Helena est gênée. Elle est gênée qu’Auden ait remarqué qu’elle n’était pas habituée à flirter. Elle est gênée qu’il le lui ait fait remarquer. Est-ce une mauvaise chose ? Elle s’explique, sur l’attachement qu’elle ressent trop rapidement, sur son cœur qui souffre trop vite, et il ne répond pas. Elle peste intérieurement contre elle-même, s’en voulant déjà d’en avoir trop dit. C’est un peu le propre d’Helena … Elle conclut en affirmant qu’elle ne couchera pas avec Auden, ce qui fait rire ce dernier.

« C’est la nuit ou la folie qui bloque ? Je suis certain que dans un cas comme dans l’autre, on peut s’arranger. »

Helena rit à son tour, sans répondre davantage. Elle a été claire, et elle est ravie qu’il essaie à nouveau de détendre l’atmosphère. Alors qu’elle continue de manger les lasagnes délicieuses préparées par son hôte, elle l’interroge sur ses habitudes, pourtant pas très sûre de vouloir connaître la réponse.

« C’est plutôt des hommes, d’habitude. Tu vois, t’es une exception à bien des niveaux. »

Helena s’étouffe avec son verre d’eau d’une manière peu élégante, puis repose son verre en rigolant.

« Je suis désolée, je ne m’attendais pas à ça, comme réponse. J’ai été surprise. »

Elle sourit toujours. Qu’il aime les hommes, les femmes, les deux, peu lui importe. Elle aime sa franchise, elle aime son humour. Et il poursuit, toujours taquin.

« Si c’est le lit qui bloque, y’a encore moyen de s’arranger. »

Elle rit une nouvelle fois, ne prenant pas la peine de répondre. Pourtant, Auden reprend bien vite son sérieux.

« Si tu veux partir je peux toujours te ramener. »

La brunette fronce les sourcils. Elle repousse son assiette et se lève, s’approchant d’Auden et du plan de travail de la cuisine. Elle plonge son regard bleuté dans celui de son interlocuteur, en se mordant légèrement la lèvre.

« Si tu veux me ramener parce que tu sais que tu n’arriveras pas à tes fins, je te suis. Si tu veux qu’on continue à passer une bonne soirée, je reste avec plaisir. Je te fais confiance … pour l’instant, du moins. »

Elle sourit et se penche vers la cuisine.

« Bon, on le prépare, ce tiramisu ? Je te rappelle que tu m’as vendu une balade sur la plage, qui s’éloigne toujours un peu plus ! »

Je n’ai pas eu besoin de beaucoup de temps pour comprendre que ce n’était pas dans ses habitudes que de filer chez ses clients après son service mais j’aurais cru qu’elle paniquerait davantage et mettrait fin rapidement à la soirée. A ma grande surprise (sans doute autant qu’à la sienne), ce n’est pourtant pas le cas et cela me laisse une marge de manoeuvre suffisante pour continuer à être l’imbécile qui me caractérise. « Je suis désolée, je ne m’attendais pas à ça, comme réponse. J’ai été surprise. » Elle a l’impression d’avoir commis le plus grand délit de l’univers et moi je m’amuse une fois de plus de son insouciance. J’ai peut être bien du mal à comprendre les relations humaines mais je savais par avance que ma révélation allait pour elle faire l’effet d’une bombe, quand bien même cela ne change pas quoi que ce soit, de son côté ou même du mien. “Déçue ?” J’ose, un sourcil relevé. Mes lèvres, elles, se fendent déjà d’un sourire. Elle ne devrait pas s’inquiéter, pourtant. Ce n’est pas parce que les hommes sont plus nombreux dans mon lit que les femmes n’y ont pas leur place.

Ma proposition de la ramener fait mouche, ce qui est sans doute une bien meilleure nouvelle pour moi que ça ne l’est pour elle. Helena s’ose même à se mouvoir d’elle même et à s’éloigner de cette représentation de pantin articulé qui semblait être sienne. Pour ma part, mes bras restent croisés sur ma poitrine et mon corps posé contre le plan de travail, désormais coincé entre ce dernier et le sien - sans que cela ne soit pour me déranger. « Si tu veux me ramener parce que tu sais que tu n’arriveras pas à tes fins, je te suis. Si tu veux qu’on continue à passer une bonne soirée, je reste avec plaisir. Je te fais confiance … pour l’instant, du moins. » Si je n’arrive pas à mes fins ce soir j’y arriverai demain, voilà une partie de la vérité qu’elle omet et qu’elle ne souhaite pas aborder. Enfant qui n’a jamais été gâté, j’ai appris à arriver à mes fins par moi même et ce par tous les moyens. Elle est déjà tombée dans mon filet, pour ce qu’il en est du reste, ce n’est plus qu’une question de temps. Ce sont ces yeux bleus qui me le disent, on se perd dedans trop facilement. « Bon, on le prépare, ce tiramisu ? Je te rappelle que tu m’as vendu une balade sur la plage, qui s’éloigne toujours un peu plus ! » “Et manger un tiramisu sur la plage, t’en dis quoi ?” Quitte à être cliché, vous voyez. Je n’ai rien de prévu avant bien longtemps, ce qui nous laisse suffisamment de temps pour voguer à de biens meilleurs occupations.

Elle se retrouve avec le nez tantôt peint d’oeuf, tantôt de cacao et tantôt de mascarpone. Le sol devient tantôt blanc, tantôt marron. La cuisine se pare de mille nouvelles odeurs et autres saveurs et une blague en remplace très rapidement une autre sans que jamais je ne fasse de sous entendus cette fois-ci - ô miracle. Le tiramisu est au frais, les ventres sont déjà plein de tout ce qu’on a grignoté entre temps et ne reste que nos regards en chien de faïence, mon éternel sourire d’abruti toujours présent. “Il doit rester quatre heures au frais pour être bon, tu sais. Le meilleur, c’est toute la nuit.” J’hausse les épaules, stupide imbécile qui aurait pu préciser ce détail avant de commencer à cuisiner au beau milieu de la nuit. “Je te ramène où tu veux, t’as gagné un taxi.” Et pourtant je sais bien qu’elle n’a pas envie de faire quoi que ce soit de plus ce soir, raison pour laquelle j’arrête enfin mes gamineries et autres remarques insistantes pour, pour une fois, jouer à l’adulte. “Et ça c’est mon numéro, pour quand t’auras faim.” Dessiné sur un bout de papier, le Saint Graal se retrouve entre ses mains.