Il avait suffi que Clyde se saisisse du sujet des bagues pour que la situation tourne à son désavantage, puisqu’Halsey avait trouvé tout à fait adapté de pavaner ses mains devant les yeux du brun tout en les admirant plus que de mesure. “Tu trouves?” Il n’y avait pas de question plus rhétorique que celle-ci, alors qu’elle savait parfaitement ce qu’il pensait du fait qu’elle se soit ainsi attachée à un bijou qui n’était que le souvenir d’un de ses mariages - raté officiellement, réussi officieusement. Il avait du mal à concevoir qu’elle ait gardé cette bague alors même qu’elle avait désormais suffisamment d’argent pour s’en acheter une par elle-même, et cela l’agaçait donc qu’elle se retrouve régulièrement à secouer sa main devant lui, comme pour faire surgir des réminiscences de la femme mariée qu’elle avait été. Quand bien même Clyde savait qu’il ne s’agissait là que d’un show minutieusement paramétré dans lequel il avait eu un rôle à jouer, cela ne rendait pas le souvenir plus doux, surtout alors qu’il s’agissait à ses yeux du passé.

Le brun se contenta donc de pincer les lèvres, n’ayant aucune intention de lui offrir une réponse là où elle ne s’en saisirait que pour l’embêter davantage et retrouver un semblant d’ascendant, alors qu’elle était pourtant suspendue à ses lèvres et ses conditions pour la suite des réjouissances. “C’est tout?” Clyde avait du mal à saisir ce qu’elle pouvait bien penser de l’idée, à part qu’elle semblait soulagée qu’il ne lui ai pas réellement demandé de se faire tatouer sa tête sur son biceps droit. Le fait qu’elle s’attende à pire signifiait-il qu’elle appréciait la proposition, ou au contraire qu’elle n’y portait pas grand importance et accepterait sans broncher ce deal qui ne durerait qu’une soirée? “Ça te suffit pas? Tu veux que j’ajoute des conditions?” lâcha-t-il en haussant un sourcil en sa direction. Si elle lui faisait l’affront de lui répondre par l’affirmative, nul doute que les conditions suivantes seraient moins sympathiques et bien plus embêtantes que ce qu’il avait eu en tête jusque-là. “Et c’est où chez toi?” Le deal semblait néanmoins être en bonne voie, alors qu’elle ne lui avait pas refusé de but en blanc sa demande. Après tout, une part devait au moins être réellement curieuse de connaître l’endroit où il habitait vraiment, alors qu’elle n’y avait jamais mis les pieds depuis qu’il avait emménagé à la fin de l’été. “Pas très loin de l’hôtel.” Et donc, par définition, pas très loin de chez elle, quand bien même il n’avait pas volontairement choisi d’habiter aussi près.

Halsey réagissait bien mieux à sa proposition que Clyde l’aurait pensé, ce qui lui faisait presque regretter de ne pas s’être montré un peu plus spécifique - et réellement difficile dans la formulation de sa demande. Pour autant, elle venait là d’accepter un dîner qu’il espérait ne pas voir tourner uniquement autour de leur affaires, ce qui considérait un pas considérable qu’il attendait de voir arriver depuis de nombreuses semaines. Alors, même s’il laissait par là planer l’idée qu’elle lui avait terriblement manqué, réalité qu’il n’avait pourtant pas encore prononcé en ces mots-là, le simple fait qu’elle ne semble pas réfractaire à la chose lui suffisait. Au contraire, elle affichait un sourire mutin qui le confortait dans son idée qu’après tout, son chemin de croix finirait peut-être pas prendre fin un jour - et surtout, qu’elle lui avait autant manqué que lui avait pensé à la brune durant tout ce temps. “Non, ça ira. J’amène le vin?” La réaction de Clyde ne se fit pas attendre - car il était inutile de négocier plus longtemps ce qui était conclu - alors qu’il lâchait un petit rire. “Il vaut mieux.” Ses compétences en matière de choix de boisson étaient bien plus médiocres que celles de la brune, et même s’il avait appris à ses côtés au fil des années, il préférait encore qu’elle gère cette partie-là - de cette manière, cela donnerait moins l’impression qu’il allait se saisir de l’occasion pour orchestrer une soirée digne de ce nom. “Dis moi Wakefield, je vais devoir prendre un taxi ou bien la distance entre nous est-elle à ce point restreinte que pour me permettre une promenade à pied?” La remarque était évidente, alors qu’il avait avoué à demi-mots que leurs logements étaient à peine plus éloignés que lorsqu’ils occupaient des chambres mitoyennes à l'hôtel. Pour autant, et bien qu’il ait cherché dans le centre-ville en priorité, il n’avait pas eu l’intention de trouver un appartement si proche de celui de la brune, même s’il n’avait bien évidemment pas exclu cette information lorsqu’il l’avait réalisé. "Ça dépendra de ton choix de talons.” Le brun la savait propriétaire de talons suffisamment hauts et inconfortables pour qu’elle ne s'accommode pas de plus d’une dizaine de minutes de marche, ce qui correspondait plus ou moins à la distance les séparant. “Je te rassure, je n'ai pas acheté.” Et cela répondait une fois de plus partiellement à sa question, même si elle était suffisamment intelligente pour combler les manques elle-même.

“Je pense aussi.” Encore une fois, la brune ne pouvait s’empêcher de lui rappeler jusqu’au bout les travers qu’il pouvait avoir, surtout lorsqu’il s’agissait d’un domaine qu’elle maîtrisait mieux que lui. Soit, il ne s’agissait pas là de l’information la plus importante de leur accord aux yeux du brun qui se fichait d’ailleurs bien qu’elle ramène du vin ou ne ramène rien - tant qu’elle était là, elle. Il avait un instant été tenté de lui proposer un dîner sans ne poser aucune date, pour ne pas forcer la main d’Halsey, mais se réjouissait qu’elle ait accepté bien plus facilement qu’il ne l’espérait. Ce à quoi il n’avait pas songé, en revanche, était le fait qu’elle allait enfin se rendre compte qu’ils habitaient si près l’un de l’autre, quand bien même cela n’avait pas été - totalement - volontaire. “Rassure-moi, je ne vais pas avoir à remplir une ordonnance restrictive dans les prochaines semaines?” "Ça dépend, tu m’as vu traîner autour de chez toi ces dernières semaines?” Il lui offrit un sourire moqueur et mauvais tout à la fois, l’air de laisser planer l’idée qu’il l’espionnait sans qu’elle ne s’en rende compte, là où il ne s’était en réalité pas rendu devant chez elle depuis des mois - depuis qu’ils se reparlaient, en somme. “Tu aurais pu, tu fais ce que tu veux de l’argent que tu as gagné en attendant sagement que je fasse tout le boulot.” Elle était bien la dernière à s’être plainte de ses mariages lorsqu’ils avaient eu lieu, mais elle ne manquait jamais une occasion de lui rappeler le type d’investissement auquel elle s’adonnait, bien différent du sien. Il savait - presque avec certitude - qu’elle n’en pensait pas un mot et qu’il était convenu entre eux qu’aucun des deux ne savait fonctionner sans l’autre, et pourtant, il n’arrivait jamais à laisser couler ce genre de remarques. “Très bien.” Non, pas très bien. “Peut-être que c’est à mon tour de me marier alors, il y en aura bien une qui acceptera que je lui passe la bague au doigt. Je pense que c’est dans mes cordes.” De trouver une femme qui accepterait de l’épouser et de la manipuler pour en soutirer de l’argent.

Il savait bien que la brune l’avait repéré les rares fois où il s’était garé aux abords de son appartement quelques mois plus tôt, dans le simple but de l’observer de loin et de vérifier que si tout n’allait pas bien entre eux, tout allait au moins bien pour elle. Il ne s’était certes pas montré très discret, mais il savait pourtant l’être et n’aurait que peu de difficultés à suivre la brune sans qu’elle ne s’en rende compte, s’il le voulait vraiment - même si visiblement, son sourire amusé laissait à penser qu’elle y croyait moyennement. “Non, mais ça ne veut pas dire que tu ne l’as pas fait.” “J’imagine que ça non plus, on le saura jamais.” Tout comme elle n’irait jamais ordonner la moindre injonction d’éloignement contre lui - après tout, il savait garder ses distances lorsque cela s’avérait nécessaire, et même un peu trop d’ailleurs, à en juger par le silence radio dans lequel il s’était muré des semaines durant. Lorsque quelque chose tournait mal entre eux, il n’était pas du genre à harceler la jeune femme pour se faire entendre, mais plutôt à couper court à toute communication pour rétablir son indépendance à laquelle il était profondément attaché malgré la proximité qui les liait.

C’était justement cette illusion de détachement qui les poussait à se chercher mutuellement, surfant sans vergogne sur la vague de la jalousie auxquels ils essayaient toujours de résister même s’ils s’y faisaient régulièrement prendre. Lorsqu’il s’agissait des mariages de la brune, il y avait peu de choses qui avaient autant touché Clyde, surtout après que leur relation ait dépassé le stade de l’entente professionnelle qui était de mise au départ. “Est-ce qu'il s'agit d'une tentative destinée à me rendre jalouse?” Bien évidemment, mais la brune se ferait couper un bras avant d’avouer une telle chose, raison pour laquelle il haussa les épaules comme si cela n’avait rien à voir, même s’il haussa légèrement les sourcils. “Pourquoi, ça marche?” Elle-même l’avait cherché, à mentionner les coups qui leur avaient rapporté gros, dans lesquels elle agissait comme l’appât ferrant le gros poisson. “J'ai jamais voulu jusque-là, mais finalement je ne dirais pas non à être marié une fois dans ma vie, pour l’expérience.” Parce que les vrais mariages d’amour, c’était surfait, de toute façon - surtout après la manière dont ils avaient contourné l’institution sans le moindre remord. “Et les avantages induits.” Il avait besoin de lui faire un dessin, peut-être?

“Non.” Il n’était pas dupe du mensonge effronté, Clyde, pas plus que la jeune femme tentait de garder une facade amusée là où il paraissait clair que ce sujet l’enchantait bien moins. Le dernier mariage de la brune remontait à quelques années déjà, et s’ils avaient tous deux convenus que ce genre d’affaires nécessitait trop de préparation et d’investissement pour qu’ils puissent s’y adonner une fois de plus, Clyde avait été ravi de faire une croix sur le fait de savoir Halsey mariée. Lui-même n’avait jamais été tenté de jouer l’appât à son tour, étant bien moins capable de faire preuve de minauderie que la brune lorsqu’une situation l’agaçait. Cependant, elle jouait un jeu dangereux lorsqu’elle se laissait aller à lui rappeler qu’elle avait fait tout le sale boulot - à croire qu’il l’y avait forcée, alors qu’elle avait été toujours été partante pour s’y lancer à corps perdu dans le but d’en retirer des sommes plus que confortables. Sommes qui ne seraient jamais parvenues jusqu’à eux sans l’implication et la manipulation de Clyde, qui servait d’informateur privilégié à Halsey durant chaque étape du processus, il convenait de le rappeler. “Les femmes sont plus difficiles à contenter que les hommes.” “Tu es plus difficile à satisfaire que les hommes.” Il était presque prêt à affirmer que beaucoup de femmes qu’il avait côtoyées étaient bien moins complexes à saisir que la brune, dont le schéma de pensée n’était clairement pas une référence. “Tu serais prêt à l’écouter parler pendant des heures sur ses petits problèmes du quotidien? Ses insécurités? Passer ton temps à la rassurer pour ensuite accepter qu’elle te tourne le dos parce qu’elle aura mal à la tête?” Certes, cela l’emmerderait royalement, sans oublier qu’il avait déjà amassé un pactole suffisant pour que ce genre de plan ne soit plus réellement une nécessité à ses yeux. “Tu sous-estimes ma patience.” Surtout envers elle. “Je t’écoute bien de te plaindre de tes talons qui t’écrasent les pieds, et je supporte le fait que tu crois pouvoir te débrouiller sans moi.” Dans leurs affaires, dans la vie - du moins, il le supportait presque.

Halsey était par nature une personne complexe pleine de contradictions et de mystères, et si Clyde en profitait là pour retourner son argument contre elle, il s’agissait pourtant d’une chose qu’il appréciait et admirait même chez elle. Car d’une certaine manière, il se retrouvait parfois parfaitement dans ce besoin de compartimenter sa vie et de ne pas se laisser aller à des émotions trop fortes et trop destructrices, comme il avait pu en souffrir par le passé. “Je sais ce que je veux, c’est tout.” Et c’était tout à son honneur, même s’il ne put s’empêcher de lui offrir un sourire moqueur comme pour lui rappeler que parfois, cela ne l’empêchait pas d’être justement foutrement agaçante.

Pourtant, Clyde avait - presque - toujours fait preuve d’une patience sans limite, puisqu’il considérait que des deux, elle était la plupart du temps la plus impatiente et la plus difficile, du moins quand elle avait décidé qu’il en serait ainsi et qu’il n’avait d’autre choix que de l’accepter. Bien sûr, il aurait pu décider des années auparavant qu’il avait autre chose à faire que de s'embarrasser d’une femme qui pouvait à tout instant lui filer entre les doigts et lui poser autant de problèmes que lui apporter d’avantages - et pourtant, c’était bien cette complexité constante qui l’avait tenu inlassablement attiré vers elle comme au premier jour. “Oui mais ça, c’est parce que tu es fou de moi.” Oui. Jouer la carte de la proximité en laissant glisser ses doigts sur son torse après autant de semaines à garder une certaine distance relevait du génie - ou du mal incarné - même si Clyde la connaissait suffisamment pour savoir ne pas lui avouer ce genre de chose si facilement, surtout dans une situation où il venait déjà d’accepter de céder à un interdit. Il se contenta donc de soutenir son regard sans broncher, n’ayant pas la force de nier cette affirmation, quand bien même il ne la validait pas. “Et je te laisse croire que je pense pouvoir me débrouiller sans toi…” Le sourire du brun s’étira en même temps que celui de la jeune femme, réalisant une fois de plus à quel point ils faisaient écho l’un en l’autre, sans même parfois avoir besoin de le formuler. “Je préfère ça” qu’il murmura avant de se détacher d’elle pour attraper le casque attaché à la moto. “J’ai qu’un casque, t’avais pensé à ce détail?” Lui-même y avait bien évidemment songé et l’idée lui plaisait très moyennement, mais pour quelques kilomètres à faible allure, il était prêt à faire une entorse passagère aux bonnes habitudes.

Comme à leur habitude, ils avaient fini par trouver un terrain d’entente dans le fait que quoi qu’ils puissent dire, ils s’opposeraient continuellement, sauf sur ce qui était le plus important - à savoir l’estime et les semblants de sentiments qu’ils pouvaient ressentir l’un envers l’autre. Maintenant que la brune s’était adoucie et que Clyde avait suffisamment fait traîner sa part du marché - alors qu’il espérait bien qu’elle respecte la sienne un peu plus tard - il était temps de céder à sa demande la plus ancienne. Un tour de dix minutes en moto dans le simple but de la ramener chez elle, après tout - car il ne se risquerait à rien de plus alors qu’il n’avait qu’un casque, ce qui laissait un des deux sans protection aucune, ce qu’il releva alors même qu’il y pensait depuis le départ. “Pas du tout. Mais tu peux le garder, je voudrais pas que tu abîmes ta gueule d’ange.” Pourquoi avait-il le sentiment que ce qui sonnait comme un compliment contenait pourtant une moquerie, car la brune ne pouvait jamais s’empêcher d’accompagner ses remarques d’un soupçon d’ironie mordante? Plutôt que de lui sourire trop facilement, Clyde plissa les yeux à son tour, n’ayant à aucun moment eu l’intention de garder le casque pour lui-même. Il n’était pas particulièrement extatique à l’idée de rouler sans l’équipement le plus basique, mais s’il acceptait que la brune monte derrière lui, il s’agissait tout simplement d’assurer sa sécurité qui reposait désormais en partie entre ses mains. “J’espère que tu ne vas pas te servir de ce détail comme d’un moyen de revenir sur ta parole, Wakefield.” "J'appellerais pas ça un détail, mais allez, enfile-le” lâcha-t-il en lui tendant le casque sans lui laisser le choix. Après tout, il savait par avance qu’elle n’arriverait même pas à l’attacher sans son aide, étant donné le système de fermeture complexe qu’il avait toujours préféré pour ses casques - et il attendait avec grande impatience qu’elle l’appelle à la rescousse. Juste pour lui rappeler une nouvelle fois qu’elle ne savait pas vivre sans lui.

A la surprise générale - ou plutôt son total inverse - Halsey ne se fit pas prier pour attraper le casque et l’enfiler, sûrement avant qu’il ne change d’avis et récupère ce qui lui servait d’assurance vie. Assurance dont il allait se départir momentanément parce que cela lui semblait tout à fait impossible d’embarquer la jeune femme derrière lui sans la savoir protégée. Halsey réveillait en lui un côté galant et chevalier servant qu’il ne revêtait que lorsqu’il s’en donnait la peine - ce qui n’était pas totalement le cas cette fois-ci, puisqu’il s’était bien privé de l’aider à enfiler ce casque qui était un casse tête au premier abord. “C’est un casque ou un instrument de torture que tu viens de me mettre sur la tête?” Le brun ne put s’empêcher de la regarder d’un air amusé alors qu’elle tentait en vain de connecter les attaches entre elles - ce qui ne dura qu’un instant avant qu’elle lève la tête vers lui. “Arrête de râler deux secondes, tu veux? Tu l’as, ton tour à moto.” Alors peut-être pouvait-elle se contenter du fait qu’elle avait enfin obtenu ce qu’elle voulait, et se laisser aller sans broncher quant au fait qu’elle avait besoin de lui malgré tout - chose que la brune n’aimait pourtant jamais avouer. “Un peu d’aide, s’il-te-plaît?” Le fait qu’elle prétende être agacée ne faisait qu’amuser davantage Clyde, qui n’en prit pas ombrage et finit par s’approcher d’elle pour serrer les attaches sans manquer de frôler la peau de son cou à plusieurs reprises, alors qu’il sentait le souffle chaud de la brune sur la sienne.

Une fois les vérifications d’usage faites sur la tenue du casque et après avoir fait un tour rapide de la moto pour être certain que rien ne la gênait, il referma sa veste avant de s’apprêter à monter en selle. “Tu sais te tenir, c’est bon?” Parce que même si elle lui faisait des pieds et des mains depuis si longtemps pour monter derrière lui, elle devait bien certainement avoir eu l’occasion de monter derrière d’autres personnes, depuis le temps.