≈ ≈ ≈
{standing still like photographs}
crédit/(noirflavouredgifs/tumblr) ✰ w/@Megan Williams

Il y a de la poussière sur le bureau qui est proche de la porte d'entrée et tu n'en es même pas surpris. Il faut dire que personne n'est venu ici depuis quelques jours, que ce soit toi ou Megan maintenant que tu y penses. Plus que bizarre quand on connait votre passion commune pour la photographie et encore plus étrange quand on sait que tu adores te réfugier derrière l'objectif d'une caméra dès que le moment s'y prête. Et d'aussi loin que tu t'en souviennes, la photo, ça a toujours été ton refuge et ton échappatoire, toujours un truc pour toi que tu maitrisais et qu'on n'a jamais pu t'enlever. Cela n'a pas été le cas ces derniers temps, tu sais que même toi tu ne peux pas faire opérer ta magie habituelle et changer la donne, tu ne peux pas juste tout ajuster, zoomer et changer le contraste pour changer ou même effacer ce que tu as dit et pourtant, tu voudrais le faire. De ton côté, le blocage est totalement dans ta tête, ce qui n'aide pas du tout avec ton autre métier au sein du Brisbane Times, même ton supérieur t'a demandé de reprendre quelques clichés et t'as fait remarquer que tu avais l'air ailleurs, pire, il a suggéré des vacances. (Ce à quoi tu as répondu par un rire jaune, pour aller où et surtout, avec qui ? Ta petite-amie qui t'adresse à peine la parole ? Non merci.)
Pour ce qui est de Megan ... tu as juste le droit à un coup de fil du mari de cette dernière, Damon, pour te dire qu'elle démissionnait et c'est tout. Tu ne connais rien de la vie de la blonde et tu savais bien que son passage ici était temporaire, elle a le genre d'ambitions qui font tourner la tête Megan, mais quand même, un message interposé ? Il y a bien quelque chose qui cloche, non ? C'est ce que tu t'es dit, sans insister, lâchant un okay pas du tout convaincu à l'autre bout du téléphone, avant de te reprendre et de dire à son épou de lui passer ton message de bonne continuation. Le studio parait encore plus vide maintenant, tu hausses les épaules, te dirigeant vers le placard où vous gardez les produits ménagers, histoire que Mirages est moins des allures de navires fantômes. Et puis ça t'aide à ne penser à rien de faire la poussière, de passer un coup de balais et de rallumer l'ordinateur ainsi que la machine à café. Il y a des appels manqués et des e-mails non-lus, sûrement de certains qui attendent leurs photos et leurs commandes, mais chaque chose en son temps, pas vrai ? Tu en es là dans tes pensées, rangeant petit à petit quand le bruit distinctif d'une porte qui s'ouvre se fait entendre, c'est assez pour te faire revenir jusqu'à l'accueil.
"Megan ?" Tu fronces les sourcils, tu pensais que votre prochain échange se ferait par message, quand elle s'expliquerait un peu plus ou te demanderait sa dernière paye, au choix. Tu ne t'attendais certainement pas à voir la blonde ici en personne. "Je ne m'attendais vraiment pas à te voir ici... tu viens chercher tes affaires ? Un chèque peut-être ?" Pourquoi cela sonne comme des questions ? Tu n'en sais rien, beaucoup de tes phrases, okay, la plupart de tes phrases sonnent ainsi depuis ta dernière dispute avec Yasmine - il ne faudrait pas que tes mots dépassent tes pensées encore une fois, pas vrai ? Oui, tu ne voudrais vraiment pas répéter l'opération et en plus, dans ce cas précis, tu n'es même pas en colère, juste un peu perdu de ce soudain revirement de situation, que tu n'avais pas vu venir pour le coup, pas du tout maintenant que tu y réfléchis bien. "Je peux savoir ce qui se passe ou pas ? T'es pas obligée de répondre bien entendu." Est-ce le studio ou son atmosphère ? Ou cela ne correspondait pas du tout à ses attentes ? Ou est-ce qu'il se passe quelque chose de pire encore dans sa vie ? Dans tous les cas, tu te dis déjà que tu peux tout entendre et que tu peux aider du mieux que tu peux, oui, tu es peut-être perdu dans la présente mais certaines choses ne changeront jamais et tu seras toujours toi.

standing still like photographs
Megan Williams & @Edge Price

Elle est difficilement explicable, cette certitude que je ne serai plus capable de tenir un appareil photo avec des semaines, voire des mois et peut-être des années. Lorsque je prends ma merveille de technologie entre les doigts, je suis pétrifiée. Autrefois, je ressentais de l’excitation, un profond bien-être et une certitude que j’étais exactement en train de faire ce que j’étais supposée faire, lorsque je me baladais dans les rues à la recherche de l’inspiration. Cette sensation de souffle nouveau a disparu. Mes doigts tremblent lorsqu’ils approchent d’un appareil photo, mes tripes se retournent et je me souviens de ma mère, de ce paquet cadeau de mauvaise qualité dans lequel elle avait emballé mon premier appareil photo numérique qu’elle avait certainement volé, de son sourire qui avait fait écho au mien, et de son corps sans vie étendu sur une table en métal quand on m’a demandé de l’identifier. Ils ne vous laissent pas beaucoup de temps. Pourtant, ça a été assez pour que je grave chaque détail dans ma mémoire et que j’envoie mon réflexe hors de prix s’écraser contre le mur. Qu’il soit irréparable n’a pas la moindre importance : je suis pleine aux as, à présent. Sauf que je n’ai pas l’intention d’en acheter un nouveau. Je me contente de caresser du regard le vieil argentique de collection offert par Damon à mon anniversaire, quand celui-ci ne me rappelle pas toute la solitude que je ressens et que je lui ai hurlé dessus qu’il m’a laissée seule et que ma mère est morte.

Il aurait certainement proposé de se rendre à ma place au studio malgré tout, si je le lui avais demandé. Sauf que je n’ai pas prémédité mon geste, j’étais dans la rue, je marchais sans réellement de but et je me suis arrêtée devant la devanture du Mirage. J’ai décidé que l’heure était au courage et, prenant le mien à deux mains, j’ai poussé la porte de la petite boutique. J’espérais me trouver face à ma potentielle remplaçante. Elle m’aurait rendu mes affaires et tendu mon chèque - Edge m’a écrit pour me dire qu’il m’attendait au studio - sans me poser la moindre question. Sauf que c’est celui qui est désormais mon ancien boss qui me fait face. « Megan ? » Je n’ai pas assez changé pour ne pas être reconnue. Je suis certainement bien plus pâle et mes traits sont plus tirés, mais je hausse les épaules comme pour dire “qui veux-tu que ce soit”, avec cynisme. « Je ne m'attendais vraiment pas à te voir ici... tu viens chercher tes affaires ? Un chèque peut-être ? » Je fais deux pas à l’intérieur, sans oser m’approcher plus que ça. « Oui, c’est ça. J’ai reçu ton message, je viens chercher mon chèque d’Octobre. Et j’ai peut-être laissé ma veste, aussi. » Comme si ça avait la moindre importance, un vêtement égaré sur mon lieu de travail. Je suis surtout venu pour boucler la boucle un peu plus proprement que je ne l’ai fait il y a deux semaines en demandant à mon mari de prévenir Edgerton à ma place. « Je peux savoir ce qui se passe ou pas ? T'es pas obligée de répondre bien entendu. » Je pousse un soupir, avant de lui délivrer une demi confession. « Y’a eu un décès dans ma famille. » Ma mère, mais est-ce utile de le lui préciser ? Est-ce que cela l’intéresse, ou demande-t-il simplement par politesse ? Je n’ai pas l’habitude de parler de Billie, alors je ne prendrai pas celle de parler de sa mort. « Ça demande de la disponibilité, et des ajustements sur mon emploi du temps. » A moins de se retrouver avec un enfant à charge, le décès d’un membre de sa famille n’a jamais empêché personne de travailler, pas sur le long terme en tout cas. Sauf que je n’ai pas pour habitude de m’étendre sur ce que je vis et traverse, j’ai appris à me débrouiller toute seule il y a bien longtemps. Bien sûr, mon ton est trop morne et superficiel pour que ce qui sort de ma bouche ne soit réellement convaincant. Mais tant pis : la torpeur est mon état second depuis que les flics m’ont appelée pour m’informer de l’overdose de Billie.

≈ ≈ ≈
{standing still like photographs}
crédit/(noirflavouredgifs/tumblr) ✰ w/@Megan Williams

Est-ce que tu pourrais dire que tu connais Megan ? Certainement pas, cependant, travailler avec quelqu'un, et dans un métier qui demande un minimum d'imagination et de créativité, et pas juste de passer ses journées derrière un bureau, ce n'est pas rien. Pas rien du tout et même toi tu peux voir le changement chez la jeune fille, c'est presque imperceptible mais elle semble un peu plus sur la défensive, un peu plus blasée que d'habitude. Est-ce juste sa façon de se tenir ou de parler ? Tu n'en sais rien, mais elle passe plus pour étrangère qui serait tombée en panne à deux rues de là et qui vient demander son chemin que ton employée. Il s'est définitivement passé quelque chose. "Okay..." Tu marmonnes le simple mot quand la blonde te parle de son chèque du mois dernier, c'est compréhensible, si la blonde veut tout de suite aller à l'essentiel, tu ne vas pas lui faire perdre son temps. Tu détestes qu'on le fasse avec toi alors autant lui retourner la pareille.
Megan avance à peine, toi tu as déjà fait le chemin jusqu'au petit bureau de l'accueil et l'ordinateur qui y trône, cherchant la clef du seul tiroir ferméedu meuble, posant ta question. Et tu n'es pas prêt pour la réponse qu'elle te donne, véritablement pas, autant pour la vérité, le poids de la nouvelle que la franchise de son annonce. Ta main pend dans le vide pendant une seconde puis deux, alors que tes yeux tombent enfin sur Megan, qui est encore debout, qui est là, alors qu'elle a sûrement d'autres détails plus importants à régler qu'un simple chèque. Que tu aurais pu lui envoyer par courrier ou même lui livrer en main propre... Tu te sens bien idiot pour le coup, d'avoir insisté, qu'elle soit là et tu retrouves ta voix avec un temps de retard, après t'être t'éclairci la gorge. "Oh... ton mari ne l'a pas mentionné au téléphone, juste la démission... désolé, j'aurais pas posé la question si je savais." Définitivement pas, tu as compris depuis bien longtemps que Megan était une personne privée et qu'elle n'acceptait pas vraiment les critiques ou mêmes les conseils. Elle est jeune et elle apprendra, que tu t'es toujours dit et en même temps, c'est sa vie à elle, s'il y a bien qui en connait les règles et c'est la blonde et personne d'autre, pas vrai ?  "Normal..." Tu te retrouves à marmonner ce simple mot, à court de quelque chose de cohérent ou même réconfortant à dire ; tu ne sais tout simplement pas ce qu'elle vit, tu es assez chanceux pour avoir tous les membres de ta famille dans la même ville et en bonne santé. Il y a bien eu l'inquiétude il y a des mois de cela quand le père de Yasmine était à l'hôpital, cependant, ce n'est pas comparable, et tu le sais et tu n'es fait pas parti de ceux qui se sentent obligés de tout ramener à leur propre expérience.
Son ton reste monocorde à souhait à Megan, comme si elle n'était pas vraiment là et qu'elle se contentait juste de faire bonne figure, voilà ce que tu te dis en trouvant enfin le chéquier et un stylo. "Mais tu peux prendre tout le temps que tu veux et revenir quand tu te sens d'humeur à prendre des photos, tu le sais ça..." Tu écris le plus lentement possible, comme un gamin qui vient juste d'apprendre à le faire en réalité, soulevant ce point, ton regard s'attarde sur Megan la seconde suivante tandis que tu continues sur ta lancée. "Il n’y a rien de figé ici, je ne suis pas du genre à me prendre la tête et tu vas avoir besoin de temps pour toi et ta famille." Peut-être que tu trompes sur toute la ligne, cependant, tu ne peux t'empêcher de te dire que quelque chose cloche, véritablement dans ce départ. Si tu te trompes et que tu dépasses la simple limite de patron, elle peut te le dire vraiment. "T'as quelqu'un ? A part Damon je veux dire." De sa famille, que tu n'ajoutes pas, Damon est une addition récente et tu ne doutes pas qu'il va l'aider et l'épauler mais tu réalises que tu ne lui as jamais demandé si elle était fille unique ou si elle avait l'habitude des fêtes de famille bruyante ou pas.

standing still like photographs
Megan Williams & @Edge Price

Pendant longtemps j’ai considéré que je ne devais rien à personne et ça n’a jamais été aussi vrai que depuis ces dernières semaines. Au moins, je n’ai pas réellement pris cette décision de façon consciente. Je me suis contentée de dépérir dans mon coin, sans demander à qui que ce soit de m’adresser une main tendue, sans partager la façon dont je me sens et sans jamais penser à l’image que je renvoie. Il n’y a qu’une exception et, pour une fois, il aurait certainement souhaité ne pas l’être, il s’agit de Damon, sur lequel j’ai explosé l’autre soir alors que j’ai eu l’impression qu’il s’adressait à moi avec pitié. J’avais besoin d’un bouc émissaire à ma détresse et à mon sentiment de solitude, il est la seule personne que j’ai trouvée et c’était si simple, au fond. Il n’était pas là la nuit où ma mère est morte, il n’était pas en Australie ni même dans le même hémisphère. Il était à l’autre bout du monde, certainement avec un amant ou une maîtresse alors que j’étais seule, comme je le lui toujours, et je le lui avais dit. Est-ce ça la solution qu’il a trouvée ? Fuir à l’autre bout du monde pour ne pas avoir à poser les yeux sur moi et avoir le sentiment que je suis l’équivalent d’une paire de menottes à ses mains ?

Mais aujourd’hui, je suis calme. A nouveau anesthésiée pour ne rien ressentir - sans avoir pris le moindre médicament, la moindre aide chimique - j’agis avec Edge comme si j’étais un robot. Je n’ai pas envie de lui expliquer toutes les choses qui font que je suis plus qu’une enfant qui vient d’enterrer sa mère. Que je suis une enfant du système qui a longtemps été déchirée par l’impression de haïr ce seul parent autant que d’avoir besoin de son amour. Alors je lui parle d’un proche, sans préciser qui, et surtout sans préciser les circonstances d’une quelconque manière. « Oh... ton mari ne l'a pas mentionné au téléphone, juste la démission... désolé, j'aurais pas posé la question si je savais. » - « Ce n’est pas grave. Et c’est pas sa faute, c’est moi qui lui ai demandé d’appeler pour moi. » Prétextant que j’avais trop de choses à gérer, surtout peu désireuse d’affronter la réaction de mon boss. Je voulais éviter ce genre de réaction aussi, lui avec les bras ballants et désarmé à cause de la nouvelle qu’il vient d’apprendre.

« Normal... » Y a-t-il quelque chose de normal dans tout ce merdier ? Je hausse les épaules, comme insensible l’image que je peux renvoyer et à ma propre tragédie - ou en tout cas, à ce qui doit sembler pour lui être une tragédie. « Mais tu peux prendre tout le temps que tu veux et revenir quand tu te sens d'humeur à prendre des photos, tu le sais ça... » Le regard fixé sur sa main qui rédige mon chèque, j’ai l’air comme absorbée par ce que je regarde. Je ne comprends qu’il est en train de me parler avec compassion qu’au bout de quelques secondes, et je relève les yeux dans sa direction. « Il n’y a rien de figé ici, je ne suis pas du genre à me prendre la tête et tu vas avoir besoin de temps pour toi et ta famille. » - « J’ai plus d’appareil photo. » C’est expéditif comme déclaration. Mais les détails ne regardent personne d’autre que moi et le pauvre appareil fracassé contre le mur. « C’est pas une pulsion. Je peux juste plus. » Mal à l’aise, je joue avec mes doigts et je hausse les épaules. « T'as quelqu'un ? A part Damon je veux dire. » - « J’ai Damon. » Il l’a exclu de l’équation, et je l’y remets puisqu’il n’y a pas grand monde d’autre.  Murphy me déteste et n’existe pas à mes yeux, et personne d’autre ne partage mon sang d’une quelconque façon. « Mais c’est un vrai soutien. » C’est vrai, ça ne pourrait pas l’être plus, pourquoi diable est-ce que cela manque de conviction dans ce cas ?

≈ ≈ ≈
{standing still like photographs}
crédit/(noirflavouredgifs/tumblr) ✰ w/@Megan Williams

Megan n'a pas encore fait demi-tour et tu supposes que c'est une bonne chose. La blonde aurait pu te dire de te hâter, de l'écrire ce chèque, pourquoi est-ce que tu prends autant de temps d'abord, et te dire au revoir et repartir. Non, vos regards se rencontrent enfin, comme si Megan réalisait avec quelques secondes de retard que tu t'adresses bien à elle et pas à une troisième personne dans la pièce. Sa réponse pourrait ne pas faire de sens à cette troisième personne fictive, mais il n'y a que vous dans les locaux de Mirages en ce moment et tu comprends qu'il ne s'agit pas juste d'un appareil photo égaré, c'est plus profond que cela. La perte est passée par là et le blocage est arrivé avec. Tu hoches la tête face à son explication, cela fait du sens à tes yeux, pour certains, il s'agit juste de cliquer sur un bouton en restant derrière en objectif, immortaliser les moments les plus importants ; pour toi ça a toujours été autre chose. Tu as toujours voulu montrer aux autres ce que tu voyais vraiment, de quelle façon le monde se dessinait sous tes yeux et de capturer ce que toi tu jugeais comme important. Comment le faire quand c'est le bordel ailleurs ? Comment avoir envie de le faire ? "Okay, ça je peux le comprendre, si tu ne peux plus envisager de faire des photos, alors oui, dans ces cas-là, j'accepte ta démission."
Pourquoi tu dis cela comme si c'était ouvert à la discussion ? Tu n'en sais rien, tu te dis que la moindre des choses c'est de la laisser repartir sans l'accabler encore plus, vraiment, tu ne veux pas que Megan repense à cette conversation en se disant qu'elle a loupé quelque chose. Elle a Damon, elle insiste sur cela, sans répondre à ta question, mais là encore, ce qu'elle ne dit pas est lourd de sens, que son mari est le seul à compter comme sa famille, donc tout n'est pas parfait avec le reste. La situation doit être des plus épineuses, voilà ce que tu te dis avant de reprendre la parole : "Tant mieux... au moins tu ne seras pas toute seule pour les prochains mois." Ce qui est le plus important, surtout si elle décide d'abandonner une de ses passions de toujours. Tu pousses un autre soupir et tu signes enfin le chèque, le montant est là et tu le détaches de chéquier avant de le lui tendre, un maigre sourire sur le visage. Pour attribuer un peu de normalité à votre échange et que tout ne soit pas aussi gris.
"Et si t'as besoin de quoi que ce soit, n'hésite pas, je sais qu'on ne se connait pas vraiment, mais autant dire que le studio prendrait encore de la poussière et en serait toujours aux rénovations si tu n'avais pas été dans les parages." Tu n'es pas juste en train de lui envoyer des fleurs, toi tu pensais juste à deux chaises et un paquet de chips partagé entre Camille, toi et Yasmine pour l'ouverture du studio, tandis que tu leur montres tes photos préférées. Ce n'est pas cela qui s'est parti et c'est grâce à Megan. "Ce n'est pas rien." Que tu ajoutes, hochant de nouveau la tête. "Tu as mon numéro de téléphone dans tous les cas, si tu changes d'avis ou non." Tout doit lui paraitre insurmontable pour le moment, et tu n'es pas là pour lui mettre la pression ou lui dire comment gérer sa vie, vraiment pas, tu sais juste qu'avoir quelqu'un d'extérieur à la situation que l'on vit peut aider parfois. Elle a Damon et tu te dis que Jo doit également faire partie de l'équation, oui la brune est très douée pour relever les défauts des gens, mais tu l'imagines mal ne pas être là quand une de ses amies traverse quelque chose de difficile. Du peu que tu l'as vu interagir avec sa propre grand-mère, Jo aussi a vécu pas mal de moments plus bas que les autres et elle sait bien gérer certaines émotions, aussi, tu espères que Megan se repose également sur la brune pour gérer sa perte. "Ou si tu as besoin de trouver un autre appareil photo. J'en ai des tas qui trainent." Plus que des tas en réalité, ce n'est pas le propos pour le moment, tu le sais bien. "Ou juste si tu veux parler, je ne suis pas un expert mais je sais écouter." L'offre est là, Megan peut décider seule.

standing still like photographs
Megan Williams & @Edge Price

« Okay, ça je peux le comprendre, si tu ne peux plus envisager de faire des photos, alors oui, dans ces cas-là, j'accepte ta démission. » Si j’étais dans une meilleure forme, j’aurais répliqué d’un air malicieux à Edge qu’il n’a pas le choix, de toute façon. Quand je prends une décision, il est bien difficile de me faire revenir dessus, et pas parce qu’elle est prise de façon rationnelle mais, au contraire, parce que je suis de celles qui foncent tête baissée et n’acceptent aucune remise en question avant d’avoir frappé le mur de plein fouet. Lorsque cela arrive, j’en viens à regretter tous mes choix, mais jamais avant, quelle que soit la personne qui me dit que je me trompe, Jo en a d’ailleurs fait les frais. Je n’étais pas tout à fait en tort puisqu’elle est dure la brune, bien trop souvent, mais dans le fond, elle n’avait pas tout à fait tort non plus. Elle est la seule à me mettre en face de mes erreurs - de façon bien trop violente - et si je ne lui ai jamais demandé de le faire, il va sans dire que c’est pourtant son franc parler qui m’a poussée à me lier à elle, dans un premier temps. « Tant mieux... au moins tu ne seras pas toute seule pour les prochains mois. » - « Faut pas que tu t'inquiètes pour moi. Je vais bien. » Je le répète sans conviction, mais peu encline à l’idée de confier toutes mes insécurités au photographe dont je ne suis jamais réellement devenue proche. J’ai respecté son talent artistique autant qu’il a apprécié et respecté le mien, mais il n’est pas un amis et même à ces derniers, je me confie peu.

« Et si t'as besoin de quoi que ce soit, n'hésite pas, je sais qu'on ne se connait pas vraiment, mais autant dire que le studio prendrait encore de la poussière et en serait toujours aux rénovations si tu n'avais pas été dans les parages. Ce n'est pas rien. » - « C’était une belle soirée de lancement. Mais c’est ton idée tout ça, je suis sûre que tu t’en sortiras comme un chef. » J’esquisse un mince sourire, avant d’ajouter. « Faut juste pas que t'oublies que c’est pas toujours un défaut de vouloir en mettre plein la vue. » Surtout quand c’est de son affaire et de son travail qu’il est question. La modestie, lorsqu’elle est poussée à l'exergue, peut tout autant desservir que de faire preuve d’un égo démesuré. Voir plus : ne dit-on pas que la chance sourit aux audacieux ?

« Tu as mon numéro de téléphone dans tous les cas, si tu changes d'avis ou non. » Je ne changerai pas d’avis : je me connais assez bien pour savoir que si je venais un jour à renouer avec la photographie, j’irai de l’avant. Je trouverai un autre moyen de montrer mon travail et de me faire un nom, j’ai du mal à faire marche arrière puisqu’à mes yeux, c’est en partie admettre que l’on s’est trompé. « Merci de m’avoir donné ma chance. C’était vraiment un plaisir de travailler ici. » Il m’a fait confiance alors que je n’étais qu’une paparazzi, et je ne l’oublierai pas. « Ou si tu as besoin de trouver un autre appareil photo. J'en ai des tas qui trainent. » J’esquisse un sourire et je me le remercie poliment, tout en sachant que lui demander de l’aide pour ça serait du vol étant donné la petite fortune que je possède grâce à mon mariage. Ce n’est pas une question de moyen, ce n’est pas parce que je n’ai plus d’appareil que je me sens obligée d’arrêter, c’est même plutôt l’inverse : la casse de mon précieux numérique, c’est une conséquence, pas la cause. « Ou juste si tu veux parler, je ne suis pas un expert mais je sais écouter. » - « C’est gentil. Pas tout de suite, j’ai vraiment besoin de prendre du temps pour moi-même. » Et dans mon langage, cela veut dire m’isoler et me refermer sur moi-même. Dans ces périodes-là, je ne suis agréable à vivre pour personne et je me laisse difficilement approcher : même Damon a du mal à me soutirer la moindre confession, depuis la mort de Billie. « D’ici là, je te souhaite vraiment de connaître le succès avec le studio. Et le bonheur avec ta petite amie. » Si cela sonne faux, ce n’est pas parce que ma déclaration manque de sincérité - je le suis, sincère - mais parce que pour l’instant, je suis trop déconnectée de mon propre esprit pour faire autre chose que répéter ce que je pense que l’on attend de moi. Après tout ça et seulement après, je glisse mes doigts vers le chèque qu’il a déposé sur le comptoir et je le glisse dans mon sac à main, jetant un dernier coup d'œil à cet endroit où je n’ai guère travaillé longtemps, mais où j’ai apprécié chaque instant.

≈ ≈ ≈
{standing still like photographs}
crédit/(noirflavouredgifs/tumblr) ✰ w/@Megan Williams

Une page se tourne, c'est certain et à tes yeux, cela ne fait aucun doute que les choses seront différentes quand Megan ne sera pas plus dans les parages. Que ce soit pour trouver des projets et des gens intéressés, ou même pour répondre aux e-mails et au téléphone, tu ne sais même pas encore s'il faudrait que tu la remplaces. Sûrement, c'est la chose logique à faire, pour que le studio continue de tourner et que tu puisses garder ton boulot au Brisbane Times sans aucun accroc et sans devoir sacrifier quoi que ce soit. Ouais, il faudrait trouver quelqu'un d'autre, tu n'as pas envie d'y songer pour le moment, il est plus facile de se perdre dans les souvenirs et de penser à cette soirée d'ouverture et quand tout était plus facile. Autant au studio que dans ta vie, maintenant que tu y songes, et clairement dans la vie de Megan aussi. "Oui, je vais essayer de garder cela à l'esprit."  Qu'il faut faire fort, qu'il faut marquer les esprits et que tu te débrouilles assez bien pour prendre de la place et faire du bruit. Une philosophie à laquelle tu adhères bien en principe, mais tu ne t'es jamais considéré comme un artiste et tu vas là où ton inspiration te guide, tout simplement.
Tu ne sais pas vraiment quelle sera la prochaine étape, ça aussi, ça parait difficile à envisager là tout de suite et à la place, tu la laisses récupérer son chèque et tu hoches la tête quand elle te remercie de lui avoir donné une chance. Megan parait sincère pendant une seconde ou deux, elle parait de nouveau elle-même comme lors de vos conversations précédentes, tu ne l'as jamais jugée et tu ne le feras pas non plus lors de son départ, cela ne regarde qu'elle au final. Si elle pense que c'est la meilleure décision pour elle et à prendre sur le moment, alors qu'elle le fasse, c'est elle qui doit vivre avec cela au quotidien, certainement pas les autres. Quelque chose que tu lui avais déjà assuré quand elle t'avait parlé de son ancien métier. Tu n'as pas changé d'avis sur la question. "Et prends soin de toi et Damon, pour ce que ça vaut, moi je pars voir si l'herbe est un peu plus verte ailleurs, littéralement, quand il m'arrive un truc énorme... peut-être que partir de Brisbane ne serait pas une mauvaise idée, dès que tu pourras." Tu donnes des conseils maintenant ? Oui, même toi, tu as envie de rire, tu ne le fais pas, pas besoin de passer pour plus dérangé que tu ne l'es déjà dans le fond, et tu ne sais même pas si c'est la meilleure chose à faire concernant sa situation. Une perte de cette ampleur, elle n'a toujours pas précisé qui, mais vu son comportement et l'attitude détachée de Megan, ce n'est clairement pas n'importe qui, qu'elle a perdu, il va lui falloir du temps pour gérer et assimilier tout ça.
Tu ne suggères même pas de fuite, parce que c'est souvent ce que tu fais, ce que tu as fait, quand les choses devenaient un peu trop compliquées, juste une pause de temps, pour revenir avec l'esprit un peu plus clair, rien de plus, rien de moins. Megan est presque positive avec sa dernière phrase, presque maintenant que tu y penses et à la mention de Yasmine, tu ravales un rire jaune, ce n'est clairement pas le moment d'étaler ta vie sentimentale plus que bancale. Non, la blonde est sur le départ, tu le comprends, le chèque finit dans son sac tandis que tu articules un :  "Je lui ferais passer le message." qui se veut sincère mais qui ne l'est pas. Tu doutes de vraiment dire à Yasmine les circonstances du départ de Megan, ça parait un peu trop sensible comme information maintenant que tu y songes. Mais tu souris quand même, regardant Megan s'éloigner et observer l'endroit une dernière fois, comme si elle n'allait jamais y remettre les pieds. Il y a définitivement quelque chose qui ne l'aligne pas dans cette vision, tu ne prendrais certainement pas de photo maintenant, non, pas quand Megan manque un peu de couleur et qu'elle a l'air épuisée avant tout. "C'était pas des paroles en l'air, tu as mon numéro de téléphone dans tous les cas." C'est plus fort que toi, tu l'ajoutes une fois de plus alors qu'elle est déjà en train d'ouvrir la porte, pour quitter l'endroit, pour vivre sa vie et véritablement tourner la page. C'est compréhensible, cependant, tu t'en voudrais si tu ne lui rappelais pas, vraiment.

standing still like photographs
Megan Williams & @Edge Price

« Oui, je vais essayer de garder cela à l'esprit. » - « Si je repasse dans le coin pour un vernissage, je veux pas voir des hors-d'œuvre surgelés, des cornichons et des verres en carton. » J’accroche un sourire de rigueur et de composition sur mon joli visage, faisant référence aux trop basses ambitions du brun avant que je ne vienne mettre mon grain de sel là-dedans. Nous ne sommes pas vraiment devenus proches, mais j’espère qu’il aura retenu une chose de mon passage au studio, c’est que l’on ne peut jamais en faire trop, qu’il vaut toujours mieux mettre les petits plats dans les grands plutôt que de créer de la déception. Du reste, je suis persuadée qu’il me remplacera et qu’il trouvera un ou une autre photographe de talent pour tenir la barre du studio. « Je suis désolée de te laisser en plan d’un coup. » Ma voix est neutre, mon ton tout autant, mais pourtant, c’est vrai au fond. Je suis trop égoïste pour faire marche arrière ou prendre une autre décision, mais assez empathique pour m’en vouloir d’abandonner ainsi le navire. J’aimais l’ambiance du studio. J’aimais la liberté qu’il m’apportait. Mais j’ai la certitude qu’il vaut mieux que je raccroche les gants : la photographie ne m’a jamais rien apporté de bon dans ma vie, il est temps de la laisser derrière moi. « J’espère que tu trouveras quelqu’un rapidement. » En ajoutant ça, je lui fais comprendre que, de mon côté, je ne laisse pas la porte ouverte à un retour. Je ne veux pas qu’il ”garde ma place au chaud” par correction et au détriment de l’activité du studio. Je sais que je prends des décisions irréfléchies, mais jamais je ne reviens dessus.

« Et prends soin de toi et Damon, pour ce que ça vaut, moi je pars voir si l'herbe est un peu plus verte ailleurs, littéralement, quand il m'arrive un truc énorme... peut-être que partir de Brisbane ne serait pas une mauvaise idée, dès que tu pourras. » C’est maladroit de parler de mon époux et d’aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs dans la même phrase et, en temps normal, sa maladresse m’aurait fait sourire, et lui aurait valu une taquinerie. Ce n’est pas le cas cette fois, de toute évidence, et je réponds à son conseil d’un sourire poli. « Peut-être que t’as pas tort. » Peut-être en effet que je pourrais en parler avec Damon, mais je doute que ses obligations lui laissent la possibilité de faire ce genre de chose. Je doute aussi qu’il soit prêt à le faire pour moi, bien qu’il ait été à mon écoute et merveilleux, depuis qu’il est rentré du Canada. Sauf que c’est là que le bât blesse : il était à l’étranger quand j’ai appris la nouvelle, à l’autre bout du monde pour être exact, sans la moindre considération pour moi, pauvre idiote restée en Australie. « Je lui ferai passer le message. » Il ne le fera pas, on le sait tous les deux. Je ne connais pas sa petite amie, mais elle m’a l’air du genre jalouse de tout ce qui bouge. Elle accueillera sans nul doute mon départ du studio avec satisfaction, et personne ne pourra lui en vouloir. J’ai l’habitude, de recevoir l’animosité de mes congénères féminines, quand bien même je ne constitue même pas un peu une menace. « C'était pas des paroles en l'air, tu as mon numéro de téléphone dans tous les cas. » - « Oui, je l’ai. Merci beaucoup Edge. » Je ne promets pas de lui donner des nouvelles. Je ne lui demande pas de m’écrire pour m’en demander. Nous savons tous les deux que, pour l’instant, je n’ai besoin que de prendre du recul et d’être seule pour essayer de parvenir à sortir la tête de l’eau. Je suis trop fière pour accepter une main tendue, de toute façon. Je lui adresse un dernier sourire, un signe de la main et, sans me retourner, quitte le studio et referme la porte derrière moi en même temps que je referme ce chapitre de ma vie.