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auden & ginny

« Ok donc vous pouvez choisir de vous battre en équipe ou en un con- » « UN CONTRE UN. »  « T’as vraiment 4 ans. » que je m’entends répondre, les bras croisés sur la poitrine, le regard qui le toise dans l’angle alors que je sens les yeux de tous les autres participants qui semblent avoir la même réaction que moi devant l’enthousiasme même pas contrôlé d’Auden. Bien sûr qu’il veut prouver sa force et son pouvoir devant tout le monde, bien sûr qu’il prend ça comme un jeu d’ego haut et fort, qu’il clame déjà son nom au tableau des honneurs avant même d’avoir son fusil laser entre les mains. Les pauvres employés dédiés à nous habiller errent d’un côté et de l’autre, je les vois, les coups d’œil entendus qu’ils se partagent tous lorsqu’ils se postent à la hauteur d’Auden en jaugeant s’ils ne sont pas là en train de lui donner tous les éléments nécessaires pour qu’il soit familiarisé avec une vraie arme et que de ça, il devienne un tueur fou furieux près à user de la gâchette pour défendre ses points et énièmes opinions discutables. À mon tour, je dégage mes mèches de l’équipement qu’ils me mettent sur le dos, pour finir par sentir une couette et une autre s’arracher à travers les manipulations de velcro. Je savais que j’aurais dû m’attacher les cheveux dès ce matin – naïve, naïve Ginny. « Si vous avez des questions je reste à votre disposition. L'épreuve commence dans cinq minutes. » les autres participants hochent de la tête, s’attroupent vers le point de ralliement, j’ai volontairement perdu Auden du regard le temps où il se la joue personnage de jeux vidéos en improvisant une pose et une autre bien trop exagérée pour être prise au sérieux. « Le sang ça compte comme un tag du coup ? Genre si j'explose un nez ou deux y'a des points bonus non ? Parce que vous l'avez pas précisé alors je préfère demander. »  « On a pas d’assurances pour ça Auden. » comme si j’étais au courant de son volet administratif – je le suis bien sûr, nerd de chiffres au point d’avoir mémorisé le tout pour l’ajouter aux papiers et données comptables de la galerie. Ce n’est que lorsqu’enfin on nous donne le signal de départ que mon attention toute entière se rive vers le Williams, et qu’à partir de là, c’est l’esprit de compétition McGrath qui remonte, qui terrasse tout sur son passage.

« J'espère que tu cherches un buisson derrière lequel te cacher McGrath, parce que je compte bien te mettre la raclée du siècle. » mais je suis déjà partie là. J’ai déjà évolué à travers le groupe qui se disperse, j’ai déjà trouvé une structure derrière laquelle me camoufler pour au moins allonger mon jeu de quelques minutes le temps de trouver son point de faiblesse, de mettre tous les éléments que je connais par cœur d’Auden en ligne mentale pour piger celui qui le mènera à sa perte. « Parce que tu penses que je suis assez conne pour parler et te signaler où je suis? » et il ne le verra pas, le sourire fin, presque rusé, qui commence à se dessiner sur mes lèvres. « Oh. » que je feins, faussement déstabilisée, exagérant ma voix d’ingénue, misant sur le fait qu’il me juge comme la pire Mary Sue de l’univers since day one pour pousser le scénario le plus loin possible, pour tenter de le prendre dans mes filets. Ce n’est que lorsque j’entends ses pas, ou du moins ce qui me donne l’impression de l’être, que je m’active, que je m’assure que mon fusil laser est bien actif, que tout est nickel pour me procurer un bref instant de gloire. On y croit Ginny, on y croit. « À moins que ce soit une… RUSE! » et ma tête se dégage de derrière le muret où j’étais planquée, et mon sourire ne pourrait pas être plus grand quand je finis par sprinter comme si ma vie en dépendait – ce qui, contre Auden, est un peu le cas – vers l’autre bout complètement de la plateforme. « À 40 000 ans et des poussières, ton cardio de vieillard me rattrapera jamais, Williams. » que j’éclate de rire, que je m’amuse, que je me moque aussi, gentiment, ses cheveux blancs et multitudes de pattes d’oie qui apparaissent presque pas aussi évidents qu’ils le sont vraiment sous le bon éclairage. « Jamais. » je ri de plus belle, cherche une nouvelle cachette, me presse de m’y planquer. « Ja-mais! »

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Le traître, le goujat. En même temps, ça m’étonne pas du tout, vu comment je le connais bien à force, mais tout de même, j’avais presqu’espoir qu’il joue fairplay, qu’il veuille me battre fair and square. Ça sert à rien de jouer la fourberie pour avoir la victoire, autant faire selon les règles et vraiment gagner pour gagner non? Non, du tout. Ginny d’ordinaire si douce et si posée aurait sûrement dû penser en ce sens, parce qu’elle est d’une bienveillance inouïe dans tous les autres aspects de sa vie. Mais la compétition, ça me fait un truc étrange, ça me prend à l’intérieur, ça fait bouillir mon sang, ça rend le tout bien trop violent, bien trop agressif pour que ce soin sain. De perdre pour moi, de gagner pour eux. « McGrath je vais te faire la peau ! » qu’il hurle dans mon dos, quand seuls mes rires lui répondent, quand j’en ai rien à faire qu’il me menace, maintenant que je suis déjà loin devant, que par miracle mes baskets ne se sont pas encore emmêlées les unes les autres. Je sais pertinemment d’où il arrive, je l’entends qui s’en vient, je sais dans quel angle, je l’anticipe à la perfection. Ses pas qui traînent au sol toujours de la même façon, ses râles qui se rapprochent et son souffle d’aîné d’une génération et de dix de plus que moi qui trahit le reste. « Essaie déjà, juste pour voir! » un coup d’œil, juste un, que je m’autorise par-dessus mon épaule. Rien que parce que je veux qu’il voit la lueur d’amusement dans mon œil, que je veux lui laisser une dernière chance de remarquer à quel point mon visage de porcelaine sera la dernière chose qu’il verra avant de se retrouver tapissé au sol, des lasers à répétition qui finiront le travail. Mais de perdre le focus comme ça, c’est tout un risque que je prends, et ma maladresse légendaire ne me le rappelle que trop bien lorsque je finis par me retrouver au sol, affalée de tout mon long sans grâce aucune, mon fusil un peu plus loin, pas du tout à la portée. Damn.

« Allez relève toi, t’as passé l’âge des bisous magique. Faut que je t’atomise avant. » « Trop d’honneurs. » il a pas manqué de temps Auden, avant d’apparaître au-dessus de moi, victorieux, de me tendre la main pour m'aider à me relever. Mes sourcils se froncent, l’air de la gamine méfiante au possible, quand je finis par soulever mon bras gauche, par enlacer le plus lentement possible mes doigts aux siens. Ce n’est que lorsque que je sens sa poigne aussi fermement refermée sur la mienne que possible que je laisse un grand, un énorme, un immense sourire orner mon visage. « Oups. » et d’un geste d’un seul, vif, traître au possible, je l’attire au sol vivement, tirant de toutes mes forces pour qu’il se retrouve à tituber, qu’il s’étale à son tour et que son arme file le plus loin possible également. J’anticipe qu’il râle, je sais bien que je viens d’activer le level deux d’Auden le tyran, d’Auden le gamin gâté qui n’a pas encore dit son dernier mot. Et là, c’est une question de fractios de secondes avant de pouvoir m’en sauver. Je perds pas de temps, donc, me dégageant sur la droite en vitesse, rampant vers mon fusil laser comme si ma vie en dépendait. Si j’arrive à attraper le mien, et ensuite le sien, si je peux me rendre aux deux à la fois, si je peux lui voler son arme et filer assez rapidement qu’il n’arrivera pas à m’arrêter, là, c’est la victoire assurée. Mais il bouge déjà, je sais qu’il se redresse, je l’entends faire sans regarder à nouveau vers lui, sans le provoquer de plus belle. Et à la dernière seconde, j’arrive à agripper mon fusil d'une main. Le sien dans l'angle vers lequel je tente désormais de m'étirer désespérément.

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« Depuis quand t’es fourbe comme ça Virginia ? Tu t’es fait mordre par une araignée ? J’dois m’inquiéter que tu voles mes coco pops ? » « J’ai appris du meilleur que veux-tu. » je lâche pas ses yeux des miens, pas une seule fraction de seconde. « Et c’était censé être une insulte mais je suis persuadée que tu vas le prendre comme un compliment et je me répète c’en est pas un. » aucune menace ne marche, aucune insulte déguisée ne prend. Autour ça tire et ça crie et ça m’énerverait presque, si j’étais pas attendrie par l’armée de bambins qui sautillent dans tous les sens en s’inventant des noms de code, en oubliant que deux adultes sont encore au sol à se jauger comme de pires gamins qu’eux. À se provoquer à un point où je doute de moi-même, où je rattrape mes mots au vol quand ils sont déjà entendus, traités, compris, et appliqués. « Si tu veux pas que Noah devienne orphelin et que je m’occupe de son éducation à temps complet, lâche ton arme. » j’ouvre de grands yeux, parce que malgré le fait qu’il s’en sort étonnamment bien mieux que quiconque aurait pu le croire avec Noah dans les parages, je sais que le jour où je disparais – et où Auden prend mon héritier sous son aile – je serai plus celle qui hausse le sourcil et toussote d'autorité pour m’assurer qu'un minimum d’insultes soient partagées et enseignées en italien. Damn.

Mais il se rue sur moi le gars, il attend pas une esquisse d’ouverture, il vient juste s’étaler de tout son long et il m’étouffe et il est partout à la fois et y’a autant mes mains que mes pieds, que mes coudes, que mes genoux qui ripostent, qui refusent, qui le repoussent, qui luttent. « AUDEN STOP! » il a la main sur ma poitrine et je grogne, je rage, j’aurais jamais pensé qu’il oserait, j’en peux plus d’être désarticulée sous son poids. « Hey  on a dit pas de contact physique ! »  la sécurité qui sert absolument à rien, qui réagit au ralenti, la bouche rempli de chewing-gum et rien ni personne qui vient s’interposer quand Auden sourit comme un con, que j’en finis plus de rire nerveusement à ses doigts qui abusent de mes côtes, à ses rotules que je sens s’enfoncer dans mes cuisses. « Gin je te jure que je vais te faire la peau. Donne moi ce pistolet. » « Sinon quoi? » ce pistolet qui est maintenant devenu ma seule et unique raison de vivre, ce pistolet que je défendrai corps et âme jusqu’à la fin de mon existence s’il le faut rien que parce qu’il l’a demandé, et qu’il agit comme un enfant gâté à pas vouloir partager. Qui ne partage pas, là, Ginny? « Hen, sinon QUOI? » je tue mon dialogue interne de gentille petite fille bien élevée quand ma main encore armée se resserre si fort autour du vulgaire jouet de plastique que j’en ai les jointures toutes blanches, les phalanges qui piquent sous l’effort.

Mais mon regard de défi aussi enfantin que ridicule n’a pas le temps de trouver preneur qu’Auden reçoit un laser dans le dos. Un coup, un seul son, et je pouffe de rire, malicieuse, son karma qui le rattrape maintenant qu’il a été la cible de je sais pas quelle silhouette qui apparemment est derrière nous à le prendre en voleur. La silhouette que je remarque par-dessus l’épaule de Williams, que je salue d’un regard ravi – et que je hais la seconde suivante quand la terreur de viseur traître s’attaque à moi, me tire, me vise, m’atteint. « Il est mort. Et just so you know, après c’est ton tour. » l’instinct de compétition des McGrath qui remonte. Contre un bâtard hypocrite qui s’acharne sur nous à distance dans un moment de faiblesse, j’ai aucune pitié. Surtout lorsque d’emblée, je suis pas certaine à 100%, mais suffisamment sûre pour reconnaître le rictus hagard, l’œil possédé, le sourire démoniaque, le visage presque identique à celui du chauffard d’à peine 8 ans qui nous talonnait des heures plus tôt. « Je l’ai vu partir par là. » que je chuchote, profitant d’un bref moment de distraction d’Auden pour me glisser vers la gauche et me relever du sol, me dégager de sous lui surtout. Du menton je pointe la direction que notre nouvel – apparemment pas si nouvel – ennemi commun a empruntée. « I got your back, t'inquiètes pas. » un nouveau murmure, son dos que je surveille envers et contre tout de mon fusil pointé, le doute que j’anticipe avant qu’il ait parlé. « Pour vrai. » et c’est parti pour un round two de chasse à l’homme.

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Et la dernière chose dont je me rappelle, c’est le coup de sifflet de la sécurité. C’est le rouge aux joues qui me ramène direct à autre chose que la tentative de SWAT qu’on a improvisée Auden et moi, à traquer le gamin comme si sa vie en dépendait – sa vie en dépendait. Je suis essoufflée parce que j’ai bien beau me moquer du cardio de Williams, le mien est vraiment pas meilleur. J’ai de la difficulté à retenir mon souffle haletant quand on nous dispute, quand on s’étonne que j’ai un gamin lorsque je bafouille, lorsque je sors une pièce d’identité pour qu’ils en ajoutent une photocopie à mon dossier marqué « dangereux », et qu’une photo de Noah tombe au sol dans la foulée. La tête d’Auden aussi est mise à prix, on est l’ennemi commun à abattre, quand on voulait simplement défendre notre honneur. C’est une suite de petites hontes qui, misent les unes à côté des autres, nous donnent l’impression qu’on est vraiment et complètement nuls sur tous les niveaux. Franchement Gin, tu pensais quoi ? Et je tente de lui mettre la faute sur les épaules, j’étais presque en train de réussir à me convaincre que c’était la faute d’Auden et d'Auden lui seul, quand le regard traumatisé du gamin se braque sur nous durant notre walk of shame de la sortie du parc. Et qu’à la place de me sentir désolée, qu’à la place de regretter, d’être anéantie d’avoir contribué à ce que le môme ait besoin de thérapie plus tard, je me réjouis. Je suis heureuse, comme une sadique, qu’il ait peur à ce point, qu’il en tremble encore. J’en rajoute même en lui tirant la langue, et là, c’est à ce moment-là précis que j’ai peur de moi. C’est pas la faute d’Auden, c’est la mienne – et je me terrifie.

La voiture démarre pas. Je remarque à peine, j’ai le regard perdu un temps par la fenêtre, mes prunelles qui reviennent se poser sur un brun énervé en puissance quand ses grognements me rappellent que toute cette journée n’est pas du tout comme elle était prévue, et qu’elle s’aligne pour rester en ce sens jusqu’aux douze coups de minuit, au moins. Drôle de prémonition. « Fait chier. » il appuie sur tout, j’ai pas le permis mais je suis consciente que c’est pas ça la manœuvre de base pour faire démarrer un moteur. Et c’est pas non plus commun de lancer son portable au bout de ses bras et de le voir s’écraser bruyamment sur le bitume si on veut s’assurer de faire un appel de la plus efficace des façons. « Tu vas pas aimer, mais je le dis quand même : karma. » et là, j’entends la ville de Brisbane toute entière (et probablement un bonne partie des environs) qui applaudit la remarque, qui est totalement et incontestablement en accord avec moi. La seconde d’après par contre, j’inspire, j’espère qu’il fasse pareil, parce qu’un Auden en train de faire ce qui s’apparente à un genre de crise de panique ressemble à de l'inédit, et que j’ai pas particulièrement envie de faire dans la débandade supplémentaire avec lui aujourd’hui. « J’ai vu un café pas très loin. Ça se fait à pied. » ma ceinture de sécurité que je détache, surprise de l’avoir attachée tout court, la sienne que je déboucle aussi parce que même si ma voix est douce et compréhensive, je ne lui laisse pas le choix de suivre. « On y va et on tentera de téléphoner à une dépanneuse ou à un garage de là. » un café lui fera du bien, prendre l’air aussi, le petit kilomètre à pieds jusque-là a du potentiel. « T’avais un rendez-vous important à pas manquer ce soir pour te mettre dans cet état? » que je finis par demander, une fois qu’on est sortis de la voiture, qu’on a commencé à marcher vers ce qui s’apparente le plus à mon sens à notre salut.

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Je sais pas du tout d’où Auden croit que là, c’est le bon moment, que là, le timing est parfait pour qu’il me partage les détails sur ses histoires, que mon oreille est prête et avide d’entendre ce qui se passe dans sa vie sentimentale – lolzie, faudrait qu’il ait d’autres sentiments que la jalousie quand on lui pique le jouet hebdomadaire de son Happy Meal pour qu’on puisse gratifier ses conquêtes de potentiels sentiments, pourtant. « J’avais un rendez vous avec mon plan cul numéro 43, mon préféré. Si tu voyais ses fesses, tu saurais pourquoi. » un frisson de dégoût pas le moins du monde masqué se casse le long de ma colonne vertébrale, y’a absolument aucune possibilité que j’écoute ce qu’il dise après ça, limite j’ai même arrêté d’écouter en mi-phrase, pour préserver mes oreilles plus du tout chastes d’une suite accentuée de détails. « S’il est numéro 43, il est pas si préféré que ça. » je tente de conclure, ma voix se veut sèche et j’y croirais presque, si y’avait pas ce tremblement de dédain qui me trahit, et mon coup d’œil que je garde braqué droit devant moi, mes prunelles qui refusent celles amusées d’Auden qui sait par cœur que ce genre de gossip talk me répugne, et qui a désormais autant de temps qu’il veut pour s’étendre sur le sujet. « J’espère que tu vas pas nous perdre parce que compte pas sur moi pour te passer mes fringues pour que t’aies moins froid. » autant de temps, parce que malgré ce que je tente de faire croire avec ma silhouette bien droite et mon pas décidé, je suis plus du tout sûre de par où et de où, tout court, on s’en va.

Si y’a une poignée de minutes je pouvais jurer facilement que je savais exactement où le café se trouvait, là, au fil des mètres parcourus, le moins ma conscience est à l’aise de mon affirmation, le plus mon cœur risque de manquer des battements. Face à ma capacité à me perdre partout, du centre commercial le plus immense au monde à la ruelle à sens unique de même pas 0.01 kilomètre. « On est pas perdus. » que j’annonce, les sourcils froncés, refusant volontairement sa non-offre de vêtements. Pour une fois que ma pudeur excessive me sera utile, les nombreuses épaisseurs de vêtements enfilées les unes par-dessus les autres sauveront la mise advenant le fait qu’on passe la nuit sur le bord de la route, sans bon samaritain qui nous aide à nous sortir de "la situation". « C’est super loin là non ? Tu veux que je chante le truc du “un kilomètre à pied, ça use ça use, un kilomètre à pied, ça use les souliers ?” parce que c’est hors de question. » « C’est pas si loin. » mon ton est tranchant, mon coup d’œil par-dessus mon épaule est définitif.

« Si tu souhaitais simplement entendre ma belle voix fallait le demander et je t’aurais ressorti mon historique de conquêtes sur un air d’opéra. »  oui c’est loin, et oui, c’est mauvais signe, et oui, il me connaît par cœur Auden, il verra tout de suite que c’est pas normal que je sois aussi sérieuse, que c’est tout sauf rassurant que j’use d’un ton presque vraiment autoritaire avec lui quand j’arrive même pas à l’être avec mon propre fils. « Merci de l’offre, très généreux de ta part. Je prends note si à un moment j’ai besoin d’une trame sonore dans le style. Genre, jamais. » bien essayé, Gin, mais c’est trop tard, t’arriveras pas à rattraper le tout, peine perdue girl. Noah m’a jamais entendu parler ainsi – et maintenant, c’est sûr de chez sûr, Auden sait que je mens, il sait que je flippe, il sait qu’on est dans la merde, il sait tout et je bouillerais presque si je ne détournais pas la tête pour retrouver les lignes au sol sur le bitume, plus rassurantes que les prunelles que je juge déjà amusées d’un Williams qui l’est tout autant.

Puis, on marche, puis on marche encore. Puis je reçois tous les cailloux de l’univers contre mes baskets, je les compte à un moment, je me distrais comme ça. Mais on n’est clairement pas dans le bon sens, ou alors on a tourné trop vite, ou bien le commerce était derrière et pas devant, ou alors on y est presque? Oui, c’est ça, c’est sûr, on arrive, je vois le néon qui s’illumine au loin, je le vois c’est sûr que c’est ça, c’est hyper évident. Oh, mais il était pas bleu? Non, il était vert, sûr qu’il était vert. Non, bleu, je suis certaine qu’il était bleu. Vert? Parce que celui devant nous est vert. Bleu? Il a l’air bleu quand je plisse des paupières faut dire. « On est pas perdus? » le soleil a depuis longtemps finit sa course vers l’horizon quand je m’entends dire les mêmes mots que tout à l’heure, sauf qu’ils se terminent par un lamentable point d’interrogation. « C’est pas si loin? » essaie encore Ginny, essaie encore pour voir. Et mes pas nous mènent dans un stationnement de commerce crade qui sent l’humidité même de l’autre côté de la rue alors qu’on est pas encore dans son périmètre. C’est inquiétant. Je remarque pas le vacancy qui flash, je remarque encore moins la piscine tiki qui pue le chlore chimique plus on s’approche, ni même le stationnement où y’a pléthores de voitures louches postées les unes contre les autres, entre le trafic de drogues variées et les séances charnelles qui embuent les vitres et secouent les habitacles. Mes iris sont volontairement fixés sur la cabine téléphonique qui brille comme le graal, et je m’y emboîte plus vite que n’importe quelle future victime de film d’horreur qui risque de mourir avant le générique du début. « T’as une pièce? » je sais même pas qui appeler en vrai. Ça augure bien.

Ginny qui dit qu’on est pas perdus, Ginny qui affirme qu’on est pas perdus. Ca veut dire qu’on est perdus. Si elle ne me sort pas tous ses scénarios catastrophes dans lesquels elle tente de nous faire passer pour des naufragés de la route prêts à se faire manger par les kangourous (ou les koalas, ou les paresseux) alors ça veut dire qu’on est vraiment perdus. Ginny marche à l’envers elle aussi, et quand elle dit que tout va bien c’est justement à ce moment précis qu’il faut commencer à s’inquiéter. Je la laisse faire, pourtant, je la laisse devant, faire la fière et jeter des coups d’oeil six fois avant de traverser la route. Je la laisse se pavaner encore pendant quelques rues parce que je sais qu’elle va finir par tout avouer, ou trouver une excuse bidon pour faire demi tour quand elle se sera rendue compte que son café n’est définitivement pas par là bas. En attendant elle me fait rire à faire sa Ginny sérieuse, celle qui a de l’autorité. Elle me fait moins rire quand je sens un peu de panique dans sa voix mais je ne dis rien pour autant, me contente de suivre en lui jetant des regards qui veulent tout et rien dire à la fois. Je lâche un simple rire amusé (et me retient de faire ma propre apologie) alors que ses affirmations se transforment petit à petit en questions et qu’elle même commence à réellement douter de ses capacités. Je me dis qu’au moins elle est devenue celle qui nous a perdu et que je n’ai même plus à m’énerver pour cette voiture tombée en panne sans préavis. ”Si tu voulais une nuit torride t’avais juste à me le demander, je me serais passée de la voiture en panne et de toute cette marche tu sais.” Je commente, sérieux, alors que Mary Sue s’avance au milieu de ce monde qui n’est pas le sien - et pas vraiment le mien non plus. Mon sourire disparaît peu à peu et je me place derrière elle, surveillant tant sa droite que sa gauche alors que son pas se fait plus décidé que jamais. Elle a intérêt d’être décidée parce qu’on est pas à l’abris d’un toxicomane sortant de nulle part, sa seringue à la main en guise d’arme. Je suis même certain que si on se coupe à quoi que ce soit on attrape le thétanos dans la seconde. Au fond, j’espère seulement que la cabine vers laquelle elle s’approche porte le nom de TARDIS sinon peu importe qui elle souhaite appeler, on ne sera pas bien avancés. Je ne toucherai même pas une seule parcelle de ce tas de ferraille microbien, ça ne m’étonnerait pas qu’un vers sorte du combiné.
Une main tâte toute mes poches avant de trouver la poche, celle qui contient toutes mes petites pièces de la journée et qui pèse au moins huit kilos parce qu’on a acheté pleins de choses et que j’oublie facilement les petites pièces. C’est à cause de sa glace, ça, j’en suis certain. J’y tends néanmoins une poignée presque pleine pour qu’elle fasse son marché, qu’elle choisisse les plus jolies et les plus brillantes rien que pour les abandonner une seconde plus tard. ”Tu sais qui tu vas appeler au moins ? Danny nous tuerait et Robin viendrait la ravitailler en pop corn pour regarder le show avec elle, alors à moins que t’aies une botte secrète je suis en train de perdre ma monnaie.” Et elle a pas de botte secrète, pas de carte joker, assurément pas de “as du volant” dans sa poche arrière. Elle est encore dans sa phase “on est pas perdus” mais version “j’ai un plan, t’inquiète”. Ginny n’a pas de plan, elle fait seulement sa Ginny et moi je prends le rôle de Noah. Le grand Noah finit par souffler longuement (et je manque le suicide en comettant l’erreur de m’appuyer sur la porte de la cabine - quel débutant). ”Tu me préviens quand t’auras ravalé ta fierté, on partira chercher un hôtel. Et on prend au moins deux étages de différence sinon tu vas encore dire des trucs hyper niais dans ton sommeil.” Deux étages c’est le strict minimum, cinq ça serait parfait. Pour lui prouver ma bonne volonté je lui tends même une main entrouverte pour qu’elle sorte de ce nid à bactéries sans problèmes, tout en sachant très bien qu’elle va maugréer et dire qu’elle n’a pas besoin de moi. Parce que c’est ce que j’aurais fait. ”T’avais pas à casser ma bagnole si tu voulais seulement profiter de mes charmes quelques temps de plus, tu sais.” J’en remets une couche, n’aie aucune idée d’où m’arrêter.

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Il fait nuit. J’ai tenté de faire comme si je voyais une lueur et une autre au bout du stationnement, j’ai vraiment plissé des yeux le plus possible à m’en faire mal aux paupières, mais c’est définitif. Entre le passage d’une heure parc d’attractions qu’on – qu’il – a étiré sur toute la journée, la panne de sa voiture et la marche de plusieurs kilomètres qui ont fini par nous faire dériver devant un motel suffisamment étrange pour être la vedette de la prochaine saison d’American Horror Story, le coucher du soleil est long gone.  

”Si tu voulais une nuit torride t’avais juste à me le demander, je me serais passée de la voiture en panne et de toute cette marche tu sais.” mais c’est pas le décor glauque qui me provoque un long frisson de dégoût, flirtant tout contre ma colonne vertébrale. C’est pas non plus les voitures dépareillées et éparpillées sur le parking et ce qu’elles abritent qui me terrifient. Mais bien les mots d’Auden qui suggèrent une nuit torride en sa compagnie. Yuk. « Je pense que le ticket nuit torride de ce soir a été brûlé par eux ; trop tard, meilleure chance la prochaine fois. » que je balaie, le menton qui pointe la bagnole rouge pétant qui s'active bien qu'arrêtée entre les bornes, la langue que je tire pour chasser le goût amer qui s’y colle, la tête que je secoue pour en retirer les images d’horreur qu’il m’inspire avec son jeu de sourcils trop entreprenant pour l’être vraiment. ”Tu sais qui tu vas appeler au moins ? Danny nous tuerait et Robin viendrait la ravitailler en pop corn pour regarder le show avec elle, alors à moins que t’aies une botte secrète je suis en train de perdre ma monnaie.”

Je prends tout le temps qu’il faut pour piger dans les réserves au creux de ses paumes, et retravailler ma réponse. Bien sûr qu’Auden a vu dans mon coup d’œil, a entendu dans ma demande que j’en savais absolument rien, que j’étais totalement paumée, que j’ignorais qui appeler à l’aide dans l’instant tellement la connerie était justement stupide. J’assumais pas de m’être laissée prendre au piège par ses enfantillages, et l’avouer à voix haute à qui que ce soit serait le coup de grâce au presqu’ego que je cultivais depuis peu. Isy devait sûrement avoir commencé son quart de travail et il s’inquièterait plus qu’autre chose de me savoir sans ressources à une heure de chez moi. Ezra abandonnerait pas sa soirée entre boys avec Ben pour un roadtrip menant vers les tréfonds de l’Australie – à peine – pour venir me porter main forte. Bailey devait sûrement être occupé à détester son frère et à entendre ma sœur me détester moi. Charley n’avait pas le permis, et Levi était parti en épopée nautique avec Matt. Il restait donc l’option logique, celle qui aurait peut-être même la capacité de boucler la répartie de Williams un temps. « Une dépanneuse? » je chante, ma pièce de choix que je fais rouler entre mon pouce et mon index, avant de la glisser dans la fente de l’appareil.

La sonnerie se cumule, Auden parle toujours. ”Tu me préviens quand t’auras ravalé ta fierté, on partira chercher un hôtel. Et on prend au moins deux étages de différence sinon tu vas encore dire des trucs hyper niais dans ton sommeil.” « Ouais, ouais, et c’est ta façon à toi de me cacher encore une fois comment t’es vraiment un vrai de vrai gremlin au fond. » la tonalité n’arrête pas, mais ça continue encore et toujours de sonner dans le vide. ”T’avais pas à casser ma bagnole si tu voulais seulement profiter de mes charmes quelques temps de plus, tu sais.” « On a dix ans d’expérience à se supporter Auden, j’ai déjà donné sur le quelque temps de plus. » mes yeux roulent si fort sur eux-mêmes que j’ai peur pour mon nerf optique. Jusqu’à ce que je sursaute, et qu’une voix rauque me réponde avec le moins de politesse possible. 4 phrases expédiées de ma part et 3 intonations rocailleuses et potentiellement positives de la part de mon interlocuteur et je suis fixée lorsque je raccroche. « Ils nous attendent demain matin à 7h. »

Ils nous attendent demain matin à 7h. Oh, non. Ça veut vraiment dire qu’on doit dormir ici? L’idée fait lentement son chemin jusqu’à mon cerveau, je suis pas du tout à l’aise avec le concept, encore moins lorsque je réalise que les puces de lit et autres blattes avec qui on risque de cohabiter dans les chambres qu’on louera sont pas du tout ce qui me terrifie. Là, de suite, je suis terrorisée à l’idée qu’ils n’aient qu’une seule chambre de libre. Mon visage pétrifié, ma silhouette immobilisée, je finis par avancer vers la réception, décidée, priant n’importe quel saint pouvant m’entendre qu’on va au moins pouvoir faire lit à part. Et au cas où, je me rabats d’office sur la machine distributrice planquée tout juste à côté du help desk, d’où je sature le réservoir de toutes les pièces d’Auden pour en faire sortir bonbons, chocolat et énième friandises sucrées. « On boit pas ni l’un ni l’autre. Autant oublier nos drames avec quelque chose qui en vaille la peine. » et plus je me gave de sucre, moins je dormirai ce soir, mieux je serai de surveiller ses moindres faits et gestes en amont.

calls for an alarm

auden & ginny

Je rêvais juste d’une douche. Je rêvais juste d’eau bouillante, à m’en brûler la peau, à m’y noyer pendant des heures. J’avais chaud et froid, j’étais épuisée, et Auden savait exactement que c’était là le meilleur moment pour lui, et le pire pour moi. Demain. Il répète, met l’accent sur l’inévitable, et je ravale, hoche de la tête, définitive, m’enlisant dans la pente forcée du positivisme à outrance qui me faisait pitié dans l’instant. Tout va bien Ginny, tu as réussi à parler à quelqu’un en soirée, le week-end, tu as réussi à vous trouver une dépanneuse en à peine 5 minutes, t’as tout géré et maintenant ce n’est qu’une affaire d’attente avant que tout aille bien. Les paillettes et les licornes prennent volontairement toute la place dans ma tête, c’est rose et pétillant là-dedans, c’est d’un ridicule, mais je relativise en me disant que malgré tous les pires scénarios qui se répètent et s’enlacent les uns aux autres depuis ce matin, tout finit toujours par bien aller. C’est ce que Noah et sa maladie m’ont appris, c’est ce à quoi je me raccroche quand quelque chose ne va pas comme prévu.

”Chouette j’ai toujours rêvé de pisser dans une bouteille et la boire ensuite, comme Bear.” le souffle fétide d’Auden se brise sur ma nuque quand je prends trois fois trop de temps à choisir de quoi nous nourrir ce soir avec ses maigres fonds financiers, moi qui habituellement prenait à peine une seconde pour vider toute réserve de sucre à portée. Mais le précieux temps à lui tourner le dos me sert pour reprendre contenance, il est essentiel à mon mieux-être, pour m’assurer d’avoir toute la force nécessaire pour continuer de rester stoïque, pour ne pas lui laisser la moindre faille lui permettant d’entrer avec ses gros sabots pleins de boue pour se moquer de la petite nature que je pouvais être quand on me mettait en lieu clos avec un garçon. Même ceux avec qui j’avais choisi de partager ma vie, même Ezra, Isy, même avec eux y’avait toujours eu une notion d’intimité difficile à bafouer. Auden faisait partie de ma vie depuis une décennie – mais jamais on avait été proche dans ce sens-là. On avait été atelier-proches, on avait été vernissage-proche, on avait été j’te pique le dernier bol de céréales volontairement-proches, mais pas une journée et une nuit-proches. Jamais. Et ça m’allait.

La cloche à l’accueil qu’il décide de monopoliser quand on finit par y entrer, s’y poster sans toucher le moindre autre aspect du mobilier. En soit, il m’énerve pas quand il fait tout en son pouvoir pour appeler la pauvre personne qui sera en charge de notre duo ce soir. Je me raccroche à son ”deux chambres.” qu’il semble vouloir autant que moi, et là, mine de rien, il me rassure Auden. J’aurais jamais cru ça possible, entre les mœurs légères qu’il personnifie et sa tendance plus que prononcée depuis la dernière heure à sous-entendre des rapprochements illogiques et tout sauf voulus de son côté comme du mien à la moindre occasion. Là, on est de retour sur la même longueur d’ondes – et ça me plaît particulièrement. On nous dit qu’une est habitée par une colonie de puces de lit, elles m’apparaissent comme d’excellents colocs quand Auden se tourne vers moi. ”Preums pour la chambre normale, je te laisse avec tes amis les animaux.” « J’ai toujours été plus animal friendly que toi, de toute façon. » hence mon végétarisme contre le regard noir qu’il envoie toujours aux chats errants – les miens – dans la ruelle derrière l’atelier que je vais nourrir d’un bol de lait – le sien – à la moindre occasion possible.

Puis, mon monde s’écroule. ”Celle avec les punaises est réservée pour cette nuit, désolé.” ”Rappelle moi de surtout ne plus jamais revenir dans cette ville.” « Promis, juré. » parce que dans l’instant, je déteste l’endroit autant qu'Auden peut le détester. Et c’est gros, pour moi, de détester quelque chose. Je déteste rien, je trouve toujours un point positif, je trouve toujours un élément, même minime, qui est doux, qui est beau, bon. Mais là, ça suffit. Y’a rien. Même la journée au parc d’attractions me permet pas de trouver quelque chose d’heureux à ajouter à la balance pour équilibrer le tout. Le manège qui l’a effrayé était trop court. La glace que j’ai mangée trop petite. Le gamin qu’on a pourchassé trop condescendant, le laser quest terminé trop précipitamment. Et on a la clé, et on a le numéro de porte. Et la facture me donne presque espoir, parce que ça coûterait pas un prix normal si la chambre comptait pas deux lits, si elle était pas le moindrement propre non plus. On aurait payé des dizaines de dollars de moins si c’était miteux, je me raccroche à ça. ”Je prends le lit sur lequel il n’y a pas de trace louche et on se sépare de dix mètres minimum, aucun contact physique avec les draps. On devrait survivre.” le bruit de la serrure qu’il déverrouille, et le soupir de soulagement que ces quelques mots ont pour moi quand Auden insiste à voix haute sur les deux lits autant que je me le répète à voix basse. ”Changement de plan : je prends le côté sur lequel il n’y a pas de trace louche et toi et tes mains pleines de chocolat fondu vous restez loin de moi.”

Il se décale dans l’embrasure de la porte, je vois le carnage qui se dessine sous nos yeux. La moquette puant l’humidité ne me dérange pas, le plafond qui semble avoir survécu à 4 dégâts d’eau dans la dernière semaine n’a rien pour m’écœurer. Les murs en carton communiquant avec la chambre – bruyante – voisine ne m’importunent pas, le téléviseur encore allumé qui est bloqué sur une chaîne brouillée n’attire pas mon attention. De deux lits apaisants, on passe à un seul lit, suffoquant. « Prends le lit, et toutes les traces que tu veux. » je concède, mon regard qui quitte instantanément le fameux lit pour chercher n’importe quoi d’autre sur lequel me rabattre. « La chaise fera l’affaire pour moi. » ma voix chante, fausse, si fausse, avant qu’il ne commette l’irréparable en me prenant ma cargaison d’anti-douleurs à saveurs de caramel et de chocolat belge des mains. ”C’est toi qui va vérifier si y’a pas de cadavre sous le lit ou dans la salle de bain. J’te tiens la nourriture.” je jure, j’entends un grognement qui sort de ma bouche, un truc qui m’effraie autant qu’il me surprend. Les paquets que je ne lui cède pas si facilement, il faudra qu’il y mette du sien un peu, avant de se retrouver heureux propriétaire d’un sac de bonbons aux baies, maintenant que je garde la majorité du loot bien serrée contre ma poitrine.

« Ton lit, ta vérification. » je passe à ses côtés, file à la salle de bain pour checker à mon tour. Rien d’horrible, si ce n’est une carrelage craqué, une cuvette rouillée, et un rideau de douche qui sent le ketchup et l’essence – j’ignore d’où sort le mélange, ni pourquoi j’ai respiré le tissu. Mais mes envies de longues minutes sous le jet d’eau chaude disparaissent d’emblée, quand je finis par revenir dans la chambre pour prendre possession de la télécommande, zapper en silence. La chaise qui apparemment sera mon oasis d’intimité pour la nuit est inconfortable comme prévu et craque trop longtemps pour que ce soit normal lorsque je m’y installe, mais je dis rien, absolument rien, laissant le film d’horreur choisit à la télé faire office de trame sonore quand j’arrête enfin le tour des chaînes pour me laisser séduire pour le jet d’hémoglobine explosant sur un groupe d’adolescents à l’écran.

A chaque fois que mes yeux se posent sur une nouvelle parcelle de mur y’a un nouveau dégât à signaler, un nouveau truc qui pue, un nouveau truc qui devrait clairement pas être là - ou y être justement, comme le trou dans le plâtre au dessus du lit. Les lumières clignotent aussi bien que les néons de l’enseigne, la porte se ferme aussi bien que ma gueule - comprenez donc qu’elle ne se ferme absolument pas. Tout est cassé et ça ne m’étonnerait même pas que cette chambre aie servie d’inspiration pour la Tour Hantée de Disneyland, parce que dans mes souvenirs ça y ressemblait étrangement, avec les mêmes toiles d’araignées. Il nous manque juste le rat et on sera bons pour ce soir, mais je n’y pense pas trop fort parce qu’il va vraiment finir par traverser la pièce de long en large. On vient d’atteindre le sommet de l’échelle des idées de merde, et pourtant y’en avait de la concurrence.

Non, vraiment, y’a pas à faire. Je déteste absolument tout dans cette chambre à commencer par le fait qu’on ait dû la louer, qu’on ait dû venir jusqu’ici, que y’en ait qu’une seule, qu’elle pue la mort (littéralement) et qu’on soit supposé rester ici pendant dix longues heures et de toutes les choses impossible, ça vient de passer en tête de liste. Impossible que je reste ici à attendre, impossible que je laisse une seule parcelle de mon corps touche ce lit (encore plus maintenant que Ginny vient presque de me l’ordonner, ahah no way), impossible que je ne devienne pas fou en restant là. J’suis presque certain que la chambre porte le numéro 1408. Même pas que ça m’étonnerait. ”Range ton ego, on s’tire.” Adieu mes jesaispascombienmaissûrementbeaucouptrop de dollars dépensés pour la chambre, mais y’a pas moyen de que je touche ce lit et y’a pas moyen que je la laisse rouspéter sur sa chaise dans un coin. Elle va finir par s’endormir, tomber en avant et se retrouver nez à nez avec tous les acariens que constituent cette moquette. Il y a sans doute même plus d’acariens que de moquettes, alors je ne tiens pas à avoir un scandal dont elle me reparlera encore dans dix ans. ”Tu peux attendre le remake de The Ring si tu veux, ça me dérange pas.” J’ai pas vu le film, mais j’ai vu Scary Movie. Je crois que ça revient au même à peu près. Je vois de quoi ils veulent parler et la petite fille (qui devrait prendre dix ou douze douches) sortant de la télévision, trop peu pour moi. Manquerait plus qu’elle m’appelle papa et voilà qu’on attendrait des sommets de film d’horreur. ”Ils doivent bien avoir des bars dans cette ville, pour que les gens oublient à quel point ils vivent dans un endroit de merde. On se fait un concours de shot de virgins et le premier qui va pisser a perdu.” De toute façon on aurait seulement tourné en rond ici, alors autant rendre cette soirée amusante. Ou moins ennuyante. Ou n’importe quoi loin des murs prêts à s’effondrer à tout moment. ”T’auras des distributeurs sur le chemin.” Ultime argument. Comme si j’avais réellement besoin d’arguments pour nous faire quitter cet endroit. Parce que, ouais, pas moyen que je la laisse seule ici.