à tout va, et ses méninges fonctionnaient plein tube. Il ne s'était pas écoulé plus de dix secondes et pourtant la vague image d'un renvoi de l'université et le discrédit de ses pairs l'avait glacé jusqu'à l'os, parce que c'est bel et bien ce qu'il leur pendait au nez si cette foutue contre expertise avait lieu. L'océanologue avait mentionné Callahan, se troublant lui même sur la nature exacte de leur relation. Il était tout autant paniqué que Jasper ne l'était, mais contrairement à lui, Caelan avait toutes les informations pour le moment, et le blond avait besoin de s'appuyer sur des certitudes pour savoir quelle attitude adopter. “Les deux. Elle était ma tutrice, on continue de se croiser. Ça date d’il y a quelques années, on a gardé le contact mais peut être pas au point de ...” Il laissait sa phrase en suspens, mais ce n'était pas comme s'il avait à en préciser la fin de toute façon, elle coulait de source, et arrachait par la même un soupir au Wickham qui se passait une énième main fatiguée sur le visage. Un "Ok" lui échappait, l'un de ceux que l'on lançait pour se rassurer et qui était repris par mimétisme par son ancien beau frère, comme si lui non plus ne savait pas bien comment réagir ; il n'était pas à blâmer. “Ok.” Jasper hochait doucement la tête, se hâtant ensuite de demander les circonstances exactes de cette bombe lancée quelques heures plus tôt, tâchant par la même de savoir si Callahan pouvait être de leur côté ... ou non. “Elle me l’a dit elle même. Elle est certaine qu’on n’aurait jamais pu se tromper sur de tels calculs et que toute cette nouvelle expertise ne sera qu’un exercice de routine.” D'accord. Nerveusement, un rire lui échappait. Léger. Tel qu'il pouvait entendre les phalanges de Caelan craquer les unes après les autres. “Ceci dit elle a pas tort, on ne s’est pas trompés.” Ah ça. "Non on s'est pas trompés. Du moins. On a tenté de tromper le reste du monde. Et ce qui est sûr c'est qu'on la trompera pas elle." Pas avec des calculs aussi simples. Ils n'étaient certes pas à la portée du tout venant, Jasper pouvait mettre sa main à couper que Callahan s'en tirerait haut là main, et découvrirait par la même le pot aux roses. Elle aurait les cartes en main pour détruire leur réputation. Et ce n'était pas envisageable, à la place il faudrait manœuvrer avec finesse, et bien que Jasper comprenne la position délicate de son ami il regrettait toutefois que ce dernier n'ait pas eu l'occasion de récolter plus d'informations. “J’ai pas vraiment pris le temps de lui poser des questions, tu vois.” lui avait il d'ailleurs répondu. "Ouais, j'imagine." Il marmonnait, glissait ses doigts à la naissance de sa chevelure dans un geste qui trahissait toute sa nervosité. Ce scénario était vraiment le pire possible, mais quelque part ils en étaient tous les deux conscients. “Ils apprendront la vérité de toute façon. On doit lui dire avant, elle est notre seule chance.” Quoiquoiquoi. Non ? Non ! Jasper se redressait vivement, croisait le regard de son ami en essayant de déceler s'il était vraiment sérieux. S'il voulait vraiment mettre quelqu'un qui pourrait détruire leur carrière aussi facilement dans la confidence. “Si jamais son équipe l’apprend avant elle on est fichus Jasper. Si on lui en parle avant, on a peut être une chance.” Une chance de quoi ? De se faire cramer plus vite ? Non. D'emblée cette idée lui apparaissait comme hautement improbable, et tandis qu'il scrutait une à une les expressions qui fleurissaient sur le visage de son ami, il comprenait qu'il était sérieux. “Elle est du même côté que nous.” Oui. Peut être. Mais être du même côté ne voulait pas forcément dire "vouloir mettre sa carrière en péril pour sauver un bout de côte" Il laissait ensuite quelques secondes passer, et malgré le silence pesant et lourd de sens, à bien tendre l'oreille on aurait presque pu entendre ses méninges s'agiter à vive allure. Quel foutoir. "Il faut qu'on lui parle. Mais pas de ce qu'on a fait. Pas tout de suite en tout cas." Parce qu'il était hors de question qu'ils aient l'air de lui demander une faveur d'emblée. "Je ... t'en penses quoi ? On essaie de la convaincre. On essaie de voir ce qu'elle pense de ce projet. Et ensuite on avise."  

A bien tendre l’oreille, on aurait presque pu entendre les méninges d’un Jasper au bord de la crise de nerfs s’activer à vive allure, tenter de trouver une échappatoire à cette situation chaotique dans laquelle ils s’étaient plongés ; en vain. Le silence s’installait, pesait aux deux enseignants, et ni l’un ni l’autre ne semblait toucher du doigt une approche satisfaisante pour désamorcer cet état de crise, comme si l’enterrement de leur carrière se profilait sous leurs yeux sans qu’ils ne puissent changer quoi que ce soit. Caelan ne plaisantait pas, Jasper ne ronchonnait pas. Comme si l’un et l’autre s’acclimataient au cataclysme ils demeuraient muets, jusqu’au moment où le roux exposait son point de vue. Dire la vérité. Agir en amont. Sur le principe l’idée était louable, mais dans les faits ils risquaient gros, peut-être un peu trop. Jasper avait refusé d’emblée. Qu’en aurait-il été de la prochaine étape ? Se pointer dans le bureau de Callahan en lui donnant le pouvoir de les briser sans même faire les tests ? Non. Au-delà du fait que son ego ne le supporterait pas, en agissant ainsi ils offraient d’emblée à leur collègue du CMS la possibilité de choisir de quel côté elle se rangerait, et ça lui était inconcevable. Caelan relevait le menton en l’écoutant, et si Jasper croyait déceler dans son regard une pointe d’incompréhension (certainement justifiée) il essayait toutefois de recueillir son avis. « Il faut qu’on sache si elle est de notre côté dès le départ. » répétait-il, se demandant par la même qui de lui ou de son ami il essayait de convaincre. La situation dans laquelle ils étaient tous deux était dramatique, et au-delà du fait qu’ils ne s’attendaient pas à ce que le pot aux roses soit découvert, personne n’aurait pu s’attendre à ce qu’il le soit si rapidement. Le duo n’avait que peu de temps pour préparer une approche, alors lorsque le Leckie soupirait puis concédait à un : “... On fait ça. Je l’appelle. On règle ça aujourd’hui.” Jasper oscillait entre soulagement et panique totale. D’un hochement de tête il approuvait cette idée, se relevant du banc pour faire les cent pas le temps que son compagnon d’infortune passe cet appel ô combien délicat. ”Quinn … C’est Caelan. Leckie. Euhm tu peux me rejoindre sur le parc de l’université s’il te plait ? On … Je voudrais te parler de quelque chose et c’est assez important.” On voudrait te parler de la possible fin de nos carrière et de la mise à mort de notre réputation scientifique, aurait été plus juste mais ne chipotons pas sur les détails. Lorsque finalement il raccrochait, Caelan se tournait vers un Jasper vidé de toute couleur pour demander : « On essaye de ne pas lui sauter dessus avec toute notre histoire et tout se passer bien. Hein ? » et Dieu sait qu’il aurait aimé dire que oui. « J’imagine qu’elle doit déjà se poser des questions. » Et qui ne s’en poserait pas. « On va réussir à la convaincre. De toute façon on a pas vraiment le choix. »  Puisqu’il ne faisait pas l’ombre d’un doute que si Callahan ne se rangeait pas de leur côté, elle mettrait en péril bien des équilibres. Leurs carrières, celles de leurs équipes, la réputation scientifique de leurs services respectifs, et tout l’écosystème qui serait bouleversé par l’implantation de cette usine dans cet espace protégé. Quelque part elle n’avait pas le choix. Si ?

***

De longues minutes s'étaient écoulées depuis ce coup de fil, ou du moins, peut être pas si longues. Chaque seconde égrainée semblait peser plus lourd qu'une autre alors que le silence instauré les rendaient indigestes. Jasper avait continué à tourner en rond sur son carré de verdure, comme pour s'occuper l'esprit, puis après un moment à s'être repassé le film de ces derniers mois en tête, une silhouette féminine vint briser leur état de panique latent. "Salut. On est ravis que t'ai pu te libérer." La seconde partie du "on" qu'il représentait venait de prendre la parole, puis se tournant vers Caelan il poursuivait : "On voudrait te parler d'un truc." Quelque chose de suffisamment important pour te déranger en pleine journée.

Jasper ne s’était pas perdu en banalités lorsque Quinn était arrivée auprès d’eux dans le parc. A quoi bon ? Ni lui ni Caelan n’était actuellement en mesure d’enjoliver la situation en l’agrémentant d’une discussion sur la météo, quand bien même il aurait été étrange de convenir d’un rendez-vous en pleine après midi pour sans raison valable. Bien sûr qu’il se passait quelque chose, et fort heureusement pour eux Callahan n’était pas dupe. « OK, je vous écoute. Je vous dirais bien que je suis contente de vous (re)voir mais comme la tension que vous affichez et qui se déploie dans l’air est carrément palpable, je n’en suis plus très sûre. » Bon, au moins le cadre était posé. Jasper glissait un regard à son ami. L’expression neutre mais la mâchoire crispée, pas de doutes, le rouquin était au moins aussi tendu que lui l’était, voire même peut être plus, bien qu’il rétorquait : “On est contents de te revoir quand même, Quinn.” comme pour conserver un semblant de normalité. Il hochait la tête, n’argumentant pas derrière alors que Quinn se raclait la gorge en laissant s’égrainer les secondes avec une lenteur folle. « Les garçons, je ne sais pas pourquoi vous m’avez fait venir aussi vite et ça m’inquiète sincèrement. Mais pour être honnête j’ai encore du pain sur la planche à cause cette histoire de contre-expertise complètement inutile… »  Outch. Le cœur de Jasper se serra un instant, comme si le fait d’entendre ce terme dans la bouche de sa consœur rendait les choses concrètes. Trop concrètes. La blonde lui glissa un coup d’œil, précisant : « - j’imagine que Caelan t’a raconté - » Et elle imaginait bien. D’instinct il se tourna vers Caelan, les sourcils froncés par l’état de panique auquel il allait bientôt céder si Quinn continuait à les torturer doucement de la sorte. « … donc si on pouvait éviter de tourner autour du pot pour rien, j’apprécierais vraiment. » Au moins tous étaient d’accord, et tandis que Jasper nouait ses bras contre son torse, il entendit son ami prendre la parole en premier. “C’est à propos de ça, oui.” Son regard avait brièvement croisé le sien, mais avant que l’un et l’autre ne puisse réagir l’océanographe avait compris d’elle-même, rétorquant : « Attendez, vous avez bossé tous les deux là-dessus… C’est pour ça que je suis là ? Ça a quelque chose à voir avec la contre-expertise ? »  bingo. Il était temps d’en venir aux faits, comme si le plus gros était passé. Avouer qu’ils étaient impliqués dans une histoire de cette ampleur n’avait rien de simple (ce n’est pas comme si leur carrière était en jeu après tout) et ce fut Caelan qui se lança le premier dans les explications. “Tu sais autant que nous toutes les conséquences qu’auraient eu la relocalisation de cet usine.” Jasper hocha la tête, scrutant les expressions qui défilaient sur le visage de sa consœur sans toutefois les analyser avec précision. Cette bombe était suffisamment conséquente pour qu’elle ait besoin de quelques secondes pour l’intégrer, il imaginait, et comme pour parfaire le tableau le Leckie précisa : “Ils auraient pu la relocaliser. Strictement légalement, ils rentraient dans les clous …”  Nul besoin de terminer cette phrase. Quinn était consciente de tout ça (il l’espérait du moins) mais par acquis de conscience Jasper décida de venir rajouter une couche. « Les clous sont pas forcément justes envers la faune et la flore locale. »  qu’il avait soufflé en venant glisser ses mains dans ses poches dans un geste qui traduisait toute sa nervosité. Cette usine était une bombe à retardement, et aurait décimé des colonies entières en venant se loger sur la côte ; ils n’avaient pas pu laisser passer ça. Pas pour un truc aussi stupide qu’une économie florissante. “Les résultats qu’on a donné ne sont pas les mêmes relevés sur le terrain. C’est pour ça que je t’ai fait venir, Quinn. Notre équipe a menti.” Et voilà. Le pansement avait été arraché, les choses avaient été dites le plus clairement et distinctement possible. Ils étaient découverts, et bien que la situation ne leur convienne pas tant elle échappait à leur contrôle, le duo de faussaires n’avait pas d’autre choix que de se remettre à l’avis d’une Quinn dont ils attendaient patiemment (non) la réponse. “Si tu t’en tiens à ce que tu trouveras sur le terrain … Nos conclusions seront différentes. On a jamais voulu te mettre dans cette situation Quinn, je suis désolé. Mais maintenant c’est … soit tu es avec nous, soit tu es contre nous.” D’une façon franche et honnête, c’était ça. Le blond glissait un regard fugace à son collègue, puis laissa passer à son tour quelques secondes, sans trop savoir ce qu’il pourrait ajouter de plus pour convaincre Callahan de ne pas courir les dénoncer. « Quinn. » qu’il commençait. L’appeler par son prénom c’était déjà un bon début pour nouer un lien de confiance, non ? Lui rappeler qu’ils sont amis ? « En poursuivant tes analyses tu vas te rendre compte qu’on avait pas le choix. Enfin si on l’avait. Mais entre un petit mensonge et une grosse catastrophe on a préféré limiter la casse. » et nous mettre en danger tous les deux plutôt qu’une partie de l’équilibre marin local. « Ils iront l’implanter ailleurs leur usine. Ces types ils ont des milliers de dollars à investir. Nous on a qu’une seule côte, et quand ils l’auront suffisamment bousillée ils partiront, et nous on aura plus rien. On avait pas le choix. » répétait-il, glissant finalement un énième regard à Caelan comme pour appuyer ses paroles.        

« En poursuivant tes analyses tu vas te rendre compte qu’on avait pas le choix. Enfin si on l’avait. Mais entre un petit mensonge et une grosse catastrophe on a préféré limiter la casse. » Ouais. C’est bien ça, Jasper. C’est une bonne réponse. Caelan n’a pas su trouver ces mots là. Il n’a pas assez su appuyer sur le côté désintéressé de leur entreprise, ou au contraire sur l’intérêt immense qu’ils portent tous deux à la protection de cette nature dans laquelle ils évoluent. Le roux n’a jamais menti, pas frontalement du moins, alors la nature devrait lui accorder ce droit au moins une fois dans leur vie quand même ? Il pose un regard assuré sur son ami, hoche doucement de la tête comme un assentiment silencieux à tout ce qu’il raconte. Ils sont du même côté, aujourd’hui. Ils ont eu des différents par le passé, des chamailleries d’enfants … mais aujourd’hui ils n’ont plus le droit d’être sur deux longueurs d’ondes différentes. Ils doivent ne faire qu’un, faire front commun. « Ils iront l’implanter ailleurs leur usine. Ces types ils ont des milliers de dollars à investir. Nous on a qu’une seule côte, et quand ils l’auront suffisamment bousillée ils partiront, et nous on aura plus rien. On avait pas le choix. » Plus rien comme “plus de travail” non plus. Ces gens qu’ils ne connaissent pas ont le pouvoir de détruire leur vie et même si tous les rouages ne se sont pas encore enclenchés, l’issue est déjà écrite. Ces gens là, ces inconnus, ces riches, ceux qui n’en ont absolument rien à faire du commun des mortels : ils ont déjà détruit le duo. De mille et une manières. Fait chier.

« Qui sait si la contre-expertise n’a pas été demandée parce qu’un membre de votre équipe, sous le poids de la culpabilité, a fini par cracher le morceau ? Je pensais aux lobbies, aux médias, mais maintenant je n’en suis plus certaine. Alors, qu’est-ce qui se passera si la vérité est bel et bien entre leurs mains ? S’ils n’attendent plus que mes résultats pour prouver vos mensonges au monde entier sans avoir à ouvrir d’enquête officielle ? Si je vais dans votre sens, ils n’en resteront pas là. Et moi, mon équipe, on tombera tous avec vous. » Et là, il se dit qu’elle a regardé beaucoup trop de théories du complot. « Le risque est trop grand. Et puis, je ne suis pas seule dans cette histoire. Il y a aussi tous ceux qui doivent travailler avec moi sur ce dossier. Comm… » Et là il se dit que toute cette histoire les dépasse largement. « C’est pour ça qu’ils ne veulent pas que je me fasse assister de ma propre équipe ! Ils me forcent à recruter des gens pré-sélectionnés par leur soins : c’est parce qu’il savent ! Et grâce à ça, ils s’assurent la victoire ! Impossible qu’on soit complices puisqu’on ne se connait pas... Ils ont vraiment pensé au moindre détail. » Et là, il se dit a vraiment regardé trop de théories du complot. « Je suis désolée. Sincèrement. Même si je voulais vous aider, je ne pourrais pas. » Et là, ils se dit qu’ils sont tous dans la merde.

Son regard se pose sur Jasper un instant, peiné. Il souffle, fait craquer ses phalanges en resserrant ses poings doucement. Ils en sont là, alors. Un cul de sac. Ils ne peuvent pas tous se sauver sans que d’autres plongent à leur place. Quelqu’un doit plonger. Ils ont emmené Quinn dans leur manœuvre, dans leurs erreurs. Elle n’avait rien demandé, ils lui ont égoïstement fait part de tous leurs maux. Ils se sont confiés à elle alors qu’elle n’avait rien demandé. Ils ont parlé de tout sans n’user d’aucun filtre, pensant naïvement qu’elle pourrait toujours les regarder en face après ces nombreuses révélations. Stupides garçons qui ne grandissent jamais, n’apprennent de rien. Il plante ses yeux verts dans ceux de Quinn, prie pour que Jasper attende au moins la fin de son discours avant d'hurler au loup. ”Si quelqu’un doit plonger alors je plonge. Si tu n’as pas le choix, dis leur que c’est moi qui ait falsifié les résultats. Tu leur diras que l’équipe a été bernée comme toi tu l’as été, tu leurs diras que tu pensais pouvoir me faire confiance mais que je t’ai menti comme j’ai menti à tout le monde. Et ça ne sera que la pure vérité.” Ils n’ont besoin que d’une seule personne sur laquelle tirer. Il n’a jamais rien fait d’extraordinaire de sa vie alors au moins peut-il tenter de sauver ses collègues, d’être un peu plus que la plante verte du bureau pour une fois.
Il n’a rien à perdre, de toute façon. Il n’est plus à ça près.

Ils avaient à tour de rôle essayé de préparer Quinn à ce qu’elle allait entendre. Relocaliser, rentrer dans les clous, détruire l’écosystème qui s’était créé dans cet espace, mais comme si la blonde sentait les choses venir, elle se tendait, lançait un « Evidemment ! » qui semblait appartenir à une parcelle de bon sens à laquelle elle essayait de se maintenir mais qui s’effritait chaque fois que ses yeux passaient faisaient la navette entre les visages fermés des deux scientifiques. Ce fut Caelan qui lâcha en premier le morceau quant à la vraie raison de cette réunion improvisée, et alors que Quinn s’appuyait sur une table de picnic, ils avaient le réflexe d’essayer de la convaincre. Ils n’avaient pas d’autre choix de toute façon. Leur carrière était en jeu. Des années de travail, la reconnaissance de leurs pairs durement acquise, tout, absolument tout, volerait en éclats si l’on apprenait un jour qu’ils avaient falsifiés des travaux de recherches à plusieurs dizaine de milliers de dollars. Jasper n’était pas des plus doués pour interpréter les signes, mais à mesure que sa consœur fermait le poing il se doutait bien que ce qu’ils avaient à lui dire ne lui plaisait pas, ce qui n’empêchait pas le Wickham de poursuivre bien que l’océanographe laissait un silence de plomb suivre ses dernières paroles. Un silence appréciable malgré tout. Chaque mot était compliqué à prononcer tant Caelan et lui savaient qu’ils représentaient la preuve de leur méfait. Pourtant il avait fallu continuer, et le fait que l’un se tienne à côté de l’autre rendait les choses moins compliquées. Ils se soutenaient, se soutenaient depuis toujours malgré les quelques divergences qui ont pu entacher toutes ces années d’amitié. « Qui sait si la contre-expertise n’a pas été demandée parce qu’un membre de votre équipe, sous le poids de la culpabilité, a fini par cracher le morceau ? Je pensais aux lobbies, aux médias, mais maintenant je n’en suis plus certaine. Alors, qu’est-ce qui se passera si la vérité est bel et bien entre leurs mains ? S’ils n’attendent plus que mes résultats pour prouver vos mensonges au monde entier sans avoir à ouvrir d’enquête officielle ? Si je vais dans votre sens, ils n’en resteront pas là. Et moi, mon équipe, on tombera tous avec vous. » Oula oula oula. Quinn avait ouvert la bouche, et ce qui en sortait n’était pas un simple juron, mais bel et bien une réflexion qui avait fusé et que Jasper ne savait pas bien interpréter. « Le risque est trop grand. Et puis, je ne suis pas seule dans cette histoire. Il y a aussi tous ceux qui doivent travailler avec moi sur ce dossier. Comm… » Elle avait soupiré, puis s’était interrompue, lâchant au passage un : « Putain de merde. » que Jasper aurait volontiers commenté d’un « à qui le dis-tu. » « C’est pour ça qu’ils ne veulent pas que je me fasse assister de ma propre équipe ! Ils me forcent à recruter des gens présélectionnés par leur soins : c’est parce qu’ils savent ! Et grâce à ça, ils s’assurent la victoire ! Impossible qu’on soit complices puisqu’on ne se connait pas... Ils ont vraiment pensé au moindre détail. » Jasper entrouvrait les lèvres, ne sachant pas bien quoi répondre. Jusqu’à présent il s’était senti à l’abri, et si le Leckie n’était pas venu lui amener la pire nouvelle au monde ses méninges n’auraient pas gambergé jusque là. « Je suis désolée. Sincèrement. Même si je voulais vous aider, je ne pourrais pas. » Elle les avait regardés tour à tour, comme si sa décision avait été mûrement réfléchie, alors qu’aux yeux du blond elle n’était qu’un réflexe humain : sauver sa carrière et sa réputation. Pour Jasper et Caelan ç’avait été différent. Ils avaient agi par conviction, et s’ils ne pouvaient pas se mettre à la place de Quinn, l’enseignant pouvait comprendre qu’elle choisisse de ne pas se jeter dans les flammes avec eux. Il avait croisé le regard de son ami, soufflé lui aussi. A son tour de serrer les points, de souffler, et par mimétisme, Jasper le faisait aussi. Il n’avait pas su comment réagir, comme vidé, et s’il demeurait incapable d’ouvrir la bouche pour poser le constat du vestige de sa carrière, Caelan le faisait dans un discours qui suffisait à réveiller l’instinct endormi d’un Wickham au bord du gouffre. ”Si quelqu’un doit plonger alors je plonge. Si tu n’as pas le choix, dis leur que c’est moi qui ait falsifié les résultats. Tu leur diras que l’équipe a été bernée comme toi tu l’as été, tu leurs diras que tu pensais pouvoir me faire confiance mais que je t’ai menti comme j’ai menti à tout le monde. Et ça ne sera que la pure vérité.” D’instinct, il avait rétorqué un : « Non ! » , l’une de ces objections qui venait du cœur et non par convention. « Il est hors de question que tu fasses ça alors que c’est moi qui t’ai proposé de le faire. » Son regard s’était attardé sur Quinn un instant. « T’as droit de pas nous suivre. » et si il acceptait son choix, ce n’était pas pour autant qu’il le comprenait ; une chose qui s’entendait au son de sa voix. « Mais je te mettrais pas sur la sellette avec moi parce que tu sais bien comment ça va se terminer. » Avec des bruits de couloirs et leurs effets personnels sagement rangés dans un carton à côté d’une lettre de licenciement. Jasper songeait un instant à Norah, et ce sentiment suffisait à le conforter dans l’idée de ne pas laisser le Leckie briser sa carrière. Pas alors qu’il avait une famille pour qui il restait l’un des piliers.    

L’élan héroïque de Caelan est rapidement contrecarré par celui de Jasper, comme cela aurait aisément pu être prédit. « Non ! Il est hors de question que tu fasses ça alors que c’est moi qui t’ai proposé de le faire. » La langue de roux claque sur son palais et ses yeux verts passent de Quinn à son ami, lui qui préfère plonger avec l’océanologue plutôt que de le regarder le faire seul. Il a toujours eu un trop bon coeur et une trop belle âme et c’est officiellement ce qui causera leur perte à tous les deux, si ce n’est tous les trois. « T’as droit de pas nous suivre. » L’attention se reporte rapidement sur la trentenaire qu’ils tentent de rallier à leur cause sans n’avoir à la faire sombrer. Cela semble être une entreprise difficile si ce n’est impossible, plus la discussion avance et plus les noeuds continuent à se serrer. Le point de non retour a été déjà franchi mais tous continuent de garder un peu d’espoir au fond de leur coeur. « Mais je te mettrais pas sur la sellette avec moi parce que tu sais bien comment ça va se terminer. » Ils ont beau essayer de s’en sortir, Jasper ne fait que confirmer l’idée selon laquelle ils savent déjà tous à quoi s’attendre. En appelant Quinn, ils n’ont fait que tenter de repousser l’inévitable. La vie n’a rien d’un film hollywoodien, cela ne finit par toujours bien. Ils en seront l’exemple en chair et en os, toujours soudés quand ils devront gentillement vider toutes leurs affaires et surtout ne plus jamais remettre un pied dans les laboratoires qui les ont vu évoluer durant toutes ces années.

« Ça suffit ! » La figure d’autorité se fait entendre et fait fermer le clapet des trentenaires pendant un temps. Tout a été dit, les dés ont été lancés. Caelan échange un dernier regard à Jasper, ce genre de regard qui ne signifie même plus rien à force d’avoir été totalement vidé par cette courte conversation. Il ne peut s’empêcher de toujours garder un peu d’espoir au fond lui, incapable d’accepter cette part d’adulte qui lui crie qu’il vient de gâcher le travail de ses rêves à cause d’une expertise. Une seule. Comme son mariage parti en fumée ; un seul. « Aucun des deux ne lâchera de toute façon. Donc soit vous vous en sortez tous les deux, soit vous vous sacrifiez tous les deux. C’est bon, on peut se concentrer sur le véritable problème, maintenant ? » La soufflette est monumentale, l’envie de contre attaquer inexistante. Le roux rassemble ses mains entre elles au dessus de la table et laisse sa tête s’enfoncer doucement entre ses épaules. Ils ont dit à Quinn tout ce qu’ils pouvaient, désormais elle doit porter leur secret en plus de ceux qui existent sûrement déjà dans sa vie. Ils ont été égoïste de l’ajouter à cette crise et il est aisé de comprendre l’agacement de l’océanographe : les deux amis n’ont même pas été capable de se mettre d’accord sur la marche à suivre avant de la prévenir.

« Je veux pas être celle qui causera votre renvoi. Je veux pas… Je ne peux pas être responsable de ça. Je vous connais depuis… Mais tu fais chier quand même, Jasper. » Le brun devient le réceptacle de toute la colère et le stress de la trentenaire sans que cela ne fasse réellement de sens - sans que personne n’ose répliquer quoi que ce soit non plus. « Je m’emballe peut-être avec cette histoire d’équipe imposée. Personnellement je pense que ça cache quelque chose et que ce coup de fil ne changera rien. Mais si je ne vérifie pas une dernière fois, je m’en voudrais toute ma vie. » Elle a encore de l’espoir parce qu’elle n’est dans la confidence de toute cette tourmente que depuis quelques minutes à peine. Si elle était au courant de toute cette histoire depuis la première, comme le sont les deux hommes, son discours aurait sans aucun doute été bien différent. Elle n’aurait pas autant de pitié dans le regard, dans ses sourcils qui se froncent pour exprimer tout sauf de la colère. L’empathie qu’elle peut éprouver envers eux ne les sauvera et si elle en montre trop, si elle s’implique trop, elle coulera à son tour. Alors Caelan la regarde se reculer en soufflant doucement, les mains moites.

Sa seule réaction reste finalement de venir frapper l’arrière du crâne de Jasper avec la paume de sa main, comme ses grands frères le faisaient avec lui parfois quand il déconnait grave. ”Imbécile.”

Spoiler:

Quinn semblait ne pas savoir quoi dire ou quoi faire, et si dans son regard on pouvait lire quelque chose qui ressemblait à de la déception, Jasper tachait d'en faire fi. Elle n'avait pas été là lorsqu'ils avaient été confrontés à ce cas de conscience, elle ne savait pas dans quelles circonstances ils avaient du prendre cette décision. Ce n'était certes pas malin, et ils avaient sûrement brisé leurs carrières respectives, mais la cause était louable et plutôt que d'être jugé l'océanographe aurait aimé un brin de compassion de la part de sa collègue. Il s'interposait lorsque Caelan annonçait qu'il allait prendre la responsabilité de ce gigantesque fiasco, mais il était hors de question que le Leckie récupère la charge de décisions qu'ils avaient prises ensemble, pas alors qu'il avait une famille derrière lui là où lui n'avait qu'une cousine qui comprendrait sûrement qu'il ait décidé de foutre sa vie en l'air. Il espérait du moins. Caelan ne lui avait pas répondu le moindre mot, car ce fut Quinn qui stoppa net Jasper, lançant un : « Ça suffit ! » à l'en faire se tourner vers elle. « Aucun des deux ne lâchera de toute façon. Donc soit vous vous en sortez tous les deux, soit vous vous sacrifiez tous les deux. C’est bon, on peut se concentrer sur le véritable problème, maintenant ? » Pardon ? Jasper fronçait les sourcils, se demandant bien si la blonde se rendait compte de ce qui allait se passer pour eux si la réalité finirait par être découverte. Et elle le serait à n'en pas douter. Ce n'était pas sa vie qui était en jeu mais la leur, et sauf miracle, ils étaient condamnés. Ses sourcils se fronçaient par la colère, mais il se radoucissait rapidement puisque c'étaient bel et bien ses amis qui se tenaient devant lui plus que des collègues. Ok, il faudrait trouver une solution.  « Je veux pas être celle qui causera votre renvoi. Je veux pas… Je ne peux pas être responsable de ça. Je vous connais depuis… Mais tu fais chier quand même, Jasper. » Quinn semblait émue, touchée, et c'était probablement la seule chose qui le faisait encore garder les pieds sur terre. Ils avaient gâchés leurs vies et mêlaient l'une de leurs pairs indirectement à tout ça. Elle n'aurait pas d'autre choix que d'être celle qui causera leur renvoi, pas par choix il s'en rendait compte, mais par obligation si elle voulait garder sa place. Peut être qu'il lui en voulait un peu de le faire, et sans doute était ce pour cette raison qu'il catalysait toute la colère de la blonde. Pour lui poser les mots justes d'entrée de jeu était nécessaire, le préparait à toucher le fond à mesure que l'espoir s'amenuisait. Ils avaient beau être aussi inventifs et diplomates que possible, sans la connivence de l'océanographe ils étaient foutus. « Je m’emballe peut-être avec cette histoire d’équipe imposée. Personnellement je pense que ça cache quelque chose et que ce coup de fil ne changera rien. Mais si je ne vérifie pas une dernière fois, je m’en voudrais toute ma vie. » Jasper eut un rictus, laissant s'échapper d'entre ses lèvres plissées un rire sans joie. "Ils sont plus gros que nous. Ils feront ce qu'ils voudront. Ils détruiront ce qu'ils voudront, et on aura pas d'autre choix que de regarder faire." Un brin trop cynique, l'océanographe avait toutefois pour excuse de voir sa vie s'effriter sous ses yeux pour justifier son comportement de parfait idiot. Quinn n'y était pour rien, mais c'était bien elle qui allait rendre publique leur méfait. « Attendez-moi ici. J’en ai pour une minute. » Elle avait sorti son téléphone de sa poche, s'éloignant, et alors que Jasper sentait la pression s'abattre sur ses épaules avec lourdeur, son crâne se vit heurté par la main de Caelan, un geste agrémenté d'un "Imbécile" auquel il ne réagissait pas vraiment, bien trop à cran pour le moment. Quel que soit l'appel passé par Quinn, il ne serait pas porteur d'une solution miracle et ça ils le savaient tous les deux, alors découragé, le Wickham se laissa retomber sur le banc, tentant tant bien que mal de faire le bilan de cette affaire qui causeraient leurs pertes.