L’inconnue n’a toujours pas de nom mais elle a une fonction et une main de fer, image qui me laisse souriant puisque je l’imagine tout à fait arriver à ses fins sans se faire prier. Elle a l’air d’être le genre de personne qui obtient toujours ce qu’elle désire et je les connais bien mieux que personne, pour cause : je fais moi même partie de cette catégorie. On sait ce qu’on désire et on l’obtient, peu importe ce qu’est la chose en question, peu importe à quel point ce devrait en théorie être difficile à posséder. On veut et on a, tel est le résumé. Ce soir, on a décidé d’avoir la même chose et cela ne me rend que plus heureux encore alors que le chemin jusqu’à ma maison se dessine plus précisément et la suite des événements avec.

« Un verre, un détour, tu m’accorderais ? » “Comment refuser ?” Oh en réalité ça aurait été bien simple : non. Pourtant je ne suis pas contre l’idée de prendre le temps de boire un verre, peu importe à quel point le sien sera sûrement aussi corsé en alcool que le mien en sera dépourvu.

« Un ami, avec plaisir, nous offrirait. » Désireux de ne surtout pas comprendre ce que ses mots veulent dire, je me contente de froncer les sourcils en attendant qu’elle précise ses paroles et m’explique à quel point j’invente de folles théories. « Le bar malfamé, que tu connais. Mon meilleur ami, sa tournée paiera. » Elle continue de rigoler alors que ce n’est plus mon cas, maintenant que j’ai même cessé de l’embrasser alors qu’au fond de moi je ne désire que me rapprocher de nouveau de ses lèvres charnues. Pourtant, mon corps entier est figé d’une incompréhension que j’ai bien du mal à cacher. Je ne lui ai parlé que d’un bar et il n’est pas grand, il n’y a pas beaucoup de personnel non plus. “Matthew ? C’est lui, ton meilleur ami ?” Préparez vous à la fin du monde dans trois, deux, un.

Il est partant pour aller faire une pause au DBD et aller boire un verre, ca ne fera que nous réchauffer un peu plus avant de reprendre la route vers son appartement – ou sa maison, j’en sais rien. Chez lui en tout cas. Pas très loin d’ici se trouvait le bar de Matt, bien que d’après mes informations, il n’était pas dans le coin, j’étais suffisamment connue et reconnue dans ce bar pour me permettre quelques caprices et réclamer un -aller même deux – verres sans avoir à passer par la caisse. N’empêche que mon porte feuille se portait bien mieux depuis que Matt et moi nous étions découvert une passion commune l’un pour l’autre. Mais ce qui se portait quand même un peu moins bien, c’était ma tête lors des lendemains de soirée et mon foi aussi. J’avais plus 20 ans et même si je tentais de me le rappeler souvent avec raison, mon corps me le rappelait bien mieux avec ses caprices à lui aussi.
“Matthew ? C’est lui, ton meilleur ami ?” Oh, mais. Mon sourire s’allonge, ravie de savoir qu’il connaissait Matt aussi. « Oui ! » Je sursaute presque sur place à l’idée qu’il sache de qui je parle et alors que je me retourne complètement sur lui, prête à dérober ses lèvres à nouveau, je remarque que la petite étoile qu’il avait dans les yeux jusqu’à présent s’était envolée. « Ca va pas ? » je questionne, presque inquiète de savoir ce qu’il se passe. Avait-il vu quelques chose de flippant, pensait-il à quelques chose de triste ? « On peut aussi aller directement chez toi… » que je lance, peut être était-il impatient, j’en savais rien, je me colle à son torse et glisse mes mains sur ses hanches. « Ou peut être que t’es bien trop impatient… » et peut être que moi je l’étais bien trop aussi. Peut être que mes principes allaient filer en deux secondes et que j’allais pas avoir envie de patienter d’être dans un lieu sure. Comme on dit, il faut parfois savoir vivre avec le danger…

« Oui ! » Elle est heureuse et elle sautille et elle ressemble à Ginny devant un magasin de bonbon. Si on file la métaphore, ce serait comme si j’avais une putain de carie, là. Son sourire a largement remplacé le mien, désormais inexistant. J’avais peur de comprendre ses sous entendus et maintenant que je sais que je les avais effectivement bien compris, j’ai encore plus peur.

« Ça va pas ? » Pour aller mal, là je vous jure que ça va vraiment mal. Le monde tangue et les lèvres brûlent, ma langue avec. Je rêve de me nettoyer la bouche à la javelle voire même à l'acide. Pas moins. Je rage intérieurement qu’elle n’affiche pas sur son front un post it disant “je suis la meilleure amie de Matthew fucking McGrath” parce que je vous jure que ça aurait simplifié bien des choses et évité une perte de temps à tout le monde. « On peut aussi aller directement chez toi… Ou peut être que t’es bien trop impatient… » Mon rire n’est désormais plus qu’amer et je suis bien heureux de l’apprendre avant qu’elle soit arrivé jusque chez moi et qu’elle ait tâché mes draps de son aura bien trop McGrathienne. Désormais, mes yeux ne font plus que fuir les siens en recherche d’un échappatoire.

C’est un index dégoûté qui se pose entre ses deux clavicules lorsque je la sens se rapprocher de moi. J’ose à peine toucher sa chair désormais mais je dois bien la tenir loin de moi et m’assurer qu’on ne franchisse pas de nouveau la ligne rouge, pas alors qu’elle semble être aussi proche d’un gars que je ne peux que détester de chaque fibre de mon corps. Je ressens une sensation de dégoût immense, bien plus à son sujet à lui plutôt qu’au sien à elle mais après tout c’est elle qui l’a choisi pour être son meilleur ami et à ce propos je n’y peux rien. Elle a sûrement fait le pire choix qui soit dans sa vie, voilà tout, ni plus ni moins. “Non … Tu sais quoi ? Oublie, retourne voir tes amies ou va voir Matt.” Ouais, va voir Matt, va voir ton meilleur ami et surtout surtout, oublie moi et reste très loin. Le plan parfait.

Il me repousse en mettant tout sa force dans son index posé sur mon buste. Qu’est-ce qu’il a lui ? Je fronce les sourcils, me retrouvant à un mètre de lui, distance qu’il a instauré avec son bras entre nous. C’est quoi son problème ? J’y comprends absolument rien. Y a encore trois minutes, j’aurai pu en faire qu’une bouchée, y a encore trois minutes, il me mangeait les lèvres et aurait sans doute pu manger tout ce qu’il voulait d’autre. Y a trois minutes, c’était dans la poche. Il a fallu lui faire comprendre que je connaissais bien – très bien – Matt pour que tout déraille. Pour qu’il change complètement d’attitude envers moi. J’ai l’impression d’être la pestiférée de service, d’avoir la gale ou la lèpre. “Non … Tu sais quoi ? Oublie, retourne voir tes amies ou va voir Matt.” Et j’le vois qui me passe devant, bras tombant, se cassant sans dire un seul mot de plus. « C’est une blague ? » que je lance en le voyant s’éloigner davantage. Et moi je reste comme une idiote ici, sur le bord du fleuve, toujours sans comprendre. « T’es complétement tarré ! » que je hurle maintenant qu’il est trop loin pour entendre ce que je pouvais dire sur un ton normal.
Je sais même pas comment il s’appelle, j’pourrais même pas dire à Matt qu’un fou m’avait foutu un plan au moment où j’avais évoqué son existence et le fait qu’on se connaissait bien. J’étais seule au beau milieu de ce sentier près de l’eau et maintenant, il fallait que je rentre. J’allais bien finir ma soirée au DBD même si Matt n’était pas là. Mon Dieu, j’en revenais pas. J’me demandais ce qu’il avait bien pu se passer avec Matt pour que l’évocation de son simple prénom lui donne des vertiges à ce point. Merde, j’passais pourtant une excellente soirée…