hello, brother

Dissimulé sous un imperméable sombre, une capuche rabattue sur ses boucles indisciplinées, Channing s’avance en silence à l’intérieur des grilles du cimetière de l’église Saint Stephen. La pluie tombe sans interruption sur Brisbane depuis des semaines et les rares habitants dehors dans l’obscurité ont déserté pour de bon les extérieurs de la ville, abandonnant le chasseur à une marche solitaire bercée par la régularité des gouttes s’insinuant entre ses cils charbonneux et s’écrasant sur ses joues mal rasées. Vingt ans que son frère a disparu, abandonnant derrière lui une famille déchirée et endeuillée, tournant le dos à ceux qu’il avait toujours été le seul en capacité d’unir. Quinze ans qu’a refait surface un monstre utilisant son visage pour ôter la vie de ceux leur ayant donné, quinze ans que Channing traque sans relâche l’usurpateur pour accomplir son devoir et songer à une paix toute aussi illusoire que chimérique. Ils ne le seront plus jamais, ni Lexie ni lui, pas plus que cette ville devenue chaos de désespoir et de désolation. Mais infligé d’un cadeau qu’il a longtemps songé à rendre, en vie et dernier espoir d’une petite soeur qu’il ne peut se résoudre à abandonner, le cadet ouvre chaque matin les yeux sur une réalité dans laquelle le corps de son frère et meilleur ami n’a pas pu trouver le repos qu’il mérite.

Ses pas ralentissent puis s’arrêtent à proximité d’une tombe dont la pierre s’assombrit avec le temps, la pluie en rendant les contours anguleux et les inscriptions à peine perceptibles. Channing vient ici en suivant des dates et horaires si réguliers qu’il serait facile de l’y surprendre - il ne se méfie pas, sûrement à tort, et s’autorise ici plus que lorsqu’il dort à relâcher son dos et baisser sa garde. Même les monstres, humains et surnaturels, se tiennent à certaines règles et seuls quelques rats ou corbeaux viennent parfois perturber une solitude implorant à être brisée par celui qu’il venait visiter. Channing, il avait espéré le voir revenir - lorsque l’alcool coulait dans ses veines en plus grande quantité que son sang, lorsque ses sens étaient trop encombrés par peu importe quelles substances il avait ingéré. Il avait espéré puis avait cessé, et se contentait désormais du silence assourdissant de ses pensées inhibées par sa peine, vaincu quant à avoir l’ascendant sur sa seule et unique faiblesse. Sur la seule et unique plaie béante dans son coeur incapable de cicatriser. « Salut, grand frère. » chuchote-t-il, dans le vide et pour lui-même, avec l’ombre d’un sourire nostalgique. Ses larmes se confondent à l’eau de pluie sur ses joues mal entretenues, ses paupières s'affaissent sur un battement résigné et l’ancien héritier se plonge dans le silence de ses souvenirs.

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Hello, brother

La condition d’immortel d’Elijah s’accompagnait de son lot de privilèges. À la vie et la jeunesse éternelles se greffaient des aptitudes extraordinaires, une force et une vitesse surhumaines, des sens plus aiguisés que ceux des plus grands prédateurs du règne animal. Mais la vie qu’il était contraint de mener depuis deux décennies n’en était pas moins maudite, et si les inconvénients qui la caractérisaient étaient nombreux, l’un d’entre eux se faisait davantage ressentir que tous les autres : une éternelle solitude, inévitable et insoutenable, qui pesait en permanence sur son cœur mué en pierre. L’homme de famille qu’il avait autrefois été avait d’abord été arraché aux siens, avant de massacrer ces derniers dans un élan sanguinaire qu’il n’était parvenu à contrôler alors que sa transformation n’était vieille que de quelques jours. Si sa condition de monstre n’avait pas suffi à l’éloigner de ceux aux côtés desquels il avait grandi, et dont il connaissait l’aversion profonde à l’égard de l’espèce dont il faisait désormais partie, l’acte impardonnable qu’il avait commis en revenant au manoir familial et en vidant Richard et Mary Walker de leur sang avait scellé son destin d’exilé. Vingt ans plus tard, Elijah n’avait jamais revu les deux seuls survivants du clan uni qu’ils avaient un jour formé. Il menait une vie solitaire, se sentait souvent davantage fantôme que vampire, cédait encore régulièrement à l’appel du sang mais plus jamais à ses instincts meurtriers. Il prétendait mener une vie épanouissante, entre crimes, luxure, festivités et fluides écarlates – mais voilà déjà longtemps qu’il avait compris qu’il n’avait en réalité plus de vie à mener, maintenant qu’il était mort.

Parfois, les souvenirs de sa vie passée, extraordinairement simple et dont le manque ne disparaissait jamais, se faisaient plus impérieux et le poussaient à partir en quête de bribes d’une humanité qu’il ne savait que trop perdue. Il se savait monstre, mais continuait de courir derrière les derniers reliquats de l’homme qu’il avait un jour été. Sa présence ce soir dans le cimetière St. Stephen n’avait rien de fortuit – il avait consciemment choisi son moment, fort d’années passées à rôder dans l’ombre et à observer ceux auxquels il n’aurait plus jamais l’occasion d’adresser la parole. Et, en effet, lorsque la silhouette de celui qui fut autrefois l’aîné d’une fratrie heureuse se matérialisa silencieusement dans l’obscurité des lieux, la raison de sa présence se tenait déjà à l’endroit exact où elle était attendue. Channing faisait face à la pierre tombale qui cachait un cercueil vide, de la même façon qu’il l’avait fait les dix-neuf années précédentes, sans jamais s’autoriser ne fût-ce qu’un jour de retard. Le regard perçant d’Elijah ne quitta pas son frère cadet, dont l’apparence avait nettement changé depuis la dernière fois qu’ils avaient passé du temps ensemble, et l’aîné fut gagné par un désagréable mélange de sentiments. Autant de nostalgie, de regrets, de culpabilité que de chagrin s’abattirent sur lui alors qu’il observa son petit frère rendre hommage à celui qu’il avait autrefois été. Malgré la distance et la pluie battante, il n’eut aucun mal à entendre sa respiration légèrement heurtée et le trémolo de sa voix lorsqu’il s’adressa, dans un murmure, à un Elijah qui n’était plus. Celui qui existait encore n’était plus le bienvenu dans la vie de son cadet, et, s’il n’en avait pas eu parfaitement conscience, il se serait précipité vers Channing pour connaître le plaisir de le serrer à nouveau contre lui. Une partie de lui continuait de croire que la haine que vouait son frère à la créature qu’il était devenue n’était pas une fatalité – pourtant, d’année en année, cette partie avait échoué face au constat que cette hypothèse était trop peu probable. Et, ainsi, d’année en année, Elijah avait fini par tourner les talons sans jamais trouver la force de rejoindre celui qui continuait pourtant de pleurer fidèlement sa disparition avec un chagrin que les années ne semblaient jamais avoir pu affaiblir.

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hello, brother

Channing n’était pas compatissant, sensible ou sentimental. Il obéissait à des règles strictes, avait pour seule priorité la survie de sa petite soeur, et pour unique souhait personnel celui de débarrasser le corps de son frère de l’esprit l’ayant empoisonné. Honorer la mémoire de son aîné et assurer la protection de Lexie étaient les seules choses pour lesquelles Channing était prêt à des sacrifices, les seules pour lesquelles il ressentait encore de l’intérêt et de l’affection, et à ces deux seules exceptions ne faisaient aucune autre. Pour ce qui était du reste, des centaines d’existences qu’il avait prises et des autres qu’il continuerait de prendre, rien n’aurait pu moins lui importer. L’argent, même dans un monde comme le leur, demeurait l’unique moyen de s’assurer santé et sécurité, et jamais l’ancien héritier n’aurait pris le risque que sa soeur manque de l’un ou de l’autre. Il ferait tout pour elle, pour elle et pour ce qui encourageait les moindres de ses coups de couteaux ou balles tirées. Il protégeait Lexie, continuerait jusqu’à rendre son dernier souffle, et libérerait l’enveloppe corporelle de son aîné - peu importe les prix à payer, Channing les honorerait rubis sur l’ongle.

Prudemment, ses genoux fléchissent et le brun adopte une position accroupie face à la tombe, arrondissant son dos et trouvant un semblant de confort sous la pluie battante continuant à le marteler de ses caprices. Couverte d’un gant en cuir noir, sa main se tend vers le sol pour en toucher l’humus, et Channing soupire mollement en redressant la tête vers l’inscription tombale. « Lexie va bien. Elle est en bonne santé, elle bosse un peu. Elle s’est trouvée un petit boulot, ça rend les journées moins longues. » Ses mots sont à peine assez forts pour être entendus - mais par qui pourraient-ils l’être. Son regard flotte distraitement dans le vague, se confond avec la pluie et les sons qu’elle fait naître, et Channing ferme lentement les paupières. « Tu lui manques. À moi aussi, d’ailleurs. » chuchote-t-il plus silencieusement encore. Channing ne croit pas aux fantômes - les vampires, loup-garous et autres sorciers existent peut-être, mais il croit sincèrement que les esprits trouvent un repos mérité et n’ont plus à errer sur ces terres une fois leur devoir terminé. Il ignore si Elijah peut l’entendre, peu importe d’où se tient-il, ni si cela fait une différence aux yeux de son aîné qui attend peut-être simplement d’être rejoint - mais cela en fait une pour lui, le fait se raccrocher au souvenir d’une vie meilleure, et l’aide à tenir le coup. « C’est long dix-neuf ans… Trop long. Tu me manques, tu me manques terriblement Eli. » avoue-t-il en sentant les muscles de sa mâchoire se raidir sous la peine si ardemment refoulée au quotidien qu'elle en devient presque insoutenable lorsqu’elle refait surface.  

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Hello, brother

Tapi dans l’obscurité, Elijah épiait son cadet comme il l’avait fait à de nombreuses reprises, toujours à l’insu de ce dernier. Il avait conscience d’empiéter sur son intimité, davantage encore du fait qu’il fût capable de l’entendre en plus de l’observer. Il savait parfaitement combien il était injuste que lui ait accès aux détails de ce que faisait son frère alors que celui-ci ignorait qu’il était vivant – faute d’un meilleur terme. Mais il s’était rassuré en se rappelant qu’il était tout aussi injustice que Channing fût autorisé à vivre alors son existence à lui était interdite, et même condamnée. Pire, elle était condamnable par celui-là même qui pleurait son absence, et qui semblait désespérément vouloir le revoir. En dépit de leur différence d’âge et de leur éducation triste, les deux frères avaient autrefois grandi sous le signe d’une proximité et d’une complicité remarquables. Elijah abordait déjà la trentaine lorsque son cadet sortait tout juste de l’adolescence, pourtant, ils étaient unis comme les doigts de la main jusqu’à ce qu’un coup tordu du destin ne les sépare à jamais, les condamnant tous deux à une existence marquée par un manque impossible à soulager.

Près de vingt fois, en près de vingt ans, Elijah avait voulu remédier à ce manque en transgressant la règle qui les séparait à jamais. Mais, tout autant de fois, il avait abandonné l’idée alors que ses pensées rationnelles l’emportaient systématiquement sur ses envies les plus chères. Il s’était contenté d’écouter les paroles déchirantes que murmurait son frère année après année à l’attention de sa pierre tombale, et d’y répondre en silence, sans jamais oser s’exprimer à voix haute. Les lèvres de l’aîné se pincèrent violemment en entendant son jeune frère lui confier les dernières nouvelles au sujet de leur cadette, et une tristesse sourde s’empara de lui en l’écoutant lui avouer combien le manque se faisait difficilement supportable. Le fils exilé baissa la tête et, faute d’un exutoire physiologique pour soulager le chagrin qu’il continuait de ressentir au-delà de la mort, referma violemment la main autour de la branche qu’elle tenait écartée pour dégager son champ de vision. Le craquement du bois fut noyé dans le fracas d’un coup de tonnerre qui retentit au même moment, mais cela n’avait finalement pas tant d’importance – poussé à bout par des années d’une solitude à laquelle il refusait toujours d’être condamné, l’aîné maudit avait déjà pris la décision de cesser de se cacher. En une fraction de seconde, et dans le silence le plus complet, il s’était matérialisé derrière son frère, qui lui tournait toujours le dos. « Toi aussi, tu me manques », murmura-t-il d’une voix étonnamment douce. Les bras ballants, la posture assurée, Elijah attendit la réaction de Channing, la redoutant autant qu’il avait d’emblée décidé de l’accepter. « Salut, petit frère », répondit-il aux propos que ce dernier avait tenus quelques instants plus tôt, avec la même douceur, le timbre marqué d’une certaine prudence, alors qu’il attendait nerveusement de croiser son regard si familier, mais devenu étranger au fil des années qui avaient creusé une distance infranchissable entre eux.

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hello, brother

Que seraient-ils devenus si Elijah était resté en vie. La question taraudait Channing fréquemment pour ne pas dire chaque jour, et jamais le brun ne pourrait s'assurer d'une réponse ou d'une autre. Inévitablement, Richard et Mary auraient fini par les quitter, et la fratrie aurait dû tôt ou tard subvenir à ses besoins d'elle-même en ne pouvant compter que les uns sur les autres. Mais Channing n'aurait probablement jamais voué son existence aux chasseurs, Lexie n'aurait probablement jamais touché à la drogue, et Elijah ne les aurait jamais abandonnés - cela il en était sûr. Ils n'avaient pas la chance accordée aux suceurs de sang de ne pas vieillir, mais leur aîné leur serait resté fidèle jusqu'à ce que vienne son heure, et leur aurait apporté autant de stabilité et d’amour qu'en contenait son cœur pudiquement gardé. Lexie et lui avaient eu besoin de leur grand frère, et en attendaient toujours désespérément le retour tout en sachant pertinemment qu'il ne viendrait jamais. Ils n'avaient plus que la mort à attendre, et à patienter de la manière la moins désagréable qu'ils parviendraient à s'accorder.

Toujours accroupi, Channing s'autorise à repenser à des souvenirs, les mêmes qu'il entretient assidûment dans sa mémoire pour s'assurer de ne pas les voir s'effacer. Vingt ans est un challenge considérable pour les méandres de l'esprit, et s'il n'y tenait pas le brun aurait oublié jusqu'à la couleur de ses yeux et les courbes de son sourire. Doté d'une mémoire visuelle, Channing se souvenait de ces détails - mais malheureusement, le ton de sa voix lui avait échappé, et son odeur autant que la force de ses bras autour de son tronc n'étaient plus que des détails qu'il pouvait imaginer mais dont il ne pourrait plus jamais se souvenir. Il savait, le cadet, qu'il finirait par oublier son visage d'ici un certain temps - il était déjà terriblement chanceux de parvenir à se le remémorer à son âge, mais s'obstinait à croire qu'il disparaîtrait avant d'être confronté à une telle douleur. Les humains ne vivaient plus bien vieux, et bientôt quarantenaire le Walker serait bientôt l'un des chasseurs les plus âgés de la ville. Un coup de tonnerre résonne tout autour de lui et fait trembler jusqu'aux battements calmes de son cœur, le forçant à rouvrir les yeux dans un sourire triste. Il aurait tellement de choses à lui dire, tellement de souvenirs à lui conter - mais une présence surplombe soudainement son dos, et le brun s'immobilise jusqu'à interrompre sa respiration. « Toi aussi, tu me manques »

L'intonation n'est pas inconnue. Pas familière non plus, étrangement réconfortante, impossiblement douce et terriblement chaleureuse. Ses paupières battent à nouveau et son souffle s'écrase dans l’air humide, échappé sur une respiration entrecoupée, ses jambes tremblant brièvement sous la position qu'il maintient sans en être vraiment capable. Il a entendu cette voix dans ses rêves, lorsque ses songes s'autorisaient à être doux, lorsque son corps rendait les armes sous une quantité trop importante de pilules avalées ou de poudre reniflée. Il reconnaît cette voix.  « Salut, petit frère » Sa gorge s'étrangle et un sourire, un n'ayant plus étiré ses lippes de la sorte depuis deux décennies, apparaît sur ses traits fatigués. « Coucou » répète-t-il dans le vide de ses pensées, sa bouche se tordant la seconde suivante sous l'humidité qui gagne ses muqueuses. Ses lèvres se pincent entre elles, et s'il sait que la torture est parfaitement exécutée et tout aussi justement calculée, son illusion n’en demeure pas moins la plus douce qui lui ait été accordée depuis longtemps. Ses jambes se déplient et Channing se redresse, des larmes roulant parmi l'eau de pluie sur ses joues, sa main se portant lentement au pieu dissimulé à sa ceinture. Il craint de se retourner, de le confronter en sachant exactement quel visage se tient derrière lui, mais craint plus encore de ne pas accorder à son meilleur ami le repos qu'il mérite. Lentement, spectateur de gestes qu'il peine à ordonner, Channing se tourne vers la présence dans son dos et rencontre pour la première fois avec une telle proximité ceux jaunes qui le fixent. Son estomac se tord, son coeur saigne, ses jambes tremblent une seconde et jamais le chasseur ne s'est tenu ainsi face à une créature - pas même les plus jeunes des enfants n'étaient parvenus à provoquer une telle émotion dans son esprit inébranlable. Il est identique - et à la fois méconnaissable, et ses yeux rougissent sans qu'il n'esquisse le moindre geste. Il pourrait se tenir ici - et les charmes des usurpateurs ne sont plus à prouver, la chimère de sa présence absolument parfaite. Sa langue passe sur ses dents, les larmes continuent d'affluer sans le moindre son, et Channing en vient finalement à renoncer au pieu à sa ceinture pour empoigner brusquement le col de la créature, ses larmes redoublant alors que ses phalanges effleurent la peau glaciale de son cou et provoquent l'ouverture de ses lèvres humides dont s'échappe tout son chagrin. « Vous aviez pas le droit de faire ça, pas lui, pas lui parmi tous les putains d’habitants de cette putain de ville !! » s'époumone-t-il d'une voix tremblante en vissant son regard noisette injecté de douleur à celui jaune qui ne parvient pas à lui être complètement étranger.

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Hello, brother

Près de vingt ans durant, Elijah avait imaginé le déroulement des retrouvailles avec son frère. Incapable de dormir et donc, de rêver, il avait toujours eu le loisir de façonner à sa guise les fantasmes de ce moment qui lui avait toutefois toujours paru inaccessible. Sa raison lui avait édicté des scénarios conflictuels, violents, qui se soldaient systématiquement de manière sanglante. Mais son imagination, elle, avait façonné des images plus douces, teintées d’un optimisme irrationnel, de tendres réconciliations, où les larmes que verserait son frère ne seraient le produit que du seul bonheur de retrouver celui qu’il avait cru avoir perdu à tout jamais. Elijah, lui, était bien incapable de verser des larmes depuis que son organisme était à l’arrêt – mais dans ce scénario, l’émoi de Channing se reflétait clairement dans les teintes dorées de ses yeux qui, même dans sa condition d’immortel, n’avaient rien perdu de leur expressivité.

Elijah savait combien ces images relevaient du délire, et qu’elles ne risquaient jamais de se concrétiser au-delà de leur façonnement par son esprit, qui les avait tant ressassées qu’elles avaient fini par lui paraître plus vraies que nature. Peut-être était-ce précisément leur caractère devenu trop réaliste qui avait fini par pousser Elijah à chasser ce rêve fou plutôt que d’y renoncer comme il l’avait fait à maintes reprises, à moins que ce ne fussent les mots déchirants prononcés dans un chuchotement résigné par son cadet. Elijah ne s’était pas accordé le temps d’hésiter et, avec une impulsivité qui n’était pas sans rappeler celle qui l’avait animé de son vivant, avait renoncé à toute précaution en rejoignant celui qu’il brûlait de retrouver comme si autant d’années que de tragédies ne les avaient pas irrévocablement séparés.

Parfaitement immobile derrière celui dont les battements du cœur avaient sensiblement accéléré avant même qu’il n’eût annoncé sa présence, lui indiquant ainsi que celle-ci n’était pas passé inaperçue malgré le silence et la discrétion de ses déplacements, Elijah finit par s’exprimer avec une tendresse insoupçonnée. Dans le silence tout relatif du cimetière, il entendit le cœur de son frère poursuivre sa course effrénée, les fins tremblements parcourant son corps agiter le tissu de ses vêtements, et les larmes rouler le long de ses joues avant même de les voir. Elijah sut qu’il n’y avait désormais plus de retour en arrière possible – il pouvait toujours prendre la décision de fuir avant que Channing n’ait le temps de réagir, et tuer dans l’œuf cette tentative de retrouvailles, mais ne put s’y résoudre, et renonça ainsi à ses instincts en se forçant à ne pas bouger d’un millimètre en attendant de voir comment se déroulerait la suite. Soudain plus lucide qu’il ne l’avait été en prenant la décision stupide de se révéler à celui dont le dessein n’était nul autre que de l’anéantir, il s’attendit à un déferlement de violence, ou, de manière moins probable mais pas moins possible, un accès de panique. Mais son cadet le surprit en lui retournant ses salutations, avec une intonation considérablement moins hostile que celle à laquelle il aurait pu s’attendre. Était-il finalement possible que son rêve n’ait pas été aussi fou qu’il ne l’avait pensé durant toutes ses années ? Les lèvres d’Elijah s’étirèrent en un sourire, et, toujours immobile, il continua d’attendre, redoutant leur confrontation imminente autant qu’il était pressé de la voir arriver. Le mouvement prudent qu’effectua Channing vers sa ceinture, tout comme l’odeur du bois travaillé qui ne ressemblait en rien à celle des arbres environnants, n’échappèrent nullement à Elijah, qui ne renonça pour autant pas à sa posture calme et attentiste. Il attendit un peu davantage, et finalement, celui auquel il n’avait plus fait face depuis bien trop longtemps se tourna vers lui. Si le cœur d’Elijah avait encore battu, il aurait effectué le même raté que celui qu’il entendit résonner dans la poitrine de son frère au moment où leurs regards se croisèrent. Le sourire d’Elijah s’élargit très légèrement alors que ses prunelles se teintèrent d’une émotion palpable, et il détailla avec émerveillement son visage marqué par les stigmates du temps, mais aussi ceux de la guerre qui sévissait entre leurs deux espèces depuis des années. Sans quitter le regard de Channing du sien, il remarqua toutefois le mouvement résigné qu’il effectua en rangeant l’objet qu’il cachait sous sa ceinture, et il eut envie de l’en remercier – mais y renonça alors que son cadet amorça un autre mouvement, hostile et désemparé, qu’il ne tenta pour autant nullement de parer. Le parfum devenu étranger de son frère emplit ses narines alors qu’ils furent rapprochés par la force de son geste, mais Elijah s’efforça de ne pas s’y attarder, tout comme il détourna laborieusement son attention de la mélodie du tambourinement de son cœur enragé. Les bras toujours ballants, il adopta une position passive en accueillant la détresse de celui qui refusait de le reconnaître pour qui il était. Ce constat lui fut douloureux – mais Elijah ne put faire autrement que de l’accepter, et de considérer qu’il pouvait s’estimer chanceux que son frère n’eût pas encore tenté de l’anéantir tout entier. « Je n’ai jamais rien voulu de tout ceci, mon frère », murmura-t-il tristement, la sincérité de sa voix transparaissant dans chacune de ses syllabes. Il savait son propos pathétique, profondément insuffisant, alors que rien ne pouvait justifier, expliquer ni pardonner les atrocités qu’il avait infligées à leur famille anéantie par sa faute.

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hello, brother

Channing aimait profondément son frère. Il n’y avait pas une réalité alternative, un univers ou une vie dans laquelle le brun n’était pas profondément et fidèlement attaché à son aîné. Ils étaient comme chien et chat - leur relation avait connu son lot de mésaventures et d’insultes proférées sous l’énervement, mais également et tout autant d’étreintes et murmures étouffés par le soulagement en se retrouvant après tout au plus après deux jours d’isolement. Ils étaient différents, Channing bien moins impulsif et fier que son aîné, Elijah bien plus accessible et souriant. Ils ne percevaient pas le monde de la même manière, et si leur différence d’âge jouait un rôle non négligeable dans leurs interprétations, ils n’en demeuraient pas moins contrastés dans leurs tempéraments peu importe leur maturité. Mais cela n’avait jamais été un frein à leur lien indéfectible, jamais une excuse pour les empêcher de s’aimer et se soutenir dans les épreuves de la vie - mais celle-ci n’avait jamais été considérée comme telle, et probablement n’avait-elle jamais été affrontée sous ce principe. Les rumeurs étaient nombreuses sur les créatures, plus divergentes encore sur les vampires. Certains assuraient que les esprits du mal erraient à la recherche d’enveloppes à s’approprier, d’autres que les âmes restaient dans leurs corps et mutaient à la façon d’une maladie les asservissant à leurs instincts - mais Channing ne croyait pas à cette hypothèse. Elijah avait été et restera l’homme le plus fort qu’il n’ait jamais connu, et si maladie il y avait eu, rien n’aurait été capable de terrasser sa volonté et sa ténacité à la vaincre. Si son frère avait été encore tout relativement en vie quelque part, Channing l’aurait su et aurait continué de l’aimer, Channing l’aurait aidé et soutenu peu importe sa condition. Mais Elijah n’était plus.

Jamais le moindre changement, qu’il soit physiologique ou psychologique, n’aurait pu pousser le cadet à renier son aîné. Elijah aurait pu perdre la raison ou la vue, une jambe ou la mémoire, que jamais le brun ne lui aurait tourné le dos. Ils étaient du même sang, s’aimaient terriblement, et rien n’aurait été une épreuve insurmontable. Mais les règles éditées par leur amour connaissaient, comme toutes choses, la limite inévitable de la mort, et jamais Channing n’aurait cru que cette dernière serait si cruelle. Il s’était attendu à perdre Elijah avant de disparaître à son tour, logique inéluctable à leur ordre d'arrivée en ce monde, mais aurait souhaité pouvoir pleurer sa tombe de la même manière que le faisaient ceux qui perdaient leurs proches et avaient à panser leur peine. Il ne demandait rien de plus que le strict minimum accordé à tous du temps où le soleil brillait dans le ciel, ne réclamait pas davantage qu’un deuil en toutes bonnes et dues formes. Son corps méritait le repos, pour que son esprit puisse le trouver également.

L’image de son reflet lui lacère le coeur, et ce dernier s’emballe tristement sous la colère autant que la peine qui l’enveniment. Ces yeux auraient dû se fermer il y a vingt ans, cette voix s’éteindre et son parfum se dissiper dans l’oubli, et l’usurpateur en use comme s’ils étaient siens - et rien ne pourrait le blesser davantage. Ses entrailles se tordent sur elles-mêmes, et incapable de s’en empêcher ses yeux noisette parcourent les traits figés dans le temps de celui qu’il avait vu pour la dernière fois lorsqu’il était encore un tout jeune adulte. Channing devrait en finir maintenant - qui sait quand le monstre pourrait se lasser de prétendre et lui arracher le coeur sur une impulsion, mais l’ancien héritier en est brusquement incapable. Il ne l’a pas vu depuis si longtemps, plus aussi nettement malgré toute la volonté de ses souvenirs, et s'imprègne bêtement de la chimère en tous points idéale. On lui avait partagé, dans des bars ou l’intimité de ses relations, les talents des créatures - mais jamais Channing n’avait pu les ressentir et les comprendre avec autant d’intensité. « Je n’ai jamais rien voulu de tout ceci, mon frère »  Ses poings se resserrent sur l’encolure de son manteau et toute la colère du cadet se reflète au travers de ses yeux noisette, sa mâchoire se contractant douloureusement à mesure que ses yeux continuent de s’embuer sous les intempéries de son coeur. « Tu n’es pas mon frère. » murmure-t-il orageusement, relâchant impulsivement les revers de sa veste et décollant sans prévenir un poing brutal dans la mâchoire du vampire. Inévitablement, le visage dur n’est pas même éraflé par la violence du coup, et le cadet gémit plaintivement sous la douleur qui se répand instantanément dans sa main. L’impression d’avoir frappé dans un diamant brut, Channing secoue cette dernière dans une grimace, son regard virulent retrouvant celui du démon à qui il réitère le coup : cela ne le blesse pas davantage mais l’aide à se sentir mieux, et ses phalanges ne tardent pas à s’abîmer sous les assauts qu’il répète à nouveau jusqu’à abandonner sous les tremblements de son corps tout entier, ses yeux injectés de douleur, de colère et de larmes. « Pourquoi ? Pourquoi est-ce que t’es là, comment est-ce que ta conscience maudite t’a amené ici ? » l’interroge-t-il en reprenant son souffle, ses phalanges sanguinolentes pendant mollement le long de son corps. Sa vue toujours aussi difficile à soutenir, Channing détourne le regard avant d’entendre la moindre réponse, incapable de songer un seul instant à la dangerosité de ses actions, portant l’une de ses mains à son nez pour étouffer ses reniflements. Tout son corps tremble et il échappe un nouveau sanglot, la gorge étranglée par la douleur.

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Hello, brother

En près de deux décennies de vie commune, Elijah avait eu l’occasion de voir le visage de son cadet passer par toute une panoplie d’émotions à son encontre. Il avait connu ses yeux noisette rieurs, admiratifs, affectueux, mais aussi tristes, énervés ou amers. Lorsque le regard de son petit frère s’était fait orageux et les traits de son visage juvénile durcis, cela n’avait toutefois jamais duré bien longtemps, et la tempête avait systématiquement fini par céder à un apaisement bien mérité alors que les deux frères que rien ne pouvait autrefois séparer ne pouvaient faire autrement que se réconcilier. Aucun conflit ni désaccord n’avait jamais eu raison de leur inébranlable complicité, encore moins de l’amour sans limites qu’ils se portaient. Un amour qui perdurait avec tout autant d’intensité vingt ans plus tard dans le cœur mué en pierre d’Elijah, et qu’un Channing endeuillé continuait de témoigner à son frère qu’il croyait disparu.

Ainsi, Elijah avait naïvement espéré que leur amour fraternel suffirait à franchir la distance qui les séparait désormais, comme cela avait été le cas à tant de reprises. Mais lorsque son regard retrouva, pour la première fois en vingt ans, celui de son cadet, la colère qu’il y lut ne ressembla en rien à celles qu’il lui avait déjà connues. Channing lui en avait lancé, des regards durs – mais celui-ci était tout particulier, et si Elijah peina d’abord à comprendre pourquoi, il ne tarda pas à trouver la réponse à sa question : derrière la colère et le chagrin visibles au premier plan ne se tapissait aucun amour, mais rien que de la haine. Une haine qu’il n’avait jamais perçue dans ses prunelles ambrées, et dont le reflet lui était étranger et déstabilisant. À cet instant-là, Elijah comprit que ses espoirs avaient été illusoires, et que les réconciliations n’étaient pas à l’ordre du jour – que, pour une raison qu’il n’avait pas encore parfaitement cernée, Channing refusait de lui accorder l’amour qu’il venait pourtant de témoigner à l’homme qu’il avait autrefois été. Et il en eut la confirmation lorsque son frère nia fermement le lien qui les avait pourtant toujours unis, le regard embué par des larmes rageuses et le poing l’agrippant plus fermement avant de le relâcher entièrement.

Il n’eut pas besoin d’attendre le coup de poing qui s’écrasa avec une force remarquable, quoiqu’insuffisante, contre sa mâchoire pour saisir l’étendue de la rage qui animait celui qui refusait de le voir tel qu’il était. Elijah accusa le coup, immobile, mais ses yeux se voilèrent de peine en entendant la plainte qui s’échappa de son cadet, seul blessé par le coup qu’il venait d’asséner. Il voulut prendre la parole, afin de le dissuader de recommencer et de s’abîmer davantage, trop préoccupé par la douleur de Channing pour se soucier de celle, purement psychologique, qui se répandait en lui face à la virulence qu’il suscitait en lui – mais se ravisa aussitôt en comprenant que son cadet avait besoin de cet accès de violence dont il demeurait l’unique victime, laissant son aîné en apparence indemne. Sans détacher le regard de Channing, et sans même sourciller, Elijah attendit que les coups ne s’arrêtent, ne trahissant sa souffrance qu’à travers les nuances d’or de ses prunelles. Lorsque, finalement, Channing renonça à se blesser davantage, troquant ses poings contre l’arme nettement plus redoutable qu’étaient ses mots, Elijah se pinça les lèvres, tardant à répondre alors qu’il observait d’un air inquiet celui dont la douleur était manifeste. L’odeur métallique du sang qui s’échappait de sa main frappa le vampire avec force, et celui-ci inspira ses effluves dans un réflexe primal, avant de tenter aussitôt d’en détourner son attention – il focalisa son attention sur le visage de Channing plutôt que de se risquer à écouter les battements assourdissants de son cœur et les pulsations profondes de ses artères, ou de céder à l’appel impérieux du nectar précieux qui perlait sur ses phalanges et s’écoulait le long de sa peau écorchée. Réprimant l’excitation que faisaient instinctivement naître ces phénomènes en lui, un exercice auquel il était habitué mais qui n’en devenait pas aisé pour autant, Elijah s’efforça de s’exprimer avec autant de calme que de douceur, le ton de sa voix remarquablement stable alors qu’il luttait pour ne pas céder une once du contrôle exercé sur son propre organisme. « Je sais que tu viens ici tous les ans. J’ai longtemps hésité à venir te parler… », admit-il en toute transparence, embarrassé d’avouer la vérité sans pour autant avoir envisagé un instant de la lui dissimuler. « J’en avais envie, mais je n’ai jamais osé le faire. Tu devineras sans doute pourquoi », murmura-t-il avec un sourire triste. D’un geste si rapide qu’il en fut invisible, il agrippa soudain le poignet de son frère et l’enserra dans son poing, avec une douceur calculée aussi précisément que la force qu’il exerça pour maintenir le contact dont il savait que Channing tenterait aussitôt de le rompre. Il porta ensuite la paume de sa main libre à sa bouche et, de ses canines, lacéra sa propre peau pour faire apparaître un sang épais et sombre. Moins d’une fraction de seconde plus tard, il apposa sa main autour du poing blessé de son cadet avant de le relâcher entièrement, les bras à nouveaux ballants. Au contact du sang immortel et dans un grésillement discret, les plaies de Channing se refermèrent en une poignée d’instants, soutirant un nouveau sourire discret à son aîné, dont la paume était entretemps à nouveau intacte. « Désolé, je ne voulais pas te brusquer », justifia-t-il au sujet de la façon dont il l’avait à son tour agrippé, malgré la prévenance qu’il avait tentée d’adjoindre à son geste qui ne suffisait nullement à rendre celui-ci moins terrifiant. Et d’insister, avant d’avoir pu s’en empêcher : « C’est moi, Chan. Vraiment moi. Je te le promets – il faut que tu me croies. Ça ne change rien aux horreurs que j’ai faites, je sais… mais c’est moi. »

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hello, brother

Ses pensées bourdonnent et le chasseur serre les dents, portant prudemment sa main ensanglantée à sa tempe dans une tentative vaine de faire cesser les sifflements qui hurlent de l’une à l’autre de ses oreilles. L’enveloppe de son frère se tient là, à quelques mètres, et il ne s’est jamais senti aussi nauséeux à l’idée de libérer un corps du démon indésirable l’ayant empoisonné. Il avait imaginé bien des scénarios quant à retrouver, tôt ou tard, celui qu’il traquait depuis plus de vingt ans - mais jamais le cimetière n’avait été un pour lequel il s’était préparé, jamais le dialogue ou l’absence de résistance n’avaient été de ceux qu’il avait considérés. Channing était connu de tous sur le continent, vampires, loup-garous, sorciers et autres hybrides avaient tous au moins entendu une fois son nom, et il était certain que l’usurpateur maquillé sous les traits de son frère s’était attendu à des représailles cruelles le jour où il le retrouverait - et peut-être était-ce la raison derrière ses choix stratégiques. Plus sournois encore que l’affrontement, voilà que la bête cherchait à l’attendrir, et si Channing s’était préparé à entendre la résonance lointaine sa voix, il était toutefois brusquement incapable de l’ignorer. Il pouvait le voir, le sentir, l’entendre et même le toucher - et là résidait toute la différence quant à départager le réel de ce qui ne l’était pas. Mais Elijah n’était pas réel, et cochait pourtant toutes les cases quant à l’être - comment ? Son corps pivote à nouveau en direction du sien et Channing le détaille du regard, ne notant que des yeux jaunes et des cheveux argentés pour différence physique notable. Il était pâle également, mais rien de trop contrastant compte tenu de l’absence de soleil ayant rendu blanchâtres même les plus vivants d’entre eux. Ses lèvres entrouvertes pour laisser s’en échapper un souffle brûlant de douleur autant que de chagrin, le brun cherche à s’échapper, mais ne trouve pas la moindre issue. « Je sais que tu viens ici tous les ans. J’ai longtemps hésité à venir te parler… » Sa mâchoire se contracte à nouveau et son regard est venimeux à l’égard de l’immortel. Il a mal Channing, est blessé et malheureux autant qu’en colère, et en veut autant à la créature de le faire se sentir ainsi qu’à lui-même de ne pas parvenir à résister. « J’en avais envie, mais je n’ai jamais osé le faire. Tu devineras sans doute pourquoi » - « Tais toi, je ne veux pas t’entendre, la ferme. » siffle-t-il entre ses dents, l’intonation de sa voix lui étant tout bonnement insupportable. Le démon se contente de répondre aux questions qui lui sont adressées mais Channing n’attend pas de réponses, et son coeur continue de battre la chamade dans sa cage thoracique sans qu’il ne parvienne à l’apaiser. Rien n’est plus en mesure de l’apaiser, et il craint que même le corps gris et rendu poussière de la chose ne soit pas un remède suffisant à sa souffrance.

Perdu dans ses pensées, toujours trop occupé à le détailler et à comprendre comment venir à bout de son cauchemar, Channing sent son corps entier se changer en glace à la prise imprévisible qui se referme autour de son poignet. Instantanément, ses muscles se raidissent et par réflexe aussi primitif que parfaitement inutile, le chasseur cherche à se libérer de l’emprise de la créature - mais il est trop tard. Il devrait renoncer à son bras tout entier pour se débarrasser de la prise, et peu importe la force que le brun emploie à faire lâcher la chose, pas même le plus petit des relâchements ne libère son articulation prisonnière. Seule solution, sa main libre se précipite à sa ceinture, ses doigts ne mettent d’un fragment de seconde à s’enrouler autour d’un pieu suffisamment fin pour être manié facilement mais trop court pour atteindre le coeur, et Channing l’y pointe instinctivement. L’extrémité de l'arme se presse contre le torse inerte sans avoir le temps de le transpercer, comme ralenti par une force irrépressible, et le brun s’interrompt brutalement à la scène qui s’anime sous son regard apeuré. D’une manière aussi terrifiante que parfaitement délirante, Elijah entaille sa propre peau et fait s’échapper un filet de son sang sur ses phalanges abîmées, celle que Channing comprend être à l’origine de l’interaction. « Qu’est-ce que… » Lorsque le démon le relâche l’instant suivant, ses crocs rétractés aussi vite qu’ils sont sortis de ses gencives, le chasseur se recule précipitamment en regardant le changement s’opérer sur sa peau. La cicatrisation, inexpliquée et rapide, se produit sous son regard ébahi et toute trace de sa violence se volatilise. Sa main s’agitant dans l’air comme pour en faire disparaître le sang qui s’évapore de lui-même, ses yeux noisette retrouvent ceux de l’animal sans jamais que le pieu pointé entre eux ne retrouve son emplacement à sa ceinture. « Désolé, je ne voulais pas te brusquer » - « Qu’est-ce que tu m’as fais ? » l’interroge-t-il d’une voix ferme et autoritaire, trahissant néanmoins une inquiétude nettement perceptible. Il est terrifié Channing, en proie à ses angoisses et ses souvenirs, et se fait assaillir d’une manière un peu plus indélébile à chaque fois qu’il l’entend ou le regarde. Elijah lui manque, Elijah lui manque tellement qu’il a l’impression de s’en rendre malade. « C’est moi, Chan. Vraiment moi. Je te le promets – il faut que tu me croies. Ça ne change rien aux horreurs que j’ai faites, je sais… mais c’est moi. » Ses mains, intactes, se portent à ses tempes tandis que le pieu ne quitte pas l’écart entre son index et son majeur, soutenu par habitude et avec légèreté à sa portée. L’impression qu’une sirène chuchote à ses oreilles le rend nerveux, et une fine pellicule de sueur s’ajoute à l’humidité de la pluie sur ses vêtements, Channing luttant contre les instincts malheureux de son coeur le suppliant à croire les douces illusions qui leur sont proposées. « Terminons-en. Je ne veux pas t’entendre, ça suffit. » Les yeux larmoyants, mué par une soudaine arrogance contre ses propres pensées, le chasseur empoigne le pieu à pleines mains et le lance avec force en direction de la créature. « Défends toi ! » hurle-t-il d’un ton aussi implorant que déchiré par le tonnerre qui résonne au même moment, sa respiration haletante tandis qu’il n’empoigne pas même une nouvelle arme en se contentant de le regarder, en espérant le voir réagir et répondre à sa colère pour pouvoir la déverser pleinement.

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Hello, brother

La haine témoignée par son frère était difficilement soutenable pour celui qui avait, à tant de reprises, rêvé éveillé d’une fin heureuse à laquelle il se sentait désormais stupide d’avoir osé croire, ne fût-ce que l’espace de quelques secondes. Porté par l’espoir que les paroles tendres adressées par son cadet à l’homme qu’il n’était plus, il en était venu à oublier combien il exécrait l’espèce à laquelle il appartenait désormais, et comprenait désormais que Channing ne l’associait plus d’aucune façon que ce fût au grand frère qu’il avait perdu vingt ans auparavant. Le chasseur ne se contentait pas de le regarder avec la haine qu’il vouait aux créatures de son rang, ni avec celle qu’auraient inspiré les actes horrifiques qu’il avait pu poser dans le passé – il soutenait son regard comme il l’aurait fait avec un inconnu accusé de ces mêmes crimes, sans laisser entrer en ligne de compte le fait qu’ils avaient un jour été du même sang. Les prunelles noisette de celui qui refusait de soutenir plus longtemps son regard d’or criaient usurpateur, et Elijah comprit à cet instant que les réconciliations venaient de lui glisser davantage encore entre les doigts. Spectateur de la souffrance d’un frère incrédule qui n’éprouvait à son égard que le plus radical des rejets, le vampire tenta de lui apporter des réponses, faute de pouvoir lui apporter autre chose. Mais il remarqua bien vite que Channing n’était pas même disposé à recevoir les mots qu’il avait à lui proposer, et que le rejet qu’il lui témoignait ne faisait aucune discrimination. Intimé au silence avec véhémence par celui qui ne se serait sans doute pas privé de le tuer d’un simple regard s’il en avait eu la capacité, Elijah obtempéra sans protester, renonçant aussitôt aux explications qu’il aurait souhaité lui apporter, non pas pour se dédouaner, mais dans l’espoir vain de remplir les nombreuses zones d’ombre qui avaient indubitablement fait souffrir son frère durant ces deux décennies, et de lui apporter ainsi un semblant de soulagement.

Mais Channing ne voulait pas de son aide, et abhorrait férocement tout ce que pouvait bien lui apporter son aîné. Alors qu’Elijah s’empara de son poignet avec toute la douceur dont il était capable pour ne pas lui faire mal, mais ne pas lui laisser l’occasion de s’échapper, il sentit son cadet se débattre avec l’énergie du désespoir, comme il l’avait tristement prévu. Avant de délibérément se mutiler afin de venir en aide à son frère, Elijah croisa le regard de ce dernier, et se sentit mourir un peu davantage en lisant la terreur en obscurcir les prunelles. Ce regard effrayé, il l’avait éveillé à maintes reprises, et l’avait lu dans des yeux aux mille nuances et aux mille propriétaires différents. Ce regard accompagnait, presque automatiquement, sa condition d’immortel qui n’était pas destinée à être compris de ceux qui ne l’étaient pas. Mais de le voir danser dans le regard de l’homme le plus courageux qu’il connaissait, de celui qui l’avait aimé plus fort que quiconque sur terre, le frappa différemment, et manqua de le faire relâcher la pression autour du poignet du chasseur. Il se ravisa toutefois, et ignora ses propres scrupules dans l’objectif de panser les blessures dont Channing ne méritait pas de souffrir. Il ne tressaillit pas lorsque ce dernier brandit un morceau de bois à la forme caractéristique contre son torse, étonnamment serein face à une menace qui n’entama pas un instant sa détermination à aller au bout de son entreprise. Il se concentra sur l’exécution la plus rapide possible de la manipulation destinée à soigner les blessures de Channing, qu’il relâcha aussitôt qu’il eût fini, sans jamais arrêter de le couver du même regard qu’autrefois, dont seule la teinte avait varié par rapport à son équivalent d’il y a vingt ans. Silencieusement, il observa l’incrédulité sur les traits de son cadet, qui n’avait sans aucun doute jamais imaginé que la magie des immortels pouvait engendrer autre chose que de la destruction et de la désolation. Ce ne fut que lorsqu’une nouvelle question lui fut adressée, d’un ton méfiant qui n’avait rien perdu de sa froideur, qu’Elijah reprit la parole, d’une voix posée et avec des mots soigneusement choisis dans l’optique d’apaiser ne fût-ce qu’une infime fraction des peurs de son frère. « Mon sang peut guérir toutes tes blessures. Il ne fera pas davantage, sois rassuré. Regarde, il a déjà disparu », murmura le vampire, devinant la peur du chasseur à l’idée d’être contaminé par la moindre parcelle de son identité maudite.

Naïvement, il crut venu le moment opportun pour tenter de se faire entendre par Channing, mais il se heurta aussitôt à la réticence tenace de ce dernier, qui lui signifia à nouveau qu’il ne voulait rien savoir de ce qu’il avait à lui dire. La façon dont il se boucha les oreilles n’avait plus rien à voir avec celle, théâtrale et capricieuse, dont il avait effectué le même geste lorsqu’il était enfant et que les propos de son aîné ne lui convenaient pas – désormais, le déni se mêlait à une souffrance manifeste, une incapacité évidente à envisager des réalités qui allaient à l’encontre de tout ce pour quoi s’était battu le chasseur depuis la disparition de celui qui se tenait désormais, bien réel, face à lui. À nouveau, Elijah fut réduit au silence par la simple force des paroles véhémentes d’un Channing consumé par le chagrin, et le vampire se contenta de retrouver sa posture attentiste, à court de ressources pour atteindre cette réconciliation dont les chances d’exister se faisaient de plus en plus minces. Il eut tout le temps d’anticiper le geste désordonné et furieux avec lequel son frère l’attaqua, mais ne remua pas un muscle pour parer l’offensive. Parfaitement immobile, Elijah trahit pour seule réaction une grimace douloureuse en sentant s’enfoncer le pieu acéré dans la chair autrement impénétrable de son épaule droite. Un sang presque noirâtre ne tarda pas à s’écouler de la blessure, qui se referma quelques secondes après que, dans un grognement laborieux, Elijah eut retiré l’objet de là où l’avait logé son frère. Son regard s’attarda durant quelques secondes sur le morceau de bois, avant de retrouver celui, déformé par autant de souffrance que de rage, de son cadet. À cet instant, le vampire maudit sa condition pour avoir définitivement asséché toutes les larmes qu’il aurait voulu verser face à cette situation insoutenable. La force avec laquelle avait été déchiré leur lien fraternel était plus douloureuse que toutes les peines qu’il avait endurées tant de son vivant qu’au cours de son immortalité, et son incapacité à l’exprimer de manière adéquate se faisait insupportable. « Non », répondit-il simplement à l’ordre désespéré aboyé par Channing, ponctuant son propos d’un sourire tristement résigné.« Je n’ai pas l’intention de te combattre. Jamais. » Son silence retrouvé, Elijah tendit le pieu à son propriétaire, tout en se gardant de l’approcher, conscient que l’initiative ne lui apporterait qu’une nouvelle offensive ou un nouveau regard empli de hargne et de terreur. « Et toi, tu m'as habitué à mieux. Plus précis. L'épaule droite, vraiment, Chan ? Tu touchais des oiseaux en plein vol à des centaines de mètres alors que tu n'étais qu'un enfant », plaisanta-t-il, toutefois sans joie – la situation était trop tragique, et le cœur n'y était plus. Sa main remua légèrement, comme pour rappeler à celui qui tardait à récupérer son arme de le faire.  

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hello, brother

Au cours de sa vie et de nombreuses missions, Channing avait été confronté à bien plus d’horreurs qu’il n’aurait jamais été capable d’en imaginer. Des sanguinaires trop cruels pour tous les nommer, des actes de barbarie trop épouvantables pour tous les décrire, et des esprits trop tourmentés pour en saisir toutes les motivations avaient ponctué son quotidien de tueur - mais le regard or de la créature sur les traits effroyablement familiers de son frère, le ton de sa voix inchangée et le calme de sa stature, relevaient d’éléments plus insoutenables que tous ceux pourtant atroces qu’il avait observé jusqu’ici. Le fidèle portrait d’Elijah se dressait face à lui, et le cadet jurerait reconnaître la nonchalance de sa tenue et la tendresse de son regard, sans pour autant parvenir à les croire. Elijah était mort, les crocs de l’usurpateur enfoncés dans les jugulaires de leurs parents, le sang carmin ayant tâché jusqu’au plafond de la demeure familiale - jamais son aîné n’aurait fait une chose pareille, jamais Elijah n’aurait commis tel acte ni ne se serait enfui la seconde suivante en disparaissant sans rien laisser d’autre derrière lui qu’un courant d’air. Channing refusait d’y croire, avait consacré sa vie toute entière à venger sa mort et honorer sa mémoire, et avait entendu trop de vérités sur les suceurs de sang pour considérer qu’il puisse rester un soupçon d’humanité aux âmes s’imprégnant de leurs corps et de leurs visages. Était-ce une partie d’Elijah, ses airs attentistes et le calme de son comportement, qui était venue avec son corps lorsque la chose s’en était possédée ? Devait-elle composer avec une partie de l’homme qu’il avait un jour été pour pouvoir se servir de son apparence ?

Les questions se multiplient dans l’esprit tourmenté du grand brun dont les yeux noisette n’ont cesse de retrouver, comme inlassablement aimantés, la silhouette de celui dont la peau n’avait pas pris une ride et les muscles pas perdus une once de leur tonicité. Mais avant que Channing ne puisse recentrer ses pensées sur plus pertinent, son poignet est fait prisonnier du vampire, et il emploie toute sa force à s’en libérer. Véritable oiseau en cage se heurtant aux barreaux de sa volière, prêt à se tuer à la tâche plutôt que de rester enfermé, son coeur tombe dans sa poitrine en croisant le regard de son frère qu’il observe, complètement paralysé, entailler sa peau et en faire s’écouler ce qu’elle renferme sur ses phalanges. « Mon sang peut guérir toutes tes blessures. Il ne fera pas davantage, sois rassuré. Regarde, il a déjà disparu » Relâché, ayant vivement bondi vers l’arrière une fois la pression envolée, il observe d’un air ahuri le sang grésiller sur sa main et sa peau se refermer dans le processus. Sa chair mise à vif semble se matérialiser à nouveau, le sang disparaît en s’évaporant dans l’air, et l’instant suivant il n’y a plus aucune trace de son excès de violence sur ses phalanges à nouveau indemnes. « Comment est-ce que… » Sa phrase reste en suspens, son corps secoué d’un tressaillement. Comment est-ce possible ? Comment le sang de vampire pouvait-il avoir des bénéfices sur les mortels, et comment cela pouvait-il être un secret ? Agité, le cadet redresse la tête, nauséeux et gémissant plaintivement sous la douleur purement psychologique qui torture son esprit alors que Elijah reprend la parole. Ses mains à ses tempes, déboussolé, il exhale brusquement à la voix du vampire et projette impulsivement le pieu dans sa direction, extériorisant sa détresse en hurlant à la chimère de se défendre. L’illusion doit prendre fin, maintenant, ou le chasseur craint de perdre la tête.

Lancé hasardeusement, le bois se plante dans l’épaule de la bête, arrachant un grognement à celui qui n’effectue pas le moindre mouvement. Il pourrait l’interrompre en plein vol d’un geste désabusé, atteindre sa hauteur en un fragment de seconde, et demeure pourtant parfaitement immobile sans que cela ne fasse le moindre sens. Le sang s’écoule de la plaie et Channing sent son coeur effectuer une vrille, l’image difficilement tolérable. « Non » Son regard implorant et colérique plongé dans le sien, ses oreilles reprennent leurs bourdonnements. « Non ? » répète-t-il, incrédule, peinant à entendre la réponse qui lui est adressée. Ses traits traduisent toute son incompréhension et sa tête se secoue de gauche à droite sans le quitter des yeux, attendant lui-même un événement ou une réaction dont il ignore la nature. « Je n’ai pas l’intention de te combattre. Jamais. » Ses bras le long du corps, ses lèvres frissonnent sous la respiration tremblante qui s’en échappe. La garde du chasseur est étonnamment basse, ses réflexes défaillants, et Channing est persuadé que les instincts de l’animal le lui indiquent : il pourrait se saisir de l'occasion pour mettre fin à leur rencontre mais demeure toujours aussi stoïque, et peu importe les différents raisonnements qui s’opèrent dans son esprit le mortel est incapable de leur donner du sens. « Et toi, tu m'as habitué à mieux. Plus précis. L'épaule droite, vraiment, Chan ? Tu touchais des oiseaux en plein vol à des centaines de mètres alors que tu n'étais qu'un enfant » Le pieu tendu dans sa direction, le sang épais et sombre qui en dégouline perlant sur le sol à intervalles réguliers, le brun se décompose un peu davantage. lorsqu’il était enfant. Effectuant un pas chancelant vers l’arrière, Channing continue de dévisager l’usurpateur à mesure que sa gorge se noue de la plus désagréable des manières, la poitrine oppressée par l’angoisse sans qu’il ne parvienne à la faire retomber. « Tu… tu as ses souvenirs ? » articule-t-il en sentant, pour la première fois en vingt ans, l’eau s’accumuler à une vitesse affolante au bord de ses muqueuses. « C’est pas possible, c’est pas juste, c’est pas- » Ses lèvres se rejoignent pour se presser entre elles, et Channing est saisi d'un vertige. Il oublie, peu à peu, à mesure que le temps les lui reprend, les moments partagés avec son frère. Ceux forgés dans leur adolescence, ceux crées au détour d'une décision prise impulsivement, ceux si chers et précieux à son coeur. Mais la créature, celle qui lui fait face avec toute la sérénité du monde et qui n'a que faire de toutes ces images colorées, les conserve précieusement et jamais le brun n'a été aussi jaloux d'un tiers. Ce n'est pas comme cela que les choses auraient dues se passer, ce n'est pas comme ça qu'ils auraient dû être séparés. Ils auraient dû forger des centaines d'autres souvenirs ensemble, vieillir ensemble, mourir ensemble. Lorsqu’il redresse son visage, seul un chagrin incommensurable s’y reflète, toute haine envolée et seuls les stigmates de sa souffrance silencieuse s'y traduisant. « Qu’est-ce que tu sais de lui ? Est-ce que tu sais à quel point il était aimé ? » chuchote-t-il en donnant l’impression de s'avouer vaincu, les épaules affaissées dans son dos et les larmes redoublant sur ses joues mal rasées. « C’était l’homme le plus fort et bon que cette ville maudite n’ait jamais connu… il était drôle et idiot, mais tellement courageux et tendre » poursuit-il sur le même ton, un sourire aussi nostalgique qu’il est profondément malheureux ourlant ses lippes. et il avait été tué. Channing déglutit péniblement en regardant la créature et le pieu toujours pendant au bout de son bras, son regard retrouvant le sien par la suite, brusquement silencieux et immobile.

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Hello, brother

Elijah s'était considéré monstre à maintes reprises. À travers le regard terrifié des âmes au cou desquelles il s'était nourri en leur laissant tout juste la vie sauve, à travers le regard haineux des chasseurs auxquels il avait fui avec sa nonchalance caractéristique, mais, également et surtout, à travers son propre regard, amer et impitoyable. De son vivant, il faisait volontiers preuve d'une indulgence excessive à son propre égard, occultant ses défauts pourtant nombreux pour préserver son narcissisme comme principal mécanisme de défense. Mais dans son immortalité, il n'y avait plus une once d'indulgence ni de bienveillance pour apaiser sa culpabilité ou tempérer la haine qu'il se portait. Les humains le tenaient pour un monstre, et Elijah ne pouvait contester leur verdict. Il était, après tout, doté d'instincts meurtriers, mû par une soif inextinguible qu'aucune quantité de sang ne ferait jamais totalement disparaître, fort de pouvoirs qui défiaient toutes les lois de la nature et constituaient un affront aux règles sacro-saintes qui régissaient cette dernière. Pas franchement pieux de son vivant, il n'en considérait pas moins que tous ces dons –l'immortalité, la force et la vitesse surhumaines, l'absence totale de fatigabilité, les sens plus affûtés que ceux de tout le règne animal réuni et qui faisaient de lui le plus redoutable prédateur qui eût jamais foulé la Terre– ne pouvaient coexister au sein d'un seul être qu'au prix d'une existence maudite, qu'aucune loi n'aurait jamais autorisée. Et, au-delà de tout ce qu'il symbolisait, Elijah se haïssait pour les torts qu'il avait infligés – à sa famille avant tout, mais également à toutes celles et ceux qu'il avait manipulés pour en tirer un consentement factice et se nourrir à leurs dépens, les laissant affaiblis en disparaissant sitôt sa besogne faite. Il était devenu un être de tromperie et de manipulation, là où sa plus grande fierté avait toujours résidé dans son honnêteté indéfectible.

Mais jamais sa condition de monstre n'avait résonné avec autant de fracas qu'à cet instant précis, alors qu'elle se reflétait dans le regard de celui dont les prunelles avaient autrefois eu coutume de briller avec adoration. En voulant le secourir, il ne fit visiblement que l'effrayer davantage, et Elijah se sentit de plus en plus démuni face au fossé qui ne cessait de se creuser entre son frère et lui. Prudemment, il s'autorisa une nouvelle réponse devant l'interrogation fébrile d'un Channing visiblement dépassé par les réalités qui lui apparaissaient incompatibles avec ses convictions à son sujet. « Je ne sais pas exactement. Nous n'avons pas l'habitude de le crier sur les toits », dit-il d'un ton égal, quelques instants avant d'oser une nouvelle tentative de convaincre Channing de son identité, qui ne lui valut toutefois qu'une plainte douloureuse alors que le pieu lancé par son frère vint s'enfoncer dans sa chair.

Elijah demeura immobile, à l'exception du geste qu'il effectua pour déloger l'arme de la plaie qui commençait déjà à se refermer, et reporta un regard résigné sur son frère, dont la colère rivalisait désormais avec un désespoir tout aussi impuissant. « Non. » Le mot résonna aussi calmement que puissamment, témoin du refus de l'aîné à céder à une violence dont il savait pourtant pertinemment qu'elle était ardemment désirée par son cadet. Il peinait à suivre le raisonnement de Channing, qu'il n'avait jamais connu violent – mais il devait se rendre à l'évidence qu'il ne connaissait plus son frère, et qu'il ne pouvait plus prétendre à la moindre compréhension de ses pensées alors qu'il avait été étranger à sa vie depuis des décennies. À défaut de le considérer comme un ennemi, il était forcé d'avouer qu'il n'était désormais qu'un inconnu. Les récits au sujet de la soif de sang immortel du célèbre chasseur s'étaient frayé à maintes reprises un chemin jusqu'à ses oreilles, sans pour autant jamais convaincre Elijah de la cruauté apparente de celui avec qui il n'avait jamais rien partagé d'autre que de l'amour. Mais la haine et la violence que lui portaient les humains ne lui étaient nullement étrangères, quand bien même leur présence sur le visage de son frère était-elle inédite. Il ne pouvait donc pas se prétendre surpris de les y lire – ce fut plutôt les émotions qui vinrent bientôt les diluer qui le déroutèrent. La douleur et le désarroi dégagés par un Channing qui paraissait plus déstabilisé encore qu’il ne l’était lui-même achevèrent de semer la confusion dans l’esprit de l’immortel, qui constata bientôt que ces émotions semblaient sur le point de supplanter la détestation que portait son frère à ce qu’il était devenu. Impuissant, il regarda ce dernier reculer, ses traits déformés par un chagrin qu’aucun mot n’aurait su décrire. Désireux de lui porter secours mais bloqué par l’impossibilité de lui faire accepter la main qu’il souhaitait pourtant ardemment lui tendre, il assista en silence au spectacle des larmes qui coulèrent par dizaines de ses yeux noisette, et son propre visage se déforma sous l’effet de la douleur communiquée par la question incrédule et désespérée qui lui fut posée. Elijah hésita avant de répondre, incertain de ce qu’il devait dire – et, au terme d’une paire de secondes, renonça à profiter de l’occasion pour tenter à nouveau de convaincre Channing : ce n’était manifestement pas ce qu’avait besoin d’entendre ce dernier. « Je me souviens de tout », répondit-il donc laconiquement, conscient que Channing ne considérait pas ces souvenirs comme les siens mais renonçant à lui préciser le contraire. Elijah retrouva le silence alors que son frère semblait perdre pied, frappé par une peine dont le reflet l’affecta à son tour.

Le temps était devenu une notion relative aux yeux de celui dont la vie était devenue éternelle. Il avait progressivement perdu conscience de la façon qu’il avait de s’égrener, détaché de l’importance que revêtaient les minutes et les secondes aux yeux de ceux dont la vie était régie par un chronomètre à l’issue fatale. Mais, alors qu’il regarda souffrir son frère, il prit brusquement conscience de la longueur infinie du moment de silence qui s’installa entre eux. Incapable de l’écourter, car conscient que toute tentative de sa part serait vouée à l’échec car elle s’accompagnerait d’un regain de haine, de colère ou de chagrin, Elijah assista tristement à la scène en attendant que Channing n’agisse d’une façon ou d’une autre, préparé à l’éventualité qu’il finisse par reprendre le contrôle de ses émotions pour l’achever comme il en avait eu l’intention dès le début. Mais rien ne l’avait préparé à la douceur de la voix de son cadet lorsque celui-ci l’interrogea, sans qu’il fût clair s’il attendait ou non une réponse. Dans le doute, Elijah demeura silencieux et attendit que Channing ne poursuive. Il tenta de contenir ses réactions du mieux qu’il pût, ne fût-ce qu’en guise de respect pour la souffrance incommensurable de son cadet – mais, alors que celui-ci reprit la parole dans un chuchotement, sa tentative fut bien vite vouée à l’échec. L’amour porté par son frère à l’homme dont il continuait de pleurer la disparition vingt ans plus tard, et son refus persistant de le lui accorder alors qu’il se tenait face à lui eurent raison de toute possibilité de contenir son chagrin. Une vague de douleur s’abattit sur l’immortel, en même temps qu’un insupportable besoin de pleurer son chagrin, bien vite supplanté par la frustration d’en être incapable. Le visage déformé par la peine, Elijah murmura, abattu : « En réalité, je n’ai pas été bon à quoi que ce soit d’autre que d’être un grand frère. Du moins, c’est ce que je pensais, et il s’agissait de ma seule source de fierté. Mais même pour cela, je vous ai fait défaut. » Elijah ferma les yeux, débordé par la souffrance infligée par ses erreurs passées et les émotions que celles-ci faisaient remonter à la surface. Soudain, l’insoutenable douleur psychologique qui le torturait se fit physique, et des picotements pénibles, jadis familiers, assaillirent son nez et ses yeux, catalysés par une pression qu’il n’avait plus ressentie depuis sa mort – mais dont l’intensité était aussi anormale que déroutante. Son corps cherchait désespérément à extérioriser son chagrin d’une façon qui était censée lui être devenue impossible, et la douloureuse sensation sembla décupler jusqu’à ce que s’écoulent, lentement et laborieusement, deux larmes d’un sang noirâtre des coins de ses yeux.

rainmaker

hello, brother

« Non. » - « Pourquoi ? » Leurs voix à l’autorité étrangement similaire s’entrechoquent dans l’air, et Channing plante son regard colérique dans celui impossiblement calme du vampire. Pourquoi insiste-t-il autant, pourquoi semble-t-il aussi désintéressé quant à l’idée de se battre et résister au sort que le chasseur lui réserve ? Les immortels sont puissants, rapides et redoutables, et le meurtrier pourrait tout aussi bien lui briser la nuque que Channing n’aurait pas même le temps de le voir bouger. Sans effet de surprise, à haine égale, la chimère l’emporterait à coup sûr - mais rien ne semble l’ébranler et encore moins la pousser à l’acte, et l’incompréhension rend nerveux le mortel dont le coeur s’agite fébrilement dans sa cage thoracique. Channing est un tueur - mais se refuse à tuer l’autre si ce dernier patiente et n’éprouve pas la moindre résistance. Il aurait l’impression aussi illogique que parfaitement réelle de commettre un meurtre sur un innocent, peu importe que ce dernier ait probablement arraché davantage de vies que lui, et s’y refuse catégoriquement. Channing n’est pas un vampire, ne tue pas pour le plaisir ou par ennui - il tue pour se défendre, protéger les vivants et faire du monde un meilleur endroit. et l’immortel face à lui se comporte davantage comme son frère qu’une quelconque menace. « J’ai tué tellement des tiens que j’en ai perdu le compte, je suis certain que tu es au courant des horreurs que j’ai faites aux plus résistants d’entre eux - pourquoi est-ce que tu te priverais de vouloir les venger ? » Il préfère le provoquer que de pleurer, même si l’un n’empêche vraisemblablement pas l’autre à en juger par les larmes inarrêtables qui dévalent ses joues. Pourquoi discutent-ils, pourquoi continuent-ils de parler quand tout serait bien plus simple s’ils s’empoignaient l’un l’autre ? Cela ne prendrait qu’une minute tout au plus, très certainement quelques secondes, et Channing sent son sang bouillonner sous l’angoisse autant que la tristesse.

Mais à la mention d’un souvenir vieux de bientôt trente ans, la pression exercée sur sa mâchoire se relâche brusquement et ses épaules s’effondrent dans son dos. De toutes les manières que le vampire aurait eu de le tuer, jamais il n’aurait cru que ce dernier irait jusqu’à travailler sa chair pour la rendre plus tendre. Jamais le cadet n’aurait pensé renifler pathétiquement, chasser le regard insoutenable de la créature ou lui tourner le dos - et pourtant, il s’adonnait aux trois sans la moindre arrière pensée. Channing ignorait si les vampires avaient une conscience - s’ils étaient capables de chérir, et si d’autres émotions pouvaient venir bousculer leur soif et instincts tueurs. Il en avait toujours douté, trop persuadé que si cela avait été le cas, jamais ces monstres n’auraient semé des victimes partout sur leur passage. et sans doute est-ce dû aux nuances effroyablement familières du regard doré qui l’ausculte, mais il jurerait y lire une peine trop grande pour être contenue et ne tarde pas à être secoué d’un frisson aux paroles qui viennent appuyer son idée. « Je me souviens de tout » Les mémoires des suceurs de sang étaient-elles aussi immortelles qu’eux ? Sa respiration bute dans l’air chargé d’humidité et il sent ses lèvres trembler malgré la pression exercée pour les maintenir l’une contre l’autre. De tout. Lui-même en est incapable, et l’injustice le frappe à nouveau alors que la bête n’a que faire de souvenirs qui ne sont pas siens - mais alors pourquoi semble-t-elle si désespérément triste ? La fatigue s’abattant progressivement sur lui, le chasseur secoue toujours aussi mollement la tête par la négative, incapable de croire les moindres des paroles qui s’échappent des lippes de l’autre et tout autant incapable de ne pas les entendre pour autant. « Tu ne m’attendriras jamais davantage - est-ce que tu comptes en finir ? » précise-t-il assez soudainement après une pause, son regard misérable rivé sur lui. et, alors qu'il patiente quant à provoquer une réaction peu importe sa nature, son sang lui donne l'impression de se refroidir dans ses veines. L'air abattu sans que cela ne fasse le moindre sens, les muqueuses du vampire noircissent à vue d'œil sans que cela n'ait la moindre connotation surnaturelle - et, au contraire, cela en a une la plus humaine qui soit. Un liquide sombre s'accumule à ses yeux, et lorsque la créature bat mollement des paupières, deux larmes solitaires glissent sur sa peau blafarde en laissant derrière elles un sillon rouge qui fait perdre toutes ses couleurs restantes au chasseur. Pleurait-il du sang ? Il avait toujours rêvé de tuer l’usurpateur - mais Channing venait soudainement à ne plus avoir envie de rien, ni de rendre le corps de son frère à la terre ni même de rester en vie.

Lorsque les certitudes d’une vie s’effondrent, lorsque le regard s’élargit et les pensées se taisent, le vide est si grand qu’il semble vous engloutir tout entier. Channing, debout au milieu de ce cimetière, se sent désespérément vide et spectateur d’une existence qui ne semble plus vraiment sienne. Il avait rêvé d’un combat sanglant avec l’usurpateur, idéalisé le soulagement que le pieu dans son coeur lui procurerait, imaginé jusqu’à la haine de son regard reflétée dans le sien. Les moindres de ses songes avaient été imagés par ce combat final, adoucis par l’accomplissement d’une vie, et maintenant que toutes ses convictions s’effondraient Channing était incapable d’en considérer d’autres. Plus rien ne lui importait vraiment, si ce n’était pour une infime et minuscule part de lui quant à connaître la vérité : il accepterait fatalement de mourir s’il s’était fait berné, tout comme s’il avait été le seul à se leurrer toutes ces années durant. « En réalité, je n’ai pas été bon à quoi que ce soit d’autre que d’être un grand frère. Du moins, c’est ce que je pensais, et il s’agissait de ma seule source de fierté. Mais même pour cela, je vous ai fait défaut. » Ses yeux noisette suivant les courbes de sa mâchoire puis celles de ses épaules, le mortel garde le silence. Était-ce si facile que cela de l’ensorceler et de lui faire croire des choses aussi idiotes ? Était-il si vulnérable et naïf au point de se laisser tuer de la sorte par un vampire en tous points comme les autres à l’exception d’avoir l’apparence de son frère ? Un souffle vaincu s’échappe d’entre ses lèvres et sa main se porte à son visage pour en dissimuler la peine et en masser distraitement les sinus. et, alors que son index et son pouce s'affairent à masser l’arrête de son nez, une voix s’élève au loin. « Channing ! Ne t’en fais pas, je m’en occupe » Fronçant mollement les sourcils, redressant un regard à demi plaintif vers la provenance de la voix, ses yeux rencontrent avec curiosité ceux d’un ami chasseur - un qui tend son dos, bande ses muscle et pointe une arme vers le vampire toujours, et d’une manière insupportable, parfaitement immobile. Ses prunelles noisette retrouvent Elijah la seconde suivante, et ses lèvres s’étirent d’une manière à peine perceptible.

Il est idiot. Sans doute est-il le plus imbécile de toute la famille. Le plus grand, celui au coeur le plus sage et aux pensées les plus arrêtées. Channing est un homme loyal à ses valeurs et convictions, mais surtout et avant tout à sa famille. Il ne croit pas le vampire lorsque ce dernier insinue être son frère - mais l’entend suffisamment pour laisser le doute s'immiscer en lui. Il ignore ce que Elijah aurait voulu si une infime partie de lui avait survécu à tout cela - à une pseudo transformation, à peu importe quel genre de magie s’était emparée de son corps pour lui redonner la capacité de marcher et s’exprimer. Ils n’avaient jamais parlé de cela lorsqu’ils étaient enfants - son aîné était trop fier et prétendument intouchable pour considérer sa mort, et lui trop admiratif de sa fougue et ses ambitions pour les remettre en question. Ils n’avaient jamais eu de conversations trop sérieuses, et Channing était aussi incertain quant à faire le bon choix que persuadé quant à l’effectuer. Instinctivement, comme il l’aurait fait pour son frère, le brun réduit la distance entre leurs corps pour utiliser le sien comme bouclier et parer à la balle en argent qui se loge tout droit dans son thorax, frôlant de justesse son coeur - sans doute la précision est-elle légèrement biaisée par leur différence de taille, et probablement se serait-elle enfoncée droit dans celui de l’homme à peine plus petit derrière lui. Électrisé tout entier, son corps encaissant l’impact du choc en basculant légèrement vers l’arrière, son visage trahit tout juste la douleur lancinante qui le brûle tout entier. Channing avait déjà été blessé au combat - son corps était couvert de cicatrices toutes plus affreuses les unes que les autres, mais jamais le brun n’avait été saisi d’une douleur aussi grande. Ses genoux rompent sous la force qui les abandonne, et pas le moindre de ses réflexes ne s’éveille suffisamment vite pour amortir son choc. Attiré vers le sol, son corps y bascule de tout son poids tandis que le sang ne tarde pas à s’échapper en un flot affolant de l’entaille faite à sa chair.

rainmaker

Hello, brother

En se révélant à Channing, Elijah avait certes été mû par l’espoir idéaliste de voir naître d’émouvantes réconciliations, mais il avait également accepté avec une sérénité déstabilisante la possibilité de ne pas ressortir vivant de leur entrevue. Il n’avait pas eu besoin de réfléchir, ni même de conscientiser l’idée, pour savoir qu’il était prêt à mourir des mains de son frère, contre qui la lutte n’était pas une option, et dont il était décidé à respecter la volonté, même si cette dernière devait causer sa perte. Voilà longtemps déjà que le vampire n’accordait plus grand crédit à sa propre vie, qu’il peinait à considérer comme telle, contraint par son cynisme à davantage la percevoir comme un pâle simulacre de l’existence qu’il aurait pu mener si son cœur n’avait pas été à l’arrêt. Il ne la considérait en aucun cas suffisamment légitime pour justifier un conflit avec celui qu’il refusait formellement d’antagoniser – seule la perspective de trouver un terrain d’entente avec Channing l’animait, fût-ce au prix de sa propre vie. Mais ce raisonnement, après tout assez radical, était visiblement incompréhensible aux yeux de celui qui continuait de le pousser à combattre. Aux paroles véhémentes proférées dans son cadet dans l’objectif évident de voir briller dans ses yeux or une colère qu’il était loin d’éprouver, et que Channing ne serait jamais à même de susciter en lui, Elijah esquissa un sourire faiblard et secoua doucement la tête. « Je suis au courant, oui. Tes exploits ont fait le tour du monde obscur autant que du vôtre. Mais cela n’a pas d’importance, mon frère. Je n’ai pas l’âme vengeresse, encore moins à ton égard », murmura le vampire avec une sincérité troublante, manifestement indifférent au sort qu’avait réservé le chasseur à ceux de son espèce, et dont il n’était toujours pas exclu qu’il ne le lui infligerait pas de la même manière.

L’escalade de douleur qui abattait les deux frères ne semblait pas pouvoir se terminer. Les éclats de violence de Channing accompagnés de sa tristesse, et la souffrance d’Elijah ne semblaient apporter aucun soulagement aux membres de la fratrie déchirée, dont le désespoir de l’un faisait écho à celui de l’autre. Désespérément, Elijah voulait trouver les mots capables d’apaiser celui qui continuait de le fusiller du regard, lorsqu’il ne fuyait pas résolument le sien – mais il était forcé d’admettre qu’il n’avait pas la moindre idée de ce qui pouvait bien atténuer sa rage et sa frustration. Elijah soupira misérablement, secouant la tête d’un air presque résigné. « Je ne souhaite pas te tourner le dos à nouveau. Mais je ne m’imposerai pas davantage à toi, Channing », souffla celui qui osa supposer que l’intéressé ne le tuerait pas. Le refus du chasseur de lui concéder la possibilité qu’il pût dire vrai le blessait incontestablement – mais il n’avait d’autre choix que de l’accepter, et savait qu’il n’existait aucun bénéfice à s’évertuer à se faire entendre de quelqu’un qui se bouchait résolument les oreilles. À nouveau silencieux, terrassé par une douleur qui finit par accabler son corps en plus de son esprit, Elijah ne trouva d’autre exutoire à sa peine que deux larmes laborieusement produites par son corps éreinté par des émotions qu’il ne savait pas gérer. Incrédule, le vampire porta une main à sa joue en sentant le liquide chaud en parcourir la peau, et son regard s’écarquilla faiblement en avisant le sang sombre étalé sur la pulpe de ses doigts. La douleur qui émanait de ses glandes lacrymales de fortune aurait suffi à le faire grimacer s’il n’avait pas été plus préoccupé par ce qu’il voulait dire à Channing, en désespoir de cause et malgré qu’il sût que cela ne servirait probablement à rien. Avec autant de tristesse que de culpabilité, il lui fit part de ses regrets, sans quitter ses prunelles noisette du regard, à l’affût du moindre changement dans les nuances de ce dernier. Il était si accaparé par l’intensité des émotions que ne cessait de susciter leur échange qu’il ne prêta aucunement attention au bruit de pas qui s’approchèrent, ni ne réagit-il en entendant une voix inconnue apostropher celui qu’il continuait de fixer. Ce ne fut que lorsque le regard de Channing quitta le sien pour brièvement aviser le nouveau venu qu’Elijah sembla prendre conscience de l’arrivée de ce dernier – mais il ne réagit pas pour autant, comme si le moment l’avait condamné à mouvoir au ralenti. Lentement et sans se donner les moyens de réagir plus vite, il laissa, à son tour, gamberger son regard en direction de l’inconnu, et ne comprit que trop tard les enjeux qui ne tardèrent pas à se déployer. Elijah poussa une exclamation horrifiée en entendant la déflagration retentir au même moment où son frère esquissa un mouvement précipité destiné à le protéger. Bien trop tard, le vampire leva les bras à son tour pour agripper les épaules de son frère, mais là encore, son geste fut effroyablement lent et ne parvint à éviter la chute à son corps brusquement inerte. « Chan ! », cria Elijah avec horreur, en réalisant les conséquences occasionnées par son propre manque de réflexes. L’aîné se laissa tomber sur ses genoux et sa main se porta sur la poitrine de celui qui commençait déjà à se vider de son sang, dont l’odeur ne semblait même pas exister tant son désarroi était fort. Son autre main se logea derrière le crâne de son petit frère déjà anormalement blême, et il lui murmura des paroles désespérées dans l’objectif illusoire de le rassurer et de lui éviter de sombrer – mais, hormis une douleur visiblement insoutenable, le visage de Channing ne reflétait plus aucune réaction. Bouleversé, Elijah leva alors le regard vers l’intrus, qui semblait, lui aussi, dépossédé de ses capacités motrices sous le choc d’avoir raté sa cible.

Aussitôt, les prunelles or du vampire s’obscurcirent et ses yeux ne formèrent bientôt plus que deux sphères d’un noir profond qui se vissèrent sur celui qui venait d’attaquer son frère. Sa force retrouvée, catalysée cent fois par le sentiment de vengeance, cette fois-ci réel, que lui inspirait la bassesse du chasseur, Elijah se releva et se matérialisa moins d’une fraction de seconde plus tard aux côtés de ce dernier. Dans un rugissement furieux, il brisa chacun de ses membres avec une violence inouïe, indifférent aux hurlements de douleur de sa victime, dont les os transperçaient grossièrement la peau de ses bras et jambes déformés dans des positions grotesques par l’assaut. Le chasseur s’effondra au sol, mais Elijah n’en avait pas fini avec lui. Le surplombant de toute sa hauteur, les yeux plus sombres que jamais, semblables à eux trous noirs, Elijah avisa avec une haine sans limites le mortel qui pleurait sa souffrance et sa terreur sans parvenir à se mouvoir. Finalement, il fondit sur son cou – mais ce ne fut nullement dans ses artères qu’il planta les crocs. Au lieu de cela, il mordit et arracha la chair de son cou, mutilant grièvement le chasseur qui ne tarda pas à se vider de son sang contre la pierre tombale sur laquelle il avait chuté.

Sans un regard en arrière, Elijah se précipita aux côtés de son petit frère, s’agenouillant dans la même posture que quelques secondes auparavant et cherchant désespérément son regard déjà vide de substance. « Channing ! Chan, reste avec moi », le supplia-t-il d’un ton pressant, désemparé. À nouveau, il porta sa propre paume à sa bouche pour en taillader la peau, avec bien plus de force cette fois-ci afin de faire apparaître un flot considérable de sang sombre. Il pressa la paume contre les lèvres de son frère, et l’enjoignit aussitôt : « S’il te plaît…. Bois… Tu auras moins mal, et tu guériras dès que j’aurai délogé la balle, d’accord ? Sois fort, tu m’entends ? » Terrifié, il eut l’impression qu’une heure entière s’était déjà écoulée avant que Channing n’ouvre faiblement la bouche, et il y pressa la main plus fort encore, soucieux de le voir s’abreuver suffisamment pour guérir de ses plaies. Sa main intacte se précipita vers la plaie qui siégeait sur le torse de son frère, et il y enfonça le doigt d’un geste précis pour déloger la balle, avant de pousser un hurlement de douleur en sentant celle-ci lui brûler le doigt comme seul l’argent pouvait le faire. Dans un réflexe vif, il recula son doigt, avant de serrer les dents et de le replonger au contact de la balle. Une plainte étouffée retentit dans sa gorge tandis qu’il ignora, du mieux qu’il pût, la douleur lancinante qui commençait déjà à se répandre dans son corps entier. Laborieusement, il hameçonna la balle entre les phalanges de son index, et la délogea de son emplacement non sans avoir laissé échapper un sanglot douloureux. La balle s’écrasa au sol dans un tintement, bien vite lâchée par son doigt devenu noir et carbonisé – une blessure qu’il savait définitive, mais à laquelle il n’accorda pas une once d’attention, le regard déjà rivé sur le visage toujours impossiblement blême de Channing. Il recula prudemment la main qu’il avait portée à sa bouche, et dont le saignement s’était déjà tari malgré la profondeur des lacérations, et essuya prudemment le coin de ses lèvres maculées de sang. « Tiens bon, mon frère… tout va bien se passer, d’accord ? Tu vas guérir en un rien de temps, et tout ira bien », lui murmura-t-il avec douceur, dégageant ses mèches trempées par la sueur et la pluie de son front tout en le serrant contre lui de son autre bras. Autour d’eux, le silence du cimetière, perturbé uniquement par le son de la pluie, se fit assourdissant, tandis qu’Elijah attendait frénétiquement de voir opérer la magie de son sang, comme elle l’avait toujours fait, fidèlement et de manière indéfectible.

rainmaker

hello, brother

« Je suis au courant, oui. Tes exploits ont fait le tour du monde obscur autant que du vôtre. Mais cela n’a pas d’importance, mon frère. Je n’ai pas l’âme vengeresse, encore moins à ton égard » Ses yeux parcourent les siens sans un mot, et Channing laisse ses lèvres s’entrouvrir sous un souffle aussi agacé qu’il est incompris. Les vampires ont l’âme vengeresse, la cruauté partie intégrante de leurs esprits, l’appel au meurtre pour mélodie à l’intérieur de leurs têtes. Ce ne sont pas des êtres dotés de conscience, uniquement des créatures sanguinaires obéissant à des règles obscures, et si l’obstination de l’usurpateur force l'admiration quant à témoigner au chasseur compassion et tendresse, Channing est toutefois incapable de le croire. Même si la bête avait voulu être différente, même si celle-ci avait été victime d’une mutation quelconque quant à la rendre plus douce, aucune volonté ne pouvait surpasser des instincts aussi forts que ceux qui animaient leur soif de sang intarissable. Le chasseur, il avait vu un nombre incalculable de vampires à l’oeuvre, avait assisté à des scènes épouvantables au-delà de tout ce que son imagination pouvait imager, et ne savait que trop bien toutes les choses auxquelles ces monstres pouvaient s’adonner par simple ennui. Les traits d’Elijah sont tendres et réconfortants, mais n’ont été préservés que pour accomplir des actes d’une cruauté inqualifiable, et peu importe tout le chagrin que Channing peut ressentir quant à faire se clore définitivement ces paupières, il s’agit de la chose la plus juste à faire - tant est que son frère n’ait pas survécu d’une manière ou d’une autre au travers de ce corps. « Je ne souhaite pas te tourner le dos à nouveau. Mais je ne m’imposerai pas davantage à toi, Channing » Ses yeux dans les siens, il jurerait lire tout le chagrin et la culpabilité du monde dans les prunelles dorées indéchiffrables qui soutiennent les siennes. Celles qui, d’une manière inexpliquée et parfaitement inédite, s’assombrissent brusquement sous un fin filet de sang, le liquide anormalement sombre s’accumulant contre les muqueuses jusqu’à en déborder. Son propre regard s'écarquille dans un frisson, et Channing assiste à la chute de deux perles rougeâtres sur les joues blafardes de l’immortel, ces dernières abandonnant derrière elles des sillons bruns dont la présence surprend autant l’un que l’autre des deux hommes aux troublantes ressemblances. Les vampires étaient incapables de pleurer, incapables de ressentir les moindres émotions - tout au plus, ils pouvaient prétendre, mais jamais le cadet n’avait vu les yeux d’un suceur de sang s’innoder. Rendu muet par la surprise, les lèvres du chasseur tremblent tandis que le portrait de son frère porte ses mains à son visage en teintant ses doigts de la substance si précieuse à leur fonctionnement, son coeur secoué d’un trémolo à l’expression malheureuse qui se reflète sur ses traits. et, à la façon dont l’autre semble désemparé, une question subsiste dans l’esprit obstiné du chasseur : pourquoi continuait-il à se donner tant de mal alors qu’il aurait pu lui briser la nuque à de si nombreuses reprises qu’il en devenait parfaitement ridicule de continuer à parlementer ?

Mais peut-être avait-il eu raison de le travailler au corps aussi longtemps. Peut-être, finalement, l’immortel était-il parvenu à rendre sa chair plus tendre que la plus délicate des pièces de viande. Peut-être était-il parvenu à l’abrutir suffisamment pour ne pas avoir à se salir les mains sur son nom et obtenir une victoire particulièrement savoureuse quant à le pousser lui-même à agir de la plus idiote des façons. Peut-être Elijah était-il vraiment mort, peut-être n’était-il pas aussi insensible à son apparence qu’il s’en était persuadé. Peut-être les vampires étaient-ils plus forts et malins qu’eux, après tout. Peut-être. Mais ce dont Channing est à présent persuadé est qu’il ne parviendra pas à réduire en cendres la fidèle représentation de celui qui a tant compté pour lui, pas alors que l’usurpateur se refuse catégoriquement à le blesser et va jusqu’à panser ses plaies malgré sa résistance et les menaces qu’il profère à son égard. Channing est un tueur, sait qu’aucune lumière ne l’attend de l’autre côté, mais ne veut pas devenir un monstre plus cruel que celui qu’il n’est déjà - et si l’immortel lui apporte des soins plutôt de chercher à lui arracher le coeur, il n’arrachera pas le sien non plus.

La balle s’enfonce dans son thorax comme si ce dernier était fait de beurre, et la douleur que sa force libère dans son corps est plus effroyable que toutes celles qu’il a déjà ressenti par le passé. Le fer et le feu, le cuir et l’acier ne sont rien en comparaison à l’argent qui brûle sa peau et semble exploser en son intérieur, lui arrachant un hurlement parfaitement silencieux alors que son visage se déforme sous la douleur et que ses jambes se dérobent sous son poids. Jamais Channing n’avait été victime d’une balle destinée aux immortels - et probablement puisqu’il n’en était pas un, les dégâts occasionnés par cette dernière le noyèrent sous une douleur inouïe. Ou peut-être faisaient-elles le même effet à tous. « Chan ! » La détresse de celui qui saisit ses épaules pour amortir sa chute résonne à ses oreilles, et le cadet croule à son contact sans être capable d’émettre la moindre résistance. Son corps devenu pantelant en quelques secondes à peine, le sang s’échappe en un véritable torrent de la plaie infligée à son abdomen, ses forces s’évaporant à mesure que le liquide carmin se répand sur le sol en se diluant à l’eau dans laquelle les deux frères se mettent à baigner. Son corps tout entier lui donne l’impression de se consumer de l’intérieur, comme rongé par un feu brûlant, et lorsque sa tête trouve d’une manière anormalement délicate le sol, le cadet échappe un souffle douloureux - et puis, le silence l’enveloppe alors que la présence à ses côtés se volatilise. L’eau s’écrase en pluie sur ses paupières closes, sa main posée à l’emplacement de son coeur sans qu’il ne se souvienne l’y avoir portée, et le froid glacial de la mort semble déjà l’envelopper à moins qu’il ne s’agisse de celui de la peur. La terre est gelée sous son corps lourd, ses vêtements dégoulinants, et bien qu’il ait l’impression d’appuyer de toutes ses forces sur sa plaie, le sang ne rencontre pas la moindre difficulté à s’insinuer entre ses doigts déjà pâles. Un sourire qui n’atteint pas ses yeux étire mollement ses lèvres alors qu’il comprend peu à peu tout ce que cela signifie, et Channing n’est contraint à battre des paupières que lorsqu’une force tout juste mesurée le redresse mollement, prudemment, lui arrachant malgré tout un gémissement de douleur. « Channing ! Chan, reste avec moi » Ses yeux noisette, absents et faibles, trouvent ceux jaunes qui le surplombent et le brun se laisse aller aux bras de son frère en se plongeant à nouveau dans l’obscurité. Maintenant plus facilement que jamais, il pourrait le tuer ou plonger à sa gorge - pourtant, rien ne se passe. « Doucement grand gaillard, ne me casse pas… » chuchote-t-il d’une voix fébrile, allant jusqu’à échapper un maigre rire bien vite interrompu par la douleur déchirante qui l’électrise au premier mouvement que son abdomen effectue. L’impression d’être réduit à néant dans les bras d’une personne capable d’au moins vingt fois sa force le fait frémir, et pourtant jamais Channing n’a connu une paix similaire à celle qu’il ressent à cet instant. La douleur s’estompe tant elle devient insupportable, et ses paupières battent à nouveau au liquide froid qui se presse contre ses lèvres. Rouvrant les yeux, un frisson d’horreur traverse son regard en comprenant que le poignet éventré du vampire est pressé contre sa bouche blême. « S’il te plaît…. Bois… Tu auras moins mal, et tu guériras dès que j’aurai délogé la balle, d’accord ? Sois fort, tu m’entends ? » À contre-coeur, fébrilement, ses lèvres s’ouvrent et la pluie dissimule les larmes qui s’écoulent de ses yeux. Il veut le sauver, cherche à l’aider, et son coeur déjà mortellement blessé ne fait que se déchirer un peu davantage. Ecoeuré mais obtempérant, Channing déglutit plusieurs généreuses gorgées de sang, sur le point de vomir s’il en avait la force - mais il en est bien incapable.

Le teint de plus en plus blafard, le chasseur rouvre néanmoins brusquement les paupières à l’entente du cri déchirant de son frère auquel se joint le sien. Elijah a plongé ses doigts dans son abdomen et Channing hurle sa douleur, sanglotant pathétiquement lorsque la main du vampire quitte brièvement la plaie uniquement pour y replonger plus profondément. L’impression d’être opéré à coeur ouvert, le cadet se met à pleurer comme un enfant sous la souffrance lorsque les doigts froids de l’immortel relâchent la balle à l’air libre, et ses yeux trouvent les siens sans comprendre exactement ce qui provoque une telle plainte du côté de celui supposément intact - jusqu’à percevoir la brûlure charbonneuse infligée à ses doigts, voyant pour la première fois de ses propres yeux les ravages infligés par l’argent sur la peau de ceux qui craignent si particulièrement le minerai en question. Silencieux, papillonnant, Channing laisse le vampire essuyer sa commissure en retirant son poignet et ferme les yeux dans un souffle douloureux. « Tiens bon, mon frère… tout va bien se passer, d’accord ? Tu vas guérir en un rien de temps, et tout ira bien » - « Eli… » murmure-t-il en cherchant à attraper sa main dans la sienne, agrippant faiblement ses doigts dans les siens puis trouvant son regard. Aucune magie similaire à celle sur ses phalanges ne lui donne l’impression de s’opérer en son intérieur, et à chaque seconde qui passe Channing se sent devenir de plus en plus froid. « Mon frère, si tu es là quelque part, fais-moi une promesse » commence-t-il avec difficulté, déglutissant sous le renvoi désagréable du sang qui menace de remonter à ses lèvres. Ébranlé par sa tristesse autant que sa douleur, le chasseur peine à reprendre. « Tu dois veiller sur Lexie… je t’en prie, veille sur elle » l’implore-t-il, la pression sur ses doigts se relâchant peu à peu malgré tous ses efforts pour l’entretenir. Un sourire triste passe sur ses traits et son pouce exerce une faible caresse sur la peau pâle sur laquelle il repose. « et si c’est vraiment toi, si ça a toujours été toi, je ne serais jamais assez désolé. Pardonne moi... » chuchote-t-il d’une voix de plus en plus basse, ses paupières de plus en plus lourdes. et finalement, lorsqu’elles se ferment, sa poitrine achève de s'affaisser et ses doigts de se relâcher autour de ceux qu’ils enserrent.

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