C'est con comme un petit accident tout bête peut mal tourner. Avoir su jusqu'où t'amènerais cette petite arrestation banale, peut-être bien que t'aurais mis plus d'effort à leur glisser d'entre les doigts. Comment t'aurais pu imaginer qu'une bagarre - que t'as même pas commencé, c'est important de le préciser - te mènerait jusqu'au centre pénitentiaire de Brisbane ? C'est sympa les cellules à la con où il te laisse décuver jusqu'à ce que tu fasses semblant de t'excuser pour ton mauvais comportement. La cour des grands, c'est pas mal moins sympa. Surtout lorsqu'on sait à quel point tu es doué pour te faire des amis. Tu peux pas rester ici. Tu vas crever après une semaine. T'as gueule est encore intacte pour le moment, mais y'a déjà au moins trois personnes que tu soupçonnes vouloir te poignardé dans ton sommeil. Peut-être bien que tu t'fais des films, mais disons que t'as le sommeil plutôt léger depuis les quatres dernières nuits passées dans le fin fond de ta cellule. Surtout que ton colocataire à l'air d'une tapette, c'est franchement inquiétant. Le moins de temps tu passeras ici, le mieux tu te porteras. Quatre jours, c'est ce que ça a pris avant que quelqu'un ne vienne enfin t'annoncer que t'avais de la visite. Pas trop tôt. Vu le très peu de personnes qui savent où tu te trouves - et que tu t'es engueulé avec les autres dans la dernière semaine - tu ne te poses pas trop de questions tant qu'à l'identité du visiteur surprise. C'est Maisie. Elle vient te sortir de là, n'est-ce pas ? Elle va payer cette coquette sommes pour que tu puisses redevenir un homme libre. Évidemment, on ne laisse pas la famille dans la merde. Ça va de soi. Déjà qu'elle t'a bien puni en attendant quatre foutus longues journées, t'as assez payé. Personne n'as pointé le coupable qui t'a dénoncer pour un crime que tu as supposément commis (innocent jusqu'à preuve du contraire hm) mais c'est pas trop dure à deviner hen. Ou du moins, Angus avait tous les moyens de t'éviter d'être ici. Genre effacer la vidéo surveillance, trafiquer le chiffre d'affaires pour que personne ne remarque la disparition du collier. C'est pas les idées qui manquent. Mais, ça va, tu lui pardonnes à Maisie. C'est pas sa faute si elle se tape le dernier des abrutis. Elle finira bien par ouvrir les yeux. Peut-être bien que c'est ce qu'elle a fait dans les quatre derniers jours. Bon débarras Angus. C'est évident qu'entre lui et toi, elle te choisis. É-vi-dent. Après quelques minutes à zigzaguer dans les couloirs, tu arrives enfin jusqu'à la salle de visite. Tu repères ta soeur rapidement assise seule à une table. À voir aller les autres familles, ça semble presque être un moment chouette pour les autres détenus. Dommage que ta petite visite risque d'être moins sympa que les autres. Un coup débarrassé des menottes encombrantes - ils abusent quand même - tu files directement vers elle. Elle n'a pas l'air très très contente. Bof, ça lui passera. Elle va te gueuler dessus, te faire la morale jusqu'à la maison, et puis tout redeviendra comme avant. C'est pas la première fois qu'elle te sort de taule. En quoi ce serait différent aujourd'hui ? « Bah alors, on s'fait pas de câlins ? » que tu lui demandes en étirant tes bras, prêt à la recevoir. Elle a plus l'air d'avoir envie de te casser la gueule que de te faire un câlin. « Non ? » Ah, tu trouves encore le moyen de t'amuser un peu. Tu t'amusera bien moins quand elle va se dégager d'ici sans toi. Après un haussement d'épaule, tu viens prendre place en face d'elle. « T'aurais pu faire l'effort de venir avant. » Bon, fallait bien que quelqu'un brise la glace. Tu piques déjà, mais ça va, ça va, tu veux pas trop la contrarier non plus. Tu vas pas pousser trop loin. Tu veux juste dégager d'ici.

@maisie moriarty broke my heart

(SUR LA ROUTE). Ça fait quatre jours que je pense à lui. Quatre jours que je dors dans mon van parce que j’arrive pas à faire face à qui que ce soit pour expliquer ce qu’il s’est passé. Quatre jours que je réfléchis à ce que je vais bien pouvoir lui dire quand je vais enfin oser l’affronter, quatre jours que je cherche toutes les excuses du monde et que j’en trouve aucune – pourtant, ça me connait, les excuses. Quatre jours que je filtre les appels, quatre jours qu’à chaque fois que j’essaie de poser des mots sur la situation et qu’à chaque fois que je récite mon discours, je fonds en larmes ou explose de colère. Quatre jours qui me paraissent une foutue éternité sans les réponses que je cherche désespérément et que je ne suis même pas sûre de trouver auprès du principal concerné. Ça fait quatre jours que je pense à Angus alors que toute mon attention devrait être dirigée vers Seth ; mais je n’ai même pas envie de lui accorder la moindre pensée alors qu’il m’a prouvé, une fois encore, à quel point on ne peut pas se fier à lui. Ça fait quatre jours qu’il tourne en rond dans sa cellule et que je ne lui souhaite que d’y rester. Même les liens du sang n’arrivent pas à me faire avoir la moindre pitié pour lui. Il a cherché la merde comme il le fait toujours, sauf que cette fois-ci il n’a pas pu servir une pirouette dont il a le secret pour se sortir de la situation dans laquelle il s’est fourré – ou attendre que les autres le fassent pour lui. Il n’a pensé à personne d’autre qu’à lui quand il a commis son vol ; alors je me dois de le faire à sa place. Mais ça fait quatre jours, quatre jours que j’évite Angus comme la peste et que j’ai déserté notre appartement, quatre jours que je réfléchis à tout ce que je pourrais lui dire pour lui donner des explications que mon frère ne lui fournira jamais. Mais j’arrive pas. J’arrive pas, j’arrive pas à trouver d’excuses à Seth,  j’arrive pas à me dire qu’il a réellement réfléchi à ce qu’il fait et putain, qu’est-ce que j’arrive pas à le comprendre. Ça fait vingt-et-un ans que j’essaie et au-delà de la culpabilité que je ressens à l’égard de mon colocataire, je crois que je me suis résolue à ne plus chercher de réponse à cette question et, surtout, à ne plus le vouloir.

J’ai pas pu venir avant. Ce n’est pas que je n’ai pas voulu, je n’ai tout simplement pas pu. Parce que j’étais incapable de venir ici. Incapable de l’affronter, incapable de savoir quoi lui dire, incapable d’admettre que, cette fois-ci, je n’ai pas envie de l’aider. Je n’ai pas envie d’être là pour lui comme je l’ai toujours fait ; je n’ai pas envie qu’il m’impose ça alors que j’ai tellement d’autres choses à penser. J’essaie de mener ma vie, non, j’essaie de la remettre sur les rails et je n’ai pas le temps de m’occuper de celle des autres quand la mienne me prend déjà toute mon énergie. J’étais sur la bonne voie, pourtant. J’allais bien, les mois se sont transformés en années et toutes les contrariétés qui étaient autrefois motifs à m’enfoncer dans mon mal-être ont été balayées d’un revers de main. Et Seth, sans me faire tomber, me fait glisser et je n’aime pas ça. Je n’aime pas ça parce que je le connais assez pour savoir qu’il tiendra le même discours que lorsqu’il a mis ma meilleure pote enceinte, que lorsqu’il a défoncé la gueule de mon meilleur ami ; qu’il a besoin que je l’aide. Mais pas cette fois-ci ; et mon raisonnement est aussi égoïste qu’il n’est réaliste. Je ne peux pas l’aider. Je peux pas le sortir de prison, je peux rien faire pour lui : et je n’ai pas envie de le faire. J’en ai marre d’assurer ses arrières, d’y laisser une énergie que jamais il ne m’a adressée. Il était où, lui, quand j’avais besoin qu’il me sauve les fesses ? Quand j’avais besoin qu’il m’aide, quand j’avais désespérément besoin de lui, quand j’avais besoin qu’il m’assure qu’il ne me détestait pas pour tout ce que je faisais subir à notre famille. Il était où quand je me suis retrouvée dans ce foutu pays sans avoir le moindre repère et que j’avais besoin de plus important de tous ? Il a toujours fui ; aujourd’hui c’est mon tour.

« Bah alors, on s'fait pas de câlins ? » J’ai même plus l’énergie de m’énerver. J’ai même plus la force de me réjouir de cette perspective à laquelle j’ai souvent rêvé, pourtant, d’un geste affectueux, d’un signe qu’il me considère, d’une preuve que j’existe et qu’il m’aime. Mais il me prouve encore une fois qu’il ne le fait que lorsque cela sert ses intérêts ; et j’en ai assez de me faire berner en pensant qu’il est sincère, cette fois-ci. Il l’est jamais. Il prend jamais rien au sérieux, il se moque de tout ; alors moi aussi je vais me moquer de lui. Je vais me réjouir qu’il crève dans sa putain de cellule, je vais souhaiter qu’il ne reprenne sa liberté que dans quelques années et je vais oublier son existence comme il a trop souvent oublié la mienne. « Non ? » Je reste impassible, je quitte pas ma place, je le fixe sans la moindre émotion. J’ai pas besoin de me forcer, je suis fatiguée. Je suis fatiguée de lui. « T'aurais pu faire l'effort de venir avant. » - « T’aurais pu faire l’effort de rien voler. » Je rétorque, mon ton sec contrastant avec la sien alors que j’enchaîne pour ne pas lui laisser la possibilité de se donner en spectacle plus longtemps : « Pourquoi ? » Pourquoi t’as fait ça, Seth ? Pourquoi tu réfléchis pas ? Pourquoi on compte pas ? Pourquoi je compte pas ?

@"Seth Moriarty"  

« T’aurais pu faire l’effort de rien voler. » Outch. Ton regard se plante dans le sien quelques secondes, alors qu'un rictus fait légèrement retrousser tes lèvres. C'est bien lancé. C'est aussi bien mérité. Assez pour te faire fermer la gueule et ça a le mérite d'être souligné. Ouais, t'aurais sans doute pu faire l'effort de ne rien voler. Tu es le seul responsable de la situation dans laquelle tu te trouves aujourd'hui. Tu n'irais pas dire le contraire. Mais t'es encore assez naïf pour croire que tu vas passer entre les mailles du filet. Maisie, elle te laissera pas moisir ici. Elle va trouver une solution. Son mec sera peut-être utile pour une fois. Après tout, il a peut-être les moyens de faire retirer la plainte de MHI - ou retirer celle qu'il a lui-même fait, ça t'étonnerait pas vraiment que ce soit de sa faute. Bref, c'est facile comme tout. Monsieur Sutton te fait sortir en se disant que t'as eu bien la frousse, mais il ne veut pas décevoir la nana qu'il fait semblant d'aimer pour une raison que tu ne comprends pas et te voilà de nouveau un homme libre. C'est ça le plan infaillible. Tu t'en sors indemne encore une fois. Comme toujours. « Pourquoi ? » La question est surprenante lorsqu'on sait que peu importe la raison que tu lui donneras, ce ne sera pas celle qu'elle a envie d'entendre. Le visage de ta soeur est toujours aussi impartial. Ça aussi, c'est légèrement déstabilisant. Tu préfères encore quand elle te crie dessus plutôt que lorsqu'elle laisse se semblant de silence étouffant entre vous deux. Elle a l'air épuisée. Tu n'es pas assez égocentrique pour dire que c'est toi qui lui tire tout son jus. Tu n'es pas prêt à te donner autant d'importance dans sa vie, mais t'es prêt à te dire que t'as peut-être été un clou de plus dans son cercueil. C'est un peu chiant comme raisonnement dans ta petite tête. Elle va pas aimer que tu hausses les épaules en guise de réponse. Elle aimera mieux ça que la vérité : que tu peux pas blairer Angus, que t'es follement amoureux d'une nana pour qui tu peux voler un bijoux simplement pour qu'elle t'aime en retour (ouais pathétique à souhait, que t'étais si défoncé que tu savais plus discerner le rêve de la réalité. C'est pas les raisons qui manquent au pourquoi, mais elles sont toutes mauvaises et elles n'excusent rien. « J'ai pas réfléchi. » Voilà qui a le mérite d'être honnête quand même. Tu n'as pas réfléchi, parce que tu n'étais pas en état de le faire - moins que d'habitude en fait. Tu n'as pas pensé une seule seconde que ça pouvait se terminer ainsi. Intouchable hm. Pas tellement non. « J'ai pas d'argent pour un avocat. » T'as pas d'argent pour rien. Tu liquides tes minces économies en alcool et en herbe. T'as des dettes un peu partout avec tout le monde. À tous ceux qui t'ont déjà prêté de l'argent un de ces jours : non, tu n'en as pas fait bon usage. Non, ça n'a pas servi à payer ton logement comme convenu. « J'vais te rembourser. » que tu ajoutes en prenant déjà en considération qu'elle allait accepter ta demande. Ouais, c'est sûr que Maisie et son salaire de cinéma ont clairement les moyens de te payer un avocat assez compétent pour te sortir de ce merdier. Et pour ce qui est de la véracité de ta phrase… non tu ne la rembourseras jamais. Ta soeur fait déjà partie de ces personnes à t'avoir prêter de l'argent. Ta dette envers elle est déjà bien assez élevée. Elle n'est pas stupide. Elle sait très bien qu'elle ne reverra jamais la couleur de son argent.

Même entre ces murs, Seth est capable de jouer au plus con, au plus fier et j’arrive pas à comprendre comment toute cette situation peut le faire sourire. Elle ne se prête pas à la légèreté et si même le fait d’être enfermé ne l’aide pas à comprendre qu’il a sérieusement dépassé les bornes, cette fois-ci, je ne sais pas quel électrochoc pourrait y parvenir. J’ai toujours pensé qu’arriverait un moment où Seth comprendrait qu’il va trop loin, qu’à défaut d’être mature il doit au moins cesser de jouer à l’enfant – mais il semblerait qu’une fois encore, mes espoirs aient été plus conséquents que ce qu’il peut réellement offrir. J’ai couru après son affection pendant des années et maintenant qu’il est au pied du mur, il semble prêt à me l’offrir – avec une contrepartie, j’en ai conscience. Mais je suis fatiguée. Je suis fatiguée de rattraper ses conneries, je suis fatiguée de croire qu’il pourra se reprendre en mains et à défaut que c’en soit un pour lui, de mon côté c’est l’électrochoc dont j’avais besoin pour enfin cesser d’être là pour lui. J’aurais des milliers de choses à lui dire, à lui hurler dessus, mais j’en ai plus la force. Je veux juste comprendre pourquoi et dans le fond, je sais que peu importe la réponse qu’il me donnera, ce n’est certainement pas celle que je voudrais entendre – parce qu’il se cherchera des excuses comme toujours, parce que les autres sont toujours les fautifs et qu’il est un pauvre innocent qui se retrouve dans des situations déplorables uniquement par hasard. « J'ai pas réfléchi. » Un rire nerveux et fatigué s’échappe d’entre mes lèvres. Ce n’est pas ce que je pensais entendre, ce n’est pas non plus ce qui allège ma colère – ou ma peine, j’en suis à un stade où je n’arrive plus à distinguer l’un et l’autre le concernant. Il n’a pas réfléchi et c’est bien la première fois qu’il semble l’admettre, mais ce n’est pas suffisant. Je crois que rien ne sera suffisant, cette fois-ci, pour être honnête. « J'ai pas d'argent pour un avocat. » Je hoche la tête d’un air désintéressé – première nouvelle, tiens. Bien sûr qu’il n’a pas d’argent pour un avocat, pour cela il faudrait bosser, faire quelque chose de sa vie et ne pas subsister de l’argent qu’il pique à droite ou à gauche ou que notre père consent encore à envoyer de temps à autre pour se donner l’allure d’un paternel à défaut d’en être réellement un. « J'vais te rembourser. » Je sors de ma neutralité pour lever un sourcil, écarquiller les yeux et afficher un sourire tout aussi nerveux, particulièrement moqueur. Il est sérieux ? Il pense que je vais lui prêter du fric ? La vérité, c’est qu’il sait aussi bien que moi que je l’aurais fait. Ou du moins, que si je le pouvais, je le ferais. Mais je n’ai pas d’argent, pas assez pour lui payer un avocat du moins. On ne parle pas de l’aider à faire ses courses ou à payer sa facture d’électricité, on parle de plusieurs milliers de dollars que je ne peux obtenir qu’en demandant un prêt. Spoiler alert : ma situation n’est pas assez stable pour qu’une banque veuille m’aider et je ne compte pas lorgner du côté de l’illégalité pour l’aider. Et, surtout, je n’ai absolument pas l’intention de le faire. « Tu me rembourseras pas, Seth. » Que je dis, las, constatant un fait avant d’en ajouter un second : « je vais rien te prêter. Je l’ai pas non plus, cet argent. » Et il ne peut pas s’en étonner, j’arrive déjà à peine à payer mes factures, alors son avocat est la dernière de mes priorités. « Et inutile d’en demander à maman, elle l’a pas non plus. » Et le peu qu’elle a est pour Lee, non pas pour son autre fils incapable d’aligner ses neurones. « C’était contre Angus ? » Que je finis par lui demander. Il m’a dit qu’il n’a pas réfléchi, mais est-ce que son action était spécifiquement dirigée contre mon copain ? Est-ce que j’ai merdé au point où j’ai fait d’Angus une victime collatéral, lui faisant prendre le risque de perdre son boulot et de ne plus pouvoir aider sa famille ? Est-ce que mon frère est seulement idiot ou est-ce que j’ai une part de responsabilité malgré moi ?

@Seth Moriarty

Tu n'aimes pas le rire qui sort d'entre ses lèvres lorsque tu as l'audace d'essayer de lui soutirer de l'argent - derrière les barreaux tu peux pas juste prendre sans demander, oui tu l'aurais fait sinon. Ah oui, tu perds enfin ton sourire du parfait petit merdeux. Tu sais être sérieux quand c'est mal barré pour toi. Ce l'est en ce moment. « Tu me rembourseras pas, Seth. » Non, sûrement pas. Pourtant, tu y crois vraiment quand tu prétends le contraire. Faut être logique, tu mettrais des mois, voire même des années avant de rembourser une telle somme avec ton maigre salaire. Enfin, là, t'as pas de salaire, mais tout ce que tu peux trouver comme boulot, c'est rien de très payant alors bon. Un plus un égal deux hen. « je vais rien te prêter. Je l’ai pas non plus, cet argent. » Ouais, bon, c'était aussi prévisible qu'elle n'avait pas une somme dans les quatre chiffres à te prêter comme ça en claquant des doigts. Mais elle aurait pu avoir la gentillesse d'aller emprunter à la banque. Non ? Ah bon. Si Maisie te prête rien, qui va être assez con pour le faire ? C'est mal barré. Très mal. Peut-être bien que tu commences à être légèrement nerveux à cet instant précis. « Et inutile d’en demander à maman, elle l’a pas non plus. » Elle est sûrement plus fauché que Maisie. T'es pas si con. Tu ne lui aurais jamais demandé. T'étais tellement convaincu que Maisie trouverait le moyen de se mettre dans la merde pour te sortir de la tienne que t'arrive pas à réfléchir à un plan D dans l'immédiat. Le problème s'est qu'il n'y a qu'avec ta famille que t'es bien prêt à aller t'humilier de la sorte. T'es presque convaincu que Vivian a les moyens - et qu'elle aurait assez pitié de toi - pour te sortir d'ici. Même si elle te déteste pour l'heure, mais jamais de la vie que t'irais lui demander ça. Tu préfères encore crever en taule plutôt que de marcher sur ton égo. « C’était contre Angus ? » Qu'est-ce que ça change c'était contre qui ? ou pour qui ? Qu'est-ce que ça change de connaître tes motivations ? Elle sait déjà que tu n'avais pas de bonnes motivations. Personne avec de bonnes intentions ne feraient quelque chose d'aussi stupide. Ton poing s'abat soudainement sur la table, offusqué d'être humilié de la sorte par ta propre soeur. « J'suis en prison putain. Et toi, tout ce que tu t'soucis c'est de ton mec ??? » Parce que dans ta tête parfaitement illogique, Angus devrait être le dernier de ses soucis. Lui, il marche encore librement dehors et sa condition ne risque pas de changer dans les prochains jours. S'il perd son taf pour un truc aussi stupide, c'est qu'il était bien mauvais dans ce qu'il faisait. Il n'a rien fait. Et même si tu oserais prétendre le contraire, personne ne croirait tes paroles. Tout le monde croirait le mec au casier vierge. « J'étais défoncé. J'me suis dit que c'était une brillante idée d'offrir un collier à une nana qui la sûrement déjà pawner pour un rail de coke. Et j'ai pensé à Angus qui s'fout de ta gueule. » Elle veut la vérité ? Là voilà la vérité. C'était à la fois pour Murphy et contre Angus. Plus pour la première que contre le deuxième. Mais bon, c'était un deux pour un hen. Fallait pas laisser passer une occasion pareille. Non, t'aurais jamais fait un truc aussi stupide en étant sobre. Sauf que t'es jamais sobre et tu fais toujours des trucs débiles. Rien de bien surprenant. Sauf que là, tu t'es bien surpassé.  « C'était pas la peine de faire tout ce chemin si tu veux pas m'aider. » Elle aurait pu juste ne jamais venir et vivre sa meilleure vie avec son parfait petit-ami qui semble baiser toute la ville dans son dos. T'aurais bien compris le message.

J’ai réfléchi à comment l’aider à payer sa caution. J’en ai griffonné, des feuilles, dans l’espoir de trouver la solution qui me permettrait de l’aider sans m’endetter sur des dizaines d’années. J’ai essayé, même en sachant pertinemment que jamais j’arriverai à réunir la somme nécessaire pour le libérer sans me mettre dans la merde ; puis j’ai accepté la fatalité que je n’étais pas encore prête à admettre au moment où j’ai appris la nouvelle : je n’ai pas envie de lui tendre la main. Parce que je l’ai trop souvent fait sans avoir rien en retour et même si je sais que je ne devrais pas m’attendre à du donnant-donnant, je suis épuisée. Je suis épuisée et je crois que l’énergie que j’ai allouée toutes ces années à Seth est arrivée au bout de ce qu’elle pouvait offrir. J’ai pas envie de l’aider ; et je ne le ferai pas, mon rire l’annonce pour moi avant que je ne pointe du doigt l’évidence, qu’il n’essaie même pas de nier. Il est encore plus naïf que moi s’il pensait que j’arriverais à réunir l’argent nécessaire. Et dans l’hypothèse où il a envie de faire tomber nos parents avec lui, qu’il s’adresse à notre père ; Maddie n’a certainement pas l’argent pour l’aider et le peu d’économies qu’elle arrive à engranger doit servir à Lee, non au fils qui est supposé savoir s’occuper de lui-même (et qui a pourtant toujours échoué). L’affaire réglée – j’essaie même pas de faire semblant de réfléchir à une solution – j’ai aussi mes propres demandes ; et notamment de savoir pourquoi il a fait ça, un vol qui n’a pas de sens et dont mon hypothèse touche à la volonté de nuire à Angus. Son poing qui s’abat sur la table me fait sursauter un instant avant que je ne le fusille du regard. Je n’ai pas peur de lui, non. Mais ma patience a des limites ; et qu’il s’énerve de la sorte contre moi alors que je me suis dévouée à faire le déplacement commence à m’irriter plus que le geste qui l’a mené ici. « J'suis en prison putain. Et toi, tout ce que tu t'soucis c'est de ton mec ??? » - « Excuse-moi ? » Que je demande d’une voix plus calme que la sienne, même si l’agacement est perceptible. J’ai pas envie de le laisser gagner. Pas aujourd’hui. « Je dois avoir pitié de toi ? Alors que si t’avais aligné tes neurones, t’aurais pu éviter cette situation ? » À quel moment il s’est dit que voler un collier était une idée de génie sans conséquences ? Même un putain de chimpanzé est capable de le comprendre, alors qu’il vienne pas jouer la corde sensible. « Mon mec, lui, n’a rien demandé et risque de perdre son boulot, alors excuse-moi si je me soucie de lui. » Et c’est vrai. Angus ne fait pas partie du plan de Seth ; alors j’ai toutes les raisons du monde de m’inquiéter pour son sort plus que pour celui de mon frère qui n’a fait qu’ajouter une mauvaise décision supplémentaire à une liste déjà interminable. « J'étais défoncé. J'me suis dit que c'était une brillante idée d'offrir un collier à une nana qui la sûrement déjà pawner pour un rail de coke. Et j'ai pensé à Angus qui s'fout de ta gueule. » - « Mais putain arrête avec ça ! » J’élève la voix et un garde, déjà interpellé par le geste de Seth il y a quelques instants, me jette un nouveau coup d’œil, alors que j’essaie de reprendre mon calme. « Je sais que tu peux pas le saquer, mais laisse-nous tranquille. » J’exige, j’implore, un peu trop pour une relation autour de laquelle la vérité pourrait enfin éclater – à quoi bon continuer d’énerver Seth s’il n’est pas là pour l’apprécier ? « Et t’étais défoncé aussi quand t’as tabassé mon meilleur pote ? » Que je l’interroge, consciente que jamais j’arriverai à lui faire entendre raison sur Angus, mais ayant la volonté de comprendre le déferlement de violence qui s’est abattu sur Carl. « T’étais défoncé quand tu m’as comparé à maman ? » Ou est-ce qu’il l’était quand il a prétendu ne pas se souvenir du semblant d’excuse qu’il m’a offert par la suite ? « C’est quand que t’es pas défoncé, au juste ? » Que je finis par me corriger, en colère. Est-ce qu’il voit à quel point il gâche sa putain de vie ? À quel point il gâche chacune des chances que des idiots comme moi continuent de lui donner ? « C'était pas la peine de faire tout ce chemin si tu veux pas m'aider. » À ces mots, je secoue la tête de gauche à droit, un soupir qui s’échappe d’entre mes lèvres et un air dépassé sur le visage. « Qui est venu te voir, à part moi, hein ? » Personne, j’en suis sûre. Un avocat, peut-être. Pour le reste, j’imagine que je suis la première visite de son entourage – et probablement la dernière. « Je me bouge pour venir te voir et j’sais pas, j’essaie d’être là pour toi même si je peux rien faire de concret, et toi tu continues d’être ce petit con arrogant qui sait rien faire d’autre que détruire sa vie et celle des autres. » Je m’interromps, non pas pour modérer mes propos, mais pour reprendre mon souffle ; j’ai aucune envie de l’épargner. Est-ce qu’il l’a fait lui ? Est-ce qu’il a réfléchi à la manière dont il me parle ces dernières semaines, à sa façon d’écraser mon bonheur, même factice ? « Tu sais quoi, Seth ? Va te faire foutre. » T’as encore une chance. Une dernière chance de te rattraper avant que j’abandonne.

@Seth Moriarty

« Excuse-moi ? » Quoi putain ? Elle est devenue sourde depuis la dernière fois où vous êtes vue ? Sourde et aveugle, ça expliquerait pourquoi elle dégouline d'amour pour ce connard. Tes doigts trépignent d'impatience contre la table qui vous sépare. Tu voudrais bien crier plus fort, mais tu sais aussi que ça mettrait immédiatement fin à cet échange. Autant parce que Maisie se barrait d'ici que les gardiens te ramènerait illico dans ta cellule. « Je dois avoir pitié de toi ? Alors que si t’avais aligné tes neurones, t’aurais pu éviter cette situation ? » Ouais, bon, elle a pas tout à fait tort. Sauf que vous êtes pas là pour statuer qui est coupable et qui est con (toi et encore toi). Elle est là pour te sortir d'ici. C'est évident. « J't'emmerde Maisie. » Et avec des mots aussi sympa, c'est sûr et certain qu'elle va donner son cent-dix pourcent pour faire tous tes caprices hen. « Mon mec, lui, n’a rien demandé et risque de perdre son boulot, alors excuse-moi si je me soucie de lui. » Tu lèves les yeux au ciel. Encore lui qui a toute son attention. Elle le connaît depuis quoi ? Deux heures? Et faut qu'elle prenne son parti pris à lui ? Cette conversation devient de plus en plus désagréable. Faudrait bien que tu restes un minimum poli si tu veux pas qu'elle se casse. Faudrait, hm. « Mais putain arrête avec ça ! Je sais que tu peux pas le saquer, mais laisse-nous tranquille. » Tu lèves les bras au ciel, exaspéré qu'elle ne croit pas un seul mot de ce que tu lui racontes. Il en à rien à foutre d'elle, sinon il baiserait pas le mari de la jolie blonde - ouais déjà oublié ce prénom à ce looser. Ce que ce sera jouissif de pouvoir lui balancer un bon i told you so en pleine gueule le moment venu. D'ici là, ouais, qu'elle continue de vivre dans sa petite bulle de bonheur qui n'existe que dans sa tête à elle. Et tu continueras à penser à tous les moyens possibles pour tuer ce pédé.

« Et t’étais défoncé aussi quand t’as tabassé mon meilleur pote ? » Okay, là, elle vient de complètement te perdre. C'est de l'incompréhension totale qui se lit sur son visage. Faudrait encore que tu connaisses son cercle d'ami pour pouvoir soit disant tabasser son meilleur pote. De toute façon, on sait tous que c'est plus souvent l'inverse : toi qui se fait casser la gueule. « De quoi tu parles ? » À prime abord, la réponse à sa question est sûrement oui, mais pour l'instant, tu as juste envie de croire qu'elle se monte des films toute seule dans sa tête. « T’étais défoncé quand tu m’as comparé à maman ? » Ça, c'était plus le résultat de la colère que tes facultés affaiblies. Il faut croire que ces un commentaire qui est resté bien ancré dans son cerveau. Quoi ? Elle ne croit quand même pas à une connerie pareille ? Tu optes toutefois sur le silence en guise de réponse. Elle y comprendra bien ce qu'elle a envie de comprendre. « C’est quand que t’es pas défoncé, au juste ? » Jamais. Ce serait sans doute le moment parfait pour dire que t'as un problème. Ça jouerait probablement en ta faveur. Autant ici que devant la cour. Mais non, t'es encore bien trop fière. T'es pas encore au fond du trou même s'il suffira que de quelques jours supplémentaires ici pour l'atteindre. Ton regard bien planté dans le sien. Non, elle n'aura pas de réponse là-dessus non plus. « Qui est venu te voir, à part moi, hein ? » Personne, évidemment. Tu n'aurais laissé personne d'autre venir jusqu'ici de toute façon. « Y'a qu'toi qui sait. Donc, ça compte pas vraiment. » Ça ne compte pas de prétendre que personne t'aime puisque personne n'est venue, puisque personne ne sait où tu te trouves. Même si, bon, ce serait quand même pas toi qui serait le plus occupé niveau visite. « Je me bouge pour venir te voir et j’sais pas, j’essaie d’être là pour toi même si je peux rien faire de concret, et toi tu continues d’être ce petit con arrogant qui sait rien faire d’autre que détruire sa vie et celle des autres. » - « C'pas ta charité qui va m'faire sortir d'ici. » Donc, non, sa présence ici ne sert à rien si elle ne veut pas se soumettre à tous tes caprices. Tu ne veux pas de soutien. Tu veux de l'argent. Tu veux un avocat. Tu veux t'en sortir bien trop facilement comme d'habitude. Et tu veux encore retourner dans ton cercle vicieux infernal jusqu'à ce que tu finisses par en crever. « Tu sais quoi, Seth ? Va te faire foutre. » Elle est sérieuse là ? Parce que tu ne la prends absolument pas au sérieux. C'est un rire gras qui résonne dans la pièce. « Donc on s'revoit dans deux jours quand tu seras plus capable de vivre avec le fait de m'avoir lâchement abandonné ici sur ta conscience ? » Qu'elle fasse pas genre, on sait tous comment ça va se terminer. Ça va, tu lui pardonneras d'avoir été ingrate.

« J't'emmerde Maisie. » - « Ça m’fait plaisir de te rendre visite, connard. » Ce dernier mot, devenu une ponctuation dans mes échanges avec Seth, n’est pas retenu sous prétexte que la situation qu’il traverse est difficile. C’est un connard ; point final. Il le sait et dans l’hypothèse où il en douterait, je me fais un plaisir de le lui rappeler. J’ai pris de mon temps pour le visiter et même si on a jamais su communiquer, lui et moi, rendant cet instant agréable pour aucun d’entre nous, j’ai le mérite d’être là et je ne suis pas sûre qu’il puisse faire la fine bouche sur les visites qu’il reçoit. Avec une attitude pareille, il n’est pas étonnant qu’il fasse fuir les gens. Néanmoins, comme toujours, je me demande si ce visage m’est réservé ; et comment il est avec l’autre. Avec sa copine, par exemple, dont je viens d’apprendre l’existence. Est-ce qu’il est gentil, avec elle ? Et comment Angus l’a connu, avant qu’ils se détestent ? Est-ce qu’il était agréable ? Et quand il était enfin, comment est-ce qu’il se comportait avec ma mère ? Est-ce qu’il était aimant ? Je me pose une infinité de questions sur Seth depuis que je suis en âge de raisonner ; mais je n’y suis toujours pas parvenue le concernant, même si aujourd’hui une réponse par défaut semble vouloir se dessiner. Il est ainsi, voilà tout. C’est dans sa nature d’être un petit con prétentieux, ingrat et irrespectueux, et si même son arrestation ne l’aide pas à considérer ceux qui continuent de vouloir lui tendre la main, je crois que rien d’autre ne pourra le faire et qu’il faut que j’accepte cette triste vérité ; il sera toujours ainsi. Angus, lui, commence à me montrer qu’il y a autre chose derrière son arrogance, une facette de lui en laquelle je me reconnais, là où ça fait vingt ans que j’essaie de trouver un point commun avec mon frère. Alors, oui, j’ai décidé de prendre parti et pas pour la bonne personne, pas auprès de celle dont j’aurais dû me ranger par la force des choses, parce que les liens du sang sont supposés être plus forts que tout le reste. Et même si je voulais réellement défendre Seth, la situation est ce qu'elle ; Angus doit subvenir aux besoins de Samuel et ce n’est certainement pas une responsabilité que Seth peut comprendre, lui qui n’arrive déjà pas à s’occuper de lui-même.

Et s’il n'y avait que ça. S’il y avait que ce vol – qui est déjà bien suffisant en soi – pour justifier de mon agacement à son encontre, du fait que je commence précisément à baisser les bras le concernant. Mais son œuvre fait suite à des années d’ignorance et d’autodestruction qui commencent désormais à impacter ma vie plus que de raison ; parce que ça ne concerne plus uniquement moi. Ça concerne aussi Theo, maintenant, et Carl, puisqu'il ne sait pas s’arrêter quand il s’agit de tout détruire autour de lui. « De quoi tu parles ? » - « Carl. Un petit brun maigrichon que t’as tabassé. Tu lui as pété le genou, félicitations. C’est quoi ton excuse, cette fois ? » Il était bourré ? Il était sous substance ? Il est juste con ? J’opte pour la dernière option ; parce que c’est la plus évidente. Ce n’est pourtant pas celle pour laquelle je décide d’opter au prochain acte d’accusation, de ces quelques mots qu’il a prononcés des mois plus tôt et que je n’arrive pas à oublier. Ce ne sont que des mots. Mais justement ; il n’a que ça, Seth. Des mots qui tranchent, qui blessent, qui brisent. Et je crois qu’il n’y a plus à rien à détruire chez moi, désormais, parce qu’il a déjà tout détruit avec sa langue acérée. Et pourtant. J’accuse ; mais il reste muet. Il ne dit rien et j’ignore s’il entend mes mots ou s’il prépare les siens pour mieux m’achever après mon plaidoyer. « Y'a qu'toi qui sait. Donc, ça compte pas vraiment. » - « Donc je compte pas vraiment. » Je rectifie. Ce n’est pas seulement ma venue, c’est moi toute entière qui ne compte pas vraiment ; comme si j’en avais déjà douté.

Je lui laisse une dernière chance. Une dernière chance de comprendre à quel point il merde, que ce soit dans cette situation ou avec moi-même. Une dernière chance pour me donner une raison de me battre pour lui, pour, encore une fois, épuiser chaque bribe de mon énergie pour lui et, cette fois-ci, me prouver qu’il le mérite. « C'pas ta charité qui va m'faire sortir d'ici. » - « C’est en tout cas pas ton intelligence non plus. » J’enfonce le clou et je m’en fiche bien ; il a le traitement qu’il mérite, l’effet miroir quant à celui qu’il m’impose depuis des années. Sauf que je n’ai jamais aimé les miroirs, encore moins d’y voir mon reflet à travers eux. Seth est paumé. Et je ne veux pas être comme lui, je ne veux pas finir comme lui à détruire tout ce que j’entreprends, à me complaire dans ma médiocrité et à l’imposer aux autres jusqu’à ce qu’ils en soient eux aussi contaminés. Et il m’infecte. Petit-à-petit, il m’infecte de ses incapacités et de son néant ; et je n’ai pas envie de l’être. J’ai envie de me défendre, j’ai envie de réussir là où il ne cesse d’échouer, j’ai envie de briller là où il se noie dans l’obscurité. Je n’en peux plus de tout ça et plus que tout, je n’en peux plus de lui. « Donc on s'revoit dans deux jours quand tu seras plus capable de vivre avec le fait de m'avoir lâchement abandonné ici sur ta conscience ? » Et il rit et je reste stoïque. Je n’ai même plus l’énergie pour un rictus, pour une pique sanglante. Je n’ai plus l’énergie pour lui ; il en a aspiré chaque goutte dont je suis dotée et c’est à peine si j’arrive à soutenir son regard. Non pas parce que je manque de flancher ; mais parce que je n’ai même plus envie de lui accorder cette attention. « Je veux plus te voir. » Que j’annonce finalement d'un ton qui ne se veut même pas glacial. Il est seulement neutre, détaché, comme si ce constat n’allait rien changer à ma vie, comme si je me contentais de mettre en avant un fait. C’en est un. Un que je garde pour moi depuis trop longtemps pour réussir à le contenir plus longtemps, un qui a besoin d’être admis dans une tentative de reprendre l’énergie qui m’appartient et que je lui lègue depuis trop longtemps. « Je veux plus jamais te voir. » Que je rectifie. La notion du temps est subjective ; là où il est persuadé que je reviendrai sur mes mots dans deux jours, je suis certaine qu’une éternité ne me suffira pas à reprendre tout ce qu’il m’a pris. « J’en peux plus. J’en peux plus de toi, j’en peux plus de... tout. » J’ai même pas la force d’énumérer une liste, de lui faire la somme de ses défauts qui m’ont amené à ce résultat ; il fera les calculs lui-même et décidera quant à savoir s’il s’agit de la bonne solution ou non. « T’es un parasite dont j’ai jamais réussi à me débarrasser, mais aujourd’hui, j’en peux plus, Seth. » Il est la moisissure de mon existence, celle qui s’est infiltrée sans que je ne puisse m’y opposer et qui continuera de tout contaminer tant que je ne prendrai pas des mesures. « J’arrête. J’arrête d’essayer de t’empêcher de détruire ta vie. Et je te laisserai pas détruire la mienne. » Je le laisserai plus détruire la mienne. « J’aurais dû le faire depuis longtemps. Ça te changera rien, tu m’as toujours détestée, de toute façon. » Et j’ai jamais réussi à lui faire changer d’avis. J’ai jamais réussi à saisir les bons indices pour essayer de le comprendre. J’ai échoué. « J’ai jamais existé pour toi, alors t’existeras plus pour moi. » Que je l’informe, ne lui laissant pas le choix quant à cette décision qui ne peut pas être discutée, pas avec lui du moins. Quant à moi, elle m’empêchera certainement de trouver le sommeil, mais elle aura le mérite d’alléger mon cœur – à défaut de ma conscience. « Je veux plus jamais entendre parler de toi, je veux plus jamais entendre ton nom, je veux plus jamais avoir à reconnaitre ton existence. » Je dis avec toute la fermeté dont je suis capable, et je remercie ma lassitude de m’empêcher de ressentir quoi que ce soit. Je n’ai même pas envie de pleurer ou de m’effondrer à l’idée qu’il sorte définitivement de ma vie. J’en suis... soulagée. Et ça me terrifie de réaliser que j’ai attendu ce moment depuis si longtemps ; que je l’ai rêvé. Je l’ai imaginé à quelques reprises, mais jamais je n’aurais pensé qu’il me ferait autant de bien. J’aimerais lui dire quelque chose, un mot de départ, n’importe quoi pour lui souhaiter une bonne suite ; aussi ridicule que ça puisse paraître. Que j’espère qu’il se remettra du plomb dans la cervelle, qu’il arrivera à faire la paix avec lui-même pour cesser de détester tout le monde. Toutes ces choses que je n’ai jamais réussies à lui dire par peur de sa réaction et qui devraient pouvoir s’exprimer aujourd’hui que je ne serai plus là pour affronter celle-ci. Mais je n’y arrive pas. J’en ai pas envie ; parce que je réalise que ça m’indiffère totalement. Que son sort m’importe peu, parce que lui ne m’importe plus. « À partir de maintenant, t’es mort pour moi. » Et ce sera le deuil le plus facile qu’il me sera donné de faire.

@Seth Moriarty    

« Carl. Un petit brun maigrichon que t’as tabassé. Tu lui as pété le genou, félicitations. C’est quoi ton excuse, cette fois ? » C'est soudainement un rire nerveux qui traverse tes lèvres. C'est une putain de blague c'est ça ? De tous les merdeux que Murphy doit se taper dans ton dos, il fallait en plus que ça tombe sur l'ami de ta soeur. Il fallait que ce petit incident lui vienne jusqu'à ses oreilles ? Est-ce que tu te souviens de cette soirée dans le moindre détail ? Absolument pas. Tu te souviens surtout du tourbillon d'émotions qui t'a envahit. C'était plus un ouragan qu'un tourbillon. Des émotions que tu n'as toujours pas digérées même quelques jours après. C'est con, hen, d'en avoir des émotions, d'être blessé pour ce que tu fais subir à tout le monde depuis des années. C'est encore plus con d'être trop dans les vapes pour faire le lien entre les deux. Pour en tirer des leçons, le genre de truc que le monde normal fait. « C'est qu'une tapette. Je l'ai à peine touché. » À peine touché. Juste assez pour lui faire peur et qu'il ne s'approche plus de ta copine. Tu comprends pas trop ce que Murphy a bien pu lui trouver. Tu ne comprends pas non plus comment un mec qui partage le cercle de ta sœur peut avoir un quelconque intérêt envers Murphy. C'est pas le genre de nana que ta mère est contente de te voir arriver à la maison avec. Et c'est pour la même raison que tu l'aurais fait. « Donc je compte pas vraiment. » Tu lèves les yeux au ciel alors que tu soupires exagérément. C'est pas ce que t'as dit. T'es trop con pour démentir, mais t'as jamais dit ça. « T'es chiante. Arrête de jouer sur les mots. » T'approuves pas. Tu démens pas non plus. Elle en fera bien la conclusion qu'elle veut. Ce sera sûrement pas celle qui faut, mais tant pis pour elle si c'est ce qu'elle a envie de croire. Pour l'heure, tu commences un peu à perdre patience que vous soyez encore là à parler de truc pas intéressant au lieu qu'elle fasse des mains et des pieds pour te sortir d'ici. « C’est en tout cas pas ton intelligence non plus. » Bah non, c'est pour ça que t'es encore là et que t'as besoin de son intelligence à elle. « C'est bon ? T'as fini de te vider le coeur ? » Vous pouvez passer aux choses sérieuses ? Au moment où elle te dit qu'elle va prendre quatre cartes de crédit pour payer ce qu'il faut pour te faire sortir d'ici. Ou payer quelqu'un qui pourra le faire - ouais sans doute plus la deuxième option. Mais non, Maisie, elle a pas terminé de se vider le coeur, elle fait juste commencer. « Je veux plus te voir. » Ça devrait être inquiétant de l'entendre formuler à voix haute ce qu'elle a souvent pensé sans oser l'exprimer. Du ton de sa voix jusqu'à sa posture, ça devrait t'allumer une lumière rouge. Mais non, y'a des années que tu prends ta soeur pour acquise, c'est pas avec ces cinq petits mots que ça va changer quoi que ce soit. Tu y crois pas. « Je veux plus jamais te voir. » Même si elle insiste. Tu y crois toujours pas. « Arrête de dire des conneries. » Arrête de perdre du temps précieux. Chaque seconde est comptée ici. Mais elle poursuit. « J’en peux plus. J’en peux plus de toi, j’en peux plus de... tout. » Et peut-être que cette fois-ci tu figes. Tu figes sans trop savoir quoi dire. Si elle voulait te fermer la gueule, bah bravo, c'est bien réussi. « T’es un parasite dont j’ai jamais réussi à me débarrasser, mais aujourd’hui, j’en peux plus, Seth. » Et c'est à cette seconde précise que tu peux voir le mur arriver à toute vitesse en sachant pertinemment que tu ne pourras pas l'éviter. T'es foutu et la nervosité te prend d'un coup. Tu veux pas rester ici. Et si ta propre soeur t'aide pas, y'a personne d'autre qui va le faire. « J’arrête. J’arrête d’essayer de t’empêcher de détruire ta vie. Et je te laisserai pas détruire la mienne. » - « Putain Maisie… » Tu peux pas me faire ça qui te reste pris au travers de la gorge. Pas maintenant, qu'elle renie vos liens fraternels un coup que tu seras sortie d'ici. Au fur et à mesure qu'elle poursuit son discours, t'arrives plus trop à savoir comment tu te sens. C'est un vrai bordel dans ta tête. D'ailleurs, ta main vient automatiquement se poser contre ton front, comme si t'avais besoin d'un effort intellectuel surhumain pour pas dire d'autre connerie - ouaip, c'est le cas. « J’aurais dû le faire depuis longtemps. Ça te changera rien, tu m’as toujours détestée, de toute façon. J’ai jamais existé pour toi, alors t’existeras plus pour moi. » Tout ce que tu veux en ce moment c'est qu'elle se ferme la gueule. Putain, elle peut pas être en train de dire ça. Et bien sûr que l'émotion qui prédomine sur le reste, c'est la colère. C'est toujours la colère qui prend le dessus quand c'est le bordel dans ta tête. Tes poings se resserrent contre la table dans une tentative (raté) de gérer l'émotion.  Peter un cable ici, c'est pas une bonne idée. Vraiment pas du tout. « Je veux plus jamais entendre parler de toi, je veux plus jamais entendre ton nom, je veux plus jamais avoir à reconnaitre ton existence. À partir de maintenant, t’es mort pour moi. » Tu te lèves d'un bond, incapable de rester une seule seconde de plus sur ta petite chaise de merde qui te donne mal au coup depuis que tu t'es assis dessus. L'idée de faire valser la table est tentant, mais elle a l'air bien fixée au sol pour pas que les tarés dans ton genre agissent comme des sauvages. « Va t'faire foutre Maisie. T'es qu'une sale pute égoïste. La prochaine fois que t'as envie de te laisser crever d'faim, essaie de pas te manquer. » que tu lui balances alors que ton doigt se pointe vers elle et que ton regard la fusille. Ouais, bien sûr, c'est elle la putain d'égoiste. « FAIS CHIER. » que tu t'exclames alors que la chaise, elle par contre, trouve bien le chemin violemment jusqu'au sol - pas fixé celle-là. Tu transpires le mal-être lorsque tu lui tournes dos, que tes mains s'accrochent à tes cheveux autant parce que t'aurais envie de les arracher que parce que tu tentes de démontrer au gardien que tu comptes pas faire plus de grabuge - ils sont pas trop délicats ceux-là. Mais, ouais, t'as pas le temps d'arriver à la porte de sortie qu'on t'attrape par ta magnifique tenue orangé pour te presser le pas. Les menottes reviennent rapidement autour de tes poignets, assez serré pour t'en laisser des marques. Qu'est-ce qu'il va te rester à faire enfermé ici mise à part réfléchir d'à quel point t'es con ?