Le club est blindé. Il y a du monde partout, il y a des filles partout, il y a de la testostérone partout. Autant dire que c’est un soir plus fatiguant que les autres, que Primrose aura sûrement ses chevilles bousillées avant même la moitié de la nuit et qu’elle va asperger son joli petit nez avec bien trop de poudre qu’il n’en faut. Mais il lui faut bien cela au moins pour tenir, pour garder le cap. Ahurissant, abrutissant. Les lumières qui illuminent le fond des yeux. Qui éteignent toutes les pensées les plus profondes. Havre de luxure, de bruit, de musique, de chaos. Tout est plus long, tout est langoureux, tout est sensuel. Les gestes sont lents comparés aux cris. Comparés aux regards agités. Ils tendent les doigts, les billets au bout. Ils crachent, elles font tout pour. Elles sont là pour cela, les jolies poupées. Avec leurs tenues qui ne cachent rien. Avec leurs courbes qu’elles exposent et jouent. Elles sont les pantins mais ce sont elles qui jouent avec eux. Pour toujours plus de billets qui jonchent le sol, qui ornent leur maillot, la ceinture de leurs sous vêtements. Barbie la blonde platinée et la bouche en cœur crée l’émois comme à chaque fois. A chaque performance. Primrose l’envie. Primrose aimerait avoir son sourire. Son enthousiasme. Il est naturel. Elle n’a pas besoin d’artifice. Pas comme elle. Quand elle devient Poppy qui ne vaut rien sans ses cachets. Qu’elle respire le médicament contrefait pour mieux survivre ces nuits. Pour que le brouillard ne se finisse jamais. Que son cœur continue à la faire vivre, à la faire vibrer. Elle s’est prise au jeu, avec les années. Elle a fini par apprendre à maîtriser le pôle. Il y a bien quelque chose à en tirer de ce corps de femme enfant. Aux courbes qu’elle réussit à mettre en valeur malgré les doutes persistants qu’elle peut en tirer. Des sifflements sur son passage. Elle se dandine, elle sourit automatiquement, sans saveur, sans réalité, tout dans l’artifice et l’exagération. Elle se donne, elle est obligée, elle a une vie à côté à mener. Un jour, elle réussira à sortir la tête de l’eau. Un jour, la petite rose pourra retrouver sa liberté - un doux rêve qui la berce depuis son arrivée à Brisbane et dont elle se laisse choir dedans pour espérer un espoir et une vie meilleure.

“Hey, viens par ici, toi!” On l’interpelle quand ce n’est pas elle qui s’impose. Elle a l’esprit fougueux quand elle est dans le club. Quand elle a le sang englobé par une drogue néfaste qui s’introduit aussi bien dans son être que dans son âme. L’argent est à chercher, l’argent est à manquer et Primrose se doit de ressortir au petit matin avec quelque chose entre les mains. Elle a un loyer à payer, des crédits à rembourser, des cadeaux à acheter. Tout cela n’est que formalité mais ce soir, elle a le couteau sous la gorge - non, ce n’est que la main du type qui l’a forcé sur lui. “Alors, ma jolie, on est toute seule? On cherche de la compagnie? J’peux t’en donner, si tu veux.” La princesse de la déchéance atterrit sur ses genoux. Elle tourne la tête pour éviter l’haleine alcoolisée. Elle grimace, elle tire sur sa robe - bien trop courte, bien trop relevée, ses cuisses dénudées incitants la main du type à venir s’y poser, à malaxer, à s’imposer sur elle. Primrose le tient à distance quand il tend ses lèvres. “Pas de baisers, sugar. Interdit.” Par le club et par elle-même. Mais il insiste, il se montre persistant. “Oh allez, bella, tu vas pas jouer les saintes nitouches. A part si c’est ton rôle et je peux jouer celui qui va te dominer.” Non, pas lui, s’il vous plait. La petite fleur n’en veut pas, ni de lui, ni de son jeu. Elle sait qu’il va finir par proposer une salle privée, une danse rien pour lui, et elle devrait sauter dessus - cela lui fera toujours plus d’argent à ramener chez elle. Mais ses prunelles bleutées se relèvent malgré tout sur la salle, un sos lancé à la dérive et que personne ne verra, parce que Barbie est sur scène et qu’il n’y a qu’elle qui compte. “Allez, on va s’amuser un peu.” Il la lève, la tient par les hanches, le sourire carnassier qui décrète qu’il va défier les lois du club - qui sont fines, si fines qu’à peine visibles. Primrose n’a pas l’habitude de dire non, elle ne le dit jamais ; elle s’oublie, elle se soustrait à l’équation pour ne penser qu’à la somme cumulée du plaisir à offrir à ce type avec celle des extras si elle réussit à le garder.

Même s’il finit par lui faire mal au poignet en l’entrainant, même s’il titube, qu’il manque de tomber sur d’autres clients, la frêle stripteaseuse ne pouvant qu’à peine le retenir. L’argent, les billets, pense à ce que tu pourras t’acheter demain. Il n’y a que cela qui compte.

Elle va y passer ce soir. Elle peut viser les boucles qu’elle a vu, peut-être même le collier qui va avec. Elle n’a qu’à dire oui. Se laisser faire. Supporter ce type qui doit être deux fois plus vieux balader sa main partout. Le forfait des extras va alourdir sa main en quête de billets, pour le plus grand plaisir de sa gourmandise monétaire grandissante et au diable son amour propre. Le malaise. Le mal-être. L’envie de ne plus être soi. Elle n’est déjà plus vraiment elle-même, la petite rose. Primrose n’est plus, c’est Poppy qui se dévoile. Une robe rosâtre bonbon qui ne laisse qu’un peu de place à l’imagination de ses sous-vêtements qu’on ne tente pas de dissimuler par ici. Elle ne cherche pas à gagner l’admiration de ses pairs pour son physique ; c’est plutôt elle qui lorgne sur les autres, sur tout ce qu’elles ont dont elle ne possède pas. Elle n’aurait pas pensé qu’on l’aurait accepté mais il faut croire qu’ironiquement, le patron est peu regardant sur le physique tant que la fille sait se servir de ce qu’elle a pour lui ramener ce qu’elle lui doit. Malgré les interrogations, le dégoût d’elle-même, toute cette négativité qu’elle rejette d’elle-même, Poppy éteint tout ça grâce à des lignes de poudreuse qu’elle enchaîne et qu’elle abuse allègrement. Cela lui permet de ne pas réfléchir, de foncer, de se déhancher, de se dévoiler, d’être la perfide, l’allumeuse, l’aguicheuse qu’on lui demande d’être.

Mais parfois, même la coke ne suffit pas pour atténuer pour contrer les situations comme celle à présent. Où la petite princesse de la nuit tente de faire bonne figure, qu’elle ne veut pas mais qu’elle fera quand même. C’est son job. Que sans ce sacrifice de sa personne, elle ne pourra pas s’offrir ces foutues boucles d’oreille. Sa petite voix lui rappelle à quel point elle est pathétique. L’enfant en elle pleure, elle souffre, elle hurle qu’on la laisse tranquille mais l’adulte a des factures à payer. Des loyers de retard à rembourser. Et des boucles d’oreille qu’elle crève d’envie d’exhiber à ses abonnés et au monde entier. Ainsi sont les pathétiques choix qu’elle cumule de faire, pour de pathétiques raisons parce qu’elle n’est qu’une pathétique personne qui ne pense que le bien matériel, un dernier, promis, suffira à la combler une bonne fois pour toute. Un mensonge, cela n’est jamais le cas. L’important est d’y croire, non ?

Mais Poppy ne croit plus en rien depuis longtemps. Tout n’est cependant pas à jeter parce que le type titubant se retourne et la frêle créature ne comprend qu’en se retournant à son tour pourquoi. Les expressions qui ont changé. Le ton guilleret qui l’est moins. « Elle m'est réservée pour le reste de la nuit. » Ah? Son cerveau met un moment avant d’assimiler les sous-entendus de cette scène. Défaut de clarté, ambiance vaporeuse dans son esprit, ses grands yeux bleus qui sont levés sur l’inconnu en face d’eux avec une lueur inquiète malgré tout. Est-ce qu’elle a loupé un détail, un rendez-vous, quelque chose ? « Va voir ailleurs. » il s’exprime au type avec une voix qui se veut intransigeante avant de tendre sa main vers elle. Les yeux brun qui se reportent sur sa personne après et c’est Primrose qui s’en retrouve de nouveau muette. “Hey, tu te prends pour qui pour débarquer comme ça, d’abord ?” Sûrement un peu trop longtemps qui a été grapillé par le gars qui a l’air de se resituer dans l’histoire. Poppy passe une main dans ses cheveux avant de taper son front de la paume de sa main, l’éclair du souvenir se rappelant à elle. “Oh. Je croyais que c’était demain. Toutes mes excuses.” Même quand on a la peur dans les tripes, il est important de garder bonne figure. Adoucir les angles, ne pas laisser le temps aux individus de créer de vagues ou encore pire. Poppy passe sa main dans celle tendue devant elle tout en accentuant une expression désolée. “Je suis sûre qu’une autre fille sera ravie de vous prendre en charge. Vous pouvez demander Barbie, elle ne déçoit jamais personne.” Et parce que Barbie est une femme de caractère, elle n’hésitera pas à le remettre en place s’il le faut. Exactement ce dont ce type aurait besoin.

“Suivez-moi.” Elle n'attend pas la réaction de l'autre pour que sa main s’enroule autour du bras de l’inconnu - le sauveur, grand, au visage bien plus rassurant, les yeux bien plus doux - tout en le dirigeant vers une des salles privées. Primrose garde le buste droit et les pas assurés - toc toc toc toc contre les dalles, les talons rythmant le couloir - avant qu’elle finisse par les conduire dans une salle où elle lâche le bras de l’inconnu dans un soupir soulagé. “Vous m’avez sauvé la vie. Son genre n’est vraiment pas mon type préféré.” Elle ouvre les yeux, subitement, se rappelant qu’elle parle tout de même à un client. “Enfin, pas que j’ai un type préféré, je veux dire que je, enfin, ce sont des clients et je n’ai pas à avoir de préférence mais je-” Grand dieu, stop. Elle rougit, de sa bêtise, de la situation, de sa gêne, ses yeux bleus parcourant la salle tamisée. “Vous n’êtes pas obligé de rester. Enfin, si, un peu, le temps que l’autre ne soit plus dans les parages au moins mais je- A part si vous voulez un remerciement. Je peux faire ce que vous voulez.” Parce qu’elle n’est qu’un objet, qu’une poupée et qu’elle a l’habitude que de faux chevaliers viennent lui demander un dû en retour. C’est juste dans l’ordre des choses, elle suppose.

Un client qui vient de la sauver d’un autre client, c’est pathétique. Depuis le temps, elle devrait connaître les tactiques pour sortir de ce genre de situations. Mais même ça, elle n’est pas fichue de le faire. Primrose n’aime pas dépendre des autres, et encore moins leur être redevable. Pourtant, elle ne peut s’empêcher de le ressentir devant ce jeune homme qui n’a rien demandé d’autre que de passer une bonne soirée et qui a failli tourner au désastre juste pour la sauver elle, la pauvre effrontée qui n’est foutue de gérer un client par ses propres moyens. Elle espère sincèrement que son boss n’avait pas les yeux sur la scène à ce moment précis, elle pourrait risquer de sérieux ennuis autrement. « Je me disais bien, il n'avait pas des allures de prince charmant. » Primrose ne peut camoufler son sourire sur son visage gêné. Il ne l’était pas, il n’y a pas à en juger là-dessus. “J’ai l’habitude.” Mais en avoir l’habitude ne suffit pas pour autant qu’elle l’accepte. Tant pis, son avis n’est pas nécessaire, on ne le lui demande pas, elle a juste le droit de sourire, de hocher la tête et de bouger ses hanches pour qu’ils crachent tous un maximum de billets australiens parce qu’il n’y a que cela qui compte. Elle débite des mots, elle prend tout l’espace alors qu’elle ne devrait pas. Ce n’est pas son moment, ce n’est pas son endroit, ce n’est rien de tout cela. Il est le roi des lieux, même s’il n’en a pas l’allure, avec son sourire amusé qui s’agrandit et ses yeux bruns pétillant un peu plus au gré de la lumière environnante. « Eh. Je n'ai pas fait ça en m'attendant à quoique ce soit, je voulais simplement m'assurer que tu ne termines pas seule avec lui et ses envies. Je n'ai pas besoin d'un quelconque remerciement. » Si seulement il pouvait être là pour tous ces moments compilés où elle n’a personne pour agir comme il vient de le faire. Mais la petite brune ne peut pas non plus s’attendre à recevoir un tel traitement, à être épargnée d’une situation dans laquelle elle s’est elle-même mise. Elle n’a qu’elle à blâmer, chose qu’elle fait tous les jours et qu’on n’hésite jamais à le lui rappeler quand il le faut, au cas où elle oublierait. Mais l’acte du jeune homme est honorable même si elle en reste pas moins gênée parce que ce n’est pas une situation habituelle. Est-ce qu’il va lui demander quelque chose ? Apparemment non. Selon ses dires, il ne veut rien en retour. Uniquement concerné par son bien-être. C’est presque trop beau pour être vrai. Cela ne peut pas être aussi joli. Il y a une anguille sous roche, forcément, c’est obligé. Primrose ne croit pas que la chance vient toute seule, il y a forcément le karma qui revient frapper d’une manière ou d’une autre. « Si tu tiens vraiment à me remercier, bois un peu d'eau et respire le temps qu'il faut ici. Je vais rester, si ça ne te dérange pas. Ça évitera à l'autre de me revoir et de se remettre à ta recherche. » Est-ce qu’il est réel ? C’est la sordide question qu’elle se pose en le voyant partir à la quête d’une source d’eau, lui tournant le dos avant de disparaître dans la pièce d’à côté d’où elle entend le jet du lavabo s’activer. Primrose se mord la joue de l’intérieur, ses prunelles bleutées déviant vers le lit avant qu’elle s’y dirige, comme une enfant qui se retrouve enfermée dans sa chambre après avoir subi la pire des humiliations. Est-ce que tu pourrais essayer d’arrêter de voir la négativité partout ? Sois un peu plus gentille, plus reconnaissante. Le pouls qui ralentit en même temps que le jeune homme revient, gobelet en main qu’il lui tient avec toute la douceur du monde. « Tiens. » Docile et conciliante, Prim s’abreuve et même si l’eau ne calme pas les tourments, il est clair qu’il fait du bien pour apaiser malgré tout. Retrouver une respiration un peu plus normale et arrêter de paraitre stupide face au brun devant elle. « Est-ce que ça va un peu mieux ? » Elle hoche la tête avant de finir le gobelet, une main qui passe sur son visage ensuite en soupirant. “En avoir l’habitude ne suffit pas pour s’y faire, visiblement. Je suis désolée d’avoir gâché votre soirée.” Le vouvoyer parce que c’est l’habitude, c’est confortable, ça fait une distance qu’elle s’impose pour s’empêcher de s’envoler un peu trop haut dans ses pensées. Primrose n’y réfléchit même pas, les clients s’autorisant à les tutoyer sans plus de cérémonie, parce qu’elles ne sont que des jouets à leur disposition. Elle n’en fait pas tout un drame, retrouvant un léger sourire un peu plus sincère. “C’est rare les hommes qui n’attendent rien en retour par ici.” Pour ne pas dire unique en son genre. “Poppy à votre service.” qu’elle dit le plus naturellement du monde, comme s’il est normal d’être au service de quelqu’un de la sorte. Pour elle, oui. Une véritable petite marionnette.

Un jour, elle réussira à avoir le courage de partir d’ici. Un jour, elle trouvera que ses problèmes de conscience seront plus forts que sa lâcheté, ses habitudes ancrées dans lesquelles elle se complaît bien trop pour trouver le moyen de trouver la porte de sortie. Dans le fond, Primrose cherche aussi à se faire plaindre, quand bien même elle ne le fait jamais à voix haute. Elle se camoufle, elle a les paupières alourdies par l’absurdité de ses actions, par ses choix hasardeux mais qui la font sombrer toujours plus bas. Il y a un moment où l’on se dit que le fond est déjà touché mais force de constater qu’elle a juste l’impression d’être dans un perpétuel néant dans lequel elle tourbillonne, elle tombe et elle se laisse entraîner sans cesse. Les mains tremblantes qui n’ont plus à l’être car elle est maintenant en lieu sûr, qu’on est venu l’aider pour cette fois-ci, parce que son SOS silencieux et profond a été entendu. Le brun qui n’avait sûrement pas prévu d’en arriver là, de voir sa soirée tournée de la sorte. Oh Primrose lui en est redevable. Elle se sent toujours endettée, de n’importe quelle façon qui soit, de toutes les façons qui soient. Une gamine qui n’est pas fichue de prendre soin d’elle-même et donc qui s’évertue à cumuler les dettes, aussi bien humaines que pécuniaires. Est-ce que tu le sens, ce poids sur tes épaules ? Constamment, toujours, perpétuellement. Un jour, elle se réveillera en ayant la volonté de changer sa vie.

Mais ce jour n’est pas encore arrivé et cette nuit à venir n’est que le début d’une énième habitude cumulée depuis des années. A la différence près qu’elle est avec un homme serviable, qui lui sert un verre d’eau et rien que par ce geste, elle a la sensation que c’est déjà beaucoup trop. Elle n’a pas l’impression de mériter une telle gratitude, une telle attention - ce n’est qu’un verre d’eau. Qu’elle porte quand même à ses lèvres malgré tout parce qu’il va bien falloir qu’elle reprenne ses esprits. « Ma soirée n'est pas gâchée. » Ses paupières se lèvent doucement contre le brun toujours debout devant elle, par-dessus son gobelet, et elle se dit qu’il est impressionnant de ce point de vue. Mais il transpire la gentillesse alors pourquoi autant de défenses en toi, Primrose ? Elle ne croit pas mais il n’est pas bon de contrarier les clients. Alors la jolie brune se contente de hocher la tête tout en finissant son verre d’eau.

« Je n'ai rien à vous demander Poppy... absolument rien. Je suis sincère quand je vous dis que j'ai fait ça sans rien attendre en retour. Il ne se passera rien entre nous. » Là, c’est à la jeune femme d’hausser les sourcils. “Vraiment ?” qu’elle lâche sans le retenir. Primrose en vient à se demander si c’est à cause d’elle ou juste pour d’autres raisons, plus raisonnables. Oh Prim. Tu as si peu foi en l’humanité parfois que tu oublies qu’il reste des gens véritablement bons et honnêtes. Ses membres se détendent un peu plus, signe qu’elle est soulagée de l’entendre dire ça. “Désolée je n’ai- Certaines auraient été vexées.” elle ajoute avec un léger rire un peu nerveux en remettant une mèche derrière son oreille. S’entendre dire ça est une des pires choses pour les filles du club. Un rejet pur et simple. Barbie ne le lui aurait jamais pardonné.

Et là, la chose la plus incroyable qui se passe ; des billets qui apparaissent sous ses yeux qui ne sont plus surpris mais quelque part sur le chemin de l’incompréhension. « Pour votre temps, et le client que j'ai fait fuir. » Qui aurait autant de liasses sur soi pour en sortir aussi impunément et juste au nom du “temps” et d’un client un peu trop entreprenant ? Primrose étant qui elle est, évidemment qu’elle va se saisir de l’argent. Elle ne crachera jamais dessus et elle pourrait presque s’émouvoir d’autant de facilité. Il n’y a vraiment rien d’autre à cacher, là-dessous ? « Si vous préférez que je reste un peu afin de ne pas être seule, je peux. Si au contraire vous avez besoin d'air, je suis certain que ces suites ont une porte à l'arrière non ? » Les yeux sur ce qu’elle tient entre les doigts, la jeune femme finit par les relever vers le brun. “Vous pouvez rester. Si vous voulez. Histoire de mériter, sa main secoue doucement les billets roulés, ça. Laissez-moi les mériter. Je me sens déjà assez mal. C’est plutôt à moi de vous remercier. Je ne devrai même pas accepter.” Et elle est persuadée qu’elle a plus en main que ce qu’elle aurait pu gagner avec l’autre blaireau. “Vous vous baladez souvent avec autant sur vous ?” Comptez sur Primrose pour parler peu mais parler un peu trop franchement parfois. Elle s’en rend compte une fois le point d’interrogation installé et elle rougit instantanément tout en secouant la main. “Désolée, ce n’est pas poli de poser ce genre de choses. Mais c’est juste très généreux et je-” Tu t’enfonces terriblement, ma fille. Primrose le sait en souriant maladroitement en souriant du coin de ses lippes. “Merci. Vous venez souvent ici ?” Voilà des propos cohérents.

« Oui, vraiment. » Un répit, un souffle d’air, voilà ce que le grand brun est en train de lui proposer sans même s’en rendre compte véritablement. Il est le genre de clients que Primrose bénit dans son fond intérieur, parce que cela signifie qu’elle va pouvoir reprendre un peu ses esprits et respirer pendant le temps qu’il lui concèdera. « oh woh... non, ce n'est pas ce que je veux dire, vous ne comprenez pas. Vous êtes une belle femme, ce n'est pas le soucis. Je ne suis juste pas venu ici pour m'envoyer en l'air, mais n'y voyez rien de personnel. Vous êtes ravissante. » C’est gentil de le lui dire mais vu les lieux, les circonstances et tout l’environnement, Primrose se contentera d’un léger sourire reconnaissant, sans vraiment prendre en considération les compliments. Si elle a cru que c’était là le problème, il n’empêche que d’avoir une petite parenthèse au milieu de la soirée ne lui déplaît absolument pas. Elle ne cherche pas forcément à ce que le brun la complimente, elle ne sait de toute façon jamais comment réagir face à eux. Et elle reste d’autant plus sceptique qu’ils sont dans un club et que les belles paroles ne sont toujours qu’éphémères.

« Disons que c'est ma bonne action de la soirée. » Si par bonne action, il sous-entend venir la sauver des griffes d’un client lourd et en plus la payer pour cela, alors Primrose ne peut qu’approuver cette BA aussi altruiste que plaisante. Elle n’aura jamais été aussi ravie d’être une bonne action, même si franchement, elle s’attend à un retour quoiqu’il arrive parce que le karma peut être cinglant et cruel quand on s’y attend le moins. Il suffit qu’elle baisse la garde et elle est certaine qu’elle va se prendre une dégringolade de retours négatifs dans la foulée. La brunette n’arrive pas à croire qu’un bonheur simple peut arriver sans conséquence ; sûrement son côté pessimiste, en somme. « Eh, ça va. C'est légitime de se poser la question. Mais pour répondre, oui, ce n'est pas si exceptionnel. » Le brun a la délicatesse de sourire et même de rire légèrement, Primrose se tassant un peu plus sur le lit parce qu’elle se sent idiote, comme toujours. La cocaïne a l’air d’être complètement partie, elle manque de l’assurance qu’elle est censée avoir et elle est déjà en train de réfléchir au prochain créneau où elle pourra aller s’en recharger les narines avant d’intégrer les mots qu’il vient de lui dire. Pas si exceptionnel ? Vraiment ? Non, elle n’aura pas le toupet de lui demander s’il a de l’argent à gaspiller comme cela, ni même l’état de son compte en banque, ça ne la regarde pas, ça ne se fait pas et ce ne sont pas ses affaires. S’il veut dépenser son argent de cette façon, c’est son problème, pas le tien. T’aimerais avoir cette capacité toi aussi, n’est-ce pas ? Oui.

« Non, c'est même la première fois que je mets les pieds ici. Je voulais me changer les idées, mais j'opte pour des bars plus classiques d'ordinaire. » Primrose pose son verre vide sur la table basse non loin tout en se permettant de sourire légèrement. « Au moins, c'est réussi. et vous, vous faites ça depuis longtemps ? » Clairement. “Niveau ordinaire, il est clair que vous bousculez les codes. Notre job à nous est de faire en sorte que cela devienne votre ordinaire.” Qu’elle établit avec ce petit sourire de coin, commençant à reprendre peu à peu la maîtrise de ses mots et de ses pensées. Après tout, la première fois peut être les prémisses de fois à venir, c’est aux filles de fidéliser leurs clients. Cependant, Primrose est peu convaincue que l’expérience fut assez agréable au grand brun pour qui la réitère de si tôt. “Depuis trois ans, quand je suis arrivée à Brisbane. Dans le milieu, on peut dire que ça fait déjà assez longtemps.” Stripper est supposé être un job de transition, après tout. Le genre de métiers que l’on exerce pendant un lapse de temps, une passerelle pour aller d’un point à un autre. Ce n’est pas un métier d’avenir parce qu’il n’y en a pas, tout simplement. Primrose coince une mèche derrière son oreille tout en relevant ses yeux sur le brun. “Vous savez qu’on ne fait pas dans le sexe, n’est-ce pas ? On danse, on se déshabille mais on est pas des prostitués.” C’est un point important parce qu’il a évoqué l’idée de “s’envoyer en l’air” et que la jolie brune est bien consciente que la ligne entre les strippers et les filles de joie peut être assez mince pour le commun des mortels. Même si elle s’acquiert parfois de faveurs sexuels parce que ça remplit un peu plus les poches, ce n’est officiellement pas autorisé. “Je préfère le souligner parce que les gens ont tendance à oublier la différence entre les deux.” La preuve avec le client précédemment débarrassé. Son ton est léger et son visage apaisé, aucune once de jugement sur le visage de Primrose ; elle veut juste que le brun sache sur quel genre de terrain il se trouve et lui épargner d’éventuelles situations embarrassantes.