Tu te réveilles en sursaut lorsque tu reçoit une bouteille en plein sur l'estomac. En plus d'être surprise par le geste d'une violence démesurée pour une heure si précoce, ça fait sacrément mal. « Sans déconner, tu veux pas sortir aujourd'hui ? » c'est à peine si tu lèves les yeux vers ton frangin qui s’affaire à se préparer pour aller bosser pendant que toi... Toi t'es là, le cul posé sur son canapé, dans son appartement que tu squattes allégrement. Tu soupires, sérieusement il va pas s'y mettre lui aussi ? C'est déjà assez pénible d'être là, il a clairement pas besoin d'en rajouter une couche en se montrant moralisateur. « Ouais peut-être ouais. » Meh. Tu l'entends marmonner un truc en s'éloignant et en sortant de chez lui. La porte se ferme, le silence retombe. Avec tous les efforts que ça implique (beaucoup trop), tu prends ton téléphone pour regarder l'heure. 8H12. Duh, il est encore vachement tôt pourtant...

Tu tournes la tête vers ton chien qui te baille à la gueule en s'étirant. Tu ricanes en grimaçant et tu finis par prendre ton courage à deux mains. Objectif de la journée, se doucher puis sortir déjeuner avec Kalden. Au moins lui ne juge pas. Il se contente d'apprécier ce qu'il a et ce qu'on lui donne et de vivre sa meilleure vie. Quelle chance putain.

Une bonne heure plus tard, vous êtes en route vers le parc. Il fait beau, les oiseaux chantent, ton chien gambade. Et pourtant... Pourtant, le cœur n'y est pas vraiment. Tu flânes mais t'as déjà envie de rentrer pour t'avachir sur le canapé et d'y rester pour le restant de tes jours. Ou au moins jusqu'à demain. Ou ouais nan, le restant de tes jours c'est bien en fait. Tu détaches la laisse de ton animal pour qu'il puisse gambader un peu. Affichant un léger sourire, tu sors son frisbee. A sa vue, Kalden se met à tourner en rond autour de toi, aboyant joyeusement et secouant la queue. Avec force (enfin pas trop non plus vu ta carrure faut pas déconner), tu lances le jouet que le husky s'empresse de poursuivre, l'attrapant une première fois en plein vol. Il le ramène, tout fier de lui et de sa belle prise. Vous répétez le processus encore une bonne dizaine de fois. Parfois, ça reste amusant de le feinter, ce gros nigaud mord à l'appât à chaque fois.

Étrangement, il met un peu plus de temps à revenir cette fois. Tu fronces les sourcils et fixe l'endroit où il est parti. Et c'est là que tu le vois revenir, clopin-clopant, la patte avant ramenée contre son poitrail. C'est la panique. Tu sprintes vers l'animal -manquant de te ramasser la tronche par terre au passage- et tu te jettes presque devant lui pour voir ça. Il te regarde en couinant, l'air d'avoir mal. Précautionneusement, histoire d'éviter lui faire plus mal ou peur, tu inspectes ladite patte. Ton taux de panique ne cesse d'augmenter, d'autant plus quand tu vois du sang. Il est en train d'en foutre partout sur ton jean et ton t-shirt mais tu t'en fous. La blessure est une entaille sur son coussinet et t'as l'impression d'y voir quelque chose. Du verre, probablement.

Tu jures entre tes dents alors que Kalden couine toujours. « Ca va aller mon gros. » t'essayes de le rassurer en cherchant le véto le plus proche sur ton téléphone. Seul problème... La batterie est à plat. Du coup tu fais ce que toute personne sensée ferait. Interpeller la première personne qui passe, essayant de cacher au mieux la panique dans ta voix. « Hé, t'as un instant pour m'aider ? J'dois passer un coup d'fil urgent ! » tu lances depuis ton carré d'herbe, espérant ne trop avoir l'air d'une folle furieuse.  

Je devais sortir prendre l’air, profiter du beau temps sans me prendre la tête. Ça devait être un beau moment de repos, un instant de détente rien qu’à moi. Un rencard avec Russo, de ceux dont je n’avais pas pu profiter depuis des lustres. L’après-midi parfait sous un ciel de rêve. Pourtant les nuages sont arrivés rapidement, recouvrant le bleu me surplombant. Puis la pluie s’est mise à tomber, martelant mon esprit. Je me suis rapidement retrouvée noyée sous la culpabilité. Ça fait combien de jours que je n’ai pas amené Victoria au parc? Deux? Trois? Alors qu’avant, nous y allions tous les matins sans exception. Plutôt que de courir avec mon chien comme la plupart des gens, je m’exerçais en compagnie de la cochonnette, ce qui était plus compliqué que ce qu’on pouvait imaginer. Les cochons sont de vraies têtes de mules et surtout, ils sont un peu plus nerveux. Même si mon accompagnatrice était habituée, il lui arrivait encore de piquer des sprints en direction opposée, désireuse de fuir un danger imaginaire. Cette pensée m’arrache un sourire, arc-en-ciel qui perce la grisaille dans mon esprit masochiste. Je n’ai pas à culpabiliser de penser à moi et pourtant… Je finis par me lever dans un soupire, fourrant mon roman dans mon petit sac-à-dos jaune banane, le seul élément de ma tenue qui n’est pas à la fine pointe de la mode. J’ai beau suivre les catalogues, ce sac ne me quittera jamais. Je replace les bretelles sur mes épaules un peu frêles, puis je me remets en route vers la maison. Tant pis pour le me time, je dois aller chercher mon animal pour la laisser se dégourdir un peu les pattes.

Au bout d’un moment, une voix m’interpelle, le ton autoritaire. Je me retourne subitement, posant mon regard sur une fille d’à peu près mon âge et son chien. Ce dernier est couché au sol. Je ne mets pas longtemps à faire le lien. Mes pas se font plus pressants, se terminent même en course dans les derniers mètres avant de la rejoindre. « Qu’est-ce qui s’est passé? » Je demande une fois à sa hauteur, reconnaissant son visage au même moment. Je suis à peu près certaine qu’il s’agit de Jess, mon ancienne partenaire de chimie. Mais ça remonte à des années, alors je pourrais me tromper. Je remarque que la patte avant droite de son chien est semi-ramenée contre sa poitrine, les muscles complètement relaxés. « Salut mon beau. » Je m’adresse à l’animal sur un ton doux, loin de celui énervé que j’emploie habituellement lorsque je rencontre u nouveau chien. J’approche le revers de ma paume de son museau tranquillement puis, voyant qu’il me donne la permission, je commence à caresser son cou, redescendant doucement vers sa blessure. Je repère aussitôt un bout de verre. C’est bon signe. Si ça avait été un clou ou tout autre morceau de métal rouillé, l’urgence aurait été plus grande. La plaie est droite, aussi. « Ça va aller. Ça me semble superficiel, je devrais pouvoir le retirer tout de suite. » Je m’assoie un peu plus confortablement aux côtés de l’animal, puis je commence à fouiller dans mon sac. Je lance mes deux bandes dessinées un peu plus loin, puis ma trousse de maquillage. Je fais un peu de place pour enfin m’emparer d’une petite trousse de secours que je sors aussi. « Tu t’appelles Jess, pas vrai? » Je finis par demande tout en fouillant dans l’étui, à la recherche de bandage, d’une pince et d’une bouteille de Dermidine. Je prends aussi une gâterie que je lui offre avant de commencer à m’affairer sur la blessure.

La fille que t'as interpellée s'approche d'un pas rapide. Ouf, c'est pas le genre de personne qui fait que passer son chemin et ignorant les suppliques d'une pauvre désespérée dans ton genre. Son visage est étrangement familier, mais dans l'immédiat, toute ton attention est dirigée sur ton pauvre Kalden. Du coup t'y prête pas trop attention. « Qu’est-ce qui s’est passé? » Difficile à dire, t'es pas sûre toi-même, ça peut être plein de trucs. « Il... Il s'est coupé sur un truc, j'ai pas vu quoi- » tu bafouilles, la gorge nouée. Ca te stresse, cette histoire. T'as peur qu'il ai mal, t'as peur que sa blessure soit grave, bref, tu flippes.

La fille lui s'adresse à lui sur un ton apaisant et lui présente sa main pour qu'il la sente. Une fois l'autorisation donnée, elle examine la patte blessée. Elle a l'air de savoir ce qu'elle fait, elle est médecin ? Infirmière peut-être. Ton regard suit chacun de ses mouvements et t'attends le verdict avec une certaine angoisse. Tu le sais pourtant que ça a pas l'air grave, tu l'as vue sa coupure, mais c'est plus fort que toi, tu t'inquiètes pour ton chien. « Ça va aller. Ça me semble superficiel, je devrais pouvoir le retirer tout de suite. » D'un coup, tu te sens mieux, beaucoup mieux. Tu observes la blonde procéder, ta main perdue dans la fourrure du chien pour lui apporter ton soutien (et continuer à te rassurer toi-même, parce qu'au final, t'en a probablement plus besoin que lui). Elle fouille dans son sac et le retourne complètement, balançant ses affaires dans l'herbe. Ah, elle a l'air déterminée en tout cas. « Tu t’appelles Jess, pas vrai? » Ton esprit a déconnecté un instant, trop concentrée sur ce que font les mains de la jeune femme. La question met quelques secondes à arriver jusqu'à ton cerveau et t'as pas tout de suite capté qu'elle te parle à toi et pas au chien.

Ton regard se reconcentre soudainement sur elle, te sortant ainsi de ta torpeur. Tu hoches alors la tête pour affirmer sa question. « Heu, oui, pardon je- Comment tu- » Respire un coup, tu veux ? Tu te redresses en te raclant la gorge, reprenant un peu de contenance. Si tu continues à te comporter comme la dernière des meuf bourrée, elle va juste finir par se barrer et te laisser en plan. Brièvement, tu lui souris et regarde finalement son visage. Effectivement, elle te semble familière. Tu plisses légèrement les yeux et tu fouilles dans ta mémoire. Ca te prend encore quelques secondes, mais tu finis par la remettre. « Oh, Erin, c'est ça ? Ca fait longtemps. » A moins que ça ne soit Eva ? T'as comme un léger doute, vous étiez pas réellement proches quoi. « Désolée, j'ai un peu paniqué... » tu avoues en te massant la nuque en riant nerveusement. Bon, t'as repris un peu de couleurs, surtout maintenant qu'elle s'occupe de la patte blessée de Kalden. Elle est étrangement bien équipée en matériel médical en tout cas. « T'es devenue infirmière ou quelque chose du genre ? En tout cas, merci beaucoup. Tu me sauves la vie... » la question a pour but d'engager la conversation pendant qu'elle soigne l'animal.

De ce que j’ai compris, il s’agit simplement d’un coup de malchance. L’animal a sûrement marché là où il ne fallait pas, ce qui m’enrage au plus au point. Les imbéciles qui ne savent pas jeter leurs détritus convenablement méritent de marcher sur une enfilade de lego tous plus carrés les uns que les autres en plein milieu de la nuit. Cette fois-ci, ce n’était « qu’un chien » -parce que je sais que certains idiots me sortiraient cet argument-, mais ça aurait très bien pu être un bambin. C’est dangereux, surtout dans un endroit aussi public qu’un parc. Et après, ces gens sont les premiers à chialer comme des gosses capricieux, parce qu’un marcheur a oublié un sac en plastique pour ramasser la crotte de son animal. Au moins, le second est biodégradable! Bref. Pour ne pas m’emporter davantage et commencer une manif au milieu du parc, je me concentre sur ma tâche. J’inspecte la patte de l’animal, puis commence à préparer mon matériel pendant que la brune s’emmêle les pinceaux. J’aurais pu rigoler face à sa maladresse si je n’étais pas entrée dans ma bulle. « Oui, c’est ça. On était partenaires en chimie. Tu me faisais toujours rire, en fait, j’aurais pas pu oublier. » Même si je ne t’adressais jamais la parole hors des cours, que j’aurais facilement pu ajouter. « Qui n’aurait pas paniqué? » Si ça avait Victoria –et ça aurait très bien pu l’être, comme je retournais à l’instant la chercher chez moi-, la manifestation serait déjà lancée.

D’une main, je vaporise un peu d’eau désinfectante sur la plaie, puis sur mes pinces. Je retire ensuite le morceau de verre avant d’observer la plaie qui en résulte sous tous ses angles. Elle ne semble pas trop profonde et je ne crois pas qu’il aura besoin de sutures, heureusement. Si ça avait été le cas, j’aurais été forcé de lui poser un garrot et de l’amener à la clinique en urgence. Je nettoie à nouveau la plaie, puis j’enveloppe le bout de verre dans la vase pour pouvoir le jeter plus tard. Je n’ai pas envie qu’un second accident se produise. « Tu disais? » Je demande en décalage, n’ayant pas remarqué qu’elle avait continué de parler. « Ça d’vait pas être important? En tout cas, s’il y a quoi que ce soit, si tu remarques une perte d’appétit, une différence dans les selles, une boiterie ou une apathie anormale, n’hésite pas à m’appeler. » J’offre une seconde gâterie à l’animal, puis je commence à ranger mes affaires, cherchant par la même occasion un crayon et un papier pour lui noter quelques directives. « Merde… Est-ce que t’as une bonne mémoire? » J’en douterais, mais sait-on jamais. Dans le pire des cas, je pourrais lui écrire sur instagram ou un truc du genre. Des Jessalyn, il ne doit pas y en avoir à la pelle dans la région.

A mesure que le temps passe, tu sens les battements de ton cœur se calmer. Tu retrouves une respiration à peu près normale et tu vas finalement pouvoir essayer de passer à autre chose. « Oui, c’est ça. On était partenaires en chimie. Tu me faisais toujours rire, en fait, j’aurais pas pu oublier. » Tu lâches un rire nerveux. Faire rire les gens en classe au lieu de bosser, ça te ressemble bien. Au moins s'ils se souviennent de toi pour cette raison, c'est pas si mal. Du coup, t'acquiesces brièvement en affichant un sourire amusé. En dehors des fameux cours de chimie, vous traîniez pas trop ensemble. Pas du tout, même. Cercles d'amis différents, intérêts divergents, bref. Bien peu de points communs, au final. T'as jamais eu de rancune à son égard. Après tout, aucune raison d'en avoir. A une époque, toi aussi t'aurais bien aimé pouvoir traîner avec les fameux cool kids. Mais ces gens là et toi, c'était deux univers diamétralement opposés. Du coup t'as fait ce que t'as toujours fait. Tu t'en es foutu. Ton chien émet un couinement plaintif et tu reportes ton attention sur lui. « Qui n’aurait pas paniqué? » une nouvelle fois, tu hoches la tête. Erin s'applique dans ses soins et tu ne peux que te montrer admirative d'une telle minutie. T'en es presque sûre à présent, elle bosse dans le corps médical. Ça ou alors elle a juste pris des cours de secourisme. Ce qui du coup, te fais penser que tu devrais en prendre. Un jour où t'auras de l'argent à dépenser. « Merci beaucoup... » t'as pas vraiment les mots pour exprimer ton soulagement et ta gratitude d'être intervenue. Ils font comment les gens en temps normal ? Ils envoie une carte de remerciement ou un truc du genre... ? Ca paraît bien peu.

Tu continue de causer, le seul moyen que t'aies pour extérioriser ta panique d'un peu plus tôt. Elle a l'air plutôt concentrée sur sa tâche et peut-être que ton débit de parole est susceptible de la déconcentrer. Au bout d'un moment tu te tais, tout en continuant d'observer en détail ses moindres faits et gestes. « Tu disais? » Même toi tu te serais pas écoutée. Tu secoues la tête légèrement en agitant une main devant toi pour dire que c'était rien. Du bout des doigts, tu grattes l'arrière de l'oreille de Kalden. « Ça d’vait pas être important? En tout cas, s’il y a quoi que ce soit, si tu remarques une perte d’appétit, une différence dans les selles, une boiterie ou une apathie anormale, n’hésite pas à m’appeler. » T'es impressionnée, y a pas à dire. Elle a fait preuve d'un sang-froid dont t'es complètement incapable. « J'ai plus ton numéro depuis l'temps. » un fait simple, mais du coup essentiel dans ce cas de figure. « Merci encore une fois, tu nous sauves la vie. » T'essayes encore de réfléchir à un moyen de la remercier de son intervention. Un café ou un truc du genre ça pourrait faire l'affaire. « Merde… Est-ce que t’as une bonne mémoire? » Tu te débrouilles en général. T'as pas le choix de toute manière, faut bien que tu retiennes tous tes morceaux de musique. Un sourire confiant s'affiche sur ton visage. « En ce qui le concerne, toujours. » l'animal remue la queue joyeusement. Au moins il a l'air d'aller bien mieux. Du bout du museau, il pousse la main d'Erin, envieux d'avoir une nouvelle gâterie. Maintenant qu'il est hors de danger et que ton petit cœur s'est calmé, tu peux bien plus facilement discuter avec la blonde. « Alors, tu deviens quoi maintenant ? Ca fait un moment. »

Je termine les dernières manœuvres avec délicatesse, prenant soin de ne pas trop brusquer l’animal. Le pauvre doit déjà avoir eu la peur de sa vie, je ne voudrais surtout pas en ajouter une couche. Mon but est, au-delà de sa guérison, qu’il se sente entourée de personnes bienveillantes. J’ai conscience que les chiens sont des animaux assez instinctifs. Je sais que si on ne s’y prend pas assez doucement, ils peuvent réagir à la douleur. Je sais aussi, ou du moins, je suis persuadée, qu’ils sont dotés d’un sixième sens. Ils savent repérer la bonté chez les autres. Les animaux, toutes races confondues, savent faire preuve de plus d’amour, de tendresse et de reconnaissance que quiconque. Il suffit d’avoir la main. C’est ce que toutes mes années d’étude et tous mes stages m’ont permis d’apprendre. Je vérifie une dernière fois mon travail, puis, satisfaite, je commence à ranger mes choses en vitesse avant de me redresser. Je ne m’en étais pas rendue compte sur le coup, mais mes genoux sont complètement bousillés. Je les masse légèrement en reprenant la parole, lui adressant les recommandations pour les prochaines heures. Il va de soi que l’animal devra se reposer et essayer de ne pas trop utiliser sa patte. La brune me fait signe qu’elle a compris, m’informe que sa mémoire est toujours suffisante lorsque ça concerne le berger. Je lui adresse un grand sourire. C’est tout ce que j’avais besoin de savoir, la seule reconnaissance suffisante. L’animal est entre bonnes mains et c’est tout ce qui compte.

« Moi? Je viens de graduer. J’ai bien aimé la fac, j’ai rencontré des gens. J’ai pu continuer le cheerleading un moment, ça m’a fait du bien. Et maintenant, je suis vétérinaire. Enfin… Assistante vétérinaire le temps de faire mes preuves. Je travail au Lone Pine, avec les Koalas. Et toi? Je crois que t’es la première personne que je recroise du lycée, outre Zep. » Sauf que ce dernier est mon meilleur ami d’enfance, ça allait de soi. Y’avait Thomas, mon mari et petit ami du lycée, sauf qu’il est mort. Je ne prends donc pas la peine de le mentionner, préférant éviter les questions le concernant. « Si t’es pas du genre parano avec l’encre, les produits chimiques, le cancer, tout ça… Tu me permets? » Je sors un crayon de mon sac, puis je désigne sa paume de l’autre main. Sans attendre son accord, je tire ses doigts vers moi, puis je commence à tracer quelques numéros sur sa peau. Une fois le boulot terminé, je fronce un peu les sourcils, réalisant la boulette que je viens de commettre. « Bon… C’est à l’envers, mais t’auras qu’à… Enfin. » J’appuie mes paroles d’un mouvement qui manque d’élégance et de gracieuseté, levant mon coude et plaçant ma paume sous mes yeux, les doigts pointés vers le sol, pour illustrer la position peu confortable qui lui permettra de décrypter le message. Maintenant, elle pourra m’appeler si elle a des questions concernant son chien ou si elle souhaite rattraper un peu le temps perdu.

Son parcours explique bien des choses, notamment sa réactivité et sa capacité à soigner un animal au beau milieu d'un parc. La manière dont ses yeux s'illuminent quand elle parle de ses études et de son métier te fait sourire. Elle aime ce qu'elle fait et ça se voit. Les Koalas ont bien de la chance d'avoir quelqu'un d'aussi dévouée pour s'occuper d'eux, surtout après les derniers mois. Et aujourd'hui, c'est toi (enfin surtout Kalden) qui a eu de la chance de tomber sur elle. Sinon... Bein sinon t'aurais porté les vingt-cinq kilos de ton chien jusqu'à la clinique la plus proche, entrant dans le bâtiment d'un grand coup de pied dramatique. Et t'aurais bien entendu payé une fortune pour tous les soins. « T'as l'air d'aimer ça en tout cas. » tu constates alors en continuant distraitement de gratter l'arrière des oreilles du sibérien qui a l'air d'avoir enfin déchargé ses batteries. La blessure a sacrément dû le calmer. « Moi... J'ai suivi un cursus dans le cinéma. J'voulais devenir réalisatrice mais... » tu balayes vaguement l'air d'un geste de main, énonçant l'évidence même par ce simple geste. « Ca a pas marché. » t'es surtout en train de foutre en l'air toutes tes années d'étude en abandonnant aussi facilement. Mais elle a pas besoin de savoir ça pour l'instant. Tout le monde t'a déjà bien assez bassiné avec ça. « Du coup j'cherche un job en ce moment. A l'occasion j'fais du bénévolat dans un refuge pour animaux, avec mon frangin on fait toujours de la musique et... Voilà. » tu te grattes légèrement l'arrière de la nuque. Rien de bien passionnant à vrai dire. Pour éviter de trop s'attarder sur ce qui ne va pas dans ta vie, tu te redresses en souriant. « Hm... J'ai encore quelques contacts du lycée. » Ton ancien groupe de potes, ton jumeau (comme si c'était nécessaire de préciser), et Mira. T'as soudain un espèce de flash. Putain c'est vrai qu'elle traînait avec Erin en fait. Tu sais pas trop comment les deux se sont quittées, tu dois en parler ou pas ? T'as comme un doute. Du coup, tu changes le sujet bien rapidement. « D'ailleurs si tu veux, mon frère et moi on joue régulièrement du côté de Redcliffe. » tu lâches l'info l'air de rien, haussant les épaules. Hé, y a pas de mal à l'autopromotion.

« Si t’es pas du genre parano avec l’encre, les produits chimiques, le cancer, tout ça… Tu me permets? » tu fais non de la tête et tu la regarde noter les info sur ta main. « Bon… C’est à l’envers, mais t’auras qu’à… Enfin. » « Ouais. » tu ris de nouveau en te contorsionnant le bras de manière particulièrement exagérée pour avoir un meilleur angle de vue du numéro. « J't'enverrai un message dès que j'aurai rechargé mon téléphone, on pourra discuter du bon vieux temps à l'occasion. » Bon sauf si elle a pas envie, ce que tu pourrais comprendre. Dans la mesure où vous aviez des centres d'intérêts divergents et des cercles d'amis un peu opposés, c'est pas bien grave. Mais bon, le temps a passé, vous avez mûri (enfin pas trop de ton côté mais c'est une autre histoire), alors pourquoi pas. D'un coup d'oeil à ton poignet, tu inspectes l'heure et tu te rends compte qu'il commence à être tard et que ça va être le moment de rentrer. Tu te redresses et tu ramasses les affaires qu'Erin a éparpillé un peu partout en volant à ton secours. Bien gentiment, tu les lui rends en souriant toujours. « Et je tiens à t'offrir un verre histoire de te remercier proprement. » Elle t'a littéralement sauvé la vie (sans exagération aucune), c'est la moindre des choses que tu puisses faire après tout. Et encore, tu trouves que c'est bien peu comme geste comparé au service qu'elle t'a rendu. « En tout cas, ça m'a fait plaisir de te revoir. Et que tu sois intervenue. » tu parles trop, Jess.

Je n’ai aucun mal à saisir ce qui se cache derrière ses dernières paroles, la suspension bien trop évidente flottant un moment dans l’air. Les études, ce n’est pas pour tout le monde. C’est compliqué, prenant et dispendieux. Le cursus qu’elle a choisi n’est pas simple non plus. Les débouchées sont plus compliquées, le succès est dur à trouver. J’hoche la tête, sentant qu’il n’y a rien de plus à ajouter. Je pourrais lui sortir des paroles pleines de gentillesses, digne des cartes les plus commerciales, mais je préfère m’abstenir. Je m’étalerai davantage sur le sujet si le temps s’y prête à nouveau et si je sens qu’elle a envie d’en parler. « T’en as peut-être pas l’impression présentement, mais t’as de la chance. Tu peux compter sur ton frère, t’as une chance de vivre de ta passion, enfin, je suis certaine que ça viendra, et tu peux passer tes journées entourée de chiens. Sans compter le plus beau qui est toujours à tes côtés. » Je me penche une dernière fois vers son compagnon, caressant énergiquement le dessus de sa tête. Puis je me redresse, réalisant que je m’étais promise de promener Victoria. Elle n’a peut-être pas l’énergie d’un chien, mais elle doit tout de même s’exercer un minimum et je dois, honteusement, reconnaître que je n’ai pas été la plus assidue ces derniers jours.

J’attrape le bras de mon ancienne partenaire de chimie pour tracer quelques numéros dans le creux de sa paume. Elle mentionne me devoir un verre et j’espère qu’elle m’appellera réellement, que ce ne sont pas que des paroles en l’air. La plupart des gens font ce genre de promesses à tout va, puis se laissent rattraper par leur routine. J’en faisais parti jusqu’à la dernière fête avec Zep. « C’est normal, voyons. » J’espère sincèrement que toute personne s’en serait mêlée en voyant un animal en détresse. Si ce n’était pas le cas, c’est que le monde ne tournerait plus rond. « J’attends ton appel, dans ce cas. » Je conclue d’un sourire, puis je m’éloigne d’un pas léger, ravie d’avoir pu me rendre utile malgré cette journée de congé.