There's meltdown in the sky
Lucia Whitemore & @Evelyn Pearson  

« Je connais une jeune femme de ton âge qui dit souvent que le gras, c’est la vie. » J’esquisse un sourire. Elle a raison, la jeune femme de mon âge, ça ne fait pas un pli à mes yeux. Ce qui m’interpelle ce n’est pas la confirmation que je ne suis pas la seule jeune femme clairement addict au gras et au sucre qu’il existe sur cette planête - là dessus j’ai accepté depuis un moment le fait de ne pas avoir l’exclusivité - non, c’est le fait qu’Evelyn mentionne pour la première fois quelqu’un qui n’appartient pas au cercle professionnel. J’ai rapidement compris qu’elle compartimentait la brune, et si ce n’est pas mon genre de prime abord, je le respecte et ne me serais jamais livrée aujourd’hui de moi même, sans d’exceptionnelles circonstances atténuantes. « Une jeune femme ? Quelqu’un de ta famille ? » En bonne élève, j’ai fait mes devoirs. Comme moi, Evelyn a grandi avec des soeurs et, je le devine, dans un environnement exigeant. Au delà de ce que l’on trouve sur internet, sa vie privée demeure inconnue pour moi et je la respecte bien trop pour avoir tenté de gratter.

Et aujourd’hui encore plus qu’habituellement puisqu’au delà de l’image parfaite que j’ai d’elle, elle révèle une nouvelle facette. Evidemment qu’elle n’est pas à l’aise à l’idée de marcher avec un bras passé autour de mes épaules ou lorsqu’elle me prend dans se bras : elle le fait pas compassion, elle le fait parce qu’au delà de ce vernis parfait, c’est également quelqu’un de bien sous la surface. Elle s’intéresse, elle est mal à l’aise mais tente de me réconforter et, sans que je sache trop pourquoi, je me sens encline à lui confier les contours de mon malaise, même si je n’entre pas dans les détails. Elle lève les bonnes alertes, elle tient le bon discours et me conseille même concernant ma relation actuelle. « Le temps au temps. » Je hoche la tête tandis qu’elle répète sa maxime. Ce que je tais, c’est que nous en avons eu du temps, Swann et moi, et qu’il est l’heure de se jeter à l’eau. Pourtant, je sais que sans que l’on me pousse, je n’y parviendrais pas. « Tu viens de le dire. Tout le monde à ses limites. Tu as les tiennes, il a les siennes… c’est à vous de les déterminer ensemble pour ne pas les dépasser. Ce n’est pas un signe de faiblesse de dire à son partenaire ce qu’on se sent capable d’explorer ou non, c’est au contraire un bon moyen de créer quelque chose d’unique, et qui vous appartiendra à tous les deux. » Ses jolis mots me touchent et gomment un peu de mon tracas, mais le fond me paraît utopique. Swann est humain : et les humains souffrent parfois de façon irrationnelle. S’il sait que j’ai le droit d’avancer à mon rythme, n’arrivera-t-il pas un moment où il sera obligé de prendre du recul, de faire trois pas en arrière pour ne pas être blessé à son tour ? Ai-je le droit de continuer à le placer dans cette situation là ? Si je lui fais de la peine, même non intentionnellement, est-ce que je vaux vraiment mieux que mon ex petit ami ? « Ne vous enfermez pas dans le silence par crainte de blesser l’autre, ça ne fera qu’empirer les choses. » Je hoche la tête. « Je sais… Mais j’ai la sensation d’être impuissante. » Puisqu’à chaque fois que je veux parler avec lui de ce qu’il s’est passé l’autre soir, je panique. « J’ai peur qu’il s’éloigne pour se protéger. » Je pousse un soupir, avant de conclure. « Mais tu as raison : le temps au temps. » J’espère seulement que je n’arriverais pas trop tard.

Comme on ne se refait pas, je m’inquiète également de m’en veux d’avoir pu sembler fragile à Kate Sanders. Bien sûr, ma fragilité transpire par tous mes pores mais si elle a aujourd’hui fait une réflexion, n’est-ce pas parce qu’elle a trouvé cela déplacé ? Ce serait dommage, puisque j’ai enfin l’impression d’avoir créé un lien de confiance avec la jeune mariée, et c’est agréable que d’être traitée de la sorte : comme une alliée, une professionnelle, comme quelqu’un en qui elle place une partie du plus beau jour de sa vie entre les mains. Je comprends ce qui rends rend accro dans ce métier : cette sensation là, elle me semble à moi incomparable. « On reste humaines, Lucia. C’est ce qui nous permet de faire aussi bien notre travail. » Je hoche la tête. « C’est vrai, tu as raison. Et elle n’avait pas l’air chagrinée. » Nous avons en plus bien avancé ce matin dans la recherche de sa robe parfaite. « Je cerne mieux ses attentes, que ce soit pour la robe ou le reste. C’est agréable et elle n’est pas si superficielle qu’elle le paraît au premier abord. » Je ne sais pas si j’ai tout à fait le droit de dire ce genre de chose où si même lorsque les clients ne sont pas là, Evelyn tient à conserver un professionnalisme à toute épreuve. Lui arrive-t-il de maudire certains couples particulièrement difficiles ?

Qu’elle valide mon choix en posant ses yeux sur l’intérieur de la brasserie me fait rougir de plaisir. Plus habituée aux compliments j’en oublie que certains tiennent de l’anodin. « J’ai noté ça pour la semaine prochaine. Si tu ne vois pas d’inconvénients à ce qu’on se partage les visites entre les différents sites, on pourra établir un emploi du temps pour nous faciliter la tâche et se montrer plus efficaces. » Je secoue la tête en m’installant à table. Je ne jette qu’un coup d’oeil distrait à la carte que je connais déjà plus ou moins par coeur. Je la récite dans ma tête pour faire mon choix, et je ne l’observe que pour jeter un oeil aux vins : je bois peu à table, et je ne saurais que conseiller à Evelyn. « Non bien sûr, aucun inconvénient. » Au contraire, je suis ravie qu’elle m’accorde assez sa confiance pour gérer certaines chose de A à Z. « Pour ce qui est des vins je ne saurais quoi te conseiller, mais leur feuilleté à la viande est servi avec une sauce à tomber par terre. » Et des frites de patate douce, mon péché mignon. « Pour les visites, tu penses que je pourrais m’occuper du vignoble dont j’ai parlé la dernière fois ? Celui où se sont mariés mes parents ? » Je réalise que je n’y ai jamais mis les pieds, et en bonne sentimentale je ne dis jamais non à ce genre de pèlerinage.