Est-ce qu’un enfant devrait être autorisé à dépasser le stade de l’enfance ? Non, sûrement pas. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’ils sont considérés comme des enfants, peu importe l’âge qu’ils ont. Et ce n’est pas parce que la fille d’Hassan fête justement sa dix-neuvième bougie qu’elle n’en reste pas moins sa fille et que, par conséquent, il continue de la couver d’un regard brillant. Nour est la prunelle de ses yeux, le fait qu’elle quittera le domicile familiale sous peu n’y change rien ; et le garçon supposément devenu son petit-ami n’a qu’à bien se tenir, parce que c’est d’un tout autre regard qu’Hassan l’observe. Non loin de là, c’est un Rhett amusé qui observe la scène, sans doute bien soulagé de ne pas avoir à se soucier de tels sujets pour le moment encore. Sa petite Emma est encore bien trop jeune pour avoir un petit-ami, ou tout du moins c’est l’avis que papa s’en fait: elle a neuf ans et sept mois (parce que c’est important de le préciser, elle insiste) et bien tout le temps du monde avant d’avoir le coeur brisé. Il a toujours joué le rôle de l’homme que les pères détestent, notamment auprès de sa mère, et aujourd’hui il est heureux et soulagé d’avoir enfin choisi le bon chemin à un moment de sa vie.

Les Saracens l’ont appelé en 2010 et s’il s’y est effectivement rendu pour sa période d’essai: il n’est jamais allé plus loin. Cette dernière lui a permis de comprendre à quel point il n’était plus rien sans la présence de Jenna à ses côtés: il pourrait toujours continuer à jouer pour les Reds, en Australie, et ainsi permettre à la femme qu’il aime de rester dans ce pays où elle se sent si bien. Ce pays qui les rend heureux, minus les disputes nécessaires de deux âmes bien souvent contradictoires: deux années plus tard, leur fille naissait, et Rhett ne lâchait plus son téléphone pour demander conseil à Hassan sur tout et n’importe quoi au sujet de la paternité. Son ami était déjà père depuis longtemps, bien qu’à son âge les choses se soient montrées plus compliquées et bien moins désirées, dans un premier temps au moins. Lui aussi est heureux et Leilani tout autant, alors c’est sûrement tout ce qu’il y a à retenir. “Ma chérie, tu veux aller voir si maman est pas en train d’ennuyer Leilani avec ses questions ?” Il demande alors, se penchant quelque peu à sa hauteur pour qu’elle quitte la cuisine où ils campaient tous deux pour plutôt se faire une place entre les deux mères, tranquillement occupées à discuter dans le canapé. La technique est lâche mais ô combien efficace pour obtenir un peu de répit de la part de son mini double aux cheveux déjà longs et ainsi retrouver Hassan pour une discussion un peu plus privée.

“Je vous l’emprunte, ne m’en voulez pas, on va parler rugby.” Il mime le dégoût entre ses lèvres, n’ayant jamais eu de mal à comprendre que la passion des deux hommes n’était nullement partagée par aucune autre âme de leurs familles: même Emma, pourtant entraînée dès son plus jeune âge à aimer le sport, n’en a rien à faire. La main qu’il place contre l’épaule de son ami n’est qu’un signe supplémentaire pour lui faire comprendre qu’il veut vraiment discuter avec lui et que le rugby n’est qu’une excuse comme une autre pour s’assurer qu’ils soient seuls. Ainsi, il se pourrait bien que Nour embrasse son petit-ami sans que papa Hassan ne fasse aussitôt une syncope. C’est justement à cause de ce sujet que le premier réflexe de l’australien se résume à faire claquer la paume de sa main contre le crâne de son ami, dans un geste qui n’aura jamais rien d’agressif. “Laisse la respirer et arrête de te la jouer flic. Il a l’air très bien, son petit-ami, fais lui confiance.” Les mots sont bas, destinés à être entendus par Hassan seulement. “T’as pas envie qu’elle te présente comme un vieux con, alors joue pas à ça.” Et sans demander son avis, il cherche déjà une bière sans alcool supplémentaire dans le frigo Hartfield, éternellement préparé à toutes éventualités.

Et c’était ça, ce petit crétin avec trois poils sur le menton, qui entendait lui voler son bébé ? Allons. De part et d’autre de la table du repas, les deux bruns de l’assemblée se jetaient des coups d'œil furtifs et se jaugeaient discrètement, par-dessus la salade de pâtes et le reste de canard à l’orange du déjeuner. Par deux fois déjà, Leilani avait pris Hassan sur le fait et lui avait asséné un coup de coude discret sous la table, l’universitaire s’évertuant à jouer les innocents tout en sachant qu’il ne trompait personne – et surtout pas son épouse. Difficile de dire depuis quand Nour et lui se fréquentaient : tenant probablement cela de son père, la jeune fille ne laissait entrer dans son cercle familial que celles et ceux qu’elle estimait en être méritants, et pour que le garçon qui l’accompagnait ait eu le privilège de se voir transmettre l’invitation à ce déjeuner dominical, il devait probablement déjà avoir passé avec succès toutes les épreuves ayant précédé celle-ci. Lui présenter du même coup ses parents, ainsi que son parrain en la personne de Rhett, cela ressemblait donc un peu au dernier rempart avant … Avant quoi, d’ailleurs ? Hassan aurait volontiers continué d’y réfléchir dans sa barbe en attendant le dessert, mais l’assemblée venant à peine de se mettre d’accord sur le fait de laisser un peu de répit à leurs estomacs avant de terminer le repas, il avait senti la poigne de son rugbyman de copain s’enfoncer contre son épaule en claironnant « Je vous l’emprunte, ne m’en voulez pas, on va parler rugby. » tout en feignant le dégoût. Quel comédien.

Et si Rhett ne devait l’absence de protestations d’Hassan qu’à la présence de sa propre progéniture dans leur sillage, il était rapidement parvenu à détourner l’attention de cette dernière pour la renvoyer dans l’autre pièce chargée d’une mission de la plus haute importance : « Ma chérie, tu veux aller voir si maman est pas en train d’ennuyer Leilani avec ses questions ? » L’enfant repartie en trottinant, l’attention du Jaafari ces derniers temps si prompte à se laisser distraire, le plat de la main de Rhett était venu s’étaler contre le crâne de ce dernier avec juste assez de force pour le tirer de ses songes, un « Ouch ! Mais quoi ? » pincé lui échappant aussitôt. À ça de vouloir faire croire qu’il était plus blanc que l’agneau qui venait de naître. « Laisse la respirer et arrête de te la jouer flic. Il a l’air très bien, son petit-ami, fais-lui confiance. » Levant les bras pour jouer les innocents, Hassan avait aussitôt protesté : « Mais je lui fais confiance … À elle, pas à lui. J’ai eu vingt ans aussi, je te rappelle. » Et pas toujours de nobles intentions, fallait-il le préciser ? « T’as pas envie qu’elle te présente comme un vieux con, alors joue pas à ça. » Le brun s’apprêtait à argumenter, encore, mais la bière lancée dans sa direction l’avait coupé dans son élan, et récupérant le décapsuleur là où Jenna et Rhett le rangeaient depuis des siècles il l’avait tendu à son ami en maugréant « Tu feras moins le malin, dans dix piges. » Sa main à couper que Rhett aurait une liste longue comme le bras d’arguments visant à faire croire que ce n’était pas du tout comparable, le jour où Emma lui ramènerait quelqu’un et que lui aussi aurait l’impression de prendre une décennie supplémentaire dans la face.

Et comme il aurait le temps de s’en passer encore, des choses, en dix ans. À l’image des dix dernières, qui se seraient peut-être illustrées par un divorce pour Hassan et Leilani si la maladie n’était pas venue rebattre les cartes – installé pour un temps à l’autre bout du monde, le couple avait fini par se perdre. Et contre toute attente, le crabe auquel le brun avait failli ne pas survivre avait été l’occasion pour eux de faire le point. De revenir à Brisbane et à ce qu’ils étaient avant de la quitter, comme on revenait sur ses pas pour tenter de retrouver son chemin après s’être égaré, mais avec l’expérience de savoir ce que l’on avait à perdre. « D’accord, c’est bon. Il n’est pas si terrible. » Il était poli, ne mettait pas ses coudes sur la table, faisait du sport, et avait même offert des fleurs à Jenna pour les remercier elle et Rhett de l’invitation – fayot. « Mais un volleyeur, quand même ? » Même pas un rugbyman pour tenter de préserver son vieux papa, Nour n’avait décidément aucune pitié … Mais elle était heureuse, et en réalité sous ses airs un peu bougons Hassan n’aspirait à rien de plus que cela. De la pièce à côté, on entendait Jenna et Leilani échanger un rire, et penchant la tête sur le côté en contemplant la vaisselle dans l’évier le brun avait fini par demander « Allez, avoue … à quel point Jenna a enjolivé en prétendant que tu avais aidé à préparer le repas ? » Rhett possédait bien des qualités, qu’Hassan n’aurait jamais idée de remettre en cause par ailleurs, mais il fallait être honnête : il n’était pas très bon cuisinier, et les chances qu’il ait fait plus pour ce canard que d’éplucher les oranges avec lequel on l’avait arrosé étaient minimes.

@RHETT HARTFIELD

Au vue des protestations d’Hassan lorsque la paume de la main de son ami rebondit contre son crâne, c’en est à se demander qui est réellement le seul adolescent de toute cette maison. « Ouch ! Mais quoi ? » Il exagère, Rhett n’a pas utilisé la moindre force, il a été surpris mais n’a certainement pas eu mal, voyons. Les explications (et reproches) de son ami ne tardent pas davantage avant de se faire entendre, autant de choses auxquelles Hassan semble avoir une réponse toute donnée. « Mais je lui fais confiance … À elle, pas à lui. J’ai eu vingt ans aussi, je te rappelle. » - “Et elle, c’est en lui qu’elle a confiance.” Ses yeux s’agrandissent doucement, son menton s’abaisse uniquement pour qu’il puisse relever ses pupilles en sa direction et appuyer ses propos. Lui aussi, est passé par la case vingt ans, cela semble plutôt évident. Bien sûr, il se doute de ce qui habite l’esprit d’Hassan en cet instant et s’il ne peut pas affirmer que les deux jeunes gens feront toujours ce qui lui plaît (non, cela ne sera pas le cas), il veut au moins croire que sa filleule est une bonne gamine qui sait choisir ses relations avec soin. Si elle a choisi de leur présenter ce garçon, c’est qu’il est vraiment spécial et il serait dommage que papa poule fasse s’effondrer tous ces espoirs et ce travail. « Tu feras moins le malin, dans dix piges. » La réponse de son ami l’amuse, en témoigne le sourire qui ne se déloge pas de son visage peu à peu marqué par les aînées. Quand il arrête de sourire, des striures se voient encore sur ses traits. “Et je te laisserai me faire la morale sans trop râler.” Il n’aura de toute façon pas la choix, puisqu’Hassan sera aussi délicat avec lui que lui l’a été en cet instant même. C’est un risque qu’il est prêt à prendre, si cela peut permettre à ce garçon de récolter un peu moins de regards noirs de la part de l’universitaire qui, avec sa stature, est éternellement pris au sérieux.

« D’accord, c’est bon. Il n’est pas si terrible. Mais un volleyeur, quand même ? »
“Ça, j’peux clairement pas le défendre.”

Il est vrai que Nour aurait au moins pu faire l’effort de choisir un rugbyman, ou peut-être même qu’un footballeur aurait aussi fait l’affaire. Un volleyeur, cependant, n’est pas quelque chose jouant à son avantage - mais c’est peut-être moins pire qu’un vaniteux joueur de polo ? Oh, cela reste moins pire que tous ces surfeurs, en tout cas. “Ça te donne l’occasion de lui apprendre à jouer au rugby d’ici les prochaines vacances en famille.” Parce qu’il se rend compte que sa fille chérie insistera pour qu’il en fasse partie maintenant, n’est-ce pas ? Sinon, Rhett se charge d’introduire l’idée dans son esprit, avec plus ou moins de délicatesse, comme à son habitude. Le rire de Jenna l’interrompt dans ses pensées un instant, il relève son regard sur le mur opaque et sourit dans le vide, avant de se concentrer de nouveau sur les paroles de son ami. « Allez, avoue … à quel point Jenna a enjolivé en prétendant que tu avais aidé à préparer le repas ? » Un sourire en coin, il n’attend pas davantage avant de répondre et ne tente même pas d’arrondir les angles. “J’ai coupé les oranges avec soin et amour. Mais Emma m’a aidée, quand même.” Non, il n’a pas fait grand chose, mais il n’y a que Jenna pour encore croire à ses mensonges - et penser que les autres y croient eux aussi. "J'ai parié que tu te tiendrais bien pendant le repas, me fais pas faux bond." Son regard remonte dans le sien pour souligner cette demande et, avec elle, tous les espoirs qu'il fonde en sa personne. Ce garçon a le droit à sa chance, et il la mérite même sûrement, très largement. "Tu me rends un service ? Tu pourras me le dire, si jamais Lei te fait part d'un truc important, dans leur discussion ?" Les rires sont passés, les éclats de voix aussi, et c'est presque comme si elles n'étaient même plus dans la maison dorénavant tant leurs voix ne se font pas entendre. Parce que Rhett en est persuadé: elles sont occupées à chuchoter, maintenant, et à partager des mots que les deux hommes ne sont pas encore autorisés à entendre. D'une voix plus basse à son tour, uniquement parce qu'il n'en est pas assuré, il ajoute simplement quelques mots. "Je pense que Jenna veut un autre enfant." Projet qu'il aurait été heureux d'entreprendre quelques années plus tôt encore, mais aujourd'hui l'approche de la quarantaine lui fait craindre les faux espoirs et surtout toutes les complications médicales possibles pour sa femme.

Ils avaient eu vingt ans, oui. Vingt ans et l’impression à l’époque d’être (presque) des adultes, d’être indépendants, d’être suffisamment malins pour ne plus avoir besoin des conseils de leurs aînés. Vingt ans et la certitude d’avoir encore tout le temps du monde avant d’en avoir vingt de plus – and here they were. Elle ne semblait pourtant pas si loin à Hassan, l’époque où Nour entrait dans son sur la pointe de ses petits pieds pour venir poser sa joue contre son bras et demander s’il avait terminé de travailler – parce qu’il y avait une histoire à terminer de lire, une cabane à finir de construire, une revanche au Cluedo à prendre. « Pourquoi est-ce qu’il faut qu’ils grandissent si vite ? » avait-il fini par marmonner en soupirant, par nostalgie bien plus que par tristesse cependant, craignant de se demander comment il appréhenderait la chose avec encore deux décennies de plus. Rhett et Jenna avaient encore quelques années devant eux, pour leur cas, mais si Hassan s’était bien gardé de faire remarquer à son ami que la chose arriverait infiniment plus vite qu’il voulait le croire, il prévoyait déjà n’avoir aucun scrupule au moment de rappeler à son souvenir la conversation qu’ils étaient en train d’avoir dans cette cuisine. « Et je te laisserai me faire la morale sans trop râler. » L’index posée contre sa tempe pour signaler qu’il notait cela et n’oublierait pas de le ressortir au moment opportun, il s’était interrompu pour décapsuler la bière offerte par le rugbyman avec force d’habitude, et s’étant suffisamment fait prier il avait fini par admettre que oui, certes, le grand dadet que Nour avait choisi de regarder avec des étoiles dans les yeux avait l’air d’un jeune homme décent. Même s’il préférait le volley au rugby, et même s’il avait l’audace de dépasser le père et le parrain pratiquement d’une tête.

« Ça te donne l’occasion de lui apprendre à jouer au rugby d’ici les prochaines vacances en famille. » Pour qu’on l’accuse ensuite d’y être allé un peu trop fort sur les plaquages, alors que cette grande perche avait simplement un physique de girafon ? « Ça semble à la fois être une terrible et une excellente idée. » Qu’il n’ait en revanche pas fait la moindre remarque sur la forte probabilité que le jeune homme soit suffisamment bien implanté dans le quotidien de sa fille pour qu’il soit effectivement amené à se greffer aux activités familiales témoignait en tout cas d’une chose : sous ses airs de paternel méfiant, il n’était pas entièrement guidé par la mauvaise volonté. Depuis l’autre pièce, les rires de leurs épouses respectives avaient interrompu un instant le fil de ses pensées, et le goût de la bière remplaçant peu à peu celui du repas sur ses papilles Hassan en avait profité pour taquiner Rhett sur le niveau de sa participation dans l’élaboration du repas. « J’ai coupé les oranges avec soin et amour. Mais Emma m’a aidée, quand même. » Usant du même ton, le brun avait répondu « Et vous avez encore dix doigts tous les deux ? Tu t’améliores. » et ponctué cela d’un sifflement admiratif, avant qu’un rire ne lui échappe à son tour. Il n’avait aucun mal à imaginer la scène, ni le fait que Rhett ait été bien plus séduit par l’idée de partager l’activité avec sa fille que par celle de tirer un quelconque mérite dans le contenu des assiettes. Ni celui que Jenna ait eu l’impression d’avoir deux enfants comme commis de cuisine au lieu d’un seul, d’ailleurs. Mais reprenant finalement sa stature d’adulte raisonnable, le rugbyman avait insisté d’un air soudainement sérieux « J'ai parié que tu te tiendrais bien pendant le repas, me fais pas faux bond. » et pour qu’on n’en vienne pas à douter encore de sa bonne volonté le brun avait acquiescé « Mais oui … J’suis tenté de te racketter la moitié de ce que t’as parié cela dit, j’vois que la confiance règne. » Plissant le nez avec exagération signe qu’il n’était pas réellement fâché, il avait fini par hausser les épaules et reprendre d’un ton tranquille. « J’aimerais juste bien pouvoir discuter avec lui en tête-à-tête, à l’occasion … Tu sais, juste histoire de me faire une opinion. » Une opinion basée sur autre chose que la capacité du bougre à se tenir correctement à table.

Ce point-là étant éclairci, Hassan s’attendait à se voir proposer de retourner à ces dames, mais Rhett n’avait pas bougé. Et même, il avait soudainement adopté cet air qu’il gardait habituellement lorsque quelque chose lui brûlait les lèvres mais qu’il n’était pas certain de pouvoir en parler. « Tu me rends un service ? » Nous y voilà. « Toujours. » – « Tu pourras me le dire, si jamais Lei te fait part d'un truc important, dans leur discussion ? » Désormais réellement intrigué, Hassan avait froncé les sourcils et fait tourner sa bière entre ses doigts en fixant son ami avec plus d’intensité. Un truc important ? « Important comment ? » Sans même s’en apercevoir, le brun s’était mis à chuchoter pour caler le son de sa voix sur celui de son ami, donnant soudainement à leur conversation des allures de secret d’état. « Je pense que Jenna veut un autre enfant. » Oh. Important comme ça. Se sentant aussitôt marcher sur des oeufs, gardien de ses propres secrets autant que des messes basses au milieu desquelles il se trouvait propulsé, l’iranien avait questionné « Tu penses qu’elle veut un autre enfant, ou bien elle t’a dit qu’elle voulait un autre enfant ? » Ça n’avait l’air d’être qu’une question de sémantique, mais en réalité cela changeait pratiquement tout – et cependant, ce n’était pas ce qui semblait chagriner Rhett. « C’est pas quelque chose dont tu as envie, de ton côté ? » Hassan s’était pourtant plutôt figuré le contraire, et en même temps c’était un sujet que Rhett et lui n’avaient jamais évoqué tous les deux. Peut-être car ce dernier pensait le sujet trop sensible, la maladie d’Hassan ayant mis fin à toute possibilité que l’occasion se présente naturellement, et la médecine ayant décidé de ne plus être de leur côté à ce sujet depuis. Le brun, quant à lui, ne s’était jamais risqué à questionner son ami à ce sujet, conscient que peu importe la raison, elle ne regardait que Jenna et lui.

@RHETT HARTFIELD

Le beau-fils d’Hassan a tout d’un bon gars, et même si Rhett n’a jamais eu un bon flair à ce sujet, il veut terriblement y croire. Parce que Nour est une bonne gamine, parce qu’il croit bien plus en sa capacité à faire les bons choix qu’en la sienne propre. Parce qu’elle a l’air heureuse, tout simplement, et que son visage seul suffit à lui rappeler leurs années de gloire de l’université, ces bons et encore meilleurs moments qui représentent quelques-unes de ses plus belles années. « Ça semble à la fois être une terrible et une excellente idée. » - “Excellente, elle vient de moi.” Rhett corrige avec un sourire, celui-là même qui sait pertinemment que toutes les idées qui viennent de lui sont au contraire à placer entre “mauvaise” et “terrible” plutôt que quoi que ce soit d’autre. Mais pour ce gamin, il pense sincèrement qu’ils ont tous à y gagner si Hassan acceptait de l’intégrer ouvertement à la famille et de lui apprendre un peu de ses talents de rugbyman.

Sur un ton bien plus amusé et bien moins capable de virer au drame à la moindre seconde, c’est avec un certain sourire que Rhett annonce avoir su couper les oranges en compagnie de sa fille sans même avoir à faire le moindre détour à l’hôpital. « Et vous avez encore dix doigts tous les deux ? Tu t’améliores. » Fier comme un paon, il montre ses deux mains à son ami et les tourne même pour lui prouver qu’elles ne comptent pas la moindre égratignure - et qu’il en est évidemment de même pour sa fille en retour, qu’il aurait de toute façon conduit aux urgences de l’hôpital le plus proche en criant à l’hémorragie si elle avait été entaillée sur le moindre millimètre. Rapidement, le brun préfère mettre l’accent sur la nécessité d’Hassan de bien se tenir pendant le repas, à commencer parce qu’il a promis à Jenna que ce serait le cas ; ils n’ont pas de temps à perdre avec des actes manqués. « Mais oui … J’suis tenté de te racketter la moitié de ce que t’as parié cela dit, j’vois que la confiance règne. » - “Je l’ai embrassée après avoir juré que tout se passerait bien, j’imagine que tu vas te passer de me racketter pour cette fois ?” Mais après tout, s’il y tient vraiment, Rhett est déjà prêt à mimer un tendre baiser contre sa joue ; certes, ses talents d’acteurs sont toujours assez minables. Le sourire qu’il affiche, un peu trop fier et un peu trop amusé pour que ça n’en soit pas pathétique, n’a lui rien de joué. Après tout, il ne fait que conter la façon dont se sont passées les choses. « J’aimerais juste bien pouvoir discuter avec lui en tête-à-tête, à l’occasion … Tu sais, juste histoire de me faire une opinion. » Compréhensif, le sportif hoche la tête, pensant déjà à un moment où il pourra effectivement les laisser parler tous les deux, sa maison faisant office de zone neutre entre les deux hommes. Bientôt, ce seront eux qui couperont des oranges pour préparer le repas des invités, il en est persuadé.

Ce dont il est tout autant persuadé, c’est son besoin de parler à Hassan d’un sujet qui lui brûle la langue depuis plusieurs jours déjà mais qu’il voulait plus que tout aborder en face à face, et certainement pas au travers de quelques maigres messages. « Toujours. » Toujours, c’est aussi la durée depuis laquelle il est son meilleur ami et l’homme sur lequel il sait pouvoir compter plus que tout en ce monde. « Important comment ? » Important comme beaucoup, en témoignent les mots que Rhett ajoute rapidement pour préciser le fond de sa pensée. « Tu penses qu’elle veut un autre enfant, ou bien elle t’a dit qu’elle voulait un autre enfant ? » Il ouvre la bouche pour mieux la refermer, parce qu’expliquer les choses semble lui faire bien plus de mal que de bien. Il pense à Jenna qui refuse de donner ou revendre les vieilles affaires d’Emma, il pense à Jenna qui pense à redécorer leur chambre d’amis, il pense à Jenna qui continue de s’émerveiller devant le moindre enfant - et c’est pire encore pour les nourrissons - qu’elle a le malheur de croiser dans la rue. « C’est pas quelque chose dont tu as envie, de ton côté ? » Cette question nécessite de prendre une grande inspiration et de répondre d’un ton toujours aussi bas. “J’aime Emma plus que tout au monde, mais je me vois pas tout recommencer avec un second enfant.” Les tests médicaux, l’administratif, le stress, les nuits sans dormir, le casse-tête pour monter le moindre meuble ou trouver le dosage pour la poudre du lait et les autres médicaments ou vitamines dont il (ou elle) aurait possiblement besoin. “Tu la connais, elle adore l’idée d’être mère et elle est parfaite dans ce rôle.” Il étire un sourire touché, un brin trop amoureux aussi, le genre qu’il a toujours eu lorsqu’il était question de Jenna. “Mais c’est pas vraiment mon cas.” Il aime Jenna, il aime Emma aussi maintenant, mais plus que tout il aime aussi sa carrière et tout ce qu’elle continue de représenter, même cette occasion manquée à l’autre bout du monde qu’il n’a jamais faite reposer sur les épaules de sa famille. “Papa, maman elle a dit que tu devais arrêter de blablater avec tonton Hassan parce que sinon on va jamais manger.” Emma annonce, arrivant en trombe dans la pièce, son pas d’éléphant entendu à des kilomètres à la ronde. Fille de rugbyman, aucun doute là-dessus. “Elle sait toujours tout, maman, décidément.” Il concède dans un sourire, passant une main dans les cheveux roux de sa fille, laquelle lui arrive déjà presque à hauteur du torse.

“On a pas besoin d’en discuter. C’était juste une demande comme ça.”
“Discuter de quoi ?”
“De rien ma grande.”