Le mois de Juin était passé à une vitesse qui n’avait pas permis à Ava d’anticiper l’hiver qui s’abattait sur Brisbane. Les températures avaient chuté et en sortant de chez elle, la blonde avait regretté de ne pas avoir choisi une veste un peu plus épaisse mais elle avait haussé les épaules avant d’accélérer le pas pour s’assurer que son pas lui permettrait de se réchauffer. Ava n’était pas pressée, elle ne l’était jamais réellement lorsqu’il s’agissait de se rendre chez l’un de ses clients mais elle mettait cependant un point d’honneur à arriver à l’heure. Jamais en avance, aussi, elle avait fait quelques pas en bas de la rue avant d’enfin se décider à sonner chez ce businessman fortuné qui l’attendait pour passer la soirée avec lui. En arrivant sur place, l’austérité de son appartement l’avait légèrement étonnée et elle ne s’était pas retenue de lui faire la remarque. Cela avait au moins eu pour effet de briser la glace et de détendre l’atmosphère et c’était toujours avec autant de facilité, sans même essayer, qu’Ava réussissait à la perfection à jouer son rôle de petite-amie d’un soir. Elle le tenait par le bras lorsqu’ils étaient arrivés au restaurant, elle portait une tenue qu’il lui avait gracieusement offerte et ses rires laissaient penser sans l’ombre d’un soupçon qu’elle était bel et bien la compagne de l’homme à ses côtés. Il n’en était rien, de la poudre aux yeux destinée à paraître un peu plus docile et accessible aux yeux de ses prochaines victimes, parce que les personnes que fréquentaient Ava n’était jamais réputé pour être totalement recommandables. Mais ce n’était pas ses affaires alors elle ne s’en mêlait pas, se contentant de savouer le dîner en laissant le plus souvent son client parler, utilisant les informations qu’il lui avait données au besoin si les clients venaient à la questionner. C’était un jeu d’enfant qui rapportait gros, et Ava rejetait de toutes ses forces les nombreux commentaires de ses amis visant à juger l’emprise que ses parents avaient sur elle.

La soirée s’était passée sans encombre, le client l’avait payée avec toute la discrétion du monde une fois les siens partis du restaurant. Puis ils s’étaient quittés, en se saluant brièvement. Rien de plus, rien de moins, et l’idée que l’on se fasse tout un monde de cette occupation lui semblait étrange. Sa vie avait repris son cours aussi simplement que cela, Ava s’accordant simplement quelques minutes seule avant de reprendre le chemin de chez ses parents qui récupéreraient une grande partie de la somme gagnée. Et ce soir-là, parmi les couples se tenant la main ou les passants pressés se dissimulait un homme seul, assis sur le sol. Un sourire triste s’était dessiné sur le visage d’Ava. Mettant les maisn dans les poches de sa veste - décidément bien trop légère - elle s’était avancée vers lui avant de s’accroupir. « Vous avez besoin de quelque chose ? A manger, à boire…» La demande semblait banale, pourtant, il relevait déjà de l’exploit que quelqu’un ait souhaité s’arrêter et prendre le temps de discuter avec lui. Avec le genre de personne qui finissait par faire partie du décor pour la plupart des habitants de Brisbane, un sentiment d’indifférence dont Ava n’était absolument pas doté. Au contraire, elle faisait de son mieux, à son niveau, pour aider, dans l’attente de pouvoir un jour peut-être participer à plus grande échelle. « Ou même un peu de compagnie, mais je vous avoue que je ne suis pas certaine d’être la mieux placée pour ça ! » avait-elle ajouté dans un rire, parce qu’elle s’efforçait de rendre un peu de cette humanité perdue au garçon qui semblait légèrement étonné par sa démarche. Mais elle n’était ni pressée, ni déstabilisée. Elle attendait simplement sa réaction.

Ce n’était pas désagréable, de dîner dans de luxueux restaurants et en ressortir avec plus d’argent qu’avant d’y entrer. Pourtant, à la suite de cette soirée, Ava ne se sentait pas autrement que vide parce que ce n’était pas un rôle dans lequel elle s’épanouissait. Elle s’y pliait volontiers, suivant la volonté de ses parents et réussissant toujours à tourner ce métier en quelque chose d’amusant pour elle et elle ne se plaignait pas. Mais il était évident qu’elle recherchait quelque chose de plus. C’est donc tout naturellement qu’elle s’était aventurée auprès de ce jeune homme assis par terre, dans le froid, cette action-là ayant bien plus de sens que tout ce qu’elle n’aurait jamais pu faire. Ce n’était qu’une fois à son niveau que la jeune femme avait initié la conversation, sans réellement savoir si c’était quelque chose qu’il accueillerait de manière positive. -”Si tu n'as pas peur de te salir ou de mourir de froid. Je veux bien de la compagnie.” Son sourire crispé s’était détendu alors qu’elle était ravie de cette réponse, même si l’idée de lui procurer de quoi manger restait dans un coin de son esprit. Il n’était pas le plus accueillant et pour cause, il devait avoir appris à se méfier de toutes les mains tendues, même celle d’une petite blonde qui savait ses intentions louables. Lui n’en savait rien, et son égo lui indiquait peut-être de ne rien accepter trop facilement, surtout d’une personne qui avait une attitude différente de la plupart des gens. « Je sais que ma tenue prête à confusion mais, non, ça ne me fait pas peur. » Et pour preuve, Ava avait relevé le bas de sa robe pour venir s’asseoir à côté du garçon. Instantanément, sa situation était devenue un peu plus facile à appréhender, elle était à son niveau et pouvait voir ce qu’ils voyaient. Les regards réprobateurs des passants étaient venus se mêler à ceux empreints seulement d’une pitié qui devait devenir extrêmement lassante. Quelques sourires ici et là se perdaient dans un flot d’ignorance et Ava, elle, n’avait que faire de ceux qui jugeaient sa spontanéité. Elle s’était assise sans réfléchir de la même façon qu’elle était venue aborder le jeune homme - n’ayant jamais besoin d’une raison pour faire quoique ce soit, elle suivait simplement son instinct.  « Je m’appelle Ava et je suis ravie de pouvoir te tenir compagnie. Pour ce qui est du froid… Tiens. » avait-elle lancé en même temps qu’un sourire en lui tendant quelques billets. C’était ceux qu’elle venait de gagner, ceux qui passeraient inaperçu auprès de ses parents tant la somme donnée par l’homme qu’elle venait d’accompagner dépassait l’entendement. « Ce sera pas assez pour acheter un manteau, mais peut-être que si je me mets à danser ou à chanter on récupérera assez ? » Son but était d’essayer de rendre le sourire à cet inconnu, parce qu’il était évident qu’elle n’hésiterait pas à utiliser son argent pour lui permettre, à minima, de combattre le froid avec de nouveaux habits chauds.

Ava forçait la conversation et même si elle ne se sentait pas la bienvenue, elle voulait s’assurer qu’il ne manquait de rien. Pas même d’un peu de compagnie. -”Si tu te mets à danser… On va croire que tu fais le tapin et les flics vont rappliquer pour te foutre au trou quelques heures. Quant à chanter. Tu peux essayer, mais ce n'est pas ce qui fonctionne le plus pour récupérer de l’argent.” La blonde avait tiqué et grimacé quant au vocabulaire du garçon mais elle avait écouté malgré tout ce qu’il avait à dire. -”C’est plus sur les touristes que ça marche. Mais par ici et à cette heure-ci, il n’y en a pas tant que ça… Mais merci de la proposition.” Elle avait hoché la tête avant de balayer la rue du regard et elle était effectivement bien moins fréquentée qu’en pleine journée. Ce bref moment à regarder les passants avait fait prendre conscience à Ava de l’heure tardive, mais elle n’avait pas d’obligation si ce n’était celle de rentrer et de confier l’argent gagné à ses parents. Les billets étaient là, dans son sac, mais elle savait qu’elle ne pouvait pas en disposer comme elle le souhaitait. Au moment où elle songeait au contenu de son sac, le jeune homme avait fouillé le sien pour en sortir des cigarettes. -”Tu as du feu ?” Une grimace s’était affiché sur son visage déjà tiraillé par le froid et ce sentiment étrange qu’elle ressentait au contact de son interlocuteur. Un sentiment qu’elle cherchait à ne pas voir devenir de la pitié, plutôt une inquiétude quant à son avenir et une profonde empathie.  « Non, je ne fume pas, mais je peux aller t’en acheter un, si tu veux ? » Qu’avait-elle de mieux à faire que d’écouter les doléances du garçon assis au sol et de tenter à participer à lui bâtir une existence un peu meilleure ? A ce propos, cependant, elle n’était pas sûre que la cigarette soit la meilleure chose. « Pas que je veuille t’encourager à fumer, mais bon. » Elle avait haussé les épaules, son avis ne serait de toute façon probablement pas pris en compte par le garçon pour tout un tas de raisons différentes. Elle n’était personne, il devait sans cesse se faire juger et il avait probablement bien plus besoin de nicotine dans ses poumons que n’importe quel autre habitant de Brisbane.  « Attends, bouge pas, je vais demander aux passants. » Et spontanément, elle s’était levée, laissant ses affaires auprès de celui dont elle ne connaissait toujours pas le prénom pour faire quelques pas et aller à la rencontre d’un petit groupe d’amis. Briquet à la main, elle s’était penchée pour allumer la cigarette et rendre le bien aux fêtards. En s’asseyant à nouveau et devant l’air étonné du garçon, elle avait répliqué. « Quoi? T’aurais voulu que je le garde? » avait-elle plaisanté sans réaliser ce que cela pouvait sous-entendre. Ce qu’elle savait, c’était qu’elle préférait utiliser l’argent liquide de ce soir pour acheter un briquet à cet homme plutôt que de voler.