(suncorp stadium) « T’as pas intérêt à te moquer. » Je préviens dans un sourire qui prouve pourtant que je ne suis pas aussi sérieux qu’il n’y paraît - mais quand même, il a vraiment intérêt à ne pas se moquer de mes baskets et de mon accoutrement sportif. C’était une bonne excuse pour lui proposer de simplement passer un peu de temps ensemble, et c’était sans doute aussi une bonne excuse pour que, de mon côté, j’occupe ma tête à autre chose qu’à des peintures qui commencent peu à peu à avancer mais certainement pas au rythme auquel je le voudrais. J’épargne Damon de tels détails, lui qui n’a rien à voir dans cette histoire et surtout lui qui a d’autres chats à fouetter que de s’en faire pour un père qu’il n’a jamais connu comme tel. Je ne le sais que trop bien. « Quelques tours, pas plus. » Je l’avance comme si c’était une condition sine qua non à ma participation alors qu’il s’agit sans doute du maximum dont je sois capable tout en gardant une certaine estime de moi. Je n’ai jamais eu de vocation sportive et ne l’ai jamais caché non plus, il faut bien l’avouer. Puisque l’art ne le requiert pas, cela ne m’intéressait pas non plus.

« Tu saurais le faire en me racontant comment ça se passe, ton boulot ? » J’ajoute un sourire amusé qui tend à faire de cette simple phrase un défi, sans doute parce que j’ai du mal à assimiler que tout le monde ne fonctionne pas autant que moi à la carotte. Même mon propre fils ne fonctionne pas comme ça, et il est même sûrement l’exemple le plus hurlant d’une telle idée. Si j’avais voulu de ses nouvelles, j’aurais très bien pu lui donner rendez-vous dans un restaurant ; mais c’est sans doute parce que je reste encore un peu trop marqué de la façon dont s’est terminé notre dernier repas que je tente aujourd’hui une méthode d’approche différente, avec l’espoir un peu fou que changer la méthode puisse par extension changer la finalité de la discussion. J’ai deux décennies de retard, mais j’ai envie de croire qu’il m’en reste au moins deux autres pour me rattraper, voire trois, voire quatre. Cinq, même, peut-être. « J’ai jamais vraiment travaillé normalement donc si tu me mens sur toute la ligne, j’en saurai rien. » Même si je sais, je sais que mentir serait au-delà de ses capacités. Je ne fais que jouer avec lui, j’essaie de créer du lien. Je tâtonne, surtout. J’avance sans foutu mode d’emploi, et c’est encore plus difficile qu’il n’y paraît, même avec une personne d’aussi bonne volonté que l’est Damon: cela n’empêche que j’ai bien du mal à comprendre ses choix de vie autant qu’à les suivre, et qu’au contraire de lui, je ne sais pas mentir et mimer d’être heureux pour lui quand ce n’est pas le cas. Mais sur ça aussi, j’essaye de faire des efforts. Pas à pas.

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@auden williams

lieu: suncorp stadium, toowong.
(c): conjuringgifs (gif), luleaby (codage).

***
Il avait hésité longtemps - comprendre ici: très longtemps, plusieurs jours au moins - avant de répondre positivement à la proposition d’Auden. Ce n’était pas qu’il n’avait pas envie de passer un peu de temps avec lui, c’était davantage que la dernière fois qu’ils s’étaient vus, la conversation ne s’était pas terminée exactement comme il l’aurait anticipé. Pas qu’il n’était pas habitué de ce type de situation, tant les deux hommes Williams n’avaient que trop peu l’habitude de fonctionner l’un avec l’autre; mais cette fois-ci cela l’avait blessé plus que d’autres. Il était question de quelque-chose d’important pour lui, et celui qui était malgré tout son père ne semblait pas y porter lui le moindre intérêt. Il ne demandait pas qu’il soit d’accord avec tous les choix qu’il faisait, mais au moins de montrer un minimum d’efforts. S’il avait fini par accepter l’invitation, cette fois-ci, c’était surtout parce-qu’il avait lui-même prévu de demander à Auden s’il était possible qu’ils se voient: il avait quelques questions à lui poser, et ce n’était pas là celles auxquelles sa mère pouvait répondre pour une fois.

« T’as pas intérêt à te moquer. » Arrivant à sa hauteur, il esquissa un petit sourire amusé, mais en rien moqueur comme demandé. « Promis, je le ferai pas. » Ce n’était de toute façon pas son genre de le faire, ou pas alors qu’il marchait autant sur des oeufs: il ne saurait se concentrer sur plusieurs ressentis à la fois et assurer sur tous les fronts. De son côté, sans grand étonnement, la tenue de sport qu’il avait enfilé lui allait comme un gant; il n’était pas un grand sportif, mais avait toujours été contraint de pratiquer au moins un sport à la fois depuis son plus jeune âge et avait donc acquis avec le temps l’allure qui allait avec la pratique. La course n’était pas son terrain de prédilection, lui étant bien plus à l’aise sur un terrain de golf par exemple, mais il saurait s’en contenter. « Quelques tours, pas plus. » - « Ca me va. » - « Tu saurais le faire en me racontant comment ça se passe, ton boulot ? J’ai jamais vraiment travaillé normalement donc si tu me mens sur toute la ligne, j’en saurai rien. » A cette idée là, il pinça quelque peu ses lèvres, se mettant à marcher à reculons pour lancer la course; c’était exactement pour éviter ce type de moment à qu’il cherchait à la base à connecter davantage avec lui, et que les choses s’étaient dégradées puisqu’à force d’essayer, il avait bien vu que les effets n’étaient pas les mêmes des deux côtés. « T’es au courant que je bosse plus, hein ? » Il haussa un sourcil, les épaules dans la foulée avant de se mettre à courir à petites foulées, reprenant le sens normal de la route. Auden suivrait, c’était lui qui avait lancé l’idée de toute façon. « Je t’ai dit: j’ai quitté la MHI. » Ce n’était pas une surprise cette partie là: ils en avaient discuté, cela n’avait de toute façon jamais été le job de rêve de Damon. « Et j’ai pas pris d’autre poste ailleurs entre temps. » Parce-que même s’il savait que ce n’était pas réellement vrai, une partie du jeune italien restait persuadé qu’un boulot comme l’entendait la plupart des personnes était un poste désigné; parce-que c’était de cette façon là qu’il avait été formaté. Il savait qu’il existait bien d’autres méthodes pour dire qu’il était actif, Auden en était la preuve. « Et pour l’instant je fais pas grand chose à côté. » Parce-que tout avait été choisi pour lui pendant si longtemps que de se retrouver aux commandes n’était pas encore quelque-chose à quoi il s’habituait; il y arriverait, il fallait juste un peu plus de temps.

« T’es au courant que je bosse plus, hein ? » Je pensais bien faire, je jure que je pensais bien faire. Je jure aussi avoir tourné ma langue sept fois dans ma bouche avant de poser une question qui ne me semblait comporter aucune épine, aucune difficulté, aucune zone d’ombre. Il semble pourtant que je n’aurais pas pu me tromper davantage sur la situation actuelle, comme le prouve la réplique cinglante de Damon et les yeux que je ferme un instant pour ravaler mon ego un instant. Il y a aussi des insultes, destinées à moi-même, que je retiens dans le fond de ma gorge. Je sais qu’il a quitté son travail dans l’entreprise de Saül, mais je pensais surtout qu’il avait opté pour quelque chose d’autre depuis le temps. C’est ce que font les personnes qui travaillent: quand un métier s’arrête, ils se mettent aussitôt en quête d’un nouveau. Avec une seconde de retard, je m’élance à mon tour sur le terrain d’athlétisme, accélérant le pas de ma course pour revenir à la hauteur du jeune garçon. « Je t’ai dit: j’ai quitté la MHI. Et j’ai pas pris d’autre poste ailleurs entre-temps. » - « Tu comptes faire quoi ? » Je demande simplement, sans que mes mots ne cachent le moindre sous-entendu. Venant de moi, au moins, il sait que je n’espère pas pour lui qu’il travaille dans une quelconque société ou franchise les étapes de la hiérarchie. Cela ne changera jamais la vision que j’ai de lui. Ni aujourd’hui ni demain. « Rentier ? » Je demande avec un sourire amusé. Après tout, il aurait sans doute de quoi vivre sur son argent sans trop de mal. Peut-être pas jusqu’au restant de ses jours, mais au moins pour un sacré bout de temps.

« Et pour l’instant je fais pas grand chose à côté. » Sa réponse ne m’évoque pas grand chose de positif, je dois bien l’avouer, et cela pousse mon regard à se poser sur Damon pendant quelques secondes. Ces mêmes secondes durant lesquelles je garde le silence, soucieux de ne pas ajouter une énorme connerie juste après une première. « Et ça te convient ? » Plutôt que de chercher quelle variante de la vie professionnelle semble lui convenir au mieux, je décide de prendre le problème par un autre bout et lui demander directement ce qu’il en est plutôt que de tenter de de le deviner par moi-même. De toute évidence, mes guess sont un brin foireux et je n’ai pas envie de me mettre Damon à dos dans les trois secondes après son arrivée et les deux secondes d’un début de discussion. « Je veux dire si ça te convient, tu t’en fous un peu du reste. » Tant qu’il ne vit pas à la solde de sa femme, surtout. Non pas que cela soit directement visé contre sa femme, mais ça pourrait l’être pour quiconque lui donnerait l’argent nécessaire pour qu’il vive son quotidien de pacha sans même avoir à lever le petit doigt de son côté - parce qu’avouons-le, il s’agit bien malgré moi de l’image que j’ai de Damon. Il n’en reste pas moins mon fils pour autant, mais il existe à mes yeux des façons un peu plus pertinentes de subsister. Pourtant, si j’en suis au point où j’ignore même s’il travaille ou non, j’imagine que je ne suis pas à jour sur bien d’autres sujets encore, raison pour laquelle je me contente de partager de vagues questions sans plus trop me mouiller. C’est plus sûr.

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@auden williams

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Il ne pouvait pas retirer le fait qu’il tentait, au moins - sauf qu’il n’aurait pas besoin d’y mettre autant d’efforts si lors de leur dernière véritable discussion, il n’en avait pas mis autant à ruiner ce qu’ils tentaient d’établir depuis des années. Ils n’avaient surement pas les mêmes priorités dans la vie et ne voyaient surement pas les choses de la même façon, mais ce n’était pas pour autant que l’avis de son fils ne devait pas être important pour lui - ni la vie, d’ailleurs, de façon plus générale. Auden prouvait encore simplement aujourd’hui qu’il préférait rester dans le dernier wagon plutôt que de rattraper de façon plus normale ceux qui lui manquaient. « Tu comptes faire quoi ? » C’était une bonne question - de celles auxquelles Damon n’avait pas de réponse à apporter en réalité. « Rentier ? » Il tourna son regard vers lui et vit le petit sourire qu’il ajoutait à ses mots, ce qui lui en tira un similaire. « Pourquoi pas ? » L’amusement était de mise dans le ton qu’il employait. Il finit par secouer sa tête quelque-peu de gauche à droite. « Je saurais pas me contenter de ça, si ça t’inquiète. Même si c’est… confortable. » Il n’allait pas le nier: d’avoir ce qu’il voulait à portée de porte feuille sans avoir à se fouler quoi que ce soit, c’était un luxe qu’il ne niait pas; mais ce n’était pas là quelque-chose qu’il souhaitait voir comme une finalité.

Même si pour le moment, il avouait sans mal, son quotidien n’était pas agité. « Et ça te convient ? » Etant donné que la réponse à cette question n’était pas des plus glorieuses, il garda le silence un instant, se concentrant sur sa respiration et la cadence qu’il donnait à ses pas. « Je veux dire si ça te convient, tu t’en fous un peu du reste. » - « Comme si c’était une méthode qu’avait fonctionné pour moi jusque maintenant. » Qu’il souffla entre deux expirations dues à la course, secouant quelque peu sa tête. Lui qui avait toujours vécu pour plaire au reste du monde et de façon à entrer dans le moule qui lui avait été destiné, qui avait été dessiné depuis sa naissance pour lui n’était pas de ceux les plus à même de savoir paver leur propre chemin. « C’est pas ce dont j’ai envie, non. » Ca, il pouvait l’avouer sans mal, c’était la partie facile. « C’est juste que pour une fois justement, y’a personne pour me… dicter - » Forcer plutôt. « - la démarche à suivre, alors je tâtonne un peu. Et j’ai pas envie de me précipiter dans quoi que ce soit. » Il ne lui parlerait pas de ses envies d’écrire un livre, il ne lui parlerait pas de la collaboration, mince et rapide mais tout de même significative qu’il avait eu avec Wyatt et qui lui permettait aujourd’hui d’envisager les choses différemment. Il ne lui parlait pas de tout ça parce-que même si Auden disait qu’il pouvait agir sans se soucier de ce que le reste du monde pouvait en penser, Damon ne savait pas encore parfaitement faire ça - et si son père comprendrait la partie où il souhaitait s’exprimer à travers un art, il aurait surement des commentaires à faire sur ce dernier et il n’était pas prêt à les encaisser.

A la place, et après quelques foulées supplémentaires, il reprit la parole - et s’il n’avait déjà pas un ton assuré de manière générale, c’était encore moins le cas présentement. « Je peux… te poser une question ? » Il fit rouler ses lèvres l’une sur l’autre. « Personnelle. Une question personnelle. » Et parce-que cela lui semblait être nécessaire d’être ajouté avant qu’il ne le fasse: « Et qui risque d’être dérangeante. Parce-que c’est moi qui vais te la poser. » Mais il n’avait personne d’autre vers qui se tourner pour partager sur ce point là, et même s’il n’était là que trop peu et pas forcément pour les bonnes raisons une partie du temps, Auden restait son père et celui ces derniers temps qui s’appliquait le plus à l’être des deux hommes qui portaient initialement cette casquette.