(laser zone) Il existe des personnes avec qui Rhett aurait préféré toujours garder contact et faire de leurs discussions un long fleuve tranquille, mais il doit avouer que pour beaucoup de ces personnes, justement, rien n’a été simple et rien ne sait continuer de l’être. La liste est longue, trop longue, même pour un homme qui n’estime pas avoir besoin de relations humaines pour être heureux - pas tant besoin que ça, disons. Les récents événements des années et mois écoulés le poussent à prendre davantage soin de ses proches et de ses relations, mais il est une fois de plus le premier à devoir avouer qu’il part de loin et qu’il a pour ça de nombreux efforts à fournir. Parfois, il se dit même que la barre est trop haute et qu’il ne pourra jamais l’atteindre dans une seule vie mais cela ne l’empêche pas de continuer à essayer. Après tout, ses journées ne sont plus rythmées par grand chose depuis que la petite promotion du film est terminée et qu’il se contente de lire de temps à autres les articles négatifs à ce sujet, tout en se disant que ce n’est pas son problème puisque sa biographie, elle, a été un succès particulièrement incontestable. Ce qu’ils en ont fait sur grand écran n’est pas de son ressort, surtout alors qu’il ne fait même pas la moindre apparition (et ça, même lui savait dès le début que c’était une bonne chose tant il est un acteur pitoyable).

Peut-être que dans le “manuel des relations bien entretenues”, un chapitre précise que les personnes qu’on a connu quand elles étaient enfants finissent invariablement par grandir. Peut-être. Lui, de toute manière, n’a même pas fait semblant de la feuilleter alors qu’il estime que le parc de jeux et autres activités est l’endroit parfait pour proposer à Norah de se voir et de boire un café (un chocolat chaud pour elle, oui, évidemment). Il se dit qu’elle aura de quoi s’occuper, il se dit que c’est sûrement le meilleur endroit qui puisse exister pour pallier à l’idée ennuyeuse d’un simple café où il ne se passe pas grand chose de plus. Et il se dit que c’est du génie, oui, évidemment. « Est-ce que tu as mangé ? On peut commander, si tu veux. » A peine les salutations faites, il s’empresse de s’assurer qu’elle ne se sente pas gênée à l’idée de commander à manger. Lui qui nourrit l’envie d’avoir un enfant avec Evelyn et qui sait désormais reconnaître les tests de grossesse de plusieurs marques différentes, il tente par la même occasion d’apprendre à se comporter aussi bien que possible en présence d’enfants. Même ceux qui ont passé l’âge de la majorité ; il revoit encore ses joues rondes datant de vingt ans en arrière et ne saura jamais oublier cette image tant elle lui fait penser à Margot, parfois. « Comment va ton père ? Je me suis promis de l’appeler un de ces jours. » Il déteste qu’on lui parle pour prendre des nouvelles d’un autre et c’est sûrement un sentiment partagé avec de nombreux individus, et pourtant il ne réfléchit pas un seul instant avant de lui demander des nouvelles de son père. Bientôt viendra le tour de sa mère, évidemment, parce qu’apprendre de ses erreurs est un concept qu’il peine à apprendre. « Mais il va me demander si tu es sérieuse à l’université, et j’ai besoin de savoir si je dois préparer un mensonge pour ça. » Son sourire se relève contre ses lèvres alors qu’il plonge son regard clair dans celui de la jeune femme face à lui. Son café se porte à ses lèvres mais son sourire n’en démord pas. Simplement, il repose son dos contre sa chaise, bien conscient que Norah est bien placée pour savoir qu’il ne sera pas celui à lui faire la morale au sujet des études: il en a fait uniquement pour avoir le droit aux bourses sportives et pour continuer à jouer avec Hassan, lui.

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Norah se remémorait souvent les moments de son enfance, en particulier lorsqu’elle était seule dans son appartement de jeune adulte. Ces pensées nostalgiques la ramenaient à des souvenirs de famille, non sans amertume. Rapidement happée par l’influence de ses parents alors qu’elle entrait tout juste à l’école, elle faisait très vite le rapprochement entre ces parenthèses de joie et l’obsession pour le contrôle de ses géniteurs – obsession dont Norah a héritée. Très organisée dans sa vie, elle planifie énormément de choses à l’avance si bien que ses activités après les cours ou même le week-end sont prévues au moins un mois à l’avance. Elle se sait psychorigide vis-à-vis du total lâcher prise et éternelle maniaque. Alors, sur l’impulsion de son groupe d’amis le plus proche, les outsiders, elle prit la résolution en 2024 de se libérer des créneaux libres, s’ouvrant à la surprise. Ces plages dans son calendrier l’amusaient plus qu’elle ne le pensait. Si elle croyait que ces moments seraient l’occasion de voir plus fréquemment ses amis, il s’agissait en réalité de temps qu’elle prenait pour elle. La Sawyer réinstalla son chevalet pour satisfaire sa passion de toujours, la peinture, mais en profitait également pour poster plus de contenus que d’habitude sur YouTube et les plateformes de podcast. Une nouvelle occupation qui pourrait devenir une passion, une bonne base de followers commençait à se créer. Le monde des créateurs de contenus où chaque projet se lance dans l’inconnu, sans savoir s’il va marcher ou non. Comme ça, il semblerait que ce monde rassemble tout ce que Norah redoute, mais il faut croire qu’elle l’apprécie réellement. Grandir change véritablement les gens et surtout, elle ne semble pas prêter attention aux statistiques. Enfin, c’était le cas avant qu’on commence à lui dire que les chiffres sous ses vidéos sont loin d’être anodins.

Cette fois-ci, Norah allait retrouver une personne qu’elle connaissait depuis très longtemps : Rhett Hartfield. Ami du père Sawyer puis plus généralement ami de la famille, l’étudiante en droit avait l’habitude de le voir quand de grands événements étaient organisés. De ses yeux de petite fille, il était l’un des seuls – si ce n’était le seul – adulte avec lequel elle pouvait parler de tout et de rien, là où les autres se limitaient à lui demander comme ça se passait dans son école privée ou si elle souhaitait faire de l’équitation plus tard. Forcément, elle abordait cette journée avec enthousiasme. Un grand sourire se dressa sur son visage lorsqu’elle le vit au loin, dans ce grand complexe de loisirs. « Salut Rhett, dit-elle, reprenant après une rapide accolade. Pas mangé ! Mais je meurs de faim. » Véritable estomac sur pattes, elle ne tarda pas à faire un repérage des lieux où ils pourraient se rassasier. « Y a un camion de pizza et un fast-food là-bas ! » Laissant volontiers son interlocuteur choisir en fonction de ses préférences, elle pointant du doigt la direction et ils entamèrent leur marche, tout en continuant leur début de conversation. « Il va bien, je crois. » Les relations entre son père et elle n’étaient pas les meilleures qu’on puisse imaginer entre un père et sa fille. Norah l’aime, c’est une certitude mais elle ne peut plus supporter le regard et l’avis qu’il peut porter sur sa vie. C’est pour cela qu’elle a décidé de déménager à Brisbane pour ses études. « Mais oui ça lui fera vraiment plaisir d’avoir de tes nouvelles ! Tu comptes aller à Sydney prochainement ? » La remarque de Rhett l’amusa, imaginant très bien l’interrogatoire que pourrait faire subir son père à Rhett s’il apprend qu’ils se sont vus. « Dis-lui que c’est une cause perdue. » Elle pouffa un rire, avant de reprendre plus sérieusement. « Non ça se passe bien. Mieux que je l’aurais imaginé même. » Ses études demandaient une grande rigueur et pourtant, elle les adorait. Elle attendait patiemment le moment où elle serait diplômée, nommée avocate. « Et toi alors ? Comment tu vas ? », demanda-t-elle alors qu’ils approchaient de l’espace restauration du Laser zone.

Elle meurt de faim, évidemment qu’elle meurt de faim. La remarque le fait sourire et il fait aussitôt le parallèle avec l’éternel attitude des adolescents, pourtant bien conscient qu’elle a passé l’âge d’être considérée comme une adolescente. Bien trop rapidement aux yeux de Rhett, Norah est devenue à son tour une jeune adulte. « Y a un camion de pizza et un fast-food là-bas ! » - « T’as des radars à la place des yeux ? » Il rétorque avec humour, non sans déjà prendre la direction dudit camion à pizza, n’ayant rien contre ce genre de repas, surtout si en retour cela peut faire plaisir à la jeune femme. « Il va bien, je crois. » Et s’il ne s’en fait pas sur la réponse en elle-même, et par extension l’état de santé de son père, Rhett se retrouve à se questionner sur la façon qu’elle a de lui répondre. « Tu crois ? » Il souffle doucement, n’ayant pas vocation à la brusquer ou à la vexer le moins du monde. En réalité, il tente surtout de savoir s’il existe des faits qu’il ignore lui-même et qui pourraient expliquer qu’elle ne parle pas autant à son père que ce que Rhett imaginait de façon assez naturelle et évidente. Il n’a jamais rompu le contact avec ses parents et le reste de sa fratrie ne l’a pas fait non plus, raison pour laquelle il n’a pas d’exemple dans son quotidien de relations rompues. Cela vient sans doute aussi du fait qu’ils n’ont jamais rien eu à véritablement reprocher à leurs parents, et vice-versa pour eux en retour.

« Mais oui ça lui fera vraiment plaisir d’avoir de tes nouvelles ! Tu comptes aller à Sydney prochainement ? »
« C’est pas prévu, mais je te tiendrai au courant. »

Peut-être qu’il pourrait suivre Evelyn dans un déplacement d’affaire un jour. Lui n’a rien ni personne qui l’attend à Sydney, mais il y a sans doute toujours moyen de s’arranger. Même s’il devait faire le déplacement uniquement pour voir Norah, il n’aurait pas de mal à accepter l’idée. Et puis, ça l’occuperait un peu, malgré tout. « Dis-lui que c’est une cause perdue. » Oh lui, il n’aurait aucun mal à lui dire ça tant il a lui-même détesté chaque seconde passée dans une salle de classe. « Non ça se passe bien. Mieux que je l’aurais imaginé même. » - « Je suis impressionné. » Et les lèvres qu’il roule l’une contre l’autre le prouvent un peu plus encore. Rhett ne sait pas mentir et il parle comme il pense, de toute façon. « T’en as pour longtemps encore ? » Pour les gens pour qui “tout se passe bien”, la fin de l’université ne sonne pas comme une libération, mais de son côté il ne sait pas faire autrement que voir les choses de cette façon. Il lui pose la question comme s’il lui demandait quand est-ce qu’elle serait enfin libre, c’est plus fort que lui. « Et toi alors ? Comment tu vas ? » Il pense à ce test de grossesse revenu négatif et son sourire se fige un peu. Ce n’est pas le genre de chose qu’il veut partager avec ses proches et encore moins auprès de quelqu’un d’aussi jeune et insouciant que Norah, mais c’est sans doute ce qui l’empêche de répondre de tout son cœur. « Ça va. Les ventes de la biographie ont repris depuis la sortie du film. » Libre sur sa vie qu’il qualifie humblement de chef d'œuvre ; film tiré de ce dernier qu’il voudrait envoyer tout droit au caniveau tant il est raté. Mais peu importe ; les royalties, ça n’a pas de prix (ou justement, ça a un prix tel que la qualité du contenu n’est plus si importante). « …Ce qui paye au moins une pizza. Choisis ce que tu veux. » Que ce soit une pizza ou un fast-food, évidemment, il lui laisse faire le choix qu’elle désire. « Tu as le temps de manger un bout ? J’ai perdu un peu l’habitude des horaires de l’université. » Il n’a pas pris le temps de lui demander à quel point sa journée était libre, et il ne pense même pas à l’éventualité qu’elle puisse vouloir rentrer chez elle assez tôt pour réviser un peu (révi-quoi ?). « En tout cas tu le sais hein: si jamais t’as besoin d’aide, tu m’appelles surtout pas. » Il échange un bref coup d’épaule, geste que les adultes un peu lourds ont souvent à l’égard des plus jeunes, mais il partage surtout avec elle un sourire amusé. Il veut être l’adulte cool, bien sûr qu’il veut être l’adulte cool.

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Revoir un visage familier faisait toujours plaisir à Norah, du moins lorsqu’il s’agissait d’une personne qu’elle appréciait. Ici, par chance, c’était le cas puisqu’elle retrouvait un ami de la famille. Et même s’ils ne se côtoyaient pas très régulièrement, ils se parlaient maintenant comme s’ils venaient de se voir la veille. « Comment tu crois que je repère les restaurants à des kilomètres ? » Pouffant un rire, c’est vrai qu’elle est très épicurienne et qu’elle adore manger. Si elle peut parfois se montrer difficile – notamment lorsqu’il est question de sucré salé – elle laisse sa chance à tous les types de cuisine et demande à être surprise. Des fois, elle se demande même qu’est-ce que cela donnerait si elle s’inscrivait à un concours du plus gros mangeur ou même des salons gastronomiques. Et dire qu’à une époque elle se voyait devenir critique culinaire. Chose qui pourrait très bien se produire désormais, en tout cas pour la pizza qui s’annonçait. « C’est pas nouveau mais mon père et moi… C’est compliqué. » Sur un ton beaucoup plus sérieux, elle réfléchit aux mots qu’elle allait employer. Même si elle faisait pleinement confiance en son interlocuteur, elle savait très bien qu’avant tout il était l’ami de son géniteur. « On s’entend bien hein, on est pas en froid ou quoi. C’est juste que j’ai besoin de prendre mes distances. » Elle fixait l’horizon, plus par réflexe qu’autre chose. Elle aborde très peu le sujet, pour ne pas dire jamais. Elle ne peut pas en parler à ses frères et sœurs – eux ayant des relations beaucoup plus équilibrées avec lui – ni à ses amis les plus proches qui n’ont pas besoin de savoir autant de détails sur sa situation familiale. Cela devait donc être la première fois qu’elle se livre sur ce sujet depuis son arrivée à Brisbane.

« Si tout se passe bien, l’année prochaine c’est fini. Ou l’année d’après, tout dépend si je décide de déjà me spécialiser ou non. » Préférant parler de ses études plutôt que de son père, elle retrouva son sourire alors qu’ils s’approchaient du camion à pizza. Elle était plutôt fière de son parcours, elle se revoyait lorsqu’elle venait d’arriver à Brisbane, blasée à l’idée de suivre des études qui ne lui plaisaient pas. Au final, elle fut agréablement surprise puisqu’elle semble très épanouie désormais. « Et dire que tu m’as toujours pas fait de dédicace sur celui que j’ai acheté… » Une mine faussement boudeuse, elle croisa les bras avant de reprendre avec un sourire amusé. « C’est une super nouvelle ! Tu arrives à gérer tout ça ? Voir ton nom sur des affiches, sur les devantures des cinémas ? » Norah ne pouvait qu’être impressionnée par le chemin qu’avait parcouru – et parcourt encore – Rhett. Quelque part, elle enviait le courage dont il faisait preuve. « Ohlala Rhett Hartfield va me payer une pizza ?? Est-ce que je peux filmer ce moment ? Bientôt ça vaudra de l’or, qui sait. » L’absurde la divertissait, la faisait rire plus qu’elle ne l’admettait. « Je n’ai pas cours aujourd’hui, donc je suis disponible jusqu’à ce que tu en aies marre de moi ! » Signalant alors au pizzaïolo qu’elle prendrait une napolitaine, elle laissait son interlocuteur commander à son tour. A la dernière parole de Rhett, elle lui répondit aussitôt non sans sarcasme. « C’est tellement gentil de ta part, merci. J’ai très bien compris que je ne pouvais pas compter sur toi. » Elle finit par s’installer à une table derrière le camion, à attendre que leurs pizzas soient prêtes. « Sinon, ça se passe bin avec ta dulcinée ? » Bien qu’elle n’avait jamais eu la chance de la rencontrer, elle en avait néanmoins entendu parler plus d’une fois. Ravie qu’il ait réussi à trouver sa moitié, elle espérait secrètement y parvenir également, un jour ou l’autre.

« C’est pas nouveau mais mon père et moi… C’est compliqué. » Malgré lui, il hoche la tête, les mots de Norah n’ayant rien d’une surprise. Si lui et Evie arrivent à devenir parents, enfin, il se fait déjà la promesse qu’il n’en viendra jamais à une telle extrémité avec leur enfant et qu’il fera toujours son possible pour garder le contact: mettre un enfant au monde et l’abandonner ensuite lui semble impossible. « On s’entend bien hein, on est pas en froid ou quoi. C’est juste que j’ai besoin de prendre mes distances. » - « Je vois. » Il ne voit pas vraiment, mais il essaye de deviner comment leur relation peut être en ce moment même. « Tu me dis si tu veux que je lui parle un peu ? » Il ne saurait pas réellement quoi lui dire mais il le ferait si jamais Norah venait à lui dire qu’elle pense que ce serait une bonne idée. S’il peut tenter d’arranger les choses entre eux, après tout, il ne tenterait pas de reculer.

« Si tout se passe bien, l’année prochaine c’est fini. Ou l’année d’après, tout dépend si je décide de déjà me spécialiser ou non. » - « T’en as envie ? » Vouloir continuer ses études est une idée particulièrement abstraite pour Rhett mais puisque cela intéresse Norah, il s’y intéresse à son tour et n’essaie même pas de lui donner son propre avis sur la situation. Il sait que sa carrière est l’exception bien plus que la norme - et il sait aussi que son père le tuerait s’il venait à apprendre qu’il lui a conseillé de quitter l’université le plus tôt possible. « Et dire que tu m’as toujours pas fait de dédicace sur celui que j’ai acheté… » L’étonnement se lit sur le visage de Rhett sans qu’il ne fasse aucun effort. « Non, la vraie question c’est pourquoi t’en as acheté un ?» L’argent n’est pas un problème, il aurait au moins pu offrir un exemplaire à une personne aussi proche que l’est Norah. Et qui plus est, il lui en aurait offert un dédicacé, histoire qu’elle ne puisse pas s’en plaindre après des mois. « Mon nom est pas à Times Square non plus, tu sais, c’est relatif. » Et bien sûr qu’il aurait aimé voir son nom à New York, évidemment, mais les retombées du film sont bien moindres et il ne se retrouve pas affiché sur toutes les devantures de cinéma comme pourrait le penser Norah en cet instant. Il est à l’affiche d’un film, oui, mais ce qui en est de la qualité de ce dernier, cela reste à revoir.

Face à toute l’énergie que déploie la jeune femme à ses côtés, il se contente de sourire avec amusement et la laisser commander en première sa pizza, avant de s’avancer à son tour et en profiter pour payer, comme promis. « Sinon, ça se passe bien avec ta dulcinée ? » Leur couple traverse encore des moments difficiles, parfois, mais il a à cœur de penser que le plus difficile est derrière eux et qu’ils ne connaîtront plus des crises comme il en a jusque-là été question. « Tu l’adorerais. » Il avance sans y réfléchir à deux fois, sans doute un peu biaisé dans son avis. Il aime Evelyn alors oui, évidemment qu’il pense qu’on ne peut que l’apprécier. « Ça se passe bien. On trouve notre routine. » Ils habitent ensemble depuis quelques petits mois maintenant et Rhett n’a jamais été aussi heureux. Il passe sous silence leur désir de devenir parents, notamment parce que le dernier et seul test de grossesse est revenu négatif, mais ça aussi ça le rend heureux. « Je dois te retourner la question ? » Il ose demander à son tour, lèvres pincées tant il sait que le sujet peut être difficile à aborder pour des personnes de son âge.

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Le sujet des relations familiales n’était pas de ceux qu’elle aimait aborder. En revanche, Norah savait qu’avec Rhett elle serait en mesure d’évoquer le climat actuel sans ressentir une quelconque pression, sans que l’angoisse finisse par la submerger. Elle se demandait, parfois, quand est-ce qu’elle parviendrait à s’en défaire. Non pas qu’elle soit dans le déni, bien au contraire, elle savait très bien qu’elle n’allait pas bien. Encore fallait-il qu’elle veuille et qu’elle accepte de l’aide de ce côté-ci. « T’inquiètes pas. C’est quitte ou double avec lui de toute manière. Soit il te parlera pas de moi – beaucoup trop intéressé par tes dernières péripéties et c’est normal –, soit ça va se transformer en interrogatoire et il voudra savoir au mot près ce qu’on s’est dit. » Elle pouffa un rire, elle connaissait très bien – voire trop bien – son père, si bien qu’elle pouvait correctement estimer ses réactions avant même qu’elles ne se produisent. « Comment va ta famille ? J’espère pas aussi dérangée que la mienne. », disait-elle non sans tendresse. Elle aimait profondément les siens et c’est sûrement pour cela que ces soucis la tracassaient autant.

« Disons que je me ferme aucune porte. C’est vrai que j’ai hâte que ça se termine, mais d’un autre côté c’est tellement intéressant que j’ai dû mal à me détacher des textes. Par exemple, j’ai lu qu’un juge a statué qu’une intelligence artificielle pouvait être considérée comme un inventeur à part entière. C’est complétement dingue ! » Un sourire sur son visage, elle calma son élan d’enthousiasme lorsqu’ils commençaient à parler du fameux livre de Rhett. « J’avais de l’argent à perdre et puis un trou dans ma bibliothèque. » Regard taquin, elle ricana avant de reprendre. « C’est ma manière de te soutenir ! Surtout que je pouvais pas trop être présente, avec les cours. » Une mine désolée, pourtant elle savait qu’il était au courant et qu’il comprendrait. Plus le temps passe et plus Norah se rendait compte des sacrifices qu’elle faisait pour son cursus universitaire. « Oui mais pas tout le monde a la chance dans sa vie d’avoir son nom sur une affiche. Times Square c’est juste l’étape d’après. » Si son ton était blagueur, elle était persuadée que voir grand n’avait rien de présomptueux et qu’il était important d’avoir de l’ambition. « Times Square t’intéresserait ? » A voir si cela concordait avec ses propres envies, ses rêves.

Une fois assis à une table, un tout autre sujet fut amorcé par l’étudiante en droit. « Trop bien ! J’espère la rencontrer un jour. » Heureuse qu’il ait trouvé son équilibre, elle était sûre que son père voudra connaître tous les détails une fois qu’ils se verraient. La principale différence entre Norah et son père est qu’elle était beaucoup moins intrusive, avait plus de tact. « Elle te suit quand tu fais des déplacements ? » Elle se doutait que cela ne devait pas être évident lorsque l’un, pour des raisons professionnelles, devait parcourir le pays et laissait l’autre quelques jours. Un peu surprise que la question lui soit retournée, elle ne quittait pas son sourire pour autant. « De mon côté c’est aussi aride que la désert australien. Après, c’est comme le reste, ça ne peut pas changer si je n’y accorde pas du temps. » Bien qu’elle le savait au fond, se l’entendre dire avait l’effet d’une aiguille sur la poitrine. Affectée sans pour autant être fataliste, elle se laissait encore le temps de trouver une personne qui lui correspondrait. Alors investis dans leurs conversations, le pizzaïolo se présenta à leur table pour leur amener leur commande, au moment même où son ventre s’apprêtait à crier famine.

« T’inquiètes pas. C’est quitte ou double avec lui de toute manière. Soit il te parlera pas de moi – beaucoup trop intéressé par tes dernières péripéties et c’est normal –, soit ça va se transformer en interrogatoire et il voudra savoir au mot près ce qu’on s’est dit. » En réalité, Rhett est surtout soulagé que Norah soit capable d’en rire. De son côté, il connait sa chance à l’idée d’avoir grandi entouré de parents stables et soudés, qui n’ont jamais fait autre chose que pousser leurs enfants à aller au bout de leurs rêves et de leurs ambitions. Si tel n’avait pas été le cas, il y a fort à parier qu’il ne serait jamais devenu la figure du sport qu’il est (était). « Comment va ta famille ? J’espère pas aussi dérangée que la mienne. » - « Ruben s’est marié. » Il commente dans un sourire presque sincère, passant volontairement sous silence qu’il trompe sa femme avec tout le voisinage. C’est une chose dont il lui tient bien assez rigueur à titre personnel pour que cela ne prenne pas le pas sur la vision que les autres ont de lui. Tout ce qu’il espère, c’est que sa femme l’apprendra assez tôt et arrivera à le pardonner, ou bien qu’elle ne l’apprenne jamais ô grand jamais. « Tu sais, je pense juste que ton père essaie de trouver un juste milieu. » Dans la relation qu’il tente d’entretenir avec sa fille. De savoir s’il y arrive ou non, ça, c’est une autre question - et si jamais on demandait son avis à Rhett, il dirait sûrement qu’il n’y arrive pas vraiment, il faut bien l’avouer. Il a simplement de la chance que Norah soit une gamine équilibrée, ce qui n’est pas arrivé grâce à lui.

Il se retient de ne pas rire complètement lorsqu’elle lui parle de ce qu’elle apprend à l’université et bien qu’il comprenne effectivement l’importance de ce genre de précédents, il n’arrive pas à se dire que pour certaines personnes, cela relève d’une véritable passion que de s’informer de tels sujets. L’université n’a été qu’une obligation pour lui, et il ne le cache pas. « Times Square t’intéresserait ? » - « Évidemment. » Il rétorque dans un sourire, lui qui est attiré par la moindre source d’attention comme les vampires le sont par le sang. En réalité, il se demande surtout comment il pourrait atterrir à Times Squares maintenant qu’il a dépassé l’âge de péremption pour le sport et que son film ne connaîtra jamais de telles ambitions. Il lui faudra peut-être trouver autre chose, au final. Il faut aussi avouer qu’il n’est pas du genre à avoir mille cordes à son arc non plus. « Ça t'intéresserait pas, toi ? » qu’il demande en retour, réellement curieux de découvrir la réponse qu’une jeune femme de son âge pourrait avoir.

Quand le sujet dévie de la célébrité vers son couple, il se demande pendant un instant ce à quoi il accorde le plus d’importance. Et si son amour porté à Evelyn n’est pas un seul instant remis en question, il est aussi le premier à reconnaître qu’il aime quand même vraiment bien tout ce qui se rapporte à la popularité. « Elle te suit quand tu fais des déplacements ? » Il marque la négation de ses mouvements de tête. « Elle a un travail très prenant. » Cela lui arrive de se libérer parfois mais ce n’est pas le cas la majorité du temps. Il ne voudrait de toute façon pas que cela le soit, parce qu’elle a son propre travail et sa propre vie et qu’il ne voudrait pas qu’elle se retrouve à le suivre partout et nulle part. « De mon côté c’est aussi aride que la désert australien. Après, c’est comme le reste, ça ne peut pas changer si je n’y accorde pas du temps. » Amusé par la comparaison, il se contente dans un premier temps d’en rire. « Mais ça t’intéresse ? Parce que tu sais, c’est pas une obligation. » Il se retient de passer pour un vieux con en lui précisant qu’elle a le temps, mais en réalité il n’en pense pas moins. « On peut manger une part de pizza de plus pour ton célibat. » Elle a beau avoir l’âge de trinquer, il la considère toujours comme une enfant et la traite malgré lui comme tel. Mais ça aussi, il est convaincu que cela finira par changer et évoluer.

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Quand bien même Norah connaissait son père, en parler avec un ami commun lui permettrait certainement de voir les choses sous un nouvel angle. Il est vrai que les ressentis de l’étudiante en droit, par le prisme familial, pouvaient être biaisés et elle se contentait souvent des interprétations qu’elle avait l’habitude de faire : son père est occupé, il n’est pas aussi présent qu’elle le souhaiterait, il lui impose des choses – aussi bénéfiques soient-elles – depuis qu’elle est petite, elle n’aime pas ça, elle a besoin de prendre de la distance. Une succession qui faisait sens dans sa tête, mais peut-être pas pour les interlocuteurs à qui elle daigne en parler. Pour autant, elle entendait ce que Rhett lui expliquait. Après tout, il était bien placé pour supposer la manière dont le père Sawyer réfléchissait. Acquiesçant à ses propos, elle pinça ses lèvres avant de lui répondre. « J’imagine que ça ne doit pas être évident pour lui non plus, en effet. Mais ça n’excuse pas le fait qu’il ne me consulte jamais. T’aimerais qu’on te dise quoi faire, à quel moment, avec qui ? » Lui laissant l’occasion de répondre, elle reprendrait aussitôt. « Pas grand monde je pense. Sauf mes aînés. » Elle pouffa un rire, une pique plutôt facile mais qui marchait toujours parce qu’au fond, elle était vraie.

« Voilà ! Ca c’est une mentalité de champion ! » Un coup de coude pour mimer ce qu’elle pense être une interaction entre athlètes après une bonne action – référence à la carrière de Rhett alors que ses connaissances en rugby étaient très limitées – elle n’en pensait pas moins. Times Square était sûrement l’une des plus belles vitrines au vu de sa fréquentation. Elle, qui avait pu pendant son adolescence voyager avec sa famille et en l’occurrence à New York, savait à quel point les panneaux et les écrans du quartier étaient importants, d’autant plus pour les artistes. Elle fut pour le coup surprise que la question lui revienne mais amusée, elle répondit avec honnêteté. « Bien sûr que ça m’intéresserait. » S’imaginer sur un grand écran au pied d’un building américain lui plaisait plutôt bien, mais encore fallait-il y parvenir. Néanmoins, cette idée vint entrouvrir un sujet qu’elle garde secret depuis quelques temps maintenant. « D’ailleurs, je ne t’ai jamais demandé, comment tu fais pour gérer ta notoriété ? » S’il devait y avoir une différence entre le moment où il était sportif professionnel et maintenant, Rhett devait certainement avoir plusieurs anecdotes à ce sujet, qu’elle prendrait comme des repères ou même des conseils.

Intriguée maintenant que le sujet de sa compagne a été amorcé, elle se demandait à quel point ils devaient s’organiser avec leurs emplois du temps respectifs. « Et vous arrivez quand même à vous voir souvent ? » Cela ne devait pas être évident mais elle se doutait qu’ils y arrivaient. En revanche, pour ce qui était de sa propre situation, Norah était bien loin de la notion d’équilibre. « Je veux pas être une vieille dame aux chats, forcément que j’en ai envie. » Grimaçant à sa remarque, elle était excessive, elle savait pertinemment qu’elle avait encore le temps de trouver la bonne personne, comme lui avait pu la trouver. La dernière parole de son interlocuteur la fit rire, oubliant presque qu’ils étaient là pour manger. « Ne me donne pas l’idée de manger de la pizza à chaque fois que je pense à ça. » Blaguant à son tour, elle s’amusait de la situation. Elle n’y pensait pas tant que ça en réalité, même si cela devenait de plus en plus récurrent.