J'en ai fait des jeux. Mes pieds qui se chassent l'un l'autre sous les draps sont devenus la seule et unique distraction à laquelle j'ai le droit à chaque jour, autant faire avec. La télévision perchée au mur renvoie les mêmes émissions heure après heure, les mêmes questionnaires pré-enregistrés aux réponses qui se ressemblent, les mêmes séries à l'eau de rose et aux drames édulcorés qui se confondent.

Toujours pas le droit au café, toujours pas le droit de bouger. Ma température a doucement repris des airs de normalité, l'air climatisé de la chambre de repos où ils nous ont installés depuis deux jours déjà rend ma peau aussi glacée qu'elle l'était avant. Tout a repris des consonances d'avant, en vrai. Même ville où je m'endors et me réveille, mêmes couleurs dont je barbouille les pages de mon cahier. Même Auden de qui je sens les prunelles couver mon profil à chaque fois que je détourne le regard vers mes pieds, le gauche toujours plus rapide que le droit.

Tout a repris des consonances d'avant, mais pas tout finalement. Je n'ai plus de sable dans les cheveux, le teint hâlé du Mexique s'en est allé. Ma nuque m'élance encore, celle qui a reçu la piqure d'un moustique dont je ne me rappelle même plus du nom, piqûre qui a causé tout ceci. Les sueurs froides, la fièvre qui s'allongent, le sommeil qui s'amplifie. J'étais terrorisée, y'a à peine une poignée d'heures jusqu'à ce qu'on me dise que tout devrait bien aller pour le bébé. Je le suis encore au final, j'ai juste appris à un peu mieux l'assumer. On attend encore les résultats des tests, mais tout devrait être confirmé ; et ce serait mentir de dire que mes doigts ne se trituraient pas les uns les autres, sous les draps. Que mon souffle était régulier. Que j'étais rassurée. Ça aurait pu mal tourner et ça aurait pu se terminer horriblement et ça aurait été ma faute, juste la mienne, juste à cause de moi et - respire Ginny, tout ira bien.

En attendant, la porte s'entrouvre et c'est Sage qui apparaît. Sage et son sourire communicatif, Sage qui a aujourd'hui par contre un tout autre air au visage. Les couvertures que je remonte d'office sur mes épaules et ma salive que je ravale durement, me doutant qu'elle arrive avec des nouvelles. Depuis longtemps, j'ai cessé de me dire qu'elles seraient bonnes ou mauvaises - j'espère juste, doucement, le plus doucement du monde. Chaque chose à la fois.

Un jour, tout ira bien.


@sage calhoun
@auden williams

La pièce est vide de toute décoration et on est bien loin de l’esprit de fête de Tulum ou de l’espace rassurant que symbolise tant notre maison depuis de nombreux mois déjà. Elle comme moi, on connaît bien trop les hôpitaux pour pouvoir parfaitement les détester maintenant. Je suis au moins heureux qu’on ait pu rentrer à Brisbane sans avoir à rester quelques heures de plus dans l’hôpital de Tulum, on a fait le nécessaire pour rentrer au plus vite et de façon la plus sécuritaire possible, le résultat tragique de vacances avortées. Si vous saviez à quel point je m’en moque, là, de savoir de combien de jours on vient de raccourcir notre séjour. Quand elle (ils iront mieux on ira ailleurs, on ira dans un meilleur endroit, on visitera enfin le Japon comme elle en rêve tant. Peu importe. On recommencera à zéro et cette fois on saura comment faire, on saura surtout quoi ne pas faire.

En attendant, ma main se contente de se serrer autour des doigts de la jeune femme, faisant toujours bien attention à ne pas toucher ses perfusions. Les appareils bip, tout a l’air si impressionnant. Je préfère quand c’est moi sur le lit et quand je suis le seul à avoir droit aux repas immondes et aux tests en tout genre, aux changements de bandages dont on anticipe déjà la douleur lancinante. Cette fois-ci pourtant, c’est son rôle. Elle me vole la vedette et à défaut de lui en vouloir, je serais prêt à tout pour drainer un peu de ses sentiments, devinant déjà à quel point elle s’en veut et à quel point elle continuera de s’en vouloir pour longtemps encore.

Je regarde ses pieds danser sous la couverture sans savoir quoi faire, ses mains en font de même et là au moins je resserre un peu plus la pression de mes doigts contre les siens. Si elle veut se griffer la peau en attendant, qu’elle essaye sur la mienne. Son corps a déjà bien assez à gérer pour le moment, on le sait tous les deux ; et on ne le sait que trop bien, justement. Un baiser se perd sur sa tempe dès lors que je juge que l’ancien date de bien trop longues minutes déjà et même si je ne sais pas (plus) quoi lui dire, elle doit au moins savoir que je reste à ses côtés et que j’y resterai un moment encore. Si les résultats du test sont bien sûr très importants, n’en reste pas moins qu’elle est ma seule et unique priorité et que je n’ai jamais cessé de le lui répéter sans pour autant le lui prouver. Égoïstement, je ne veux pas avoir à le faire aujourd’hui. Pas comme ça. Pas encore. Je ne compte que sur les paroles de Sage pour nous conforter dans l’idée que tout va bien et je saurai m’arrêter là, sans un commentaire de travers, sans aucune blague raciste ou misogyne. La santé de Ginny passe avant toute chose et mon regard aussi fatigué qu’inquiet le prouve bien, je n’arrive même plus à le dissimuler alors que je le voudrais tant.

Et je sais qu'il voudrait insister en clamant que ce n'est pas ma faute. Je sais qu'il ne le dira pas non plus, sachant très bien que peu importe ce que lui et ce que moi-même on peut avancer, n'en reste que le bébé est encore potentiellement en danger. Les causes se mélangent aux conséquences, je dors à défaut d'être incapable de rester éveillée mais chaque nuit est évidemment parsemée de beaucoup trop de "et si" pour que les réveils soient doux comme ils l'étaient à Tulum. Et si j'avais insisté pour rester là-bas, et si je n'avais pas démontré de symptômes si tôt. Et si je lui avais tout caché pour ne pas l'inquiéter, et si j'étais tombée en blessant ce qu'on a passé un peu plus de la moitié de la grossesse maintenant à protéger.  

« Hey Ginny, comment tu te sens? » Sage et sa voix douce font leur place dans une chambre plongée dans un silence ambivalent depuis des heures maintenant. Même si la télévision résonne, il n'y a aucun mot qui franchissent mes lèvres ni même celles d'Auden. Mes lèvres d'ailleurs, quittent ses phalanges à lui, habitude d'en embrasser toutes les cicatrices sans même les regarder. Pour stupidement le guérir lui quand je ne sais jamais par où commencer pour me guérir moi. « Mieux. Le dessert de ce midi était délicieux, ça a aidé je pense. » j'essaie l'humour, absolument nul, mais nécessaire quand les iris d'Auden croisent les miens. On sait très bien que si Sage a quelque chose à nous dire, elle peut aller autant d'un sens que de l'autre. Faire autant de bien que de mal. « Tu sens bien le bébé bouger aujourd’hui? » ma tête hoche de la positive. Un mouvement, un seul, qui s'est niché au creux de mon ventre il y a une poignée de minutes plus tôt. C'est là et seulement là que nos coups d'oeil à Auden et moi ont pris un peu plus en confiance, en soulagement. « J’vais descendre la couverture et sentir la position du bébé, d’accord? » pour toute réponse, mon corps se redresse de plus belle, la laissant procéder. La seconde d'après, ses mains glacées me font un brin sursauter.

J'aurais envie de lui demander si c'est bon signe, qu'il ait bougé. J'aurais envie de lui demander si c'est bon signe, peu importe la position où elle le verra situé. J'aurais envie de la bombarder de questions aussi nombreuses que risquées, quand les réponses ont tout pour me terrifier. Alors à la place j'inspire, je ravale, je tente d'être forte, j'ai pas le droit d'être faible de toute façon. « Est-ce qu'on va pouvoir savoir le sexe aujourd'hui? » j'ignore si c'est au programme, j'ignore même si c'est elle ou si c'est Heïana qui se chargera de nous le dire. Je veux simplement une petite réponse, quelle qu'elle soit. Le moindre petit détail hors du bordel qu'on vit depuis qu'on est de retour au pays auquel me raccrocher de toutes mes forces, au mieux d'entre elles.



@sage calhoun
@auden williams

Les deux jeunes femmes parlent sans que je n’ai quoi que ce soit à dire, sans que je ne veuille interférer d’aucune manière non plus. La première ne fait que son travail et je garde mon regard posé sur chacun de ses gestes, juste au cas où. La seconde tient le plus important rôle du monde, celui d’être mère, et ma main ne se dérobe pas de la sienne peu importe ce qu’il se passe. Je ne peux pas faire rien d’autre et ne tente rien non plus, de peur de simplement aggraver la situation. « Hey Ginny, comment tu te sens? » Mes doigts glissent sur son visage un dernier instant avant que ses lèvres ne quittent mes mains quand mes yeux, eux, ne la quittent justement pas. Sage reste visible dans le coin externe, elle avance avec lenteur et se veut être une présence rassurante que je ne sache pas le moins du monde. On attend tous les deux sa réponse, celle que j’ai chaque jour un peu plus peur de poser. « Mieux. Le dessert de ce midi était délicieux, ça a aidé je pense. » Elle est forte et elle tente toujours de faire au mieux, j’esquisse brièvement un sourire pour sa blague et tente de l’agrandir lorsque ses yeux croisent les miens.

Je lui ai promis qu’à partir de maintenant tout irait bien et j’ai désormais peur d’avoir menti. « Tu sens bien le bébé bouger aujourd’hui? » Cette fois-ci je connais la réponse et j’espère que le oui que Ginny articule muettement est une bonne chose parce que ni elle ni moi ne sommes préparés à entendre le contraire. On a besoin que ce soit une bonne nouvelle. « J’vais descendre la couverture et sentir la position du bébé, d’accord? » Je la laisse se replacer un peu plus haut sur son lit médicalisé et l’aide avec les larges coussins, passant finalement d’une main dans la sienne aux deux qui l’entourent. J’ai pris place davantage près du haut de son corps pour laisser Sage libre de ses mouvements et mes doigts glissent désormais dans sa chevelure brune pour la rassurer elle autant que moi. Je n’ai désormais plus la force ni le courage de lui dire que tout ira bien.

On avait commencé à parler de prénoms avant de partir. « Est-ce qu'on va pouvoir savoir le sexe aujourd'hui? » Aujourd’hui, on a arrêté. Il n’est même plus question d’Auden II ou Saül Junior. On omet simplement de parler du bébé et de tout le reste. “Tout va bien ?” A mon tour de jeter des bouteilles à la mer en espérant qu’elle saura nous apporter des réponses sans pour autant savoir si cela rentre dans son domaine de compétences. “Pour Ginny.” Elle est ma priorité. Elle le restera. Avant toutes choses et avant qui que ce soit, même notre enfant. Je lui ai dit et j’espère que je n’aurai jamais à le lui prouver parce que je sais qu’elle me détesterait de la préférer par rapport à lui, ou à elle.

Du bout de l'index, je trace des cercles invisibles sur sa peau à défaut de pouvoir faire quoi que ce soit d'autre. Les minutes passent aussi lentement qu'à la vitesse de l'éclair. Si habituellement je n'ai pas besoin de meubler la conversation, que le silence entre Auden et moi me convient autant que les pires des débats, reste qu'en l'instant rien ne va, rien n'est sûr. Sage entre et je m'en veux de resserrer ma main autour de celle du peintre, main qui n'est pas autant tachée de couleurs éparses qu'à l'habitude. C'est que depuis qu'on a remis les pieds en Australie je n'ai pas peins une seule fois. Personne ne s'en étonnera.

Oui, on pourra savoir le sexe du bébé aujourd'hui. Ce simple détail me permet de souffler, avant que le regard que j'échange avec mon mari mais aussi la personne qui me connaît le mieux au monde toutes catégories confondues me garde en suspens. « Tout va bien? » oh - « Pour Ginny. » - Auden. C'est une immense, une horrible vague de culpabilité qui remonte, qui bousille tout sur son passage. Sans que je ne les vois venir, elles se logent au coin de mes yeux les larmes qui piquent, qui font si mal. Ma faute, tout est de ma faute, encore. Si le test était négatif il y a des mois de ça, si je lui ai annoncé une grossesse qui n'en était pas. Si la deuxième fois où on a espéré pouvoir avoir réussi à concevoir un bébé résonnait avec un oui, aujourd'hui j'ai encore entre les mains les regrets, les remords, et tout ce qui se trouve à travers. J'ai tout gâché, je sers qu'à ça, il arrivait enfin à être heureux et on arrivait enfin à l'être à deux. Et puis tout s'est arrêté, et puis tout s'est violemment stoppé.

« Voulez-vous entendre le coeur? » le plus docilement, je ravale la peine qui n'a pas d'affaire ici. Pas alors que je suis à nouveau l'ingrate de service à être trop faible, à avoir le corps si fragile que la moindre piqûre de moustique le terrasse à sa suite. Sage profite de l'accalmie pour dégainer l'appareil permettant l'écho du coeur, s'applique avec toute la délicatesse dont elle fait toujours preuve à enclencher le mécanisme. À notre silence commun s'ajoute les battements d'un coeur que j'aime déjà si fort, battements qui valent bien mieux que les sons métalliques et robotisés des machines qui m'entourent depuis si longtemps déjà. Trop. « Ça c’est le battement d’un petit coeur en bonne santé. » j'y crois à peine, mais les quelques onces d'espoir qui restent suffisent à ce que je laisse une expiration suivre naturellement contre mes lèvres gercées d'être si stressée. « C’est impossible de dire à long terme si le bébé va avoir des conséquences de l’infection de Ginny, mais tout laisse croire que tout va bien. Autant pour maman que pour bébé. » tout va bien, tout va bien, tout va bien. Je me le répète encore et toujours, je ne sais faire que ça. « Est-ce qu'il y a d'autres tests que je peux faire? » elle parle de long terme mais je ne vise que dans l'instant, elle laisse poindre la possibilité qu'on en sache plus plus tard, mais pour le moment je serai incapable de dormir même si mon corps ne fait que le réclamer si je n'arrive pas à savoir si tout ce qui peut être su et fait pour confirmer la santé du bébé ne l'a pas été. « Ou des prises de sang? Depuis que j'ai perdu mon bronzage mes veines se trouvent super facilement... » tenter d'être utile, tenter de tout faire, toujours, pour m'en donner l'impression. Un échec de plus à ma longue liste, celui d'avoir manqué à garder le bébé en sécurité à mon plein potentiel pendant cinq mois à peine. Je veux juste sauver ce qu'il reste, le temps que j'en ai encore la force.


@sage calhoun
@auden williams

Un simple hochement de tête est tout ce dont j’ai besoin pour être assuré que ma femme se porte bien et à partir de ce moment là je peux user de toutes mes forces pour m’assurer à mon tour qu’elle ne laisse pas toute la culpabilité reposer sur ses seules épaules. Je sais que jamais je ne pourrai la faire disparaître mais au moins je peux essayer et je continuerai à le faire tant que je n’aurai pas perçu une amélioration chez elle, même la plus infime. Je la sens pourtant qui s’agite quand je pose ma question à Sage et sans avoir à poser mes yeux sur elle je devine déjà ses iris brillantes de larmes, ces mêmes larmes que j’essuie à mon tour patiemment sans ne rien dire, un simple sourire au coin des lèvres. Quand on sera seul je lui dirai tout, je lui dirai ce qui ne concerne que notre couple et notre mariage. Pour l’instant, je tente de faire au mieux et c’est la raison pour laquelle mes doigts se replacent entre les siens pour qu’elle le serre et les broie autant que nécessaire si elle en ressent le besoin.

« Voulez-vous entendre le coeur? » Il n’y a pas besoin de mot pour qu’elle comprenne à quel point on est d’accord à ce sujet sans même avoir à se concerter. Oui, on veut l’entendre. J’arrête de respirer pendant une seconde et je pense bien qu’elle aussi. Maintenant ce sont mes doigts qui coupent la circulation des siens, c’est mon sourire rassuré qui fait place à toute la terreur du monde. Le coeur bat bien plus vite que celui d’un adulte et j’ai lu quelque part que c’était normal, ce que Sage confirme à son tour en ses termes. « Ça c’est le battement d’un petit coeur en bonne santé. » Du ventre de la brune mes yeux passent à son visage, fiers et amoureux. Un coeur en bonne santé, c’est tout ce qu’on avait besoin de savoir. Ma main libre dégage de son visage ses cheveux emmêlés et sales de stress et à la place je déposer un baiser rassurant contre son front tout en murmurant à peine contre sa peau. “Notre enfant va bien.” J’extrapole et je m’avance sans doute un peu trop et si je lui mens alors tant pis, parce que je sais qu’elle en a besoin bien plus que moi. Si cet enfant sera un jour la prunelle de mes yeux, elle reste encore la seule qui compte.

Je relance un regard quasi assassin sur l’infirmière alors qu’elle prend le temps, trop tard, de tempérer ses propos. « C’est impossible de dire à long terme si le bébé va avoir des conséquences de l’infection de Ginny, mais tout laisse croire que tout va bien. Autant pour maman que pour bébé. » Ce n’est pas ce qu’elle a besoin d’entendre et ce n’est pas ce qu’on veut entendre non plus. J’aurai tôt fait d’oublier tous ces mots si pour seulement me concentrer de nouveau sur les battements de coeur précipité de quelqu’un en bonne santé, comme elle l’a dit elle même. Demain est un autre jour et on avisera à ce moment là, j’ai bon espoir.

« Est-ce qu'il y a d'autres tests que je peux faire? » “Qui sont sans danger. Elle en a déjà fait beaucoup.”
« Ou des prises de sang? Depuis que j'ai perdu mon bronzage mes veines se trouvent super facilement... » “Elle a le droit de s’exposer au soleil ? Ça te ferait du bien.”

Elle veut le mieux et moi aussi, le problème étant que parfois on a simplement pas les mêmes objectifs premiers. Si mes questions sont à mon tour pour Sage, pourtant, je ne cesse de caresser le dos de la main de ma femme pour tenter de la rassurer au mieux. Je sais qu’elle me déteste sûrement autant que moi alors que je parle pour elle comme si elle n’était pas là, je ne veux pas encore empirer les choses. Je sais aussi que rien chez elle ne relève du chleuasme et que tout ce qu’elle se contente de sous entendre, elle le pense réellement. Le travail sera long et difficile pour lui faire regagner confiance en elle mais si on a pu traverser tant d’années et tant d’épreuves, on pourra aussi y arriver aujourd’hui. Un jour, tout ira véritablement mieux.

“Notre enfant va bien.” c'est ce à quoi je me raccroche de toutes mes forces, celles qui restent, quand le front d'Auden s'ancre au mien et que ses mots trouvent leur place au creux de mes oreilles. La suite est incertaine et la suite nous fait terriblement peur, mais en l'instant tout va bien. C'est le mieux qu'on puisse avoir et c'est la seule chose qu'on puisse avoir finalement. Autant pallier ainsi, autant espérer avec nos acquis.

Il se déteste de parler ainsi quand je suis dans la pièce, je le sais pertinemment. Pourtant les mots me manquent, les blagues ne sont plus. Ma main serre la sienne au fil de ses questions, celles qu'il pose pour nous deux quand j'ai juste besoin de me recentrer, quand j'essaie stupidement de jouer les premières de classes même si la discipline n'est pas valable. Croyant que si je reste immobile dans les draps et que si je respire doucement l'image bientôt à l'écran sera encore plus en santé qu'elle ne puisse l'être. Ridicule gamine effrayée. « On va continuer de prendre des prises de sang pour s’assurer que l’infection diminue pour toi Ginny, mais il n’y a aucun moyen de savoir si l’infection a eu des conséquences quelconque sur le bébé. » mentalement, je note chaque parole que Sage ajoute comme tant de devoirs à accomplir sans dire un mot, en encaissant le sourire mutin aux lèvres. Tentant de rassurer le monde entier à défaut de me rassurer moi-même. « Mais on sait qu’il ou elle se porte bien. Que le coeur bat normalement, qu’il ou elle continue de bouger, qu’il n’y a aucune détresse fœtale, ce qui est un très bon signe. » les problèmes reviennent mais elle les saupoudre de doux, de beau. Je ne sais plus à quoi me retenir, si ce n'est la main d'Auden qui n'aura jamais autant été retenue au creux de la mienne. Ou alors, c'est l'inverse?

« Tu peux tout à fait aller prendre un peu de soleil, mais tant que tu es ici, je pense qu’il est mieux que tu utilises une chaise roulante, juste par précaution. Tu peux demander à une infirmière de t’en emmener une quand tu voudras sortir. » la chaise roulante, la fameuse, celle que j'accepte d'un hochement de tête positif, celle sur laquelle je sais qu'Auden risque de peindre de toutes les couleurs pour faire comme si tout allait bien. Le bébé va bien, qu'elle a dit. « Vous êtes conscients que la décision de voyager malgré l’avertissement de votre sage-femme aurait pu mener à une situation bien plus dramatique? Je le répète, vous avez été chanceux. Nos suggestions sont pas parce qu’on aime rendre la vie de nos patients difficiles. On fait ça pour vous offrir les meilleures chances d’une grossesse simple et en santé. Être alité pendant une semaine avec l’anxiété de savoir si bébé va bien, c’est pas l’idéal pour personne. » une semaine, c'est à ça que je me fie, pour juger de l'état des choses. Une semaine, c'est aussi long que court. Une semaine m'apparaît impossible à franchir comme trop léger pour ne pas être totalement rassurée.

C'était pas le plan de tout bousiller et j'ai peur maintenant, que Heïana débarque ici à nous disputer. C'est con, c'est stupide, c'est ridicule et ce sont bien évidemment des vestiges de fillette ayant peur de se faire gronder. Pourtant c'est avec toute la contenance dont je suis encore étonnamment capable que je laisse mes prunelles passer du profil de mon mari, mais surtout du seul avec qui je me sais capable de passer à travers tout ceci, pour trouver celles de la chirurgienne au vol. « Je ferai tout ce qu'il faut pour que tout se passe parfaitement à partir de maintenant. » pas bien, pas mieux, pas okay, pas correctement. Pour que tout se passe parfaitement, maintenant. « Est-ce qu'on peut voir le bébé? » le battement du coeur empli toujours la pièce, on n'est qu'à une image de pouvoir concrétiser les paroles rassurantes de Sage, et les espoirs des miennes.

Je me fais docile et courbe l’échine pour le bien de Ginny seulement puisque je fulmine déjà au fond de moi qu’elle prenne la peine de faire part une nouvelle fois des recommandations que nous n’avons pas suivies. La brune se sent déjà bien assez mal à ce sujet pour qu’elle n’ait pas à en rajouter et cela ne fait que remuer un couteau dans une plaie déjà immense. Mes doigts se resserrent autour de Ginny alors que c’est le regard le plus noir du monde que j’adresse à Sage en retour, preuve muette que je cautionne peu ses paroles et ce même si elle pense agir au mieux dans l’intérêt de tous. Son travail est celui de soigner et d’anticiper, je le sais bien, mais qu’elle le croit ou non c’est ce à quoi j’occupe ma vie depuis plus de dix ans dès que cela touche à la McGrath et je ne compte pas arrêter en si bon chemin, pas après tout ce chemin parcouru et ces épreuves partagées.

Tout ce que je sais faire, désormais, c’est doucement caresser la peau de ma femme à des endroits différents pour lui assurer sans un mot que peu importe ce que Sage pourrait nous annoncer, dire ou faire ; je resterai toujours présent. Elle se fait petite et invisible derrière le lit trop grand pour elle et les draps qui le sont tout autant, je déteste la voir retourner tant d’années en arrière quand elle pensait encore ne pas avoir le droit de parler ou même de respirer lorsqu’une figure d’autorité est dans la pièce. Mentalement, je prépare déjà tous les moyens que je pourrais mettre à ma disposition pour décorer la chaise roulante ainsi que tous les jeux et autres occupations qu’on inventera à la maison lorsqu’elle sera alitée et que je ne quitterai pas le lit non plus.

J’attrape les prunelles de Ginny en vol pour lui offrir un sourire aussi rassurant que sincère, certain que le pire est derrière nous et que les médecins font seulement leur boulot en tenant de ne pas trop s’avancer. Pourtant, elle est en bonne santé et le bébé aussi et c’est tout ce qui compte maintenant qu’on s’apprête à passer une semaine tous les trois à regarder des films toute la journée et manger tout ce qu’il nous plaira sans jamais sortir du lit. Ordres du médecin, donc. « Je ferai tout ce qu'il faut pour que tout se passe parfaitement à partir de maintenant. » Mes doigts s’enroulent autour de ses cheveux désormais. On le sait qu’elle fera au mieux puisque c’est déjà ce qu’elle fait depuis le premier jour de la première heure. Elle fait toujours au mieux pour tout le monde mais pense constamment que c’est insuffisant, ma femme. « Est-ce qu'on peut voir le bébé? » Je me déteste de ne pas savoir la réponse à ses questions mais cette fois-ci je prends le temps de prendre la chaise derrière moi pour venir m'asseoir près d’elle, mon bras passant par dessus sa tête et l’entourant alors que de mon autre main je ne laisse toujours pas ses mains tranquilles. Mon visage, lui, retrouve sa place près de celui de Ginny pour l’embrasser sur la joue et lui murmurer quelques mots, le sourire aux lèvres. “On va enfin savoir si on l’appelle Auden Junior ou Audenne II.” J’ironise et termine en l’embrassant de nouveau.

Elle n'en finit plus de s'allonger, la longue liste de toutes les erreurs que j'ai pu commettre depuis le début de la grossesse. La culpabilité sert d'encre sur un canevas qui se sature de lui-même tellement j'ai l'impression d'être à même de tout bousiller encore et toujours, de ne savoir faire que ça au final.

Même si Auden tente de toutes ses forces d'adoucir la scène, même si ses baisers mêlés à ses mots m'apportent tout le réconfort dont il est capable, la vérité c'est que je ne m'en voudrai probablement toute ma vie sans qu'il ne puisse y faire quoi que ce soit.  “On va enfin savoir si on l’appelle Auden Junior ou Audenne II.” je ravale pourtant les larmes à travers un rire, ses murmures à mon oreille auxquels je me raccroche presque autant que ma main qui n'a pas lâché la sienne. C'est peu, ce ne sont que des bribes, à peine une lueur à travers les nuages noirs des derniers jours, mais c'est la seule chose qu'il me reste. On fera avec.

« Voilà ses doigts. Cinq ici et cinq là. » on fera avec les doigts aussi, que je me redresse pour voir à l'écran. La gelée sur mon ventre n'est plus froide du tout même si ma peau l'est un peu plus d'être dévoilée. Des prunelles d'Auden les miennes ont dérivé sur la silhouette ombrée qui semble flotter dans un cocon de confort qui l'a mise à rude épreuve ces derniers jours. Elle est vraie, tout est vrai, et si les événements sont encore trop frais dans ma tête pour que je les oublie lâchement, c'est toutefois un peu plus soulagée que je sens battre mon coeur au même rythme qu'on entend battre le sien. « Vous voulez toujours savoir le sexe? » sans se consulter quand on est probablement sur ça comme sur le reste toujours au même point, j'hoche doucement la tête de la positive, ne lâchant pas le bébé des yeux maintenant que je peux enfin le voir un peu mieux. « Il semblerait qu’il ou elle ait les jambes croisées, m’empêchant de voir ce qui se cache là.. » Sage elle, n'arrive pas à voir ce qu'elle veut et malgré autant d'efforts que possible, tout porte à croire que la sonde additionnée à la position du petit être qui grandit à l'intérieur de moi lui donne du fil à retordre.

« Ou alors il veut garder la surprise? » le il sort tout seul, comme c'est arrivé des dizaines de fois déjà, si instinctif que je ne le réalise même plus. « On peut peut-être l'appâter en approchant une part de pizza dans un angle où on pourra mieux voir?  » une blague, mollasse mais une blague tout de même que je tente, ma voix retrouvant lentement mais sûrement des consonances un peu plus solides. Le trémolo au creux de ma gorge s'envole doucement.

J’essaye de toutes mes forces de la rassurer avant toutes choses tout comme je sais et je vois qu’elle observe de toutes les siennes d’être forte et de ne surtout pas craquer. Je ne doute pas de ses capacités et peux à peine me douter d’à quel point tout doit être difficile pour elle. Une fois à la maison, elle pourra être qui elle veut. Dans la voiture même, elle pourra commencer à lâcher du lest et je sais qu’elle en a besoin. Pour le moment encore, on garde les apparences intactes et on essaye de profiter de ce moment unique : c’est tout ce qu’on a pour nous. « Voilà ses doigts. Cinq ici et cinq là. » Je souris contre la joue de Ginny, mes yeux relevés vers l’écran. “On pourra pas l’envoyer dans un cirque, faut penser à autre chose.” Je me moque et je blague, encore et toujours. Il ne sera peut être pas dans un freak show mais pour le moment il a au moins tout pour devenir un artiste à son tour ; et de mon point de vue c’est une qualité inestimable.

Je ne comprends pas grand chose aux nuances de blanc et de noir mais compte sur Sage pour tout nous expliquer étape par étape. Elle voit des doigts et j’imagine que c’est la meilleure chose qui soit. Moi j’y vois notre enfant et peu importe la forme qu’il prend, je ne peux que déjà l’aimer bien plus que de raison. « Vous voulez toujours savoir le sexe? » D’un double hochement de tête sans bruit aucun, l’accord est passé. Si on s’est promis de ne pas vouloir un sexe en particulier, n’en reste pas moins qu’on est sans doute autant excité l’un que l’autre à l’idée d’enfin avoir une réponse à la question. « Il semblerait qu’il ou elle ait les jambes croisées, m’empêchant de voir ce qui se cache là.. » Mon souffle quelque peu déçu mais surtout largement amusé se perd contre la nuque de ma femme et je dépose une fois de plus un baiser sur sa joue sans qu’il n’y ait de réelle raison à cela. “J’aurais cru qu’il attendrait sa naissance avant d’avoir un tel esprit de contradiction.” Je disais vouloir qu’il me ressemble mais je ne pensais certainement pas la chose à un tel niveau. J’aurais dû savoir que mêler du sang de Williams à un bébé n’amènerait que des complications.

A son tour, Ginny tente de dédramatiser l’annonce ou, justement, l’absence d’annonce. « Ou alors il veut garder la surprise? On peut peut-être l'appâter en approchant une part de pizza dans un angle où on pourra mieux voir?  » Cette fois-ci je ne cherche même pas à cacher le plus franc et large des sourires qui illumine enfin mon visage. “Et si on partait plutôt sur le fait de manger une pizza sur le retour ? Faut profiter avant qu’il ne veuille voler toutes tes parts.” Parce qu’il ne voudra que celles de maman, c’est certain, puisqu’elles seront à jamais bien meilleures que celles de papa. Tout le monde sait ça et moi, je m’enquiers de tenter de la faire penser à autre chose, à défaut de pouvoir avoir une réponse à la question. “Si les tests sont finis, est ce qu’elle peut rentrer ? Il s’est déjà passé beaucoup de choses aujourd’hui.” Sous entendu, elle a déjà eu assez de piqûres, questionnaires et autres tests pour une vie entière et elle mérite un peu de repos dans sa chaise roulante dernière génération.