Médiathèque de Brisbane. w/  @Olive Sterling

Norah a toujours eu une appétence pour les arts, et ce depuis qu’elle était enfant. Issue d’une famille aisée, elle avait eu la chance de pouvoir profiter d’un large panel culturel, touchant un peu à toutes les branches artistiques. Parmi ces dernières, quelques unes avaient su attiser l’attention de la petite Sawyer. Haute comme trois pommes, elle tirait sur la robe de sa mère pour qu’elle lui installe son kit de peinture sur la table de salle à manger. Si ses premières œuvres étaient approximatives et très figuratives, plus le temps passait et plus elle se débrouillait avec un pinceau. Plus tard, elle se découvrait une passion pour les arts de l’écran dans leur ensemble, entre autres le cinéma et les séries. Fascinée par toutes les manières de capturer un moment marquant, qu’elles soient statiques comme pour la peinture ou dynamiques avec les vidéos, Norah se demandait où étaient les limites. Cependant, malgré un certain potentiel et une curiosité débordante, elle sentait que, dans sa famille, l’art n’était qu’un passe-temps, au mieux un loisir et pas du tout une chose sur laquelle il fallait se concentrer trop longtemps. Toute son énergie devait être dirigée vers ses études et plus tard sur sa carrière, pour réussir sa vie. Alors, se sentant réprimée, la jeune Norah suivait la direction de ses géniteurs et reléguait la peinture et ses autres passions au second plan. Jusqu’à sa majorité et le moment où elle quitta le foyer familial pour entrer à l’université. Loin de l’influence parentale, elle retrouvait son goût de l’art et repratiquait dans son temps libre. Elle acheta un chevalet, commanda des toiles de temps à autre et se lança dans le podcast et même sur YouTube. Tout cela sans en parler véritablement à ses amis ni à sa famille et continuant à suivre la route tracée par cette dernière.

S’il y a bien quelque chose qui l’a suivie de sa jeunesse jusqu’à maintenant, c’est bien les livres. C’était une des seules occupations qu’elle pouvait avoir sans recevoir de remarques, la lecture étant nécessaire dans ses études. Les livres restaient un moyen pour Norah de s’évader et justement s’informer sur des domaines qu’elle apprécie et qu’elle aimerait connaître un peu plus. Si elle commence à être habituée à lire les codes et autres référentiels juridiques de par ses études, elle diversifie petit à petit ses lectures grâce à son abonnement à la médiathèque de Brisbane. C’est son rendez-vous du samedi avant de faire quelques courses au magasin, elle se laisse un moment pour errer dans les rayons de la bibliothèque et prendre un livre qui aura réussi à piquer sa curiosité. Elle se laisse facilement tenter par l’aile des ouvrages artistiques, même si elle ne dit jamais non à un polar ou même un thriller. Norah se baladait au milieu des rangés de livres, les regardait avec des yeux émerveillés. Elle retrouvait cette sensation d’antan, quand elle avait découvert pour la première fois le pinceau. Elle se sentit presque automatiquement attirée par les livres de peinture, estomaquée par la quantité d’ouvrages dédiés à cette thématique. En même temps, il y avait tellement de styles et de techniques différentes. Elle vient poser ses doigts sur la tranche d’un livre nommé « L’aquarelle pas à pas », peinant à l’extirper des autres livres qui l’encadrent. Agacée, elle force un peu plus pour finalement l’attraper, faisant trembler l’étagère sur laquelle il se trouvait. Aussitôt, un bruit sourd se fait entendre, venant de l’autre côté du meuble. Contournant la bibliothèque, elle aperçoit un livre aux pieds d’une femme. Elle comprit de suite que c’est elle qui a fait chuté le livre il y a quelques secondes. « Vraiment désolée, tout va bien ? », dit-elle, espérant qu’aucun dégât n’ait été fait.

Strategy sets the scene for the tale
 @Norah Sawyer  ☆ crédit/ sidearthgifs

Peu à peu Olive Sterling reprend goût à ces petites choses qui font du quotidien un plaisir. Pendant quelques années, elle avait eu l'impression de perdre toute appétence pour les activités extérieures. Préférant ainsi le confort de son foyer que la foule extérieure. Refusant même parfois de sortir le nez dehors de la journée par peur d'affronter le monde. Avec le temps et la solitude, Olive n'était devenue que le reflet d'une loque humaine incapable de faire quoi que ce soit que de broyer du noir. Mais peu à peu et à force d'un bon coup de pied aux fesses, Olive avait repris la volonté nécessaire à ne plus se laisser abattre. A faire de sa faiblesse, une vraie force, mais surtout à retrouver un semblant de normalité en osant accepter l'extérieur. C'était pour l'une de ses nombreuses raisons que la jeune Sterling était en route pour la librairie de Logan City. C'était un après-midi agréable qui promettait de l'être aussi pour la jeune femme. Le coeur battant la chamade, Olive traversa les rues paisibles à la recherche de son point d’atterrissage. Ce n'était pas encore évident d'être totalement à l'aise avec ce qui l'entoure, mais Olive avait au moins l'espoir de pouvoir s'en sortir sans trop de mal. Cela n'avait pas toujours été elle de toute évidence, pendant longtemps, elle avait trouvé du réconfort dans un environnement extérieur, passant même des journées entières à potasser ses cours de médecine sous l'ombre d'un arbre. Sans trop savoir ce qui avait chamboulé cette envie de voir le monde, Olive avait été découragé par le simple fait de répondre aux questions des autres, parce qu'au fond, elle-même n'avait pas toujours les réponses adéquats. Pire encore, elle passait bien trop de temps à mentir et à définir une vie qui n'était et qui ne deviendrait jamais la sienne, et tout cela, elle en avait assez. Alors oui, il avait été plus facile de se cacher.

La librairie lui offrait la cachette nécessaire pour être avec du monde tout en restant dans son coin, dans un silence rassurant. Cet endroit avait le don d'être apaisant pour elle, ce qui était clairement un plus dans ces temps troubles. Si cela ne lui faisait pas tant peur, Olive pourrait passer des heures et des heures à parcourir les étales à la recherche du roman qui pourrait faire chavirer son cœur.  Tentant tant bien que mal de ne pas longer les murs pour se faire discrète, Olive Sterling se dirigea vers sa partie favorite de la librairie, parcourant les étalages emplis d'amour et d'aventure à la recherche de la perle rare qui occuperait ses pensées pendant un petit temps. La lecture, c'était un moyen simple et concret d'évasion. Un moyen de voir le monde différemment avec sa seule imagination. Voilà un monde qui lui convenait parfaitement, où elle pouvait être qui elle voulait sans rendre de compte à personne, et surtout pas à papa et maman. C'était parfait et même idéale. Olive continuait de passer d'étales en étales, ne sachant trop sur quoi elle jetterait son dévolu. Cela viendrait, elle savait qu'à un moment ou un autre ce serait le bon. C'est un peu comme découvrir son âme-sœur finalement, mais à travers les mots. Passant son doigt sur la tranche de chaque ouvrage. Avec un temps de retard, elle entend le bruit sourd d'un livre qui tombe à terre, n'ayant pas réaliser qu'il venait de l'autre coté de sa propre rangée, trop fascinée parce qu'elle cherchait. L'Australienne tend la main pour ramasser l'ouvrage avant qu'une voix ne surgisse dans son dos la faisant sursauter. « Vraiment désolée, tout va bien ? » La jeune femme observe le livre, puis la nouvelle venue. « Plus de peur, que de mal. » Le livre n'avait aucune égratignure et elle non-plus. « Merci de vous inquiétez, et pardon pour le dérangement, j'ai du faire un faux-mouvement sans m'en rendre compte. » Ou peut-être qu'elle n'y était pour rien, à vrai dire, elle n'avait pas fait attention et étant de nature maladroite, cela était sûrement une mauvaise volonté de sa part. Au moins, personne n'était blessée.

Médiathèque de Brisbane. w/  @Olive Sterling

Norah craignait être l’origine d’un accident, en l’occurrence un accident dont l’arme du crime n’était autre qu’un simple livre. Une destinée tragique vraiment triste quand on y pense, presque ridicule. Il arrivait qu’elle se pose ce genre de questions. Est-ce que des gens sont déjà morts n ayant fait telle ou telle chose. Elle se souvenait d’une après-midi de vacances où toute sa fratrie était réunie autour d’une table pour jouer à un jeu. Un jeu sordide où chacun leur tour, il devait donner une cause de mort complètement stupide. S’il y avait des jeux beaucoup plus instructifs et passionnants que celui-ci, il aurait au moins eu le bénéfice de tous les occuper et de les faire passer un bon moment. Ce type de moment familial qui se faisait de plus en plus rare. Ce souvenir la traversa presque automatiquement lorsqu’elle entendit le livre tomber au sol. Peut-être que c’était elle, autour de la table, qui avait énoncé cette situation. Peut-être que c’est grâce à celle-ci qu’elle avait gagné la partie, d’où le fait qu’elle s’en souvienne si bien.

Ses pensées étaient tout aussi agitées que son corps, dirigée vers la source du bruit de l’autre côté de la rangée de livres où elle avait fait sa trouvaille. Dans un premier temps, elle fut soulagée de ne pas voir une personne – ou même plusieurs – à terre ou blessée. Elle ne vit qu’une jeune femme, toujours debout, quasi impassible vis-à-vis de ce qui venait de se passer. C’est plutôt l’étudiante en droit qui venait la déranger puisque sa prochaine interlocutrice sursauta lorsqu’elle vint lui demander comme elle allait. « Désolée de vous avoir fait peur, aussi. » Norah paraissait affolée, enchainait les maladresses. « Plus de peur, que de mal. » Si Norah semblait soulagée dans un premier temps, elle réitéra, par précaution. « Vous êtes sûre ? » Norah avait conscience qu’il y avait des blessures qu’on ne pouvait voir à l’œil nu. Peut-être que le livre lui était tombé sur la tête et qu’elle n’était plus lucide ? Ou peut-être qu’elle lisait beaucoup trop d’histoires farfelues sur les réseaux sociaux, ce qui est sûrement la plus probable des raisons. « Merci de vous inquiétez, et pardon pour le dérangement, j'ai du faire un faux-mouvement sans m'en rendre compte. » Elle sourit, soulagée de tomber sur une personne aimable et pas une qui aurait pu mal réagir. Malgré tout, elle lui répondit, sachant pertinemment que tout cela était arrivé par sa faute. « Oh non, c’est moi. Je voulais prendre un livre de l’autre côté et il était coincé entre deux autres. J’ai dû forcer un peu trop fort et ça a fait tomber ce livre de votre côté à vous. » Elle serra l’ouvrage sur les aquarelles dans ses bras, un peu gênée maintenant qu’elle exposait la vérité sur l’événement. Pourtant, elle évita les blancs, pour éviter le malaise général. « Pour me faire pardonner, je pourrais peut-être vous aider ou vous conseiller ? Je ne travaille pas ici mais j’ai l’habitude de venir, du coup je connais plutôt bien la boutique ! Vous cherchez un livre ou un genre en particulier ? » Si elle était assez maladroite, Norah avait le dialogue facile avec autrui et avait une réelle faculté à retomber sur ses pattes. Des qualités qui parviennent à compenser ce défaut.