(at nate's jazz club) Prendre le temps de discuter avec Camil en dehors du travail n’est pas inédit mais n’est pas non plus dans leurs habitudes. Il le considère autrement que comme un collègue et un supérieur, mais Ambrose n’irait pas jusqu’à dire qu’il est son ami. En réalité, il a bien du mal à savoir comment qualifier Camil, ou même quelle étiquette il peut bien lui poser. De ce fait, cela va de pair avec un second problème: il ne sait pas ce qu’il est en droit de lui confier ou non. Il voudrait pouvoir tout lui dire et s’en remettre à son jugement, plus mature que celui d’Ambrose, mais d’un autre côté il sait aussi qu’ils évoluent dans un monde de requins où ils peuvent chacun se retourner contre l’autre à tout moment. Ils aspirent au même objectif final et ce n’est une surprise pour personne, mais Ambrose s’est toujours dit que Camil pourrait avoir sa place au sommet avant qu’il soit lui-même prêt à répondre à une telle tâche. Dans son esprit, tout pouvait être simple et linéaire. Dans la vie, rien n’est jamais aussi simple ni linéaire ; et au fond, il le sait très bien. « J’ai chanté ici en septembre. Ils avaient organisé quelques scènes ouvertes. » Il annonce pour préciser la façon dont il a connu cet endroit, l’ambiance jazz n’étant généralement pas à son goût - et il préciserait même qu’il se demande à qui elle peut encore être au goût de tant le jazz est passé de mode, mais peu importe. En voulant trouver un endroit où boire un verre en toute simplicité, c’est à ici qu’il a rapidement pensé. Il sait qu’ils y seront au calme, sans trop d’oreilles distraites et surtout sans avoir besoin de hurler pour se faire entendre. « L’endroit mériterait d'être un peu plus connu. » Non pour leur musique mais bien pour l’endroit en lui-même, voilà ce qu’il en pense. « Peut-être même que c’est ton genre de musique ? » Et la seule raison pour laquelle il n’a pas déjà partagé tout son désamour pour le jazz, c’est justement parce qu’il ne connaît pas les préférences de Camil en la matière et ne veut pas débuter une soirée avec un faux pas du genre.

Il souhaite encore moins débuter la soirée d’une telle manière parce qu’il pressent que ce dont il souhaite parler à Camil n’aura pas grand chose pour l’enjouer et qu’il veut donc préserver ses cartouches pour le moment venu. La musique n’a jamais été un point d’intérêt commun entre Camil et lui, encore moins alors que ce dernier l’avait prévenu bien avant l’heure qu’il devrait rapidement faire un choix entre sa passion et sa vocation. Maintenant que cela représente une chose faite, c’est au moins un point sur lequel ils arrivent à s’entendre un peu mieux. « Je me disais que ça serait une bonne idée de prendre un verre en dehors des bureaux et des événements, pour une fois. » Parce que le respect qu’il nourrit à l’intention de Camil est sincère, parce qu’il ne veut pas que les contacts entre eux puissent cesser à la seconde où leurs chemins pourraient prendre une direction différente. Encore moins alors que tout est dans l’hypothétique: ils pourraient prendre une direction différente autant qu’ils pourraient ne jamais différer. Bien que cela pourrait être particulièrement utile, il ne lit pas encore l’avenir.