The burden of a father's unspoken truth -- @Charlotte McKinley

Vingt-quatre ans que Leroy anticipait ce moment, celui où il rencontrerait enfin sa fille Charlotte pour la première fois. Un événement qu'il n'avait pas cru possible étant donné les milliers de kilomètres qui les séparaient jusqu'à récemment, à cause de son père Desmond qui ne lui avait jamais laissé le choix en l'arrachant à son Angleterre natale pour être certain que son fils n’aurait aucun contact avec son enfant. L'aîné des Kearns aurait très bien pu agir à sa guise en reprenant contact avec Eleanor après avoir acquis son indépendance. Cependant, il était tellement enfoncé dans son mensonge qu'il continua sa vie comme si de rien n'était, persuadé de toute manière qu'il n'était plus le bienvenu, surtout considérant qu'il n'avait jamais reçu de réponse à sa dernière lettre. Naïf, Leroy ne s’était pas douté une seule seconde que son père avait pu intercepter son courrier, même après avoir vu ce dont il était capable pour obtenir ce qu’il désirait. Comme un imbécile, l’adolescent avait même promis qu’il ne parlerait jamais de son secret et il avait réussi à tenir sa parole, à l’exception peut-être d’Emma à qui il s’était ouvert à peine arrivé à Brisbane. La visite impromptue d’Eleanor au Jazz Club lui avait fait réaliser que son secret risquait d’être déterré de façon imminente et le quarantenaire redoutait les répercussions, notamment parmi sa fratrie qui ne se doutait de rien. Avide de contrôle, le Kearns était venu à la conclusion que la seule façon de contrôler les dommages était de prendre les devants en allant vers Charlotte plutôt que d’attendre qu’elle le fasse. Il mit son plan à exécution en cherchant la jeune femme sur les réseaux sociaux pour en apprendre le plus que possible à son sujet et c’était donc ainsi qu’il avait appris qu’elle travaillait à la librairie à proximité de l’université.

Le cœur au bord des lèvres, Leroy demeura un long moment assis dans sa voiture en fixant la porte de la librairie un peu plus loin. Charlotte était là, il le savait, il l’avait vue entrer un peu plus tôt. Depuis, il repoussait le moment de lui adresser la parole parce qu’il n’arrivait pas à décider ce qu’il allait lui dire. « Charlotte, je suis ton père. » dit-il en se regardant dans le rétroviseur sans pouvoir s’empêcher de penser à Darth Vader. T’es ridicule, regarde-toi. Il se donna quelques tapes dans le visage pour se donner du courage, puis il sortit de sa voiture, la peur au ventre. Sans adresser un regard à personne, il pénétra dans la librairie avant de se diriger vers une étagère au hasard par-dessus laquelle il pouvait observer la jeune femme un peu plus loin qui discutait avec un collègue ou peut-être un client. Pour la première fois, il entendit sa voix qui n’avait évidemment rien à voir avec celle d’une gamine, ce qui ne faisait que lui rappeler un peu plus toutes les étapes de sa vie qu’il avait manquées. Il tenta d’imaginer sa personnalité en saisissant entre ses doigts un livre sans même se rendre compte qu’il le tenait à l’envers. Au bout de quelques minutes, Charlotte tourna la tête dans sa direction et le cœur de Leroy manqua un battement lorsque leurs regards se croisèrent. Il songea alors à fuir comme il savait si bien le faire, mais elle s’approcha de lui avec un grand sourire aux lèvres. « Bonjour. Est-ce que je peux vous aider? » Il ouvrit la bouche, mais la referma aussitôt sans prononcer le moindre mot, n’émettant que quelques bruits qui témoignaient de son hésitation. « Vous cherchez quelque chose en particulier? » Il baissa la tête tandis qu’il déposait sur la tablette le livre qu’il tenait jusqu’alors entre ses doigts. « Hmmmm… je cherche un livre. » No shit. « Pour ma sœur. Elle aime beaucoup lire. » C’était faux, mais peu importe. « D’accord. Quel type de livre aime votre sœur? » Ça, c’était une excellente question. Les lèvres pincées, Leroy regarda autour de lui en espérant s’inspirer des différentes sections de la librairie. « Je ne sais pas… Le genre de livres qui raconte une histoire? » répondit-il en se grattant la tempe du bout des doigts en riant nerveusement, espérant qu’elle ne soulèvera pas trop son accent anglais dont il ne s’était jamais complètement débarrassé. Ce n’était pas vraiment l’introduction qu’il avait imaginée, mais il allait devoir faire avec.

@Leroy Kearns

Son cours terminé, Charlotte s’était précipitée à la librairie par crainte d’être en retard. En temps normal, elle serait passée chez elle, mais son professeur voulait s’entretenir avec elle sur son sujet de recherche et lui recommander quelques lectures pertinentes et cela avait pris plus de temps que prévu. « Je suis en retard? » Son collègue Huntley, occupé à classer des retours de livre sur un chariot, leva les yeux de sa tâche pour regarder l’heure à l’écran de l’ordinateur. « Non, tu as même 2 minutes d’avance, félicitations. » Charlotte sourit. « Désolée, j’ai été retenu après mon cours. Je reviens. » Elle alla porter son sac dans l’espace des employés et revint donner un coup de main à son collègue. Techniquement, elle n’avait pas besoin de travailler, elle profitait de bourses d’étude et des prêts qui couvraient ses dépenses en plus de ses frais de scolarité. Cela étant dit, son statut d’étudiante étrangère lui permettait d’avoir un petit travail à temps partiel et elle aimait l’idée d’avoir une source de revenu, même si ça ne représentait pas grand-chose dans l’absolue. En plus, cette librairie était un endroit à faire rêver avec ses étagères en bois, ses échelles et ses livres anciens. Parfois elle se demandait si elle ne devrait pas être libraire plutôt que de poursuivre en droit international, mais après toutes ces années d’études, ça paraissait être une perte de temps monstrueuse.

Son travail consistait à aider les gens dans leurs recherches et à replacer les livres après leur consultation. Rien de bien difficile, même s’il lui arrivait de tomber sur des clients un peu particuliers, voir des gens sans aucun respect pour les livres. « Regarde ce qu’il y avait dans la boîte de retour, un livre noyé dans le café. » Charlotte montra le livre aux pages gondolées à Huntley qui grimaça. « Tu es certaine que c’est du café. J’ai un oncle qui a travaillé comme facteur qui m’a raconté qu’un jour il avait ouvert une boîte aux lettres pour en récupérer le contenu pour réaliser que quelqu’un s’en était servi comme urinoir. » Charlotte laissa tomber le livre et s’essuya les mains sur ses jeans. « Je suis presque certaine d’avoir déjà vu quelqu’un faire la même chose à la sortie des pubs. Beurk. » Elle se pencha pour récupérer le livre et le renifla avec précaution. « À l’odeur, je suis certaine que c’est du café. » Elle le mit de côté. Malheureusement, sa carrière en tant que livre de bibliothèque était terminée.

Ils travaillèrent ensemble pendant un moment quand tout à coup, Huntley souffla entre ses dents. « Ne te retourne pas. Il y a un mec creepy qui te regarde depuis tantôt. » Charlotte fit mine de vouloir se retourner. « Ne te retourne pas, j’ai dit! Il est juste derrière toi. Ça fait trois fois qu’il passe dans la même rangée et chaque fois, il te regarde. Il n’est pas très discret. » La jeune femme fronça les sourcils, visiblement agacée. « Il a l’air de quoi? » Huntley pinça les lèvres. « Plutôt bel homme, pour être franc, mais ça ne veut rien dire. Tu peux avoir une gueule de mannequin et quand même être un tueur en série. » Cette fois, Charlotte s’esclaffa. « Tu lis beaucoup trop de romans policiers. » Huntley sourit. « Sans doute. Tu veux le distraire pendant que je passe par-derrière pour l’assommer avec un dictionnaire? » « Ça ne sera pas nécessaire, je sais me défendre. » Charlotte se retourna en faisant mine de faire quelque chose et quand l’homme s’approcha, elle leva les yeux pour le regarder et vint à sa rencontre.

Apparemment, il ne s’attendait pas à être abordé aussi directement. Il disait venir chercher un livre pour sa sœur sans avoir la moindre idée de ce qu’elle désirait. Un livre qui raconte une histoire… Charlotte aurait pu rire, mais elle se contenta de sourire. « Tous les livres racontent une histoire et ce n’est pas ça qui manque ici. Est-ce que vous savez si elle aime les faits vécus ou, au contraire, les histoires fantastiques? » D’un signe de tête, elle l’invita à la suivre à travers les différents rayons de la bibliothèque. « Nous avons tous les grands classiques de la littérature, mais on trouve aussi les romans les plus récents. J’ai lu dernièrement la biographie d’un journaliste qui a fait sa carrière en couvrant les grands conflits armés des dernières décennies. Très intéressant alors que d’habitude je suis plutôt du type romans fantastiques et sagas épiques. » Charlotte avait bien remarqué l’accent dans la voix de l’homme, mais il était loin d’être aussi prononcé que le sien et comme elle n’était pas familière avec les différentes nuances de l’accent australien, pour elle, il devait simplement venir d’une autre région.